Sujet bac : annale – groupe 2 jour 2 – 2024
SESSION 2024 – centre étranger groupe 2 – jour 2
HISTOIRE-GÉOGRAPHIE, GÉOPOLITIQUE et SCIENCES POLITIQUES
Durée de l’épreuve : 4 heures
L’usage de la calculatrice et du dictionnaire n’est pas autorisé.
Dissertation 1 Sujet – Les guerres sont-elles toutes irrégulières depuis 1991 ? |
Introduction :
En 1992, constatant la victoire du modèle libéral capitaliste à l’issue de la guerre froide, l’historien Fukuyama théorisa la fin de l’histoire dans un ouvrage éponyme.
Dans cet ouvrage, Fukuyama ne théorise pas la fin de la guerre. Néanmoins, selon lui, avec la fin de la guerre froide, les conflits entre États, tels que définis par Clausewitz dans son ouvrage De la guerre (1831), deviennent caduques.
Pensez à mobiliser les principales références bibliographiques abordées en classe sur le thème pour structurer votre devoir.
Les officiers de l’armée américaine James Mattis et Frank Hoffman ont été les premiers à théoriser cette métamorphose de la guerre dans un article publié en 2005 intitulé : « Futur Warfare: The Rise of Hybrid Wars ». Dans cet article, les auteurs postulent qu’avec la fin de la guerre froide (c’est-à-dire de l’affrontement idéologique et militaire entre les États-Unis et l’URSS) en 1991, la guerre irrégulière devient la norme et la guerre régulière l’exception.
Le sujet mentionne la date de 1991, qui correspond à la fin de la guerre froide. Il est donc important de le mentionner dès votre introduction et, par conséquent, de focaliser votre attention sur les événements postérieurs à cette date.
En effet, après la fin de la guerre froide, on a assisté à une explosion du nombre de conflits irréguliers, comme en Afrique, où la décennie 1990 a été surnommée « décennie du chaos » ou encore dans les Balkans. Les années 2000, elles, ont été marquées par le développement du terrorisme à l’échelle mondiale.
C’est pourquoi nous pouvons nous demander si toutes les guerres sont irrégulières depuis la fin de la guerre froide.
Dans un premier temps, nous verrons la multiplication des conflits irréguliers après la fin de la guerre froide. Puis nous nous intéresserons à la permanence des guerres interétatiques.
Pour vous aider à visualiser le corrigé, nous allons mettre des titres aux différentes parties : vous ne devez bien sûr pas les écrire sur votre copie le jour de l’épreuve, mais vous pouvez les noter sur votre brouillon pour vous aider à structurer vos idées (travail sur le plan détaillé de votre rédaction).
L’essor des conflits irréguliers à la fin de la guerre froide
L’essor des conflits irréguliers à la fin de la guerre froide
Dès la fin de la guerre froide, l’implosion de la Yougoslavie et les nombreux conflits hybrides qui déchirèrent les Balkans, notamment en Bosnie (1992-1995), marquèrent un essor des guerres hybrides à travers le monde. La guerre hybride ou irrégulière est un conflit armé qui oppose des acteurs étatiques à des acteurs sub-étatiques ou irréguliers (des milices, des groupes terroristes, etc.) ou bien des acteurs irréguliers entre eux.
Il est important de bien définir les termes du sujet, soit directement dans l’introduction, soit dans le début du développement, comme ici avec la définition de la guerre irrégulière.
Par exemple, lors de la « décennie du chaos », la Sierra Leone, petit État de l’Ouest africain, a été en proie à une terrible guerre civile (jusqu’en 2003) opposant l’armée régulière gouvernementale à un mouvement rebelle, le FRU (Front révolutionnaire armé), qui commit de très nombreuses exactions à l’encontre des civils au cours du conflit.
La guerre irrégulière ne suit pas des règles qui ont préalablement été établies et acceptées par les différents belligérants. Et cela concerne notamment l’organisation (ex. : pas de front distinct, pas de distinction entre le domaine militaire et le domaine civil, combattants souvent disséminés dans la population), mais aussi les méthodes et moyens utilisés. Ainsi, la guerre irrégulière, ou guerre hybride, emploie sur un même champ de bataille des moyens conventionnels et irréguliers, comme le terrorisme, les cyberattaques, ou des comportements criminels, afin d’atteindre des objectifs politiques. La stratégie de la guerre hybride n’est donc plus nécessairement, comme dans le modèle de Clausewitz, d’anéantir l’adversaire sur le plan militaire. Il s’agit le plus souvent d’user l’adversaire, matériellement comme psychologiquement, sur le temps long pour contrebalancer la différence de moyens militaires souvent importante entre les armées régulières et les groupes irréguliers bénéficiant de moyens limités. Les guerres révolutionnaires et guerres civiles entrent généralement dans ce cadre, comme c’est le cas de la guerre civile syrienne débutée en 2011 ou des guerres de Tchétchénie depuis les années 1990. Avec les attentats du 11 septembre 2001 commandités par Al-Qaïda, le terrorisme est devenu un des aspects majeurs de la guerre irrégulière, et l’un des plus médiatisés. Les nombreux conflits entre Israël et le Hezbollah, milice shiite qui peut être considérée comme le bras armé de l’Iran au Liban, illustrent ce constat, tout comme le conflit entre Israël et le Hamas. Par exemple, le 7 octobre 2023, le Hamas a perpétré un des plus importants pogroms de l’histoire tout en enlevant des centaines de civils israéliens utilisés comme monnaie d’échange politique, bafouant ainsi les conventions sur le droit de la guerre.
