Sujet bac : annale 14 juin 2023
Dissertation de philosophie Sujet 1 - Le bonheur est-il affaire de raison ? |
Introduction :
L’introduction doit présenter un problème qui justifie la question. Elle doit être « dramatique », c’est-à-dire présenter une difficulté qu’il faudra résoudre. Par exemple, ici, le problème est une opposition, une incompatibilité apparente entre les termes du sujet (bonheur et raison).
Le bonheur est généralement conçu comme un état de bien-être, une sensation et un sentiment personnels. On dit par exemple « je me sens bien, je suis heureux ». La raison, au contraire est logique et générale : elle est la faculté de réfléchir aux conséquences de nos actes ou de faire des calculs mathématiques. Ici la question « le bonheur est-il affaire de raison » place l’expression « affaire de » entre le bonheur et la raison : le bonheur et la raison devraient négocier ensemble, comme si être heureux était la décision, « l’affaire » de la raison, comme s’il fallait avoir sa permission. Mais un problème se pose : l’état de bonheur n’implique-t-il pas parfois d’aller au-delà des règles, de vivre selon la formule d’Horace « carpe diem » ? La raison, au contraire, nous dit de faire preuve de prudence, d’être dans le respect de la morale et des lois. Et si le bonheur est trop raisonnable, sa force n’est-elle pas alors atténuée ? Mais, d’un autre côté, aller vers le bonheur comme on part à l’aventure n’est-il pas risqué ?
Le bonheur est affaire de raison
Le bonheur est affaire de raison
- Les « 1 » et « a », « introduction » et « conclusion » délimitant les parties sont ici indicatif, dans le cadre d’un plan fait au brouillon, mais ne doivent pas apparaître dans la copie.
- Si vous n’annoncez pas votre plan en fin d’introduction, afin de mieux faire entrer le professeur ou la professeure dans votre cheminement, annoncez très clairement l’idée générale de la 1re partie (les astuces pour cette 1re partie valent aussi pour les parties suivantes).
Pour être heureux, il faut négocier son bonheur avec la raison : l’usage de la raison est donc la condition du bonheur.
Pour les parties « a. » et « b. », afin de montrer que vous raisonnez personnellement, commencez par une idée puis seulement en seconde position un auteur ou/et un exemple.
Tout d’abord, le fait d’être heureux s’inscrit dans une dimension matérialiste. Le bonheur est conditionné par la réussite scolaire ou familiale, par exemple, et la possession de biens matériels. Ici, le bonheur se concilie avec la raison, c’est-à-dire la faculté d’être raisonnable sur le plan social et moral. Avoir des comportements conformes à ce que la société et la famille attendent de nous est même la condition de ce bonheur-là. Dans la pyramide de Maslow, l’état de satisfaction des besoins physique (manger) et psychologique (vivre en sécurité) constitue la base du bonheur social, la condition d’un bien-être supérieur qui tient dans la satisfaction du besoin et d’intégration dans une collectivité.
Peut-être même qu’être heureux consiste à être raisonnable au point de satisfaire seulement les désirs que la nature nous demande de satisfaire et de se borner à ces derniers. La raison, ici, va poser des limites au désir et à la recherche du bonheur. C’est en ce sens qu’Épicure, dans sa Lettre à Ménécée, recommande de différencier les désirs naturels et nécessaires, et les désirs non naturels et non nécessaires. Ce sont, respectivement, les désirs que la nature nous impose de satisfaire et qu’il est nécessaire de satisfaire pour vivre (manger à sa faim), et que la nature ne nous impose pas de satisfaire et qu’il n’est pas nécessaire de satisfaire pour vivre (le luxe, la gloire). Ces derniers nous font même souffrir car nous ne pouvons jamais les réaliser complètement. Or, pour Épicure, le bonheur se définit simplement comme absence de souffrance et non comme jouissance excessive. C’est la raison qui pose des limites morales aux désirs, qui permet de les distinguer, et d’anticiper sur les conséquences de leur réalisation.
Récapitulez la 1re partie en reprenant les termes du sujet pour bien montrer que vous l’avez traité.
Ainsi, dans nos rapports sociaux comme dans notre vie individuelle, nous voyons bien que le bonheur (le nôtre et le mien) est affaire de raison. C’est l’affaire de la raison, qui définit ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter de faire pour être heureux.
Faites une transition vraiment critique (posez une question, soulevez un doute, une limite), et pas simplement rhétorique (« nous avons vu ceci, maintenant nous allons voir cela »).
Mais que la raison autorise le bonheur en en faisant son « affaire » implique un rapport de supériorité de la raison sur nos désirs, nos plaisirs. Or, au contraire, nos envies et nos pulsions ne dépassent-elles pas les cadres de la raisonnabilité ?
Le bonheur n’est pas affaire de raison
Le bonheur n’est pas affaire de raison
La raison refuse tout bonheur, jugé justement déraisonnable, irrationnel. Le bonheur consisterait à jouir de plaisirs individualistes, sans penser au bonheur des autres.
