Sujet bac : annale 2023
Épreuve de Français Œuvre – Balzac, La Peau de chagrin |
INTRODUCTION
La Peau de chagrin est un ouvrage essentiel dans la carrière de Balzac, car il lui permet d’accéder à la popularité, mais aussi parce qu’il concentre une grande partie des thèmes essentiels de la « Comédie humaine », son grand œuvre. Dès 1831, ce roman pose les bases d’une des grandes idées de Balzac, qui consiste à croire que l’homme est doté d’un capital d’énergie à la naissance qu’il va user à force d’assouvir ses désirs. Bien qu’il s’agisse d’un récit classé dans la catégorie des « Études philosophiques » de la « Comédie humaine », ce texte s’offre comme un conte fantastique dans lequel le surnaturel s’immisce dans un cadre réaliste. Balzac choisit donc de faire le portrait divertissant d’un monde dégradé, au lieu de proposer un discours théorique distancié. Il paraît légitime de se demander si ce tableau est uniquement au service d’une vision pessimiste. La Peau de chagrin se contente-t-elle de peindre les vices et les errements d’une société fatiguée, ou donne-t-elle à penser une relation apaisée au désir ? La lecture de cette œuvre n’encourage pas au manichéisme. Il n’y a pas d’un côté un monde dominé par le mal et de l’autre des personnages, à l’image de Raphaël de Valentin, qui aspirent en vain à l’idéal. En réalité, il tient à chacun d’entre nous de résister à l’exténuation. Pour défendre ce point de vue, nous montrerons que Balzac fait bien le portrait d’un monde délabré, mais dans lequel se dissimulent des sources de vitalité insoupçonnées. Dans un tel univers, vivre devient un combat de chaque instant pour régénérer son énergie.
Le sujet :
Le sujet peut dérouter le candidat, car il n’offre pas un plan évident. Sa tournure peut l’inviter à choisir de répondre oui ou non, sans nuancer. Quoi que vous choisissiez, ce qui compte c’est de rédiger un raisonnement logique, qui conduise du plus évident au plus complexe.
Le « grand œuvre » est la pièce maitresse d’un artiste, à laquelle il se consacre longtemps et qui fait sa renommée. La « Comédie humaine » est une série de quatre-vingt-dix ouvrages que Balzac écrira entre 1829 et 1850.
Première partie
Première partie
Indéniablement, Balzac présente un monde délabré, usé, fatigué, bref, exténué. Cela passe d’abord par le portrait du personnage principal, un jeune homme désabusé, et ensuite par le portrait d’une société corrompue. Le cadre sociologique est celui de la société bourgeoise, parfois aristocratique, contemporaine de celle de Balzac. Raphaël est un représentant de cette classe. Plus précisément, il en est un membre désargenté, puisque son père a perdu ses terres pendant la Restauration et se retrouve démuni. Raphaël n’a donc pas le sou quand il se retrouve à Paris pour suivre ses études de droit. Désespéré, il tente de se suicider après que Rastignac lui a fait perdre son dernier louis d’or au jeu. Ainsi, l’argent ou la gloire sont présentés comme les seules sources de bonheur possible pour un héros désabusé. Quand une seconde chance s’offre à lui, en l’occurrence le « talisman » qu’est la peau de chagrin, il va la gaspiller dans l’assouvissement de désirs futiles. En cela, le pacte qu’il a noué avec l’antiquaire est un pacte faustien, c’est-à-dire un pacte avec le diable, qui ne peut mener qu’au désespoir et à la mort. Le sort de Raphaël est sans appel : il se renferme dans un hôtel particulier en essayant de ne plus rien désirer, mais va finir rongé par le désir, agonisant dans les bras de celle qu’il aime, Pauline. Non seulement son énergie s’est étiolée, mais en plus elle a été dépensée pour rien.
Organisation d’une partie :
Rien ne contraint le candidat à faire deux, trois ou quatre parties, malgré le schéma classique, souvent présenté en classe, d’un raisonnement en trois parties divisées en trois sous-parties chacune. Ici, la première partie se divise en deux sous-parties, non pas par facilité, mais pour montrer deux dimensions complémentaires de la manifestation de l’exténuation dans le roman. Le tout est de marquer nettement les blancs typographiques des paragraphes et d’articuler correctement des transitions.
