Sujet bac : annale 2024 – sujet Amérique du Nord
Dissertation de philosophie Sujet 1 - Comment être heureux, si rien ne dure ? |
- Il est important de repérer dans la question les notions du programme. Ici, le bonheur et le temps. Cela permet de mobiliser les connaissances afin de traiter convenablement le sujet.
- Le sujet présuppose la possibilité pour les hommes d’être heureux mais nous amène à questionner la manière de vivre la plus apte à nous procurer du bonheur dans le temps. Il ne faut donc pas envisager le problème en voulant savoir si le bonheur est illusoire, mais en voulant savoir si le temps est un obstacle à sa réalisation.
- Il n’y a jamais de réponse simple à une question philosophique. Au contraire, un sujet présente toujours un problème, c’est-à-dire un débat entre deux perspectives. C’est ce débat qui doit permettre d’élaborer la structure du devoir.
- L’énoncé du sujet donne également des indications sur son traitement. La formulation « comment » nous invite à envisager la meilleure manière de vivre pour être heureux. Il est conseillé de procéder à une analyse critique des différentes méthodes envisagées par les courants philosophiques traditionnels.
Introduction :
On définit généralement le bonheur comme un moment de plénitude dans lequel le sujet se suffit à lui-même. L’homme heureux serait ainsi perçu comme ayant satisfait l’ensemble des désirs garantissant la félicité dans son existence. Toutefois, cette définition désigne davantage un idéal qu’une réalité. En effet, soumis à la nécessité du passage du temps, l’homme semble dans l’incapacité de maintenir l’état de sérénité que le bonheur lui apporte. Lorsqu’un besoin est assouvi, la satisfaction éprouvée est éphémère et laisse place à un nouveau besoin, dans un cercle qui ne semble jamais avoir de fin. Cette nécessité des besoins organiques semble même être renforcée par le rythme répétitif des situations économiques contemporaines dans lesquelles le travail occupe une place centrale, ne laissant qu’à de rares instants la possibilité pour l’individu de vivre en plénitude. Il semble donc que pour des raisons liées à la fois au rythme biologique du corps et à la cadence économique du travail, l’homme soit soumis à la nécessité du temps qui passe, sans que rien ne puisse s’établir pour lui de façon durable. Si un bonheur est envisageable dans nos sociétés, comment le conquérir, sachant que le sujet est soumis à la nécessité du passage du temps ?
La question nous confronte donc à un problème : soit nous considérons que pour être heureux, il faut savoir accepter le caractère éphémère des choses, mais on risque alors de ne vivre que dans l’instant, sans garantie de continuité dans notre existence. Soit on considère que pour être heureux, l’homme doit s’extraire des conditions éphémères de la vie sociale et biologique, mais il risque alors de se replier sur un bonheur égoïste qui le couperait de ses responsabilités vis-à-vis des autres. Par quelles techniques l’homme peut-il conquérir une joie qui ne se réduirait pas au plaisir de l’instant ? Faut-il pour cela s’extraire du devenir toujours renouvelé des événements ? La finalité de notre engagement auprès des autres permet-elle de pérenniser les conditions d’un bonheur partagé ? Nous verrons en quoi le caractère éphémère de notre expérience peut parfois constituer la seule possibilité d’un bonheur authentique. Puis nous analyserons comment le fait d’être heureux implique la création d’un nouveau rapport à la durée des événements. Enfin, nous insisterons sur l’importance de garder des traces d’un bonheur partagé afin de donner sens à notre existence.
Les titres des parties et des sous-parties ne doivent pas apparaître sur la copie. Ils sont indiqués dans ce corrigé afin de mieux repérer la structure du devoir.