Si le bonheur n’est pas affaire de raison, c’est que la raison exclut toute possibilité de bonheur comme état de jouissance. En ce sens, Freud, dans le deuxième chapitre de Malaise dans la civilisation, précise que le bonheur comme jouissance dépend de la satisfaction de nos pulsions primitives, le « ça ». Or, celles-ci étant destructrices, l’humanité a dû, pour survivre, mettre en place une morale et, dans le psychisme individuel, un « surmoi ». Notre raison morale ne peut nous proposer que de faux bonheurs, celui de ce que Freud nomme « des sédatifs », c’est-à-dire les moyens palliatifs, des « faute de mieux ». Ceux-ci sont au nombre de trois : les activités de diversion (cultiver son jardin afin de s’occuper et laisser les autres en paix, ou encore le travail scientifique, pour reprendre les exemples de Freud) ; les « satisfactions substitutives » comme l’art qui sublime la réalité et nous détourne de ses malheurs ; les médicaments qui atténuent les souffrances sensibles mais ne rendent pas pour autant heureux.
Au plan politique, cette fois, si « l’homme est un loup pour l’homme », si nous sommes naturellement égoïstes et mauvais dans notre quête du bonheur individualiste, là encore la raison va chasser le bonheur de ses « affaires » en l’interdisant par la loi. Le bonheur serait une mauvaise passion. Hobbes, dans le Léviathan, affirme que le bonheur est ce à quoi il faut renoncer. En effet, le bonheur est « une continuelle marche en avant du désir, d’un objet à un autre, la saisie du premier n’étant encore que la route qui mène au second ». Le désir de bonheur est donc sans limite. Les êtres humains souhaitent finalement vivre en sécurité dans la société plutôt que libres et heureux de faire ce qu’ils veulent, poussés par leur mauvaise nature. Les lois nous permettent de rester en vie et de renoncer à la satisfaction qui consiste à exercer son pouvoir individuel sur toute chose et sur tout être. Pour cela, il faut un pacte social, collectif, de la raison : que chacun s’en remette au pouvoir d’un chef suprême.
Mais faudrait-il dès lors renoncer à tout bonheur au nom de la morale ? Par ailleurs, si le bonheur n’est pas affaire de raison, alors de quoi le bonheur est-il affaire ?
Le bonheur n’est pas affaire de raison mais d’imagination
Le bonheur n’est pas affaire de raison mais d’imagination
Essayez dans la 3e partie de prendre position mais de façon nuancée : si vous dites que le bonheur n’est pas affaire de raison, ne mettez pas complètement la raison de côté.
Si le bonheur n’est pas affaire de raison et que l’imagination (qui invente des images, des fictions, des idéaux) est le contraire de la raison (qui est plus réaliste), alors le bonheur est affaire d’imagination. Mais de quelle imagination s’agit-il ?
Il faut commencer par rejeter l’une des formes de l’imagination qui ne peut produire qu’un bonheur illusoire et irraisonnable. Pour Kant, le bonheur constitue « un idéal de l’imagination » et non de la « raison » qui, elle, produit des concepts plutôt que des images. Dans la Critique de la raison pure, Kant définit le bonheur tel que le sens commun se l’imagine : « le bonheur est la satisfaction de toutes nos inclinations », c’est-à-dire de toutes nos tendances, dans leur variété, leur intensité et leur durée. Autrement dit, l’imagination contre la raison se représente le bonheur comme un idéal absolu, une satisfaction de tous les désirs, complète, maximale et durable. Ce qui est impossible.
Mais l’imagination n’est pas toujours la source d’un bonheur illusoire. Elle peut être également, notamment dans le domaine de l’art, la source d’un bonheur réel. Si pour Schopenhauer le bonheur courant est difficilement accessible (« La vie oscille tel un pendule entre la souffrance et l’ennui »), en revanche, la fonction de l’imagination, en tant que prolongement de la contemplation et de l’intuition artistiques, est une condition d’une esthétisation du monde qui rend heureux. Dans le chapitre 36 du Monde comme volonté et comme représentation, Schopenhauer conçoit le bonheur artistique – le seul possible qui soit vraiment noble – dans la contemplation : « la connaissance pure, pure de tout vouloir, la jouissance du beau, le vrai plaisir artistique ». Le génie connaît de vrais moments de bonheur ; et comme il communique son intuition à son public, les non-artistes qui côtoient l’art peuvent alors éprouver un certain degré de bonheur. Certes la raison est présente dans l’art qui rend heureux : il faut savoir compter pour faire de la musique et mesurer pour faire de la sculpture. Mais le bonheur n’est pas « affaire » de raison ; la raison constitue un moyen en vue de buts plus haut : l’état de grâce esthétique, l’extase. Si l’imagination repousse l’horizon de l’expérience courante, elle dépasse les limites des petits bonheur furtifs.
Ouvrez la réflexion sur une notion voisine du programme (ici par exemple la liberté).
Conclusion
Nous avons donc vu en quoi le bonheur serait ou non affaire de raison. On pourrait se demander si le bonheur ne serait pas, plutôt qu’une affaire de raison, une question de liberté.