Sujet bac : annale 20 mars 2023
Épreuve d’humanités, littérature et philosophie Interprétation littéraire : Dans cet extrait, comment la poésie permet-elle à l’héroïne de « redevenir un être nouveau » ? |
Introduction :
L’extrait que nous devons étudier est tiré d’un roman publié en 1900 et intitulé Le Journal d’une femme de chambre, dont l’auteur est l’écrivain français Octave Mirbeau. Ce passage de l’œuvre peut être qualifié de mise en abyme littéraire, car Célestine, le personnage principal du roman, y relate les moments où elle lisait des poèmes à George, poèmes qu’il l’engageait à interpréter. Cet épisode de la vie de Célestine a marqué un tournant pour elle. En effet, il lui a permis de révéler et de comprendre sa vraie valeur et sa véritable place dans la société, grâce à une sensibilité dont elle ne soupçonnait pas l’existence. Cette dernière lui permet de côtoyer un monde supérieur à celui de l'élite de la société où elle occupe en apparence une place modeste, voire dévalorisée. Ainsi, nous pouvons nous demander comment la poésie permet à l’héroïne de transcender sa condition vis-à-vis d’elle-même et vis-à-vis de la société. Nous débuterons notre étude par la révélation du rôle de Célestine en tant qu’interprète de la beauté de la poésie grâce à la lecture que fait George de son interprétation vocale et symbolique de celle-ci. Dans un second temps, nous verrons comment cette épiphanie a permis à Célestine de mieux comprendre son rôle dans la société, en faisant de la modestie de son travail sa force créatrice.
Votre introduction doit présenter succinctement le document à étudier, ainsi que donner vos clés d’interprétation aux correcteurs. Par ailleurs, n’oubliez pas que le texte que vous devez étudier est obligatoirement en lien avec les thèmes que vous avez abordés dans votre programme de terminale. Ici, le texte est en lien avec les deux sous-thèmes suivants : les expressions de la sensibilité, et les métamorphoses du moi. Vous devez reformuler la question posée, et annoncer votre plan. Ici, un plan en deux parties a été choisi. On ne donne que les grandes idées, et non pas ce qui va être détaillé dans les sous-parties.
Tout d’abord, nous pouvons remarquer qu’une scène de travail est devenue le théâtre d’un moment de grâce entre George et Célestine, voire d’une épiphanie, pour Célestine.
En effet, les rapports entre les deux personnages sont des rapports de travail. Célestine est la femme de chambre de George, et se situe donc dans une position socialement et hiérarchiquement inferieure à lui. Dans le passage étudié, elle raconte de prime abord la manière dont elle est chargée de le divertir, à savoir, par la lecture de poèmes divers. Le lien très pragmatique qui les lie peut se vérifier par le fait que Célestine s’arrêtait de lire aussitôt qu’elle pensait que le petit-fils de la dame qui l’employait s’était endormi. Nous pouvons déclarer dès lors que la lecture des poèmes était bien a priori une tâche à accomplir dans son travail, et non pas une activité à laquelle elle prenait du plaisir en particulier. Cependant, cette mission de travail a revêtu une autre dimension car, loin d’être dans un prisme de communication unilatérale, avec Célestine qui lit et George qui écoute, George a engagé et entraîné Célestine dans le divertissement qui semblait lui être uniquement destiné, en lui demandant d’être sensible elle-aussi à la beauté des poèmes qu’elle lui lisait.
