Sujet bac : annale centres étrangers 2024 – jour 1
ÉPREUVE D’HUMANITES, LITTERATURE ET PHILOSOPHIE INTERPRETATION LITTÉRAIRE |
Comprendre l’exercice :
L’« essai littéraire » dans cette épreuve n’est ni une dissertation, ni un commentaire, mais un exercice entre les deux. Les correcteurs et correctrices n’attendent pas de vous un nombre de parties prédéfini. Vous devez absolument prendre en compte le texte, sa forme et son sens, mais vous devez également vous en servir comme point d’appui pour réfléchir au-delà, en utilisant vos connaissances personnelles.
Introduction :
Comme Fénelon qui écrit en 1697 un traité portant sur l’éducation des femmes, et bien avant le développement du mouvement féministe au vingtième siècle, Voltaire s’interroge dans L’Éducation des filles, en 1761, sur le sort réservé au potentiel intellectuel des femmes. Dans son esprit, la société doit mieux les éduquer, car il est nécessaire de leur transmettre des connaissances, mais également de les pousser à conquérir leur liberté. Ce texte s’intègre donc parfaitement au thème « Éducation, transmission, émancipation », et son originalité tient dans le fait que c’est Sophronie qui décrit ce qui serait bon pour elle. La forme du dialogue s’inscrit dans la lignée de l’enseignement de Socrate, ce philosophe de l’Antiquité qui pratiquait la maïeutique, c’est-à-dire la discussion avec ses disciples dans le but de les amener à penser par eux-mêmes. Et en effet, aussi étonnant que cela puisse paraître pour un spectateur du dix-huitième siècle habitué à ce que le personnage féminin soit soumis et docile, Sophronie propose un regard particulièrement éclairé sur elle-même. Quel idéal d’éducation féminine Voltaire propose-t-il à travers ce dialogue ? Nous verrons que son personnage revendique son libre arbitre contre un système autoritaire trop enclin à la limiter. Il nous apparaît qu’une telle revendication illustre l’état d’esprit des philosophes des Lumières, qui privilégiaient la raison sur la passion. Selon nous, c’est donc à une redéfinition de la place de la femme dans l’organisation sociale que Voltaire nous pousse à imaginer.
Reformulation de la problématique :
Pour le sujet de réflexion, vous pouvez reprendre la problématique telle qu’elle est formulée dans le sujet. Ce n’est pas comme le sujet de philosophie. Mais prenez garde à ce qu’elle s’intègre bien dans votre introduction et que vous ne perdiez pas le sens de la question si vous la reformulez.
Gestion du temps :
Vous ne devez pas perdre d’esprit que vous aurez également le travail philosophique à réaliser. Il faut donc aller droit au but. Autrement dit, si vous ne connaissez pas le reste de l’œuvre, ce n’est pas grave, présentez l’extrait lui-même. Et si vous ne connaissez pas d’autres autrices ou auteurs qui ont écrit sur le sujet, ce n’est pas grave non plus. Dans ce cas, donnez le contexte intellectuel dans lequel s’inscrit le texte : il sera en lien avec vos cours de l’année.
Défendre son libre arbitre
Défendre son libre arbitre
Le jour de l’examen, aucun titre ne doit apparaître. Vous devez expliquer clairement de quoi vous parlez. Néanmoins, choisir des titres au brouillon peut vous aider dans votre réflexion.
Sophronie défend sa « liberté d[e] choix » (l. 4) et exprime sa « crainte d’être tyrannisée » (l. 6). Elle revendique donc son autonomie et sa volonté de disposer de son corps et de son esprit selon ses propres lois. Elle a une conscience aiguë de sa condition, comme le montre la répétition de « moi-même » (l. 30). L’étymologie de son prénom, « sos » qui signifie « être sain » en grec et « phrên », qui signifie « âme consciente », valide l’idée que c’est un être qui pense solidement et en toute liberté, puisqu’elle a « l’esprit sain ». En face d’elle, Mélinde, qui oppose « l’avenir fâcheux » et le « présent agréable » (l. 16 pour les deux citations) incarne la jeune femme encore naïve, incapable de questionner le monde qui l’entoure.
La preuve de l’autonomie de la pensée de Sophronie c’est qu’elle assume de faire un choix paradoxal. Elle aime Éraste, et pourtant elle refuse de l’épouser : « j’aime Éraste, et je ne l’épouserai pas » (l. 4). Cette décision peut paraître étonnante, mais parfaitement logique si on considère que le jeune homme est un obstacle à la vie de la future mariée. Son libre raisonnement lui permet donc de refréner un choix aveugle, et d’agir selon sa conscience. Le paradoxe est une tournure d’esprit souvent utilisée en philosophie pour souligner la complexité de la pensée.
Le choix des arguments :
Comme il faudra faire vite, il faudra choisir entre les différents arguments possibles. Par exemple, ceux qui sont présentés ici n’étaient pas tous à retenir. Il faut sélectionner, au brouillon, les plus percutants et les classer du moins convaincant au plus convaincant. Pensez également à choisir des arguments qui s’appuient sur le texte, et d’autres qui s’appuient sur vos connaissances.
La raison contre la passion
La raison contre la passion
Ce qui est remarquable dans le caractère de Sophronie, c’est qu’elle parvient à écouter sa raison plutôt que ses passions. Elle vise un bonheur durable et non pas la multiplication des plaisirs. Grâce à des connecteurs logiques savamment employés, comme « mais », ou par l’opposition des pronoms « je » et « il », elle peint un tableau rigoureux de la situation dans laquelle elle se trouve, et parvient à une conclusion, énoncée à travers un chiasme, sans appel : « je veux être heureuse ; je ne le serais pas avec lui » (l. 12-13). Elle use donc de son discernement, cette qualité si chère aux philosophes des Lumières.
