Corrigé Bac
Sujet bac - 2024 - Français - Corrigé - Commentaire

Sujet bac : Annale 2024

ÉPREUVE DE FRANÇAIS
SUJET CENTRES ETRANGERS – ASIE

OBJET D’ÉTUDE – La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle
COMMENTAIRE DE TEXTE : Madame de Lambert, Traité de l’amitié, 1736

Introduction :

« Parce que c’était lui ; parce que c’était moi. » : Cette célèbre phrase de Montaigne qui résume en quelques mots la relation amicale exceptionnelle qui l’unissait à Étienne de la Boétie offre une bonne illustration de cette « amitié parfaite » (l. 8) dont parle Madame de Lambert dans son Traité de l’amitié en 1736.

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Astuce

L’accroche :
Il n’est pas nécessaire de connaître le texte en amont pour faire un bon commentaire. En revanche, il faut veiller à ce que le contenu soit rattaché à un contexte plus global (attention à ne pas faire de hors sujet), que vous avez très probablement étudié en cours. Dans ce corrigé c’est le cas de Montaigne et de l’humanisme, qui ne doivent pas être inconnus des élèves de 1re.

À travers une argumentation directe à la structure extrêmement maîtrisée, elle reprend donc un thème cher à la philosophie humaniste, et entreprend de défendre la profondeur du sentiment de l’amitié, tout en le comparant à celui de l’amour. Il y a chez elle une volonté de trouver ce qui fait la spécificité de ce sentiment, et de comprendre en quoi il s’oppose à la solitude. Mais elle ne se contente pas d’explorer les avantages de l’amitié, elle entreprend aussi de s’interroger gravement sur les raisons qui font que c’est un sentiment souvent négligé. Ainsi il convient de se demander comment Madame de Lambert propose une vision pessimiste des interactions entre les humains derrière une vibrante valorisation de l’amitié. Pour répondre à cette question et présenter ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe, nous nous pencherons d’abord sur la portée anthropologique de ce passage, puis nous montrerons comment Madame de Lambert construit son discours élogieux sur l’amitié.

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Astuce

Le plan :
Le plan proposé ici est un plan en deux parties. Il est plus courant de proposer un plan en trois parties, mais rien n’empêche de proposer un plan en deux parties si celui-ci est logiquement construit, et que chaque partie possède un contenu riche.

Première partie : Une vision pessimiste de l’homme

À la manière de son corps qui se dégrade et vieillit, l’homme tend naturellement vers la « solitude » (l. 3) et la sécheresse d’un cœur qui « s’épure » (l. 2). C’est du moins ce qui semble être l’hypothèse au départ de la réflexion de Madame de Lambert. Son discours est donc général : il s’agit d’une réflexion pessimiste sur la nature de l’humanité. Et dans ce cadre, l’amitié ne vient que souligner la perfectibilité de notre être. Astuce : Transitions : Il est indispensable de commencer sa partie par une phrase ou deux de présentation du plan de la partie. Vous devez également terminer par une phrase qui synthétise ce que vous avez dit et qui permet de passer à la partie suivante. C’est d’autant plus important qu’aucun titre ou sous-titre ne devra apparaître sur votre copie le jour du bac.

La discussion anthropologique

Le discours de Madame de Lambert se veut généralisant. Elle propose une réflexion valable pour notre espèce tout entière. Mais elle procède de manière progressive. En effet, elle part de son expérience personnelle. Cela se voit à travers les indices de la première personne comme « ma solitude m’a fait penser » (l. 3) par exemple. Le lecteur est face à une femme qui a beaucoup vécu et qui veut montrer qu’elle sait de quoi elle parle. Une tournure comme « Plus on avance dans la vie » (l. 1), qui apparaît dès la première ligne, confirme cette maturité. Pour associer le lecteur à l’analyse qu’elle va ensuite proposer, l’autrice utilise le pronom « on » et certains termes assez vastes comme « tout le monde » (l. 7), « tous les hommes » (l. 8 et 9), « Les personnes raisonnables » (l. 29), « les femmes » (l. 30) ou « les hommes » (l. 30). De la sorte, son expérience et sa pensée touchent une dimension universelle. De fait, des formules comme « dans tous les temps » (l. 5), « plainte générale » (l. 7) ou « Tous les siècles » (l. 8) visent bien à rendre le propos valable en tout temps et en tout lieu. En outre, l’association d’un présent de vérité générale au pronom indéfini « on » renforce cette impression d’un texte construit avec une indéniable intention gnomique, c’est-à-dire qu’il cherche à être vrai de manière absolue.

