Sujet bac : annale – groupe 2 jour 1 – 2024
SESSION 2024 – centres étrangers groupe 2 – jour 1
HISTOIRE-GÉOGRAPHIE, GÉOPOLITIQUE et SCIENCES POLITIQUES
Durée de l’épreuve : 4 heures
L’usage de la calculatrice et du dictionnaire n’est pas autorisé.
Étude critique de documents en histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques L’évolution des formes de la guerre dans le monde En analysant les documents, en les confrontant et en vous appuyant sur vos connaissances, montrez que les guerres contemporaines peuvent prendre des formes différentes. |
Remarques préliminaires :
Extrait du Bulletin officiel spécial n° 2 du 13 février 2020 sur l’épreuve d’étude critique de documents.
Pour traiter le sujet, le candidat :
- analyse de manière critique les documents en prenant appui sur la consigne et élabore une problématique ;
- rédige une introduction comportant une problématique ;
- organise son propos en plusieurs paragraphes ;
- rédige une conclusion qui comporte une réponse à la problématique.
Attention, il est nécessaire :
- d’analyser les documents le plus précisément possible ;
- de porter un regard critique sur les documents ;
- de différencier l’explicite et l’implicite ;
- d’apporter vos connaissances personnelles permettant de montrer les limites des documents.
Introduction :
Le document 1 est un extrait d’un article de l’historien Gilles Ferragu publié en février 2023 dans la revue Histoire et intitulé « Les nouvelles règles de la guerre ? ».
L’intitulé et la ponctuation du titre de l’article duquel est extrait le document 1 incitent dès le départ à nuancer l’idée de l’apparition de nouvelles règles de la guerre au début des années 2000.
Dans cet article, Ferragu présente le concept de guerre hybride développé dans les années 2000 par les militaires américains confrontés à l’impossible pacification de l’Irak après l’invasion de 2003.
Le document 2 est la célèbre toile El tres de mayo de 1808 en Madrid du peintre espagnol Francisco de Goya. À travers cette toile, peinte en 1814, date de la chute de Napoléon, Goya dénonce la féroce répression des insurgés espagnols par les troupes napoléoniennes en 1808.
Pour présenter le tableau de Goya, il est nécessaire de mobiliser vos connaissances historiques sur l’événement présenté.
Alors que le document 1 s’interroge sur le caractère novateur de la guerre hybride, le document 2 met en lumière la guerre de guérilla au début du XIXe siècle, époque où Clausewitz élaborait son modèle classique de la guerre.
Général et théoricien de la guerre de la première moitié du XIXe siècle, Clausewitz est l’auteur d’un essai intitulé De l’art de la guerre. Dans cet essai, qui influença considérablement la pratique de la guerre à l’époque contemporaine, Clausewitz définit la guerre comme un conflit armé régulier entre États.
Ces deux documents interrogent donc l’évolution des formes de la guerre à l’époque contemporaine.
Ne perdez pas de vue que l’époque contemporaine débute avec la Révolution de 1789. Les deux documents y font donc référence.
C’est pourquoi nous nous demanderons quelles formes peuvent prendre les guerres contemporaines ?
Dans un premier temps, nous analyserons la dimension hybride des guerres contemporaines, avant de nous intéresser à la permanence du modèle classique de la guerre interétatique.
Pour vous aider à visualiser le corrigé, nous allons mettre des titres aux différentes parties : vous ne devez bien sûr pas les écrire sur votre copie le jour de l’épreuve, mais vous pouvez les noter sur votre brouillon pour vous aider à structurer vos idées (travail sur le plan détaillé de votre rédaction).
La dimension hybride de la guerre contemporaine
La dimension hybride de la guerre contemporaine
Comme le rappelle Ferragu en conclusion de son article, Clausewitz, pourtant théoricien du modèle classique de la guerre interétatique « comparait la guerre à un caméléon ». Goya promeut la même idée à travers sa toile. On y voit en effet les soldats de l’armée napoléonienne (à droite de la toile, dans l’obscurité) et une cohorte de civils espagnols (mis en évidence par la technique du clair-obscur employée par le peintre) être fusillés après s’être insurgés contre la mainmise de Napoléon sur la péninsule ibérique. En dépit de sa féroce répression, cette insurrection se prolongea dans le temps et se transforma en guérilla. Cette dernière usa et immobilisa une partie non négligeable de l’armée napoléonienne (les historiens estiment qu’elle immobilisa environ 100 000 hommes) qui fera cruellement défaut à l’empereur lors de sa campagne en Russie de 1812, provoquant ainsi sa chute.
Le document 1 développant de nombreux exemples concrets, il est important de mobiliser vos connaissances personnelles et scolaires (programme d’histoire de première) pour éclairer le document 2 à l’aide d’exemples originaux qui contribueront à démarquer votre copie.
L’idée que la guerre peut prendre différentes formes et ne se limite pas à un affrontement entre armées régulières n’est donc pas nouvelle. De nombreux exemples, comme celui de la guérilla opposée par les partisans espagnols à Napoléon, entre 1808 et 1814, en témoignent. Néanmoins, c’est en 2005 que les généraux américains, confrontés à l’insurrection irakienne, théorisent le concept de guerre hybride.