Le bonheur est possible du fait du caractère éphémère des expériences vécues
Le bonheur est possible du fait du caractère éphémère des expériences vécues
Le bonheur consiste à vivre le moment présent
Le bonheur consiste à vivre le moment présent
Le caractère éphémère de l’existence n’est pas un obstacle à la conquête du bonheur mais, au contraire, la condition de sa réalisation. La recherche du bonheur est parfois retardée en raison d’inquiétudes concernant l’avenir ou de regret vis-à-vis de décisions passées. Ces états d’âme nous éloignent du moment présent en nous amenant à envisager un temps qui n’existe plus ou pas encore. Or, la seule réalité du temps pour nous est celle de l’instant présent. C’est donc un art de vivre au présent qu’il faudrait élaborer afin de « jouir du caractère mortel de la vie » comme le dit Épicure dans la Lettre à Ménécée. Cette approche est dite hédoniste car elle consiste à élaborer les principes d’une vie heureuse à partir d’une recherche du plaisir éprouvé dans l’ataraxie, l’équilibre des états de l’âme et du corps. Pour vivre pleinement l’instant qui s’offre à lui, le sujet doit, selon Épicure, respecter quatre remèdes qui le guérissent des troubles de l’âme : ne pas craindre les dieux, accepter la mort, rechercher un bonheur simple à conquérir et savoir qu’il est facile d’éviter le malheur. Ces moyens thérapeutiques garantissent le bonheur même si rien ne dure, car il permet à l’homme de dépasser l’impression perpétuelle de manque vers un état dans lequel il ne désire plus rien d’autre que de vivre le présent. Cet état laisse place à une expérience dans laquelle le temps s’arrête, le désir n’existant plus. Toutefois, le bonheur ne nécessite-il pas également une certaine continuité des instants vécus dans l’existence ?
Pour défendre la thèse, il est conseillé de commencer par l’idée en apparence la plus évidente et de s’en servir comme d’une base pour commencer la réflexion afin d’enchaîner sur un argument différent et éviter ainsi toute répétition.
Le Bonheur réside dans la création continue de soi
Le Bonheur réside dans la création continue de soi
La vie consciente est soumise à un rythme biologique qui diffère des répétitions mécaniques des habitudes et des automatismes. Cet élan vital, comme l’appelle Bergson, nous pousse à continuer, dans un effort de création, le temps durable de notre vie. En effet, une mauvaise conception du temps le divisant, comme c’est le cas en science, en instants séparés les uns des autres, pourrait donner l’impression que rien ne dure au sens où aucune expérience continue entre ces instants ne serait pensable. Cette représentation est toutefois abstraite et nuit à la recherche même du bonheur. Comme le remarque Bergson dans Essai sur les Données immédiates de la Conscience (1889), la vie est constituée non d’instant discrets mais de moments à durée variable, chacun ayant un rythme propre et une intensité singulière. Dans l’expérience pure de la durée, notre vie déroule et suit le flux des émotions qui l’unit aux choses et aux événements, créant à chaque fois le lien entre les instants de la vie par l’action du sujet. Le bonheur n’est possible que parce qu’il y a des états durables qui donnent de la continuité à notre expérience du flux de la vie. Bergson remarque que les moments de plus grande intensité dans notre vie sont d’ailleurs ceux dans lesquels nous brisons les habitudes du quotidien, lui qui est fait des impressions statiques et répétitives des automatismes. Dans ces moments, le moi superficiel que nous incarnons lorsque nous sommes soumis aux contraintes de la vie sociale laisse place à l’identité profonde du sujet. En lui se nourrit une relation organique aux choses, dans la durée libre des expériences vécues. Le bonheur devient donc possible lorsque nous prenons spontanément le risque de créer une nouvelle trajectoire durable dans notre vie.
Il est conseillé d’utiliser une question afin d’établir une transition entre les différents moments de l’argumentation.
Transition :
Nous venons de voir en quoi le passage du temps est la condition de la vie organique. Toutefois, le fait d’évoluer dans un monde instable, en constante évolution, n’est-il pas une contrainte ? Peut-on envisager une méthode permettant à l’individu de trouver le bonheur sans subir la nécessité du temps qui passe ?
Il est utile de se servir des distinctions repères proposées par le programme. Dans ce paragraphe, la distinction entre « essentiel » et « accidentel » est utilisée afin de distinguer le bonheur véritable et le plaisir sensuel.