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Rappel

Le mot « gnomique » vient du mot « gnome », qui désigne une maxime ou une phrase courte et sentencieuse, souvent utilisée pour transmettre une vérité générale ou un enseignement moral. Ce texte cherche donc à formuler des idées ou des vérités valables pour tous et en toute circonstance.

Cette vérité absolue, cette sombre idée universelle censée toucher tous les lecteurs, les lectrices, et l’autrice elle-même, c’est que l’homme est en permanence menacé par l’isolement. Mais qu’est-ce que l’homme ? Madame de Lambert en donne sa vision dès la deuxième phrase du passage, et propose une tripartition de ce qui le compose. Chaque être humain serait défini par sa « raison », son « esprit » et son « cœur » (l. 2). Trois dimensions chacune frappée par la décrépitude, et qu’une amitié parfaite pourrait, en quelque sorte, consoler. La cohérence de l’argumentation de Madame de Lambert est telle que cette répartition se retrouve dans tout son traité. Si notre passage s’attarde bien sur une dimension sensible à travers la présentation des « charmes et les avantages de l’amitié » (l. 14), il y a dans la suite du texte un raisonnement portant sur les dimensions intellectuelles et morales de l’amitié.

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Astuce

Citations :
Il y a beaucoup de citations : c’est primordial. Comme le nom de l’exercice l’indique, il s’agit d’un commentaire de texte. Il faut donc « commenter » le texte avec précision et rigueur. Dans le résultat final, les citations illustrent les arguments. Mais dans votre préparation au brouillon vous devez fonctionner dans l’autre sens : commencer par relever les citations intéressantes pour trouver les arguments qui en découlent.

La perfectibilité humaine

Madame de Lambert enfonce le clou, et cherche à convaincre son lecteur de la véracité de son point de vue en dressant un portrait négatif, mais apparemment objectif de la nature humaine. Il faudrait lutter contre un « dérèglement » (l. 10) qui nous conduirait à nous « aveugler sur [nos] véritables intérêts » (l. 11). À ses yeux, nous ne serions pas lucides sur nous-mêmes. L’amour et la passion seraient des vices dangereux, qui risqueraient de nous pousser à faire de « mauvais choix » (l. 30). Elle affirme même que l’humanité est « entraînée[e] dans l’amour » (l. 31). Voilà un verbe fort, qui implique que nous ne pouvons pas résister à la puissance de la passion, que notre libre arbitre est sans cesse mis à l’épreuve. À y regarder de près, Madame de Lambert semble partager le point de vue pessimiste du philosophe Pascal qui pourrait dire avec elle que nous sommes « plein de besoins » (l. 18) et que nous sentons en permanence « un vide » (l. 18) dans notre existence. Mais n’y a-t-il pas une lueur d’espoir qui pointe ? Tout porte à croire que le texte philosophique serait en mesure de nous éclairer, c’est là un présupposé caractéristique de la pensée des Lumières. Madame de Lambert est de celles qui pensent que l’humanité est perfectible et qu’une raison perfectionnée par « la sagesse et la vérité » (l. 11) peut nous sortir des ténèbres.
De cette dimension inquiétante de notre nature émane l’idée de l’importance de l’amitié. Ce sentiment serait le seul remède à notre désarroi existentiel. La négation qu’utilise à la ligne 19 Madame de Lambert vise bien à montrer que le vide inquiétant dans lequel nous évoluons ne trouve que l’amitié pour s’opposer à lui : « il ne se calme et ne se repose que dans l’amitié ». Cette vision nous pousse à nous demander si le texte argumentatif proposé par Madame de Lambert ne serait pas, lui aussi, une marque d’amitié envers son lecteur. En effet, la volonté de nous impliquer dans le sujet abordé est tout à fait remarquable à travers certains procédés comme l’usage de la première personne du pluriel « nous », « La sagesse et la vérité en nous éclairant » (l. 11), de l’impératif « Voyons » (l. 13), de questions rhétoriques « L’amitié ne pourrait-elle pas aussi avoir la même origine ? » (l. 21 et 22). Plus directement encore, Madame de Lambert s’adresse à nous par un « vous » de politesse, marquée par l’emploi de la deuxième personne du pluriel : « Vous êtes attiré dans l’amitié » (l. 31), « Comblez les hommes de biens » (l. 28). En somme, Madame de Lambert lutte de deux manières contre sa propre vision anthropologique pessimiste. D’une part, en montrant l’amitié comme un remède, d’autre part en faisant agir ce remède par une complicité accrue avec le lecteur. Cette double intention explique pourquoi elle s’engage dans un éloge de l’amitié.

