Sujet bac : annale 2023
Épreuve de Français Œuvre – Colette, Sido suivi de Les Vrilles de la vigne |
Introduction :
Dans Les Vrilles de la vigne, le recueil de nouvelles qu’elle publie en 1908 et auquel elle ajoute quelques textes en 1933, ainsi que dans Sido qui sort en 1930, Colette consacre de longs passages à l’exploration de l’intime et à la description de la nature. Or, dans les années 1930, elle est une célébrité reconnue pour ses talents de mime, de danseuse de music-hall, et de romancière raffinée. En mettant le récit autobiographique au service de l’exaltation de la beauté du monde, et inversement, elle offre à ses lecteurs la possibilité de mieux comprendre son parcours et l’origine de sa sensibilité. En effet, dans ces deux œuvres l’observation précoce de la beauté des choses et des êtres forge le caractère et le destin de la narratrice. Dans quelles mesures la célébration de l’enfance et des sens sous la plume de Colette est-elle la manifestation d’un émerveillement ? L’émerveillement se définit comme un regard posé avec étonnement et admiration sur le monde. Comme chez l’enfant qui se laisse entraîner par les aventures d’un conte, c’est un mélange de fascination, de surprise et de bonheur au moment de découvrir un univers inconnu et plein de promesses. Nous verrons d’abord comment l’adoration d’un environnement familial qui regorge de magie génère un profond émoi dans Les Vrilles de la vigne et Sido. Ensuite, nous montrerons que ce parti pris n’entraîne pas un optimisme béat, et que Colette n’élude rien de la dureté et des bassesses de l’existence. Enfin, il s’en suivra que l’écriture lui apparaît tôt comme le meilleur moyen de conjurer les obstacles à l’émerveillement.
Définir les termes du sujet :
Si l’organisation dialectique du plan d’un tel sujet ne semble pas poser trop de difficultés, il reste important de bien définir dès l’introduction le terme le plus important, « émerveillement », car c’est à partir de lui que vous pourrez construire une démonstration qui réponde véritablement à la question posée.
Première partie
Première partie
Sido se présente comme une déclaration d’amour de Colette à ses parents ainsi qu’à ses frères et sœurs à travers trois parties : « Sido », « Le Capitaine » et « Les Sauvages ». Dans Les Vrilles de la vigne c’est Missy, son amante, qui est mise en lumière. Les aventures de ces êtres sont présentées comme des aventures merveilleuses, mais ce qui est original c’est que les animaux et les plantes autour d’eux vivent aussi des histoires extraordinaires. La mère de Sido est une conteuse charismatique qui apparaît comme une véritable reine en sa demeure. Sa façon de raconter des histoires, de prendre des décisions sur lesquelles elle ne revient pas, de donner des ordres, de décrire ses contemporains révèle une verve qui a de quoi fasciner sa fille. Le père est beaucoup plus discret, lui aussi est impressionné par sa femme, mais son existence ne manque pas de romanesque. Par exemple, il perd sa jambe en 1859 en combattant pour l’indépendance de l’Italie. Pour ce qui est de la fratrie de la narratrice, elle est extrêmement attachante, car même si elle malmène un peu Colette, elle s’embarque sans rechigner dans des aventures rocambolesques. L’imagination débordante de ses membres les embarque dans des bêtises toujours plus originales. Une fois grande, dans ses « nuits blanches » avec Missy, Colette trouvera un havre de paix où peuvent s’épancher les fantasmes, comme l’imaginaire peut se déployer en écoutant les contes des Mille et Une Nuits. Ainsi Colette décrit des personnages qui enchantent le quotidien.
User de l’analogie :
La comparaison n’est pas qu’une figure de style réservée aux écrivains professionnels. Vous pouvez utiliser aussi des analogies pour renforcer vos arguments. La comparaison d’un épisode du texte avec une œuvre extérieure, même très différente, ou avec un événement réel, peut vous permettre d’éclairer un point de votre raisonnement. Ici, il est question de montrer comment les deux œuvres du programme s’inspirent des techniques du conte, sans véritablement en être.
Mais les humains partagent l’extraordinaire avec les animaux et la nature. De nombreuses nouvelles de Colette ressemblent à de petits contes merveilleux, parce qu’on y voit des animaux parler, comme dans la série des « Tobby chien » par exemple. C’est d’ailleurs la mère de Colette qui lui apprend à respecter et à observer les animaux, comme lorsqu’elle l’invite à regarder le merle manger une cerise. Dès ses premiers textes, l’autrice les personnifie, se sert du discours direct pour traduire leurs paroles et rendre compte de leurs pensées. La narratrice entre en communion avec des bêtes anthropomorphes. Le texte se présente donc comme un laboratoire d’une curiosité dont même la végétation fait l’objet. Dans les descriptions de Colette, les plantes semblent vivre d’incroyables aventures. La vigne est une cellule de prison, le jardin se nourrit de lumière, les violettes « éclose[nt] par magie dans l’herbe », etc. Ce fouillis de tiges, de feuilles, de fleurs, de branches, de mousses, etc., fait naître le goût du mystère et le plaisir de raconter. Dans Sido, Colette rend hommage à cette nature comme s’il s’agissait de s’adresser à un dieu à qui on doit l’existence : « Ô géraniums, Ô digitales… Celles-ci fusant en bois-taillis, ceux-là en rampe allumés au long de la terrasse, c’est de votre reflet que ma joue d’enfant reçut un don vermeil. » La magie, le don, la métamorphose : tout dans ces anecdotes laisse transparaître le surnaturel et le transcendant derrière l’ordinaire.
