Question de corpus |
Remarques préliminaires sur le sujet :
Pour réussir le sujet de dissertation, vous devez analyser rigoureusement les éléments du sujet, puis leur association afin de comprendre la problématique dans son ensemble.
- « Un personnage de roman » : cela renvoie à la fiction et au genre romanesque (et pas dramaturgique). Ce personnage est imaginaire, même s’il peut être inspiré par une personne réelle, ayant existé, ou même si certains personnages (secondaires) sont réels (dans le roman historique par exemple). Faites-vous une liste de personnages que vous connaissez bien, que vous avez étudiés, dans la littérature française ou étrangère : Don Quichotte, Manon Lescaut, Candide, Robinson Crusoé, Jacques le Fataliste, le jeune Werther, Madame Bovary, le Père Goriot, Bel-Ami, Dorian Gray, Jean Valjean, Charles Swan, Meursault l’étranger, Bardamu et son voyage au bout de la nuit, Aurélien, Nadja… ou servez-vous de ceux évoqués dans les extraits du corpus : Delphine, Matilde, Léonce, la Princesse de Clèves, Monsieur de Nemours, Renée…
- « Doit-il » : indique le caractère obligatoire.
- « Vivre » : la vie d’un personnage correspond à ses aventures, les péripéties qu’il subit, ses actions, les rencontres qu’il fait… Tout ce qui forge son existence depuis la situation initiale jusqu’à la situation finale.
Attention toutefois à ne pas associer « vivre » et « ressentir ».
- « Des passions » : à l’origine, le terme désigne « la souffrance » (patio en latin). Par extension, il désigne une émotion vive, un amour intense. Mais le terme est maintenant utilisé dans d’autres domaines que les sentiments amoureux. La passion pour un métier, pour une activité, pour un domaine du savoir…
- « Pour captiver » : attirer et retenir l’attention de quelqu’un. Il y a l’idée de séduire, et de charmer également.
- « Le lecteur » : celui qui lit (et qui aime lire). Maurice Barrès disait que « tout livre a pour collaborateur son lecteur ». Il ne faut donc pas le négliger : il est celui qui interprète le texte.
Reformulez la problématique avec vos propres mots :
Un personnage de roman doit-il vivre des passions pour captiver le lecteur ?
- Est-il nécessaire qu’un héros vive des péripéties extraordinaires pour que le lecteur s’intéresse au roman ?
- Faut-il que les protagonistes subissent des émotions intenses et des sensations fortes pour que le lecteur ait envie de lire le livre ?
- Ou inversement : un livre serait-il inintéressant si les personnages ne vivaient rien de passionnant ?
Le devoir rédigé ici n’est qu’un exemple. D’autres idées pouvaient être évoquées.
Pour vous aider à visualiser le corrigé, nous allons mettre des titres aux différentes parties : vous ne devez bien sûr pas les écrire sur votre copie le jour de l’épreuve. Mais vous pouvez les noter sur votre brouillon pour vous aider à structurer vos idées.
L’introduction débute par une accroche qui amène le sujet en le situant dans un contexte afin d’aboutir à la problématique. Elle présente le sujet, montre les enjeux et permet d’annoncer le plan.
L’introduction se compose de 4 parties :
- une présentation du sujet (ou accroche) qui permet de le contextualiser. Il convient donc de parler du personnage de roman du XVIIe à nos jours, qui est l’objet d’étude de ce sujet.
Attention aux banalités ! Évitez de commencer par « De tout temps, les romanciers… » ou « Depuis le Moyen-Âge, les personnages de roman… » ;
- l’annonce du sujet : le sujet est recopié tel quel, introduit par une amorce. « Nous pouvons nous demander si… », « Cela nous amène à nous interroger sur… » ;
- l’analyse de la problématique qui va reprendre votre analyse des termes du sujet et poser le problème ou reformuler la problématique ;
- l’annonce du plan, en 2 ou 3 parties (n’annoncez pas les sous-parties).
Introduction
75 % de la population française déclare lire des romans, selon un sondage IPSOS pour le Centre National du Livre, en 2016. Il faut que ce genre soit plutôt attractif pour intéresser autant de lecteurs. Par ailleurs, le genre romanesque traite souvent du thème de la passion : le lecteur est lui-même soumis à ses propres passions et peut s’identifier aux différents personnages.
C’est pourquoi nous pouvons nous interroger sur les personnages et leurs passions : un personnage de roman doit-il vivre des passions pour captiver le lecteur ?
En effet, le lecteur s’intéresse souvent aux passions vécues par les personnages, mais est-ce une condition essentielle pour qu’un roman soit attrayant ?
Nous montrerons tout d’abord que l'évocation des passions amoureuses est l’un des éléments-clés des romans. Puis nous verrons pourquoi la passion n’est pas le seul moteur des romans. Enfin, nous présenterons d’autres types de romans, dont le but n’est pas de mettre l’accent sur les passions, ni même sur les personnages, et qui pourtant, peuvent captiver les lecteurs.
