Sujet bac : annale 2023
Épreuve de Français Œuvre – Abbé Prévost, Manon Lescaut |
Introduction :
Quand l’abbé Prévost fait paraître Manon Lescaut en 1731, le lecteur sait d’emblée qu’il va découvrir une histoire d’amour dévorante. Le sous-titre l’informe dès la couverture : Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut. Il est donc question d’une passion entre deux êtres. La promesse liminaire est tenue, puisque l’auteur rend compte des nombreuses péripéties qui vont faire que Des Grieux et Manon se rencontrent, se séparent, se retrouvent, s’éloignent encore avant de se réunir une dernière fois, avant que la mort ne vienne prendre Manon dans un dernier sursaut d’émotion. C’est donc une histoire tragique et passionnelle qui retient le lecteur et qui le pousse à tourner les pages du livre. L’abbé Prévost ne recule pas devant la censure, et offre un roman libertin, un drame romantique même, dont le rapport à la morale apparaît comme ambiguë. Certes, la passion amoureuse est un sujet qui excite facilement le plaisir de la lecture, et l’abbé Prévost sait ménager une attente vis-à-vis des aventures de ses héros. Le lecteur est à la fois amusé ou ému de découvrir leur sort. Mais les aventures entre les deux amants suffisent-elles à aiguiser l’intérêt du lecteur ?
La problématisation :
Il est inutile de redonner trop d’informations de contexte si cela ne fait pas avancer votre réflexion. Ici, rappeler la date de publication est important, mais il faut vite en venir à l’essentiel : le rapport entre passion amoureuse et plaisir de lecture. Les correcteurs attendent de vous que vous cibliez exactement le problème dans le sujet.
En effet, ce roman est aussi un tableau des mœurs du temps. Il est l’œuvre d’un moraliste qui a comme ambition première de faire réfléchir le lecteur sur des questions de philosophie, de science, mais aussi sur des questions morales. C’est pourquoi le but de l’abbé Prévost n’est pas seulement de montrer une passion, mais de porter un jugement sur cette passion. Dans ce regard complexe porté sur l’amour réside peut-être un autre plaisir de la lecture de l’œuvre. Dans une première partie nous allons donc montrer que la passion amoureuse crée bien un plaisir de lecture. Cependant, l’enjeu de la deuxième partie sera d’indiquer quels sont les autres motifs que le roman déploie et qui peuvent aussi provoquer un plaisir de lecture. La troisième et dernière partie nous permettra d’expliquer en quoi c’est probablement le savoir et la réflexion sur la passion, qui se construit autour de l’histoire de Manon et Des Grieux, qui forme la source principale de satisfaction.
L’annonce du plan :
Au lieu d’annoncer brutalement le plan après la problématique, il peut être intéressant de montrer un paradoxe qui va se situer au cœur de la démonstration. Ici, il s’agit d’expliquer que cette œuvre condamnée pour immoralité est en réalité l’œuvre d’un moraliste. Cela permet d’apporter une dimension supplémentaire au sujet et de lancer l’annonce de votre plan. En filière générale, vous devez faire des phrases pour présenter celui-ci, et ne pas proposer des titres de parties et de sous-parties.
Première partie
Première partie
Manon Lescaut présente une vision idéalisée de l’amour. La parfaite complicité des deux protagonistes, leur désir fou d’être ensemble, suscite la fascination. Le lecteur est forcé de croire à cette vision, car le point de vue interne renforce la crédibilité de l’expression des sentiments. Même s’il est permis de mettre en doute les affirmations du narrateur principal, c’est-à-dire Des Grieux, il n’en reste pas moins que les nombreuses précautions qu’il prend pour assurer la véracité et l’intensité de ses sentiments donnent l’illusion de la sincérité. Le coup de foudre qui l’unit à Manon est la première manifestation de cet amour idéal. C’est un thème récurrent de la littérature amoureuse. Dans la pièce de Shakespeare, Roméo tombe instantanément sous le charme de Juliette. Plus d’un siècle après la publication de Manon Lescaut, dans L’Éducation sentimentale, Flaubert se plaira à écrire à son tour ce genre de rencontre passionnée, pour décrire le lien indéfectible qui se tisse entre Frédéric Moreau et Madame Arnoux. Il y a quelque chose de l’ordre de l’envoûtement dans ces scènes, qui s’empare à la fois des héros et des lecteurs.