Ferragu définit ce concept de guerre hybride comme un conflit long, qui met aux prises « des acteurs irréguliers (milices ou mercenaires par exemple) » avec des acteurs réguliers (armées étatiques) et qui voit l’utilisation de modes d’action non conventionnels (terrorisme, cyberattaques, etc.). En 2013, le CICDE, qui définit la guerre hybride comme « une forme ambigüe d’affrontements, combinant des actions militaires conventionnelles et non conventionnelles, ainsi que des actions non militaires fondées sur une stratégie de déstabilisation de l’adversaire par l’usage de leviers variés et complémentaires », a précédé l’émergence du conflit en Ukraine en 2014. Or, ce conflit illustre parfaitement le concept de guerre hybride puisque l’agression de l’Ukraine par la Russie combine moyens militaires conventionnels et non conventionnels (cyberattaques, emploi de milices privées comme la milice Wagner, recours à des actions de déstabilisation contre le gouvernement ukrainien, etc.) C’est pourquoi cette notion de guerre hybride ne doit pas être surestimée. Derrière elle se dissimulent souvent des conflits interétatiques plus classiques.
La permanence du modèle classique de la guerre entre États
La permanence du modèle classique de la guerre entre États
La guerre hybride n’est pas corrélée à la disparition du modèle classique de la guerre entre États. Dans son article, Ferragu donne l’exemple du conflit de 2006 entre la milice shiite libanaise du Hezbollah et Israël pour illustrer le concept de guerre hybride : « un schéma que les affrontements entre Israël et le Hezbollah, en 2006, confirment. » Néanmoins, lorsqu’on observe la situation de plus près, qu’il s’agisse de la guerre de 2006 ou de celle de 2024, le Hezbollah n’est pas une milice autonome. Il s’agit en réalité du bras armé de l’Iran au Liban. En effet, ce sont les gardiens de la révolution iranienne qui arment, financent et donnent des directives au Hezbollah. Au-delà de leur apparent caractère hybride, les conflits entre Israël et le Hezbollah sont donc le prolongement d’un conflit interétatique plus vaste entre Israël et l’Iran.
Les États recourent donc eux aussi à des formes hybrides de la guerre. Le conflit entre le Hezbollah et Israël l’a démontré. Les 17 et 18 septembre 2024, des milliers de bipeurs appartenant à des membres de la milice libanaise ont explosé, tuant ou mutilant leurs propriétaires, mais aussi des civils innocents. Par la suite, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a reconnu qu’il s’agissait d’une attaque commanditée par ses services secrets.
Le sujet concernant la période contemporaine, n’hésitez pas à recourir à l’actualité pour montrer que vous vous tenez informés des évènements et que vous savez interroger certains concepts au regard de situations récentes. Attention toutefois à conserver un certain recul vis-à-vis de l’actualité très récente pour rester dans une analyse la plus factuelle possible.
Ferragu nous apprend que dès les années 1990 « un consensus s’instaure autour de l’idée qu’une guerre ne se gagne pas seulement avec des moyens militaires réguliers ». Les armées étatiques à travers le monde investissent donc le champ de la guerre hybride. C’est notamment le cas en Chine, où des auteurs théorisent, dès 1999, la « guerre hors limites » qui associe « aux moyens militaires des moyens économiques, écologiques et juridiques ». Pékin use de ces différents moyens, notamment à travers sa stratégie du collier de perle, pour prendre l’ascendant sur ses voisins dans les espaces maritimes et isoler Taïwan.
Enfin, comme le montre le tableau de Goya, l’armée napoléonienne a utilisé la terreur contre la guérilla espagnole, notamment en fusillant les prisonniers faits lors de l’insurrection du 2 mai 1808 à Madrid. Sur le tableau, tous sont représentés désarmés et habillés en civil. Le personnage central, mis en évidence par le clair-obscur, bras en croix et intégralement vêtu de blanc est assimilé à Jésus crucifié par les Romains. La guerre hybride existait donc au début de l’époque contemporaine.
Conclusion :
Les guerres contemporaines peuvent prendre différentes formes. En effet, le schéma de la guerre classique entre États, théorisé par Clausewitz dans la première partie du XIXe siècle et illustré par la plupart des guerres napoléoniennes, n’a pas disparu aujourd’hui. L’exemple de la guerre entre la Russie et l’Ukraine depuis son déclenchement par Vladimir Poutine en 2022 en témoigne. Néanmoins, on observe à la même époque une montée en puissance des formes hybrides de la guerre. Ces formes hybrides de la guerre, jusqu’alors majoritairement mises en œuvre par des guérillas, des milices ou des groupes terroristes sont de plus en plus investies par les États eux-mêmes. Le conflit de 2024 entre Israël et le Hezbollah témoigne de la coexistence de différentes formes de la guerre sur un même champ de bataille.