Le développement peut correspondre à deux types de plan :
- le plan dialectique présente la thèse (validation : « oui, les personnages doivent vivre des passions »), l’antithèse (infirmation : « non, les personnages ne doivent pas forcément vivre des passions »), la synthèse (discussion, dépassement, autre possibilité : « plutôt que la passion… » ou « à la place des personnages… »)
- le plan thématique présente un aspect différent de la réponse dans chaque partie (2 ou 3 parties en général).
Chaque partie présente 2 ou 3 arguments qui soutiennent l’idée générale de cette partie. Chaque argument est illustré par un exemple précis et développé. Cherchez des exemples variés : auteurs, époques…
Un exemple ne remplace pas un argument.
I. Les passions du personnage de roman captivent le lecteur : sans passion, pas d’histoire
Depuis les premiers romans du Moyen-Âge, la passion amoureuse occupe une large partie de la littérature : Tristan et Iseult ne furent que des précurseurs. Il s’agit alors de la passion dans son premier sens, celle qui fait souffrir, qui est immense et à laquelle on ne peut résister. L’amour-passion auquel les personnages succombent après avoir bu un philtre d’amour a, dans Tristan et Iseult, une forme magique qui n’est pas propre aux romans postérieurs écrits à partir du XVIIe siècle, où la part de merveilleux disparaît généralement. Pourtant, certains éléments se retrouvent dans les personnages des romans d’amour de ce siècle : la passion est souvent symbole de tragédie, de souffrance contre lesquelles le protagoniste ne peut rien. C’est le cas par exemple des personnages féminins du roman de Stendhal, Le Rouge et le Noir. Madame de Rénal sait que son amour pour Julien, le précepteur de ses enfants, n’est pas convenable et impossible : Julien n’est pas de sa condition sociale, il est plus jeune qu’elle, elle est déjà mariée. Mathilde de la Mole non plus ne peut résister à son attirance pour le jeune homme, malgré tous les prétendants de son rang. La passion amoureuse les aveugle et les conduira à leur perte.
Par ailleurs, pour captiver les lecteurs, les auteurs évoquent des situations haletantes, des rebondissements, créent du suspense. Les passions vécues par les personnages sont propres à entraîner des actions qui rendent le récit palpitant. Le lecteur partage alors les passions des personnages et trouve son intérêt dans les situations exceptionnelles qu’ils vivent. C’est le cas par exemple dans le roman de Victor Hugo, Les Misérables. Les personnages de Cosette et Marius s’aiment. Ils éprouvent une passion qui naît au jardin du Luxembourg, par hasard et se poursuivra aussi par hasard dans d’autres lieux de Paris : rue Plumet, rue de L’Homme-Armé… Les deux amoureux sont poursuivis et condamnés à se cacher : Javert surveille Jean Valjean de sa justice implacable ; Éponine Thénardier, amoureuse éconduite de Marius, est prête à l’envoyer sur la barricade ; Jean Valjean sauve Marius de la mort en s’échappant par les égouts de Paris ; Marius, sauvé, peut épouser Cosette mais dénonce Jean Valjean comme assassin, jusqu’à ce qu’il découvre la vérité de la bouche de Thénardier. Ce n’est que dans les dernières lignes du roman que la passion des deux jeunes gens triomphe, mais au détriment du grand héros qui rend l’âme. L’épopée se déroule sur presque 20 ans, avec des intrigues et des rebondissements qui mettent les passions à rudes épreuves.
II. Un personnage de roman n’a pas besoin de vivre des passions pour captiver le lecteur
La passion amoureuse n’est pas le seul moteur des romans. Il existe d’autres passions : les personnages sont parfois animés par d’autres intérêts. Ainsi, les personnages des romans de Jules Verne mènent une quête qui n’est jamais en lien direct avec l’amour. Certains romans n’ont d’ailleurs aucun personnage féminin : L’Île Mystérieuse, par exemple, présente le destin de cinq hommes qui échappent à la guerre, en ballon, et se retrouvent échoués sur une île déserte du Pacifique. Certes, dans certains romans d’aventures, les héros de Jules Verne trouvent parfois l’amour en chemin, mais ce n’est pas du tout leur objectif. Dans Le Tour du monde en 80 jours, Phileas Fogg est plus intéressé par le whist, jeu auquel il joue tous les jours au Reform Club avec ses amis, les moyens de transport et les horaires, que par Mrs Aouda. Ainsi, c’est presque avec étonnement que le lecteur découvre les sentiments du gentleman qui accepte d’épouser la jeune femme. Tout l’intérêt du roman repose sur la réussite ou non du pari fou du héros et sur son flegme légendaire, en toutes circonstances. Même son mariage fut finalement au service de son pari fou : c’est parce qu’il accepte d’épouser Mrs Aouda qu’il découvre qu’il a 24 heures d’avance et a pu faire le tour du monde en 80 jours.
