Sujet bac : annale 20 mars 2023
Dissertation d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques Sujet 2 – Ruptures et continuités des formes de la guerre depuis la fin du XXe siècle |
Remarques préliminaires :
Le sujet invite à s’interroger sur les formes et la manière de faire la guerre avant la fin du XXe siècle puis leur évolution. Il est donc nécessaire de définir le concept de guerre.
Du point de vue chronologique, l’emploi de l’expression assez imprécise de « fin du XXe siècle » invite à considérer la période s’étendant de la fin de la guerre froide aux attentats du 11 septembre 2001 comme une période charnière/de rupture avec l’apparition de nouvelles formes de conflits (ces éléments peuvent constituer votre première partie). L’exemple de l’invasion de l’Ukraine par la Russie à partir de 2014 invite néanmoins à nuancer cette première approche (pouvant constituer la seconde partie de votre réflexion).
Introduction :
Dans son ouvrage de référence De la guerre, le théoricien du XIXe siècle Carl von Clausewitz définit cette dernière comme étant « un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté ».
Ici, le sujet fait clairement référence à Clausewitz dans la mesure où il invite à une réflexion sur la nature et la manière de faire la guerre. Par conséquent, sa définition de la guerre peut constituer un argument d’autorité auquel vous pouvez vous référer dès l’accroche.
Dans l’acception clausewitzienne, la guerre est donc considérée comme un conflit interétatique et impliquant des troupes régulières. Or, si jusqu’au XXe siècle ce modèle a été prédominant, on assiste, depuis la fin de la guerre froide, et encore plus depuis le début des années 2000 et les attentats du 11 septembre 2001, à l’émergence de nouveaux types de conflits et de nouvelles manières de faire la guerre. Les guerres asymétriques, marquées du sceau du terrorisme, apparues avec l’invasion de l’Afghanistan d’abord par l’URSS (1979-1989) puis par les États-Unis (2001) ou la guerre en Irak (2003) semblent avoir rendu le modèle classique inopérant dans un contexte « d’accélération de l’histoire » mis en évidence par l’historien allemand Reinhart Koselleck. En effet, d’après lui, depuis la Révolution française, notre temps est soumis à des changements de structures si rapides qu’ils sont visibles sur une génération.
Étayez votre argumentation à l’aide de références précises à l’actualité pour valoriser votre argumentation.
Néanmoins, la guerre entre la Russie et l’Ukraine semble invalider partiellement cette hypothèse en faisant resurgir les guerres interétatiques sur le devant de la scène internationale.
Dès lors, on peut se demander dans quelle mesure les guerres irrégulières supplantent les guerres interétatiques depuis la fin de la guerre froide.
C’est pourquoi nous verrons dans un premier temps que le schéma clausewitzien « classique » de la guerre a été rendu inopérant par l’émergence de nouvelles formes et manières de faire la guerre depuis le début des années 2000. Puis, nous nous interrogerons sur la possibilité d’un retour des guerres interétatiques.
Pour vous aider à visualiser le corrigé, nous allons mettre des titres aux grandes parties : vous ne devez bien sûr pas les écrire sur votre copie le jour de l’épreuve, mais vous pouvez les noter sur votre brouillon pour vous aider à structurer vos idées (travail sur le plan détaillé de votre rédaction).
Le dépassement du modèle clausewitzien de la guerre depuis la fin de la guerre froide
Le dépassement du modèle clausewitzien de la guerre depuis la fin de la guerre froide
Depuis la fin de la guerre froide, la guerre est de plus en plus instantanée et médiatisée dans le cadre de la mondialisation et de l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’intervention américaine en Irak lors de la première guerre du Golfe, d’août 1990 à février 1991, constitue un bon exemple de ce fait. En effet, médiatisée à outrance, la guerre pouvait être suivie, quasiment en instantané, sur la chaîne d’information en continu CNN. Du fait de ces évolutions et des innovations technologiques, on ne fait plus la guerre au XXIe siècle comme aux XIXe et XXe siècles. Depuis l’invasion de l’Afghanistan entre 1979 et 1989 et l’émergence de la guérilla afghane, alors soutenue par la CIA, le modèle clausewitzien, définissant la guerre comme un conflit interétatique et régulier n’est plus opérant. Depuis cette époque, en effet, la guerre a subi de très importantes transformations. Plus internationalisée, elle est également de plus en plus irrégulière avec le développement des tactiques de guérilla, comme par exemple en Irak, où l’armée américaine, c’est-à-dire l’armée conventionnelle la plus puissante du monde, a été contrainte au retrait (2011) après huit années de guerre asymétrique l’ayant opposée à des partisans de différents groupes irréguliers islamistes. La guerre adopte par conséquent de plus en plus des formes hybrides, dans lesquelles des armées conventionnelles opèrent aux côtés de milices privées, vendant leurs services au plus offrant, à l’image du groupe Wagner fondé par le défunt Evgeny Prigojine, dont les effectifs combattent non seulement en Ukraine aux côtés des forces russes, mais également dans des pays africains, comme la République centrafricaine et le Mali.