Connaissances personnelles :
Le sujet précise bien que tu dois te servir de tes lectures personnelles. Ici, les œuvres littéraires qui parlent d’amour sont extrêmement nombreuses. Il ne devrait pas être trop difficile de trouver des exemples. Roméo et Juliette ou L’Éducation sentimentale sont des incontournables sur ce sujet.
Mais s’ils s’aimaient tout simplement et coulaient des jours heureux, il y a peu de chances que le roman rencontre le succès. Ce qui fait que le texte de l’abbé Prévost est encore lu aujourd’hui, c’est que l’économie du récit est suffisamment ingénieuse pour faire percevoir en peu de pages toute la complexité d’un amour violent et contrarié. En effet, Manon et Des Grieux sont de classes sociales très éloignées, et ils n’étaient pas destinés à être ensemble. Des Grieux, comme l’abbé Prévost lui-même, va renoncer à une carrière ecclésiastique pour goûter aux plaisirs de la vie. L’amour des femmes prime ici sur l’amour de Dieu. Mais ce n’est pas tout : Manon va trahir Des Grieux, le couple va tomber dans le jeu et la prostitution jusqu’à l’emprisonnement. Enlèvement, séquestration, duel, fuite dans le désert : tous ces événements s’enchaînent et tiennent le lecteur en haleine. Jamais il ne parvient à deviner si les deux amants vont enfin trouver la paix. Le registre lyrique, qui a pour visée principale d’exalter les sentiments et de provoquer l’emphase, voire l’ardeur, est au service de la description de ces aventures. Il participe à l’émotion qui peut saisir le lecteur. D’ailleurs, c’est au nom de sentiments trop forts que Des Grieux justifie ses actes délictueux : « Il y a peu de personnes qui connaissent la force de ces mouvements particuliers du cœur […] ».
Citations :
Tu n’auras pas le livre le jour de l’épreuve, et ne pourras donc pas illustrer chacun de tes propos avec des citations. Il te faudra donc connaître une ou deux citations par œuvres, assez générales, qui te permettront de montrer ta connaissance de l’œuvre.
Attention : il ne faut pas donner une citation que tu connais par cœur par principe. Elle doit soutenir ton raisonnement.
Mais là encore, une telle succession d’actions pourrait paraître banale si elle n’était pas soutenue par une fin tragique. Il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas être touché par la scène de la mort de Manon. Sa mort est subtile parce qu’elle apparaît à la fois comme une punition pour les actes qu’elle a commis, mais aussi comme une forme de rédemption, car elle souffre beaucoup, se révèle enfin, et se confesse. Le destin s’oppose donc à la réunion des deux amants auxquels le lecteur s’est attaché. Après s’être demandé sur des dizaines de pages si leur union allait être possible, il ne peut qu’être étonné par une fin aussi radicale. Ce n’est plus le registre lyrique, mais le registre pathétique qui renforce la puissance des émotions décrites dans ces dernières pages. Les références aux larmes, aux pleurs, au chagrin révèlent l’hypersensibilité et la vulnérabilité des héros, dans laquelle certains lecteurs peuvent se reconnaître ou au moins se sentir touchés. Les plaintes du chevalier à la fin du roman semblent enfin séparer définitivement l’amour et la sagesse, si bien que les transports du cœur sont présentés comme des obstacles aux mouvements de l’esprit.