Ainsi, les rapports de travail qu’entretiennent les deux personnages deviennent un véritable dialogue d’interprètes à parts égales et complémentaires. En effet, Célestine est l’interprète des poèmes dans le sens où c’est elle qui les met en voix, comme le ferait une chanteuse pour des chansons dont elle ne serait pas l’auteur ; or nous pouvons constater que c’est un rôle qui lui sied, car George prend du plaisir à l’écouter. La preuve en est qu’il ferme les yeux pour mieux se délecter des vers et de sa voix, qu’il trouve « charmante » (l. 7). Ceci montre qu’elle a occupé un rôle qui allait au-delà de son poste de femme de chambre. Elle s’est placée dans la position d’un être sensible, capable de dialoguer avec la sensibilité de George, comme deux êtres égaux, voire deux âmes égales. Étant touché par la voix de Célestine, George l’a alors invitée dans un monde nouveau, celui-ci de la sensibilité, et l’a engagée à comprendre le fond des poèmes dont elle sait si bien mettre la forme. Ainsi, Célestine le rejoint dans ce monde. C’est d’ailleurs quelque chose qu’elle apprécie particulièrement chez lui également, car elle garde une exclamation émue en aparté : « ah ! que je l’aimais de cela ! » (l. 10). Par ailleurs, l’interprétation que Célestine fait des vers qu’elle lit semble pertinente et juste, car George en vient à lui faire une déclaration très émouvante, en lui affirmant que c’est grâce à sa condition « simple » qu’elle est capable de comprendre les vers qu’elle lit. De plus, il la met sur un pied d'égalité avec lui, en déclarant que les poètes parlent aux « âmes des simples, des tristes, des malades » (l. 16 ). Célestine étant femme de chambre, la modestie de sa condition sociale la place dans le statut de personne simple, tandis que George, dont nous savons qu’il est atteint de tuberculose, appartient donc à la catégorie des personnes malades. Quoiqu’il en soit, tous les deux sont dignes d’écouter et d’interpréter le message des poètes. Leur égalité est synonyme de complémentarité car grâce à leur rôle différent dans la société qui les hiérarchisait, ils ont pu s’enrichir et s’élever mutuellement. Célestine par le plaisir voire la consolation qu’elle apporte à George à travers sa lecture de poèmes, et George par le plaisir et la consolation qu’il apporte à Célestine en lui révélant que sa position sociale est ce qui lui permet de révéler sa sensibilité, ce qui la place dans une position supérieure aux savants, qui sont les « orgueilleux » de la Terre, et qui n’accèderont jamais à ce monde à part qu’est la poésie.
En effet, Célestine apprend qu’elle appartient à un monde spirituel supérieur dont les savants, qui appartiennent à l'élite de la société, n’ont pas la clé. Le caractère surprenant voire divin de cette révélation, que nous pouvons donc qualifier d’épiphanie, se manifeste à travers plusieurs éléments. Dans un premier temps, l’héroïne déclare, après un moment de recueillement manifesté par les points de suspension, qu’elle a « gardé [les paroles de George] comme une relique » (l. 11). Ceci montre l’importance et le caractère symbolique et précieux, inestimable, de ses dires, comme si elle avait hésité à dévoiler des propos qu’elle considère comme un trésor religieux. Dans un second temps, elle réaffirme le caractère inédit et unique de cette révélation en indiquant que pour elle, « ce furent […] des heures uniques [qui] chanteront dans [son] cœur » (l. 23), tant qu’elle vivra. Elle emploie d’ailleurs elle-même le terme « révélation » (l. 26), et évoque même la transformation qui s’est opérée en elle par la suite, en affirmant qu’elle assistait « de minute en minute, à la révélation de quelque chose d’inconnu [en elle et] qui, pourtant, était [elle] » (l. 26) ? Cette phrase souligne donc l’idée de processus et de transformation qui a fait d’elle un être nouveau, à un double niveau.
Cette phrase annonce la deuxième partie.
Pensez à utiliser des mots connecteurs afin de mettre en valeur l’articulation de vos idées et leur bon enchaînement : tout d’abord, en premier lieu, ensuite, en effet… Cela vous permettra vous-même de vous repérer et de vous rassurer sur la cohérence de votre axe et des sous-parties qu’il comporte.
L’épiphanie dont Célestine a fait l’expérience l’a fait redevenir un être nouveau par l’évolution du regard qu’elle porte sur sa condition et par le changement de statut qui s’est opéré en elle.
Tout d’abord, Célestine est redevenue un être nouveau dans sa condition de femme de chambre, car au-delà d’être un simple métier, il est la clé qui lui a permis de découvrir sa vocation. En effet, son humble condition lui a permis de rencontrer George, et lui a ouvert les portes d’un monde situé au-dessus du monde terrestre, une sorte de paradis dont sont seulement dignes les personnes ouvertes à un ailleurs autre que terrestre, dont on ne peut pas saisir la réalité et la beauté par la raison mais par la sensibilité. Ce monde-là est la littérature, dont la poésie a été l’avant-garde pour Célestine, et lui a permis de redevenir qui elle est, en lui montrant sa juste valeur. D’ailleurs, des indices sont disséminés dans son discours, nous permettant de constater ainsi l’évidence de ce qui semblait caché au lecteur. En premier lieu, son prénom, Célestine, est révélateur de sa nature profonde. Il semble terni par la bassesse de sa position sociale, mais après la révélation de George, il semble évoquer une dimension céleste qui incomberait à sa détentrice. D’ailleurs, Célestine semble ne pas remarquer à quel point elle est unique, et c’est cela même qui fait d’elle un personnage supérieur. En effet, George lui affirme qu’elle lui a déjà « dit des choses qui sont belles comme des vers » (l. 19), or nous comprenons qu’il évoque des paroles de la vie quotidienne, et non pas de véritables poèmes que Célestine aurait déclamé. Par conséquent, cela signifie que Célestine sait faire ressentir à George des émotions en lui parlant simplement, aussi bien qu’en lui lisant des poèmes. Face à l’incrédulité de celle-ci, il rajoute qu’elle n’a pas conscience de la beauté de ses paroles et de leur caractère précieux. Ceci indique que Célestine a donc dépassé son maître, car en plus d’être interprète, on peut dire qu’elle est devenue également créatrice.
