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BACCALAURÉAT GÉNÉRAL
SESSION 2019
LITTÉRATURE
SÉRIES L
JEUDI 20 JUIN 2019
Cœfficient : 4
L’usage des calculatrices est interdit.
Question 2 (12 points)
En avril 1830, Balzac déclare à propos d’Hernani : « rien n’y est neuf ». Qu’en pensez-vous ?
A priori, cette affirmation de Balzac prend le contrepied des idées admises sur la pièce d’Hernani. En effet, elle est devenue très vite le symbole de la génération romantique, l’emblème d’une jeunesse en attente d’un renouveau esthétique, dramatique et idéologique. Néanmoins, quelques semaines après la première représentation, Balzac va à l’encontre de ce point de vue en affirmant : « rien n’est neuf » dans Hernani. En quoi ce jugement peut-il nous surprendre ? Peut-on néanmoins le comprendre ?
À première vue, tout est neuf dans Hernani
À première vue, tout est neuf dans Hernani
Une pièce qui veut insuffler jeunesse et liberté dans le théâtre français
- Le renouveau dramatique : Hernani illustre les principes énoncés dans la Préface de Cromwell en 1827, véritable révolution littéraire :
- Le drame doit englober toute la vie.
- Sublime et grotesque doivent se côtoyer : « Tout dans la création n’est pas humainement beau, le laid y existe à côté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime, le mal avec le bien, l’ombre avec la lumière ».
- Tout doit être montré sur scène comme dans la vie. L’unité de lieu et l’unité de temps doivent être abandonnées : « Toute action a sa durée propre comme son lieu particulier. »
- L’importance de l’Histoire dans l’intrigue.
- Le renouveau esthétique :
- Un théâtre destiné au peuple : empruntant au mélodrame, même au vaudeville, coups de théâtre, dynamisme, violence sur scène, passions exacerbées, pathétique, rivalités amoureuses, tromperies, enlèvements, décors somptueux (didascalies).
- Le refus des unités.
- Jeu avec les limites de la bienséance.
- Le vers est malmené (« [un vers] sachant briser à propos et déplacer la césure pour déguiser sa monotonie d’alexandrin »), le grotesque côtoie le sublime, les rois sont triviaux et grossiers.
- Une langue nouvelle et actualisée comme Hugo le prône dans la Préface de Cromwell : « Toute époque a ses idées propres, il faut qu’elle ait aussi les mots propres à ces idées. Les langues sont comme la mer, elles oscillent sans cesse. ».
- Proposer l’archétype du nouveau héros romantique :
- Un banni, un marginal dont la tête est mise à prix, un chef de bande des montagnards.
- Qui a fait le serment de venger son père et est prêt à mourir pour cela.
- Un oiseau de nuit en grand manteau noir.
- Un « lion superbe et généreux ».
- Un amoureux passionné.
- Un homme qui doute et se bat contre ses démons intérieurs.
- Une « force qui va » vers son destin.
- Renouveau idéologique :
- La subversion des règles théâtrales entraîne une subversion de la hiérarchie (un roi se comportant comme un bouffon, une femme plaçant au-dessus de tout la noblesse de cœur d’un bandit).
- La pièce représente l’emprise mortifère du passé, du vieux monde sur la jeunesse.
- Le monologue du roi (IV, 2) présente une dimension politique : le peuple est présenté comme au fondement de toute légitimité (« Base de nations portant sur leurs épaules / La pyramide énorme appuyée aux deux pôles,/Flots vivants, qui toujours l’étreignant de leurs plis, / La balancent, branlante, à leur vaste roulis,/Font tout changer de place et, sur ses hautes zones, / Comme des escabeaux font chanceler les trônes […] ») ; la fonction royale doit être inspirée par « quelque chose de grand, de sublime et de beau » (v.1564) : le monarque ne doit pas se contenter d’hériter, mais est investi d’une responsabilité historique supérieure.
- Déploie nouvelle conception de l’homme (esquissée dans le drame du XVIIIe) : homme non plus dépendant d’un ordre transcendant immuable, anhistorique, comme dans la tragédie classique, mais plongé dans un monde historique, sans destinée assignée, et condamné à se choisir ou à errer.
Et pourtant … de nombreuses caractéristiques de la pièce restent fidèles à la tradition théâtrale
Et pourtant … de nombreuses caractéristiques de la pièce restent fidèles à la tradition théâtrale
- L’esthétique lyrique en alexandrins. Contrairement à certains de ses contemporains qui prônent le théâtre en prose, Hugo veut conserver les vers qu’il juge indispensable : « Nous vou[l]ons un vers libre, franc, loyal, osant tout dire sans pruderie, tout exprimer sans recherche […] ; tour à tour positif et poétique, tout ensemble artiste et inspiré, profond et soudain, large et vrai » et il reste très fidèle à la rime « cette suprême grâce de notre poésie, ce générateur de notre mètre ; inépuisable dans la variété de ses tours, insaisissable dans ses secrets d’élégance et de facture ».
- L’unité d’action est conservée car Hugo reconnaît dans la __Préface de Cromwell que « L’œil ni l’esprit humain ne sauraient saisir plus d’un ensemble à la fois. ».
- Le combat entre l’honneur et l’amour du personnage d’Hernani = un grand classique.
- Le personnage du bandit au cœur noble est en réalité un grand noble d’Espagne.
En définitive, une légende révolutionnaire qui a dépassé la réalité
En définitive, une légende révolutionnaire qui a dépassé la réalité
- La soif d’en découdre avec les Anciens.
- La personnalité de mentor de Victor Hugo.
- La bataille devient très vite un mythe.
- Pas une bataille mais des batailles, 15 jours après la première, la pièce est interrompue 148 fois par des manifestations hostiles (rires, huées, sifflets).
- Publicité inespérée et scandale qui a fixé la pièce dans la légende. Cela fait lui assure une postérité exceptionnelle.
- Les récits a postériori d’Adèle Hugo, de Nerval, Gautier ou encore Alexandre Dumas, des comédiens… font de cette bataille un mythe pour la postérité.
- Il n’y aura pas une mais des batailles d’Hernani puis des récits d’anciens combattants qui assurent la postérité de l’événement !
- C’est une pièce « manifeste » qui fait de Victor Hugo le porte-parole de la jeune génération des dramaturges romantiques.
- 1852 : avènement du second Empire et exil de Hugo qui est ennemi de Napoléon III – Le drame est interdit de représentation et devient le symbole de la fronde. La légende prend de l’ampleur.
- 1867 : lorsque les représentations reprennent, Fl. Naugrette dit qu’« une partie du public connaît presque le texte par cœur. » Succès phénoménal. « Pour la génération de 1830, Hernani a été ce que fut Le Cid pour les contemporains de Corneille. Tout ce qui était jeune, vaillant, amoureux, poétique, en reçut le souffle. Ces belles exagérations héroïques et castillanes, cette superbe emphase espagnole, ce langage si fier et si hautain dans sa familiarité, ces images d'une étrangeté éblouissante, nous jetaient comme en extase et nous enivraient de leur poésie capiteuse. Le charme dure encore pour ceux qui furent alors captivés. » Théophile Gautier, Moniteur (25 juin 1867).