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Astuce

Les sous-parties :
Comme pour le plan général, ce corrigé ne propose que deux sous-parties par grande partie. Ce n’est pas très grave non plus, même si on en fera plus volontiers trois. L’important ensuite et que chaque paragraphe corresponde bien à une idée précise.

Deuxième partie : L’éloge de l’amitié

La dimension anthropologique est la toile de fond du propos de Madame de Lambert. À partir d’elle, l’autrice peut aborder son véritable sujet et lui donner toute sa profondeur : montrer la grandeur de l’amitié. Elle commence par en montrer les principaux atouts, avant de comparer ce sentiment avec l’amour.

Les grands atouts de la relation amicale

Alors que Madame de Lambert écrit un texte philosophique exigeant, et qu’elle appelle à ce que les lumières de la raison éclairent les ténèbres de la passion, comme le montre le présentatif « Voici » (l. 3) ou bien le verbe « penser » (l. 3), elle débute son argumentaire en défendant l’idée que l’intelligence et le sentiment amical ne sont pas des ennemis, mais qu’ils sont complémentaires. Dès l’exorde formé par le premier paragraphe, cette thèse est affirmée sans ambiguïté : « À mesure que la raison se perfectionne […] le sentiment de l’amitié devient nécessaire » (l. 1 à 3). Il est donc question pour l’autrice de présenter l’utilité de cette complémentarité, de montrer qu’elle est essentielle. Pour ce faire, elle donne à voir les « avantages de l’amitié » (l. 16) qui serait de deux ordres : l’amitié est désirable et naturelle, et c’est une marque de douceur.
Comme la référence à Platon peut nous le rappeler, Madame de Lambert s’inscrit dans un courant philosophique qui remonte à l’antiquité. En l’occurrence, elle essaie de penser la notion de « souverain bien », le sommum bonum, expression que l’on retrouve chez Cicéron. Sur ce thème, elle déclare que l’amitié est « un des premiers biens de la vie » (l. 5). Il y aurait donc quelque chose de naturel à vouloir se trouver des amis. Elle va même plus loin, en affirmant que l’amitié est « de tous les biens [le] plus [désirable] » (l. 17). À lire ces lignes qui ne reculent pas devant les superlatifs, on pourrait croire que l’amitié serait une inclination à défendre et à chérir, tandis que la solitude serait un penchant négatif, non naturel et non nécessaire. Madame de Lambert cherche à nous persuader de cela en faisant vibrer la corde sensible, car elle utilise à quatre reprises le mot « cœur », et rappelle que les « doux plaisirs » (l. 13) que l’amitié peut procurer se rapprochent de la tendance à « aimer et [à] être aimé » (l. 27). Face à la noirceur de la condition humaine, l’amitié incarne une promesse de tendresse pour les « caractères sensibles » (l. 26). Cependant, l’amitié n’est pas que « douceurs » (l. 28) sous la plume de Madame de Lambert. Il existe une grande intensité de la relation amicale, « quand elle est vive » (l. 22), qui la rend d’autant plus importante et remarquable. La gradation qui clôt le passage renforce cette impression : « elle en devient plus tendre, plus vive et plus empressée » (l. 32). Cette inflexion lyrique indique de manière sensible que Madame de Lambert accorde à l’amitié au moins autant de place qu’à l’amour, et lui donne probablement plus d’importance.