Attention à faire une phrase de transition entre les deux parties.
Le changement qui s’est produit en Célestine possède également un second niveau, dans un sens ascendant, car elle est passée d’interprète de poésie à créatrice d’œuvre littéraire. Du caractère passif que revêtait son métier, elle est devenue maitresse du récit de sa vie grâce au journal qu’elle a décidé d’écrire. Ce changement de statut lui a permis de porter un regard nouveau sur elle-même car premièrement, elle est capable de citer de nombreux poètes, ce qui témoigne d’une culture littéraire qui s’est ancrée en elle, et qui montre bien qu’elle est devenue un être nouveau à la suite de son expérience avec George. Deuxièmement, sa capacite créatrice révélée lui permet de prendre du recul sur elle-même. Elle juge ses actions et sa personnalité terrestre comme si elle était en conflit avec cette partie d’elle-même. Elle voit le pire d’elle-même, ses « déchéances » (l. 27), ce qu’il y a en elle « de mauvais et d’exaspéré » (l. 28). C’est comme si elle mettait les mauvais côtés d’elle à part de son être véritable, l’être dont elle accepte pleinement l’incarnation, et qui l’élance vers « des choses supérieures à son milieu social et à [elle]-même » (l. 29). Son être nouveau apparaît comme un élan de vie qui la pousse à se séparer du monde terrestre et de l’enlisement qu’elle pourrait rencontrer à cause de son métier, et qui l’encourage à toujours avancer, malgré des tribulations que la société pourrait lui faire endurer. D’ailleurs, malgré l’évocation de ces souffrances, elle n’oublie pas pour autant que le point de départ de sa transformation et de la transcendance de sa condition vient de sa rencontre avec George, ce qui met d’autant plus en valeur son humilité, sa force de caractère et la beauté de son âme.
Vous pouvez remarquer que le plan n’est pas symétrique : c’est un plan en deux axes, l’un comportant trois sous-parties, et l’autre deux sous-parties. En effet, gardez à l’esprit que ce qui compte c’est la qualité, et non pas la quantité. Si trop peu de contenu peut vous nuire, une copie dans laquelle vous aurez essayé de faire un plan en trois parties et trois sous-parties, alors que les lignes directrices du texte ne le permettent pas, ne feraient que vous perdre dans des répétitions, voire des erreurs d’interprétation, ce qui ne pourrait que ternir votre copie et vous enlever des points. Au minimum, vous devez trouver assez d’éléments pour faire deux parties, et faire deux sous-parties dans chaque partie. À vous de voir par la suite si vous avez assez d’éléments pertinents pour faire plus que cela.
Conclusion :
Au terme de notre étude, il apparait que la poésie permet à l’héroïne de redevenir un être nouveau car elle lui a permis de communiquer sur un pied d'égalité avec un homme qui au départ lui était supérieur socialement, en les plaçant tous les deux face à leur identité commune d’êtres sensibles. Cependant, l’ignorance, voire l’innocence de Célestine en ce qui concerne sa propre sensibilité, et la révélation qui lui fut faite, lui ont permis de transcender sa condition modeste et stigmatisée par la société pour en faire une force motrice, jusqu’à devenir créatrice de la propre partition de sa vie.
La conclusion doit répondre directement à la question posée dans l’introduction. Le développement peut y être résumé en quelques lignes, mais n’oubliez pas de le formuler de façon à ce que l’on voit clairement que vous n’avez pas perdu de vue votre problématique.
Par ailleurs, la cohérence de votre propos doit se manifester également par le champ sémantique des mots que vous utilisez. Par exemple, on a utilisé des mots relevant du champ lexical de la religion dans le développement et dans la conclusion (avec le terme stigmatisé) afin de prolonger implicitement la cohérence et la bonne articulation de l’interprétation littéraire.
La conclusion ne comporte pas d’ouverture, mais est bien concluante, car elle ne comporte pas d’idées qui auraient pu figurer dans le développement (auquel cas cela voudrait dire que le développement aurait été arrêté trop vite).