Question de corpus |
La légende du Masque de fer naît au XVIIIe siècle quand Voltaire rapporte, dans Le Siècle de Louis XIV, l’histoire d’un mystérieux prisonnier tenu au secret sous un masque en métal, au début du règne du Roi-Soleil. Cette légende est reprise au XIXe siècle dans le poème « La Prison », extrait des Poèmes antiques et modernes d’Alfred de Vigny, dans Les Jumeaux, une pièce de théâtre de Victor Hugo, et dans le roman Le Vicomte de Bragelonne d’Alexandre Dumas. Voyons en quoi la figure du Masque de fer diffère dans les textes du corpus extraits de ces trois dernières œuvres de celle que propose Voltaire.
Après avoir présenté les textes du corpus et la question, développez la réponse de façon construite et finissez par une courte conclusion.
Dans le texte de Voltaire, la figure du Masque de fer est entourée de mystère puisqu’il s’agit d’un « prisonnier inconnu » (l. 4). Mais l’accent est mis sur l’aspect positif de sa situation, bien qu’elle soit très difficile : la façon privilégiée dont ce prisonnier est traité malgré le masque et l’enfermement qu’on lui impose.
En effet, il est accueilli et estimé comme un hôte : « le marquis de Louvois […] lui parla debout et avec une considération qui tenait du respect » (l. 11-13), « il fut logé aussi bien qu’on peut l’être dans le château » (l. 13-14), « on ne lui refusait rien de ce qu’il demandait » (l. 14) et « on lui faisait la plus grande chère ».
Le prisonnier semble même pouvoir s’habiller aussi élégamment qu’il le souhaite (« son plus grand goût était pour le linge d’une finesse extraordinaire, et pour les dentelles », l. 14-15) et avoir droit de s’adonner à la musique (« il jouait de la guitare », l. 15). D’ailleurs, il est précisé qu’il « ne se plaigna[it] jamais de son état » (l. 20).
Au contraire, dans les autres textes du corpus, si l’aspect mystérieux de la figure du Masque de fer est bien repris, c’est d’une façon beaucoup plus négative, comme le révèle l’expression « sombre mystère » (v. 17) utilisée par de Vigny.
Loin de bénéficier d’un traitement privilégié, le prisonnier semble au contraire ne même plus appartenir au monde des vivants puisqu’il est un « fantôme immobile » (v. 15) d’après de Vigny, un « fantôme hideux » (v. 8) ou un « spectre débile » (v. 37) selon Hugo et un « Maudit » d’après Dumas. Dans le texte d’Hugo, le personnage se considère lui-même comme un homme enterré vivant (« Pour la vie ! Une tombe ! », v. 1) ou un mort-vivant (« je suis un mort pensif qui vit dans son cercueil », v. 16).
L’injustice qu’il subit est dénoncée à travers les mots « droits arrachés » (v. 23), « son jugement était illégitime » (l. 34) dans le texte de De Vigny et, dans le texte d’Hugo : « Quoi donc ! il s’est trouvé des tigres pour se dire : / Nous prendrons cet enfant, faible, innocent et beau, et nous l’enfermerons, masqué, dans un tombeau ! » (v. 22-24).
Enfin, l’accent est mis sur la souffrance du personnage. En effet, dans Hugo, les didascalies insistent sur sa souffrance physique, due au poids de son masque (« levant la tête pesamment et parlant comme avec effort », « il marche à pas lourds »), et le prisonnier lui-même exprime clairement son malheur : « c’est horrible ! » (v. 17), « Oh ! je souffre un bien lâche martyre ! » (v. 21). De même, dans le texte de Dumas, le mot « malheureux » est employé deux fois (l. 11 et 29) et l’attitude du personnage traduit sa colère : « regards courroucés » (l. 11), « il poussa un soupir, semblable à un rugissement » (l. 14).
Si Voltaire propose, dans un récit qui se veut historique, une vision plutôt positive de la figure du Masque de fer, mettant en évidence le traitement particulier dont il a bénéficié, Vigny, Hugo et Dumas l’ont, quant à eux, reprise et réécrite avec une tonalité pathétique, voire tragique, dans des textes de trois genres littéraires différents qui ont fait entrer ce personnage dans la légende.