La guerre de 2006 entre le Hezbollah et Israël et plus encore celle de 2024 témoignent de la montée en puissance des conflits irréguliers dans le monde. En effet, le Hezbollah recourt au terrorisme et s’attaque indistinctement à l’armée et aux civils israéliens, notamment en bombardant les villes du nord d’Israël à l’aide de roquettes afin de diffuser un climat de terreur dans le pays. Mais Israël, régime démocratique qui dispose d’une armée régulière n’hésite pas non plus à recourir à des formes hybrides de la guerre, en abolissant la distinction entre les militaires et les civils et en se rendant également coupable de crimes de guerre (ex. : destructions généralisées, dont des ressources vitales pour la population, déplacements forcés et massifs de civils). Par exemple, les 17 et 18 septembre 2024, les services secrets israéliens ont fait exploser les bipeurs de milliers de membres du Hezbollah, assassinant ou mutilant ces derniers et plusieurs victimes innocentes qui se trouvaient à proximité.
Le développement des guerres hybrides entraine donc une modification des façons de faire la guerre, avec des violations du droit de la guerre que les entités internationales ont du mal à maitriser (identification et sanction).
Le cadre chronologique du sujet invite à s’intéresser à l’actualité. Il est cependant nécessaire d’adopter une distance critique lorsque vous évoquez ces faits comme exemples.
Si les guerres hybrides se sont multipliées à travers le monde après la fin de la guerre froide en 1991, les conflits interétatiques n’ont cependant pas disparu pour autant.
La permanence des conflits interétatiques ?
La permanence des conflits interétatiques ?
Comme l’a démontré le spécialiste des relations internationales John Mueller dans son ouvrage The Remnants of War (« Les reliquats de la guerre ») en 2004, le nombre de conflits interétatiques est en baisse constante depuis la fin de la guerre froide. En effet, d’après lui, entre 1989 (année de la chute du mur de Berlin) et 2004, le monde a connu moins de quinze guerres interétatiques, soit moins d’une par an, fréquence la plus faible jamais observée dans l’histoire contemporaine.
Néanmoins, les conflits interétatiques n’ont pas disparu avec la fin de la guerre froide. Moins médiatisés, ils restent pourtant présents. Ainsi, de nombreux conflits entre États débutés pendant la guerre froide ou la période de décolonisation persistent jusqu’à aujourd’hui de façon plus ou moins larvée. C’est notamment le cas du conflit entre l’Inde et le Pakistan au sujet de la région transfrontalière du Cachemire, qui a connu un regain de tensions entre 2001 et 2002 puis à nouveau en 2019.
À l’échelle mondiale, on note cependant une hausse très nette des conflits depuis 2014. Les conflits interétatiques, même s’ils demeurent très minoritaires (3 sur 182 conflits armés répertoriés en 2022) suivent la même tendance. En 2022 étaient ainsi actifs deux conflits régionaux (le conflit arméno-azerbaïdjanais de septembre 2022, reliquat de l’invasion du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan, et le conflit entre le Kirghizistan et le Tadjikistan) et un conflit majeur (l’invasion de l’Ukraine par la Russie à partir du 24 février 2022). Ce dernier conflit, par son étendue et le nombre de victimes quotidiennes (le Wall Street Journal estime ainsi que 280 000 Russes et Ukrainiens auraient été tués entre février 2022 et octobre 2024), mais aussi par le fait qu’il implique une puissance nucléaire majeure, la Russie, opposée à un pays, l’Ukraine, soutenu par d’autres puissances nucléaires majeures (États-Unis, France et Royaume-Uni), pourrait potentiellement dériver en un affrontement beaucoup plus large.
Comme dans tout conflit en cours, le nombre de victimes est sujet à une importante propagande orchestrée par les belligérants. Par conséquent, il faut vous appuyer sur des chiffres vérifiés par une source indépendante ou vous contenter de donner un ordre de grandeur, tout en conservant toujours une nuance et une distance (ex. : utilisation du conditionnel).
La question de l’armement est ainsi un point central qui explique le fait que les conflits réguliers interétatiques soient moins présents dans le monde. En effet, la dissuasion nucléaire mise en place lors de la guerre froide empêche le déclenchement de guerres qui seraient dévastatrices lorsque les forces impliquées dans le conflit disposent de tels moyens de destruction massive.
Conclusion :
Avec la fin de la guerre froide, on observe une diminution du nombre de conflits interétatiques au bénéfice de conflits irréguliers ou hybrides. L’utilisation par l’Iran de milices implantées au Liban, au Yémen ou encore en Syrie, contre Israël depuis le début des années 2000 illustre parfaitement cette augmentation quasi continue des conflits irréguliers. Néanmoins, les conflits interétatiques n’ont pas disparu. Si on en dénombrait seulement trois en 2022, l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe démontre que toutes les guerres ne sont pas devenues irrégulières avec la fin de la guerre froide. De nombreux indices, comme la hausse continue des crédits alloués aux forces armées par les États à l’échelle mondiale, ou les nombreuses tensions diplomatiques entre États frontaliers, laissent présager la survenue de nouveaux conflits irréguliers dans un futur proche.
Par exemple, depuis les années 2000, on assiste à un regain de tensions entre plusieurs grandes puissances dans le monde. C’est particulièrement vrai de la relation entre la Chine et les États-Unis. Ces tensions, notamment économiques, sont accentuées par la question de Taïwan. En effet, la Chine revendique la souveraineté de Taïwan et multiplie les exercices militaires à proximité de l’île, affirmant vouloir en prendre le contrôle avant 2049, date du centenaire de la révolution communiste chinoise. Or, l’île de Taïwan est alliée aux États-Unis qui garantissent sa sécurité. Cette situation pourrait par conséquent déboucher sur une guerre interétatique de dimension mondiale.