À la manière d’un Montesquieu réfléchissant à la bonne répartition des pouvoirs dans une démocratie, Sophronie propose un raisonnement tout à fait valable au sujet des abus potentiels du pouvoir. Esprit critique, elle met en cause l’esprit « impérieux » (l. 6) d’Éraste, autant dire l’emprise, qu’il peut avoir sur elle au prétexte que c’est un homme. C’est bien après l’étude du caractère de son prétendant qu’elle décide de s’en écarter. Elle agit donc en scientifique, en philosophe même, tel Descartes avec son Traité des passions de l’âme, plutôt qu’en amoureuse éperdue. Elle décortique le problème de l’infidélité et le danger que représente, pour les femmes, la tolérance que la société témoigne envers les hommes aux mœurs légères.
La construction du plan :
Nous proposons ici un plan en trois parties, subdivisées en deux sous-parties. Vous pouvez tout à fait proposer uniquement deux grandes parties et trois, voire quatre, sous-parties. L’important est que votre choix soit logique et que l’articulation entre les différentes étapes de votre raisonnement soit parfaitement claire.
Une nouvelle organisation de la société
Une nouvelle organisation de la société
Bien sûr, cette immense maturité de Sophronie ne tombe pas du ciel. Voltaire, en bon déiste, [Les déistes pensent que Dieu est bien à l’origine de l’univers, mais qu’il n’influence en rien nos actes, nos décisions.] ne croit pas au talent naturel ou divin. Si son personnage peut s’élever à cette hauteur d’âme, c’est d’abord parce qu’il vient d’un milieu élevé socialement, où l’on respecte les bienséances (les deux amies se vouvoient), et dans lequel il n’est pas nécessaire de travailler. Sophronie grandit dans un milieu social où ce sont les parents qui décident pour les enfants, et pourtant, il semble que la mère de Sophronie lui laisse la liberté de choisir. Voltaire accorde donc une place centrale à la famille dans l’éducation des jeunes filles. À croire que ce serait en éduquant les mères en premier lieu qu’on pourrait ensuite éduquer les jeunes filles. La mère de Sophronie se distingue par une éducation libérale et par la grande confiance qu’elle accorde à sa fille : « ma mère m’a crue digne » (l. 30), « elle m’a fait instruire » (l. 33), « elle a formé mon esprit » (l. 33), « elle m’a menée » (l. 34), « m’a toujours regardée » (l. 40). Cet enjeu de transmission est peut-être à voir comme un modèle adaptable à tous les milieux sociaux.
Sophronie partage l’idée d’une éducation ouverte sur le monde, pratiquée à l’intérieur de la société, contre l’éducation oppressive dans laquelle se retrouvent la plupart des jeunes bourgeoises ou aristocrates. Elle s’élève notamment, avec de nombreux arguments, contre le couvent, qu’elle compare à une « prison » (l. 25). L’éducation par des nourrices fait aussi l’objet de sa critique. En opposition, et tandis que le théâtre est souvent considéré comme un lieu de perversion des mœurs des jeunes gens au dix-huitième siècle, Sophronie voit dans la tragédie une « école de la grandeur d’âme » (l. 37), et dans la comédie une « école des bienséances » (l. 38). Les longues tirades qu’elle adresse à Mélinde, en contraste avec les répliques courtes de son interlocutrice, donnent une idée de son intention de l’instruire de son raisonnement. Par conséquent, elle étend son désir de liberté à toutes les femmes et ne le restreint pas à elle-même. L’enjeu est de ne pas limiter les autres femmes au statut d’épouse soumise ou de courtisane, et de les inviter à emprunter des voies divergentes.
L’organisation des paragraphes :
Pour être efficace, organisez chaque paragraphe de la façon suivante :
- phrase d’accroche qui présente l’argument principal ;
- illustration de l’argument avec un passage du texte (citation + explication) ;
- réflexion élargie sur l’argument avec appui sur vos connaissances personnelles ;
- phrase bilan qui permet de passer au paragraphe suivant.
Conclusion :
Cet extrait de L’Éducation des filles illustre parfaitement l’originalité des prises de position des philosophes des Lumières. Ils font le pari de l’intelligence individuelle et de la raison critique contre les directives théologiques et l’autorité des passions. Du fait de sa capacité de discernement, Sophronie est un modèle de femme éclairée. Pour Voltaire, l’éducation des femmes devrait les pousser à être autonomes dans leurs choix, à prendre le parti de la raison contre celui de la passion, à avoir une expérience directe de la société, à se confronter au réel plutôt qu’à l’éviter, tout en chérissant les représentations honnêtes du monde comme celles du théâtre. En somme, il s’agit de créer des femmes libres et non pas des « poupée[s] » (l. 41) dociles. Il reste légitime de se demander comment cette réforme de l’éducation des jeunes filles peut avoir un effet si l’éducation des jeunes garçons n’est pas réformée à son tour. Enfin, il est remarquable que cet idéal d’émancipation soit encore dépeint par un homme. Peut-être que pour mieux en saisir la portée et pour mieux le discuter, il faudrait le confronter à d’autres idéaux, par exemple à ceux portés par des femmes philosophes.