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Astuce

Les références extérieures :
Vous pouvez tout à fait vous servir de vos connaissances personnelles pour commenter le texte. Ici, Cicéron et la philosophie antique. Mais faites très attention au hors sujet ! Vous devez immédiatement revenir au texte et ne vous servir de cette référence que pour mettre en avant ce qui se passe dans les lignes que vous étudiez.

L’inévitable comparaison avec l’amour

Tendresse, douceur, inclination naturelle : tout dans ce portrait de l’amitié invite le lecteur à penser au sentiment amoureux. C’est pourquoi il semble primordial pour Madame de Lambert de marquer une différence entre ces deux sentiments facilement comparables. Bien sûr, elle commence par en montrer les ressemblances. En se servant de Platon, elle use d’un argument d’autorité qui lui sert à montrer, de manière allégorique, le parallèle évident entre les deux sentiments : l’amitié, comme l’amour chez Platon, serait « fils de la Pauvreté et du dieu des Richesses » (l. 20). Elle se demande très ouvertement, au détour d’une question rhétorique : « L’amitié ne pourrait-elle pas aussi avoir la même origine ? » (l. 21 à 22). Il apparaît qu’il s’agit là de deux sentiments ambivalents. Elle semble défendre aussi l’idée qu’amour et amitié mettent en avant les « besoins du cœur » (l. 23) plutôt que « les autres nécessités de la vie » (l. 23 à 24), et affirme logiquement que l’amitié doit se montrer « généreuse » (l. 24) pour venir en aide à des amis « dans le besoin » (l. 26). Une telle générosité est visible également dans de nombreuses relations amoureuses.
Mais tout l’intérêt de la proposition de Madame de Lambert se trouve dans les passages où elle montre que l’amitié est supérieure à l’amour. Cela va à rebours d’une vision convenue de l’amour qui le présente comme le sentiment le plus précieux et le plus fort. L’antithèse suivante montre qu’elle croit plus en la force de l’amitié, qui ne trompe pas, qu’en l’illusion de l’amour, qui nous dépossède de notre raison : « Vous êtes attiré dans l’amitié, vous êtes entraîné dans l’amour ». (l. 31). Ainsi il y a une réciprocité dans l’amitié qui ne se retrouve pas dans l’amour. Si on suit cette idée, on pourrait croire que l’amitié, pour Madame de Lambert, est l’équivalent de l’égalité. Les pièges seraient moins nombreux en amitié qu’en amour et c’est pourquoi c’est une relation plus juste qui devrait être valorisée. De plus, elle souligne que l’amitié peut consoler des chagrins d’amour. Elle va même plus loin en affirmant que « L’amitié s’enrichit des pertes de l’amour » (l. 31 à 32). Dès lors, le lecteur peut s’étonner avec l’autrice que l’amitié ne soit pas un sentiment plus valorisé socialement. Ce paradoxe, qu’introduit l’adverbe « cependant », elle l’explique par le fait que l’amitié est rarement parfaite. Elle prétend même qu’il n’y a, par siècle, que « trois ou quatre exemples d’une amitié parfaite » (l. 8). Tout porte à croire qu’elle ne voit pas l’amitié comme un sentiment facile, mais comme un élan qui implique des « devoirs » (l. 15).

Conclusion :

Toute l’originalité du texte de Madame de Lambert tient dans le fait qu’elle ne réduit pas l’amitié à un amour de faible intensité. Au contraire, il y aurait dans l’amitié, selon elle, autant de puissance et d’intérêt que dans le sentiment amoureux, à cette différence près que l’amitié n’aveugle pas, ne fait pas faire n’importe quoi, ne pousse pas à des actes irréparables. Ainsi l’amitié est un sentiment qui s’accorde tout à fait à la raison. Il s’accommode, voire il accompagne la pensée. Or, Madame de Lambert est une intellectuelle des Lumières, une autrice qui porte en haute estime la philosophie et les forces de la réflexion. Il paraît donc logique qu’elle choisisse de faire un éloge de ce sentiment qui réconcilie les plus sombres tendances des hommes, en l’occurrence leur penchant à la « solitude » et au « dérèglement », avec les vertus d’une pensée rigoureuse.