Il est donc à noter qu’un héros moins passionné peut être tout aussi intéressant, voire plus, pour certains lecteurs qui se sentiront alors plus en concordance avec lui. Pour rendre un personnage exceptionnel, il n’est pas nécessaire non plus qu’il vive des passions : il peut séduire par les actions qu’il mène et les valeurs qu’il incarne. C’est le cas par exemple des personnages de La Condition humaine, roman de Malraux. Les personnages sont un groupe de révolutionnaires communistes qui préparent une insurrection à Shanghai, contre le gouvernement. Kyo est le chef du groupe. Idéaliste, il meurt pour ses idées après son arrestation. C’est le cas également de Tchen qui mène un attentat-suicide contre la voiture de Chang-Kaï-Chek qui n’était finalement pas dans le véhicule. C’est également l’idéalisme qui a poussé Katow à rejoindre le groupe. Arrêté et emprisonné lui aussi, il refuse la fin que vit Kyo en se suicidant au cyanure : il préfère affronter la torture et donne sa capsule à d’autres prisonniers. Le roman, bien que fondé sur des personnages mus par des convictions politiques, a captivé malgré tout les lecteurs et reçu le prix Goncourt en 1933.
III. D’autres types de romans, d’autres types de personnages
Certains romans ont été écrits pour mener une véritable étude des mœurs ou des caractères. C’est le car par exemple de l’entreprise de Balzac avec sa Comédie humaine. Il veut faire une « histoire naturelle de la société ». Il mène alors trois grandes études sociologiques : une étude des mœurs, une étude analytique et une étude philosophique. L’ensemble comporte près de 90 ouvrages au total. Balzac souhaite avant tout peindre le réel et la société de son temps. Ainsi, dans La Peau de chagrin, le jeune Raphaël de Valentin désire tout : le succès, la richesse, les femmes. Sans le sou et près à se suicider, il hérite pourtant d’une incroyable fortune suite à un pacte démoniaque par l’intermédiaire d’une peau de chagrin. Ayant tout obtenu, c’est pourtant reclus et seul qu’il tente de survivre encore quelques jours, quelques heures… et finit par mourir seul, amer, et n’ayant rien fait de sa fortune ni de sa vie. Le roman offre au lecteur à réfléchir : peut-on satisfaire tous nos désirs ? L’œuvre se trouve à mi-chemin entre l’étude de mœurs et l’étude philosophique et n’a pas pour but de présenter les passions du personnage pour captiver le lecteur.
Le XXe siècle et le Nouveau Roman vont aller beaucoup plus loin. La position du narrateur est remise en question. L’intrigue et le personnage en tant que tels sont rejetés. Ils sont placés au second plan ; ce qui importe, c’est l’écriture. On se retrouve avec des personnages nommés par leur initiales, comme dans La Jalousie de Robbe-Grillet, publié en 1957, où A…, personnage féminin, n’est jamais nommée. Le lecteur ne sait rien sur elle : pas de nom, pas d’âge, rien. C’est ce que Sarraute appelle « supprimer les points de repères » et « dépersonnaliser ses héros » dans son essais sur le (Nouveau) roman, L’Ère du soupçon. On en arrive même à avoir le lecteur pour personnage principal. C’est ce que propose le roman Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino, publié en 1979. Vous, lecteurs et lectrices, devenez le principal personnage du roman. Appartenant au courant post-moderniste, Calvino, ayant fait un passage par le courant de l’OULIPO, met en avant les mécanismes du rapport entre le lecteur et le roman. Le lecteur s'engage alors dans une nouvelle quête, celle d’un manuscrit. Il devient un personnage qui enquête sur la construction du roman. Par mises en abîme, cette quête du lecteur, qui est le récit-cadre, est entrecoupée d'incipits de romans dont on ne connaît jamais la fin. Le roman bascule, d’un chapitre à l’autre, entre du texte (une histoire construite) et du métatexte (des commentaires relatifs à l’histoire). Le personnage n’a plus du tout une place majeure, à peine une existence évoquée, et on en oublie qu’il peut avoir des passions. Ce qui captive le lecteur, c’est le lecteur lui-même.
La conclusion propose un bilan du devoir. Il s’agit de reformuler les idées essentielles. Puis vous devez proposer une ouverture vers une autre problématique. Soignez votre conclusion : c’est la dernière chose que votre correcteur lira et vous devez lui laisser une bonne impression.
Conclusion
Nous l’avons vu, les passions amoureuses des personnages de roman captivent le lecteur : elles sont à l’origine d’une majorité de textes et plébiscitées par la plupart des auteurs depuis les débuts du roman au Moyen-Âge. Au-delà des passions amoureuses, les auteurs ont travaillé aussi la psychologie et le caractère de leurs personnages afin d’intéresser le lecteur : les passions ne sont pas seulement amoureuses. Et certaines intrigues de romans sont fondées sur bien d’autres éléments que les personnages et leurs passions. Pour autant, le lecteur reste captivé.
Ce que nous avons mis à jour avec le roman ici est tout à fait transposable au genre du théâtre. Les personnages vivent également des passions amoureuses qui font l’objet des principales intrigues en matière de dramaturgie. En déplaçant la problématique du roman au théâtre, nous pourrions alors nous demander si le personnage de théâtre doit vivre lui aussi des passions pour captiver, non plus le lecteur, mais plutôt le spectateur.