Mais où aurait-il trouvé une échappatoire ? Certainement pas dans la société qu’il fréquente, qui est entièrement tournée vers le vice, la corruption et le matérialisme cynique. Rastignac l’introduit dans un cercle d’amis, génération perdue de la monarchie de Juillet, qui passe leur temps à faire la fête. La situation politique est bouchée, aucun avenir radieux ne se présente pour ces jeunes gens. Pour reprendre une expression d’Alfred de Musset de 1836, il est possible de dire qu’ils souffrent du « mal du siècle ». La haute société ne vaut pas mieux, puisqu’elle est constituée de personnes immorales, obsédées par l’argent, à l’image de Feodora, femme sublime qui n’aime que le luxe et dont les sentiments ne l’attachent jamais à aucun homme. Les bourgeois de Zola dans les « Rougon-Macquart », autre grand cycle littéraire réaliste du dix-neuvième siècle, se caractériseront eux aussi par cette cupidité et cette sécheresse de cœur. Bien que Balzac ne dise rien de la façon dont vit le peuple, il donne tout de même une image globale assez pessimiste de cette société aisée. Elle se dépense, s’agite, discute d’art, de politique, de bonnes manières, mais en réalité elle ne fait que tromper son ennui comme elle peut, par des mondanités et une prétendue intelligence qui ne cachent que futilités. Autrement dit, il dilapide leurs biens et leurs forces vers un épuisement total.
Syntaxe :
Il est fondamental de ne pas chercher à faire absolument des phrases longues. Si vous ne maitrisez pas déjà la technique de la phrase complexe depuis plusieurs mois, vous n’y arriverez pas plus le jour du bac. Il faut donc choisir d’écrire des phrases courtes, voire très brèves. Cela rendra votre texte plus clair. L’important est de développer précisément son propos : des phrases courtes n’impliquent pas des idées simples.
Deuxième partie
Deuxième partie
La dépense gratuite d’énergie ne règne pas en maître sur une société à bout de souffle. Elle cohabite avec des occupations qui revigorent plus qu’elles n’épuisent : le savoir et l’amour. C’est pourquoi le choix d’un récit fantastique est judicieux de la part de Balzac. En effet, dans un récit fantastique, le surnaturel se cache derrière les manifestations ordinaires du réel. En obligeant Raphaël à s’interroger sur ce qu’il peut ou doit savoir et sur la véritable nature de l’amour, le pouvoir magique de la peau le laisse libre de se tourner ou non vers des valeurs créatrices ou destructrices. En effet, à partir du moment où il se retrouve en possession de ce talisman, Raphaël est confronté à des dilemmes : vouloir éprouver tous les désirs ne revient-il pas à courir à sa perte ? Faut-il courir après les plaisirs de la mondanité et de la sexualité avec Feodora, ou rechercher un idéal de pureté aux côtés de Pauline ? L’antiquaire à qui Raphaël achète la peau est un représentant de ces valeurs créatrices, puisqu’il s’agit d’un homme sage qui a consacré sa vie à l’érudition : « Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit », explique-t-il à Raphaël. Raphaël avait déjà cette intuition, puisqu’il est l’auteur d’un Traité de la volonté qu’il abandonne en même temps que sa volonté de vivre au début du roman. Il y avait donc, dans sa première intention, celle d’être savant, une puissance de création qu’il a délaissée. La tentation de la peau est trop grande, et il choisira d’exténuer ses réserves vitales en se tournant vers une existence faite d’excès.
L’autre force créative à côté de laquelle passe le personnage principal, c’est celle de l’amour. Aveugle dans un premier temps aux charmes de Pauline, il s’attachera à Feodora la plus grande partie du roman. Séduit par la sensualité et la noblesse de la courtisane, il se prend à rêver de se marier à une femme de haute condition. Mais c’est une ambition romanesque, qui n’a rien de réel, car en réalité Feodora n’a pas de cœur. Tout se passe comme si Raphaël vivait dans une histoire qu’il se fabrique. Il reconnaît une telle pulsion romanesque chez la tentatrice : « C’était plus qu’une femme, c’était un roman. » Balzac semble nous dire que s’il avait choisi Pauline plus tôt, car il le fait dans les dernières pages du livre, dans les derniers jours de sa vie, il aurait opté pour un être qui a du cœur, qui l’aurait élevé, ou plus prosaïquement lui aurait donné des enfants. Cette figure du dévouement, de la discrétion et du sacrifice, librement inspirée de madame de Berny, est une promesse de vie heureuse et épanouie, une ondine, une femme « tout esprit, tout amour », semblable à la femme romantique idéale décrite ailleurs chez Lamartine ou Hugo par exemple. Balzac reprend ici le schéma convenu qui présente la femme soit comme une tentatrice soit comme une mère protectrice pour montrer que le chemin qui mène vers la renonciation aux excès ne se présente jamais seul et de manière évidente. Mais une vie qui ne serait que renonciation aux plaisirs, enfermement dans les livres ou la vie conjugale, ne serait sûrement pas une vie heureuse. Or, La Peau de chagrin n’est-il pas un récit d’apprentissage qui invite son lecteur à connaître et à maîtriser ses désirs plutôt qu’à y renoncer ?
Les exemples :
Il ne faut pas hésiter à parler du récit à des échelles différentes. Il est possible de se servir des grandes étapes de l’histoire pour illustrer son propos, ce qui est assez facile à faire dans un long roman à péripéties multiples comme La Peau de chagrin. Il est possible également de commenter de minuscules évènements, qui pourraient passer pour incidents, mais qui, sous l’angle de votre analyse, prennent toute leur importance.