Anthropomorphe :
Qui ressemble à un être humain.
Deuxième partie
Deuxième partie
Dans Sido et Les Vrilles de la vigne, le moindre détail de l’aspect ou de la vie d’une plante, d’un animal ou d’un être humain peut apparaître comme sacré. En entrant ainsi en symbiose avec ce qui l’entoure, Colette développe son empathie avec autrui. Mais si cette ultra-sensibilité lui permet d’être ouverte à la merveille, elle lui permet aussi de voir ce qui dysfonctionne dans le monde comme il va, parfois au prix d’une forte nostalgie vis-à-vis d’un bonheur perdu. La famille est cible d’attaques autant qu’elle est à l’origine d’une fascination bienveillante. Les frères et sœurs de Colette la laissaient souvent à l’écart de leurs jeux et son père pouvait se montrer rêveur, distant ou absent. Mais le portrait le plus terrible et le plus tendre à la fois est celui de Sido, la mère. En bonne matrone dominatrice, elle se révèle dure avec son entourage. Elle colporte des ragots sur ses voisins, commente désagréablement leur mode de vie, donne des ordres fermes aux membres de sa famille qui ont parfois du mal à les accepter. Colette explique en quoi il fut difficile de s’émanciper d’une mère au tempérament si fort. C’est donc une relation d’amour et de crainte mêlés qui caractérise la relation de la narratrice avec sa mère. La vie parisienne est également perçue avec attirance et répulsion. Les Vrilles de la vigne et Sido mettent en scène de manière caricaturale l’opposition entre la capitale et la province. Les habitants de Saint-Sauveur son intrigués par la vie faite de mondanité, de luxe et de festivités qu’on peut avoir à Paris, mais ne sont pas dupe des hypocrisies et des superficialités qu’elle suppose. De la même manière, Colette rend compte avec ambivalence de ses amours homosexuelles. S’il est vrai qu’elles lui procurent d’intenses moments de joie, elles sont montrées comme des amours interdites, qui doivent être vécues dans l’ombre pour éviter les sermons d’une morale intransigeante. Atteindre la joie ne se fait donc pas sans obstacle.
Il semble difficile, voire impossible parfois, de maintenir vivace le souvenir des moments d’enthousiasme. Dans certains passages, Les Vrilles de la vigne et Sido s’enfoncent dans la nostalgie pour un monde perdu : « J’appartiens à un pays que j’ai quitté » écrit Colette lorsqu’elle évoque une énième fois son jardin. Le monde qu’elle décrit, bien qu’il soit source d’émerveillement, est un monde qui disparaît et qui n’offre que des plaisirs éphémères. La structure des Vrilles de la vigne, qui se compose de courtes nouvelles, ainsi que les chapitres brefs et parfaitement découpés de Sido donnent l’impression que Colette ne parvient à faire revivre que des fragments de sa mémoire, que le reste est tombé dans l’oubli. Ses œuvres sont comme des albums de photographies : une succession d’instantanés. Où est le reste ? Par quoi pourrait-être comblé le manque, les trous ? L’ensemble laisse au lecteur une impression de mélancolie. Décrire l’insouciance de l’enfance ne semble pas aller sans dire aussi la souffrance de l’avoir perdue. Enfance de Nathalie Sarraute se construit sur un schéma comparable puisque l’autrice ne donne pas l’impression que les choses se sont déroulées dans une chronologie exacte. Elle raconte ce dont elle se souvient de manière ponctuelle, dans le désordre, au hasard des remémorations. Cette forte conscience de la fragilité de la mémoire, mise en avant par la psychanalyse, va considérablement impacter le récit autobiographique au vingtième siècle, y compris l’œuvre de Colette. En somme, la quête d’émerveillement dans ses deux œuvres ne tombe pas dans la naïveté et ne prétend pas au réalisme absolu.
La structure :
Votre commentaire des œuvres ne doit pas se limiter à des remarques sur l’intrigue. Il est très important de commenter la forme. Dans cette perspective, vous pouvez commenter le style de l’auteur, mais aussi la structure de l’œuvre. Que Colette ait choisi la forme brève pour la plupart de ses récits n’est pas anodin. N’oubliez pas qu’un bon écrivain ne fait jamais un choix par hasard.