Deuxième partie
Deuxième partie
Toutes ces péripéties qui sont motivées par la passion entraînent dans leur sillage l’évocation d’autres thèmes. La passion amoureuse n’est donc pas le seul centre d’intérêt de la lecture du roman. Il faut voir dans Manon Lescaut un mouvement permanent d’un sujet à un autre. Le principe des rebondissements constants éloigne le récit de toute vraisemblance, mais crée de l’envie chez le lecteur. Plus il y a d’aventures, plus il y a d’interrogations qui se posent sur le destin des deux protagonistes. L’abbé Prévost peut ainsi parler de tout autre chose et donner indirectement son avis sur les mœurs, la politique ou les institutions de son époque. Par exemple, il décrit le système judiciaire en décrivant les prisons dans lesquelles les héros sont enfermés. Il n’y a pas que la dimension tragique des aventures de Manon et du chevalier qui s’impose. Il est même possible d’identifier des passages comiques, comme lorsque Des Grieux ridiculise le prince italien, ou quand il se fait passer pour le frère de Manon dans un souper.
Cette variation des thèmes et des tons est mise au service d’une critique sociale qui ne manque pas d’intérêt pour le lecteur. Le choix du roman picaresque par l’abbé Prévost permet de faire traverser aux deux héros des milieux sociaux très différents. De la sorte, il est montré de manière très convaincante que c’est l’appartenance à un milieu social donné qui influence la destinée. Manon ne devrait rien avoir à faire avec un noble. Dès lors, les deux protagonistes sont présentés comme des rebelles qui contreviennent aux règles implicites de la société. Mais le plus grand coup porté par le roman tombe sur les aristocrates. Ces derniers sont taxés d’hypocrites. Grâce à leur fortune, ils agissent en toute impunité, mais ils sont coupables de nombreuses bassesses. Face aux nobles qui s’amusent à Paris au lieu de rester auprès du roi vieillissant à Versailles, Des Grieux passe pour quelqu’un de beaucoup plus honnête. Il n’a rien d’un courtisan flagorneur.
Usage de l’exemple :
Aucun argument n’est gratuit. Toute affirmation est accompagnée d’un exemple. Ainsi, tous les débuts de paragraphe sont identiques : annonce de l’idée forte, suivie d’un exemple qui l’illustre.
Les attaques contre les instances qui ont le pouvoir génèrent l’intrigue autant qu’elles interpellent le lecteur. Par conséquent, ce sont souvent les valeurs associées à ces pouvoirs que l’abbé Prévost fustige, comme le désir de réussite à tout prix, le devoir ou l’argent. Par exemple, un grand incendie à Chaillot fait perdre leur fortune à Manon et Des Grieux. Par bien des aspects, on reconnaît là de fausses valeurs que Balzac condamnera aussi dans La Peau de chagrin, à travers les passions de Raphaël. C’est un autre héros porté par l’argent et le désir de gloire. En contrepied, Prévost propose d’autres valeurs, comme l’amitié, la religion ou les bonheurs simples. Il y a tout lieu de croire qu’il est fortement attaché à la doctrine classique qui veut qu’une œuvre plaise et instruise tout à la fois, comme le croyaient Perrault ou La Fontaine avant lui. C’est pourquoi son récit a davantage l’intention de mettre en garde le lecteur sur les dangers de l’amour, plutôt que de simplement lui donner à pleurer sur le sort des deux héros. La portée morale est explicite, dès lors qu’il écrit que son histoire est un « exemple terrible de la force des passions ».
Articulation des parties :
En général, la deuxième partie permet de rendre saillant un des paradoxes du sujet. Ici, on prend le contre-pied : il s’agit de dire que non, la description de la passion n’est pas le seul moteur de l’intrigue ni la seule raison pour laquelle le lecteur a envie de tourner les pages de Manon Lescaut.
Troisième partie
Troisième partie
Certes, le plaisir de lire passe par le plaisir de découvrir les mésaventures et les émois amoureux des héros. Mais, outre le fait que la passion n’est pas le seul sujet de Manon Lescaut, c’est peut-être le plaisir d’être instruit sur la passion qui forme l’aspect le plus plaisant de la lecture. L’instruction ne serait pas détachée du plaisir, c’est bien le fait d’apprendre qui créerait du plaisir. Dans l’avis au lecteur, Prévost prévient qu’il cherche à faire réfléchir son lecteur tout en l’amusant. Il dit même que son histoire peut devenir un modèle de ce qu’il ne faut pas faire. Comme Marivaux dans La Vie de Marianne, sorte de roman-mémoires, il met la question amoureuse au cœur des problématiques sociales de son époque et interroge la façon dont l’église ou le peuple se situent par rapport à cette question.