Troisième partie
Troisième partie
Force est de constater que La Peau de chagrin propose une réflexion sur la façon dont l’humanité peut vivre avec ses passions sans se laisser dévorer par elles. Bien que Balzac indique que l’amour et le savoir sont des forces de création et non de destruction, il sait que l’homme a besoin de les embrasser avec passion sinon, il se dessèche et meurt. Cette conception correspond parfaitement à la vision vitaliste de l’existence que défend l’auteur de la « Comédie humaine ». En lecteur attentif de Mesmer, il a appris que notre capital d’énergie ne fait que décroître, mais hélas, c’est la passion qui fait l’intérêt de l’existence. Aquilina, la fille que Raphaël rencontre dans une orgie au début du roman, est lucide sur ce point : « Nous vivons plus en un jour qu’une bonne bourgeoise en dix ans. » Ainsi vivre passionnément est aussi source de connaissance. La jeunesse aspirera toujours à l’absolu, c’est ce qui la consume, mais c’est aussi ce qui fait qu’elle parvient à dépasser les visions du monde rabougries, et qu’elle construit l’avenir. En réalité, Balzac semble prétendre que l’enjeu n’est pas de vivre coupé du monde, en haut de sa tour d’ivoire, mais de bien choisir ses passions. Il faudrait à la fois aimer et se retirer du monde, étudier solitairement et rencontrer des hommes et des femmes à aimer. L’oscillation entre sagesse et passion a davantage de prix dans La Peau de chagrin que la décision de se consacrer à l’un ou à l’autre.
Dans le tumulte éreintant de l’existence, il faut donc trouver des endroits où se régénérer, se calmer, se reposer. Le magasin d’antiquité au début du roman est un de ces lieux. D’ailleurs, comme son vieux personnage de boutiquier, le vendeur de la peau, Balzac était un très grand collectionneur d’antiquités. À Paris, sa maison regorgeait de meubles et de bibelots qu’il se procurait jusqu’à l’endettement. En effet, vivre dans le passé par la lecture ou la contemplation de vieux objets est montré dans La Peau de chagrin comme une façon de se guérir du présent « exténué ». Regarder en arrière permet de relativiser sa situation présente et de se projeter vers l’avenir. La nature aussi présente un havre de paix intemporel. Quand le monde des hommes aura passé, que les villes se seront effondrées, la nature sera encore là, évoluant dans une présence non historique. Tel Rousseau le marcheur solitaire sur son île, Raphaël se réfugie en Auvergne à la fin du roman, afin de retrouver une énergie perdue. Il fait le choix d’une vie simple aux côtés d’une famille qui vit sans artifices. Il échouera à se contenter de cette simplicité, et se jettera une dernière fois dans les bras de Pauline. Mais en agissant ainsi, il aura tout connu de l’existence : les beautés de la sagesse comme celles de la passion.
La culture personnelle :
Un commentaire précis de La Peau de chagrin ne peut pas se passer de références philosophiques. Dans cette troisième partie, les remarques sur Mesmer et Rousseau ne sont pas des digressions puisqu’elles permettent d’éclairer le propos de la dissertation et de rendre intelligible un aspect de l’œuvre. D’ailleurs, dans le sujet, on vous encourage à utiliser vos connaissances personnelles. Ici, il est aussi question d’une anecdote sur la vie de Balzac. Vous pouvez mobiliser ce genre de connaissances personnelles afin de répondre précisément à la question posée, mais pas pour étaler des informations inutiles qui augmenteront le nombre de lignes, mais ne tromperont pas le correcteur.
CONCLUSION
La Peau de chagrin ne se contente pas d’une vision fataliste de l’existence. Certes, la fatigue et l’exténuation sont au cœur de l’intrigue puisqu’il s’agit de faire le portrait d’un être tiraillé entre sagesse et passion, qui ne sait pas quoi faire de sa volonté et de son énergie. De surcroît, Balzac présente une société épuisée et désabusée, qui a connu les affres de la Révolution et de l’Empire et qui ne sait plus quoi faire de son temps. Mais le récit montre plutôt des êtres égarés, perdus dans les frivolités mondaines, et qui ont perdu le sens de la fidélité et du bonheur. Raphaël, un petit arriviste, cède aux plaisirs faciles et ne parvient pas à voir qu’un rapport apaisé à l’amour, au savoir, au passé ou à la nature lui permettrait de vivre une vie plus heureuse. Rastignac dans Le Père Goriot commettra les mêmes erreurs, comme le Julien Sorel de Stendhal dans Le Rouge et le noir. La passion rend aveugle, mais l’espoir d’une vie meilleure est toujours probable dans la « Comédie humaine ». C’est pourquoi Balzac semble inviter son lecteur à se servir de sa raison pour trouver des ressources magiques dans un monde qui va trop vite, un peu comme le fantastique révèle le surnaturel, ou comme l’écrivain montre un possible chemin à suivre.