Troisième partie
Troisième partie
Si toute forme d’émerveillement était condamnée à l’oubli ou devait être recouverte par la méchanceté et la médiocrité de la société, raconter des histoires n’aurait aucun intérêt. Le métier de Colette est précisément de se faire magicienne par l’écrit comme sa mère l’était par la parole. D’une part, les émerveillements qu’elle crée proviennent de sa capacité à régénérer ce qui est menacé de disparition, et d’autre part de sa faculté à changer l’humanité par son récit. Sido sait prédire l’avenir en scrutant la nature, elle fait comme si elle communiquait avec les points cardinaux ou les animaux. Aux yeux de sa petite fille, c’est un médium. Or, par sa capacité à faire renaître les membres de sa famille ou à faire parler la nature, l’écrivaine est aussi une sorte de médium. Contrairement à ce qui se passait dans l’enfance, l’émerveillement n’est plus quelque chose qui survient par hasard, c’est un sentiment qui est construit par l’écriture. Il n’en reste pas moins que le lecteur peut le ressentir à son tour, à la lecture des passages les plus lumineux du texte. Colette se fait donc passeuse d’émerveillement, conteuse à la voix magique. L’écriture a ainsi pour mission de recréer le monde perdu, mais elle doit aussi le sublimer. C’est là une autre définition de l’émerveillement : sa proximité avec le miracle. Un miracle est un fait extraordinaire qui apparaît comme par une volonté divine. Chaque court texte de Colette pourrait être pensé comme un miracle, c’est-à-dire qu’il fait jaillir de l’oubli ou de la brutalité des moments de beauté inattendus.
Médium :
Personne douée de facultés psychiques exceptionnelles, qui lui permettent d’entrer en communication avec le surnaturel. Dans le raisonnement proposé dans notre correction, c’est une métaphore de l’écrivain.
Colette ne cherche pas seulement à montrer la beauté du miracle, elle souhaite aussi montrer comment il peut changer nos vies. D’une certaine manière, c’est une intention politique. Dès lors que son récit s’offre comme un récit d’apprentissage, dans la droite ligne des romans de Balzac ou de Jules Vallès, il a comme prétention d’influencer la vie réelle des lecteurs. En l’occurrence, Colette explique comment la simplicité de sa mère, son athéisme, son féminisme, l’éducation laïque qu’elle donne à ses enfants, ont permis à sa fille de s’émanciper. L’exaltation de la nature ne sert pas qu’à réveiller les sens, elle permet de décrire un espace de liberté où l’épanouissement individuel peut s’exercer. Déjà dans son Émile ou De l’éducation Jean-Jacques Rousseau encourageait les parents et les pédagogues à élever les enfants au contact de la nature. La passion et la sensualité accompagnent ce chemin vers l’affirmation de soi que la mère de Colette a contribué à tracer. C’est pourquoi les nouvelles des Vrilles de la vigne peuvent être considérées comme le fruit d’une éducation à la volupté. L’émerveillement chez Colette apparaît comme un encouragement à la transformation du monde.
Subjectivité :
Il ne vous sera pas reproché au bac d’exprimer un jugement ou une sensibilité personnelle. Vous pouvez dire qu’un texte est beau, au risque de l’emphase. Ce qui sera mal reçu, c’est que cela ne vous serve qu’à ajouter des lignes à votre dissertation. L’expression de votre sensibilité doit rester au service de votre démonstration et de la réponse à la question posée.
Conclusion :
Suivant les deux sens courants du terme, Les Vrilles de la vigne et Sido peuvent donc être considérées comme des œuvres de l’émerveillement. En effet, elles témoignent d’abord de l’admiration sans bornes, et même de la fascination de la narratrice pour des êtres, humains ou animaux, qu’elle aime, et pour la nature. Ensuite, ces œuvres recourent au registre merveilleux pour enchanter le monde. Comme dans les contes, ces nouvelles et ce bref roman ne renoncent pas à mettre en scène des événements inquiétants ou à s’accommoder de la cruauté des choses. Finalement, l’émerveillement chez Colette n’a rien d’une régression puérile, c’est plutôt une opportunité pour forger une morale, là encore, comme dans les contes. Si elle se tourne vers le monde de l’enfance, c’est pour rappeler à quel point il peut être source de libérations, quand le monde des adultes est parfois un univers d’oppressions. Les deux œuvres que nous avons étudiées sont des œuvres autobiographiques, mais elles sont plus largement des récits d’apprentissage qui nous apprennent qu’il est toujours possible de trouver de la beauté dans le spectacle du monde, et cela malgré sa violence. Les douces « correspondances » de la nature que révèle Colette, et qui ne vont pas sans rappeler celles que se plaisait à décrire Baudelaire, ne sont donc pas que des divertissements, elles sont à l’origine d’une émancipation personnelle et d’une vocation d’écrivain.
Le contexte :
Il n’est pas anecdotique d’insister sur la vocation d’écrivain de Colette, car au début du vingtième siècle peu de femmes sont reconnues pour ce qu’elles écrivent. Son témoignage a donc une valeur sociologique et pas seulement littéraire. Une telle ouverture peut faire l’objet d’une conclusion, car elle découle du sujet de la dissertation sans être en son cœur.