Mais le plus plaisant ne réside peut-être pas dans la morale affichée par l’abbé Prévost. Si cette posture moralisante suffisait à condamner les passions, le roman n’aurait jamais été censuré à sa sortie. Or, il faut constater qu’il a été interdit. En réalité, l’abbé Prévost propose une image ambivalente de la passion amoureuse. Durant de longs passages, Manon et Des Grieux sont tout à fait comblés par leur relation. Il est vrai qu’ils perdent la liberté, voire leur bon sens à cause de leur amour, et pourtant ils persistent jusqu’au bout à rester ensemble. Donc la passion semble plus enviable et semble rendre plus heureux qu’une vie rangée. L’intensité des émotions amoureuses reste plus forte que les souffrances, donc ne peut pas vraiment convaincre le lecteur de ne pas être du côté de Des Grieux. Le choix de « l’honneur » et du « Ciel » par ce dernier à la toute fin du roman semble artificiel.
Il est donc possible d’affirmer que l’abbé Prévost est complaisant vis-à-vis de la question passionnelle dans son roman. Ce subtil jeu d’esprit, qui consiste à valoriser la passion tout en la condamnant, est finalement bien plus intéressant qu’un simple catalogue d’aventures que braveraient deux jeunes amants. Si le jeu et l’appât du gain semblent vraiment condamnés, l’auteur pousse tout de même son lecteur à être magnanime envers les héros qui ne cèdent qu’à une attraction amoureuse. D’ailleurs, il n’expose jamais le point de vue de Manon. Tout est raconté depuis Des Grieux. Pourquoi ce choix ? Peut-être parce que choisir la voix de Manon reviendrait à donner son propre avis, c’est-à-dire à avouer que la passion peut-être une chose qui vaut la peine d’être vécue. De plus, ces héros sont trop jeunes pour se marier, donc peut-être est-ce la faute de la société s’ils ne peuvent pas s’aimer en toute sérénité. L’abbé Prévost va même plus loin en disant que « l’amour est une passion innocente », et qu’il est réservé aux personnes exceptionnelles. Il est presque possible d’en conclure que sous son apologie de la bonne morale, Prévost dénonce en fait une morale religieuse trop stricte et des conventions sociales absurdes.
Énonciation :
Bien que le sujet invite à réfléchir à la place du lecteur, je n’écris presque jamais « nous ». Dans une dissertation, il faut essayer de mettre le plus de distance possible entre soi et le sujet, et s’exprimer de la façon la plus neutre et la plus impersonnelle possible.
Conclusion :
En mettant en scène deux existences dévorées par la passion, l’abbé Prévost s’assure que son lecteur voudra aller jusqu’au bout de sa lecture. En réutilisant les ressorts classiques du récit amoureux et du récit d’aventures, il crée une œuvre divertissante qui frappe par les images et les émotions qu’il véhicule. Cependant, il ne limite pas son roman à ce thème et compte sur le goût de la polémique de son lecteur, dès lors qu’il propose de faire un portrait et une critique de l’organisation sociale. L’hypocrisie est le libertinage des puissants sont montrés du doigt. Il compte enfin sur l’intelligence de celui qui découvre le récit, puisqu’il l’invite à réfléchir les conséquences de la passion amoureuse. Sur ce point sa position est ambivalente, car il condamne la vie de Manon en même temps qu’il la valorise, à travers des propos qui sont parfois tout à fait féministes. Cette indulgence envers la passion, en réaction au jansénisme, ouvre la voie aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos et même aux auteurs romantiques quelques décennies plus tard. En somme, c’est la subtilité de l’esprit de Prévost qui se penche sur la question de la passion, et non pas la passion amoureuse pour elle-même, qui offre tout le plaisir de la lecture.
Conclusion :
La conclusion répond à deux objectifs : d’abord elle reprend scrupuleusement les grands arguments de chaque partie, et enfin elle propose une ouverture du sujet à un autre point de vue ou à d’autres œuvres.