Le sujet invite à mobiliser vos connaissances sur les conflits contemporains, en particulier les notions liées au sujet :
- guerre irrégulière (qui ne suit pas les règles établies et acceptées de tous) ;
- guerre asymétrique (guerre opposant une armée conventionnelle à des mouvements plus diffus et moins facilement identifiables) ;
- guerre hybride (guerre dans laquelle les belligérants ont pour stratégie d’employer des moyens à la fois réguliers et à la fois non conventionnels).
Enfin, parallèlement au développement du terrorisme, on observe également, depuis les années 1990, surnommées « décennie du chaos » en Afrique, que les conflits intègrent de plus en plus une dimension civile visant à l’asservissement ou à l’anéantissement d’une partie de la population. Ce fut notamment le cas au Rwanda en 1994, en Sierra Leone en 2003, ou encore avec la guerre civile syrienne depuis 2011.
Un retour des guerres interétatiques depuis le début de l’invasion de l’Ukraine ?
Un retour des guerres interétatiques depuis le début de l’invasion de l’Ukraine ?
Si ce modèle de guerre hybride, voire asymétrique (c’est-à-dire opposant des groupes irréguliers aux effectifs restreints à des armées conventionnelles) semblait devoir devenir la nouvelle norme de la guerre, le conflit entre l’Ukraine et la Russie, débuté en 2014 avec l’annexion de la Crimée par les troupes russes, semble suggérer la possibilité d’un retour des guerres interétatiques sur le devant de la scène. Depuis l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe ordonnée par Vladimir Poutine, le 22 février 2022, le spectre d’un conflit nucléaire refait régulièrement surface. Dans ce contexte, les États européens, qui avaient massivement désinvesti dans le domaine militaire à la suite de l’effondrement de l’URSS selon la formule consacrée des « dividendes de la paix », réarment, à l’image du reste du monde. En 2022, les dépenses militaires à l’échelle mondiale ont en effet atteint un nouveau record en s’élevant à 2 240 milliards de dollars.
N’hésitez pas à utiliser (avec parcimonie) des données chiffrées ou statistiques pour étayer votre propos.
De surcroît, outre les tensions en Europe, on observe également l’accroissement de nombreuses rivalités interétatiques, notamment entre la Chine et les États-Unis, ou encore l’Iran et Israël, qui pourraient dégénérer en guerres à plus ou moins brève échéance, rendant à nouveau opérant, au moins en partie, le modèle clausewitzien. La manière de faire la guerre entre États, si elle connaît des continuités, est néanmoins sujette à des ruptures par rapport au modèle élaboré par Clausewitz. En effet, elle n’oppose plus simplement des armées étatiques s’opposant sur un champ de bataille traditionnel. Elle est également virtuelle avec le développement de la cyberguerre. Dès 2007, des hackers russes, soupçonnés d’avoir agi sur ordre du Kremlin, sont par exemple parvenus à paralyser les systèmes informatiques institutionnels, médiatiques et financiers de l’Estonie. Cette cyberguerre est également employée dans le cadre de la guerre de désinformation, menée par la Russie dans le cadre de sa guerre en Ukraine. Enfin, la guerre pourrait gagner une nouvelle dimension en s’étendant à l’espace. Depuis la mise en œuvre du projet de « guerre des étoiles » par le président Reagan, les États-Unis et la Russie menacent d’étendre leurs capacités de dissuasion nucléaire à l’exosphère.
Conclusion :
Avec l’effondrement de l’URSS, en 1991, les historiens ont théorisé l’idée d’une « accélération de l’histoire » se traduisant notamment par une profonde mutation des formes et des manières de faire la guerre. En rupture avec le modèle clausewitzien définissant la guerre comme un conflit armé régulier entre États, les années 2000 ont vu la multiplication de guerres asymétriques impliquant des groupes restreints échappant aux logiques étatiques et recourant massivement au terrorisme et à la guérilla. Néanmoins, l’invasion de l’Ukraine par la Russie démontre qu’on assiste à un retour des guerres interétatiques.
Cependant, ces nouveaux conflits interétatiques ne répondent qu’imparfaitement au modèle élaboré par Clausewitz au XIXe siècle. En effet, ils intègrent de nouvelles dimensions, notamment technologiques, avec l’essor de la cyberguerre, mais également de nouveau terrains, comme l’espace, qui contribuent à les singulariser par rapport aux guerres du XXe siècle. À ce titre, on peut s’interroger sur les enjeux soulevés par l’espace comme nouveau théâtre de conflictualité.