Le bonheur se conquiert hors du temps
Le bonheur se conquiert hors du temps
Le bonheur consiste en la sagesse universelle
Le bonheur consiste en la sagesse universelle
L’une des causes du malheur des hommes réside dans leur incapacité à connaître la véritable nature de ce qui peut les rendre heureux. Influencé par l’opinion, l’individu se méprend parfois sur ce qui garantit un bonheur réel et durable. Dès l’Antiquité, l’éducation grecque insistait sur le besoin, pour le citoyen, de se soucier de son âme en disposant de la connaissance juste des choses, celle-ci n’étant pas soumise au changement perpétuel. C’est ainsi que Platon, dans la République, insiste dans la nécessité de fuir le monde des apparences où tout n’est qu’un semblant de réalité fugace et de se libérer par la connaissance de l’essence même des choses. Entouré qu’il est par un monde matériel changeant, l’homme est semblable à un prisonnier car il est constamment à la recherche de plaisirs apparents et se méprend alors sur la véritable nature des choses. Sa recherche est celle du plaisir des sens, toujours soumis au caractère accidentel des circonstances, de situations toujours en devenir et sans réalité substantielle. Seule la méthode dialectique est en mesure, selon Platon, d’élever l’âme vers la contemplation des Idées, ces essences pures et qui ne périssent pas, contrairement aux éléments du monde corporel. Le bonheur ne peut donc s’acquérir que par une éducation de l’âme par laquelle le sujet apprend à vivre avec sagesse en s’élevant des conditions matérielles de l’existence. Toutefois, cette possibilité de s’extraire du flux passager des choses afin de conquérir un bonheur plus substantiel doit-il nécessairement impliquer un refus du corps et de ses désirs perpétuels ?
Il est conseillé de construire son antithèse en adressant une critique aux arguments défendus par la thèse.
Le bonheur consiste dans la joie éternelle d’exister
Le bonheur consiste dans la joie éternelle d’exister
La connaissance rationnelle des causes qui nous déterminent peut nous amener à comprendre l’ordre naturel des choses et ainsi éprouver la joie d’exister sans dépendre de l’imprévisibilité des états passagers. Les désirs convoitant la possession de biens matériels déterminent notre vie en la rendant dépendante d’une quête inachevée. Cependant, si nous partons du principe que l’homme n’est pas, comme le dit Spinoza dans l’Éthique (1677), « un empire dans un empire » alors il nous faut accepter l’idée que l’ensemble des états de l’âme et du corps sont des passages dans l’enchaînement d’événements qui ont commencé avant nous et dont les effets se prolongeront après nous, puisque nous faisons partie de la nature conçue comme ensemble infini. Or, selon Spinoza, lorsqu’en exprimant, de tout son être, le désir naturel d’exister, l’homme éprouve la joie d’un passage à un degré de réalité plus grand. Un tel passage, en faisant entrevoir l’existence non comme un phénomène éphémère mais comme une partie d’un tout infini, permet à l’homme de connaître l’état de perfection semblable à l’éternité même. De conditionné qu’il est le plus souvent dans le devenir passager des choses du monde, l’homme peut, en se situant dans la perspective du tout de la nature, éprouver à travers son corps et son âme son appartenance à une réalité infinie et éternelle. Une telle approche donne donc à la joie humaine une réalité substantielle, loin de la recherche des plaisirs éphémères.
Transition :
La recherche du bonheur est-elle toutefois authentique si elle ne contribue pas à faire le bonheur des autres ? Or comment coexister dans des moments heureux si nos vies sont en évolution permanente ? Comment en effet garder une trace durable de nos moments de partage ?
Être heureux implique l’effort de partager des moments durables avec les autres.
Être heureux implique l’effort de partager des moments durables avec les autres.
Il est toujours intéressant de se demander si le sujet a une dimension éthique ou morale. Dans cette troisième partie, la piste éthique est envisagée, avec notamment le fait de consacrer du temps au bonheur des autres.
Le bonheur implique de garder des traces de notre coexistence
Le bonheur implique de garder des traces de notre coexistence
La recherche du bonheur serait purement égoïste si elle ne consistait qu’en une quête de sensation de plaisir dans l’instant présent. Une telle recherche entraînerait en effet un repli sur soi et isolerait l’individu de l’ensemble des actions collectives, constitutives de la société. Or le bonheur ne consiste-t-il pas dans la satisfaction de contribuer à l’existence des autres, et ce de façon durable ? La joie que l’on convoite dans le partage avec les autres aurait-elle un sens si elle ne laissait aucune trace dans nos souvenirs ? Il faudrait insister sur l’idée qu’un bonheur individuel n’est pas incompatible avec la réalisation progressive du bonheur collectif. Selon la conception utilitariste défendue par Mill, la justification d’une action vient de sa contribution à l’ensemble de la société en permettant à chaque individu de garantir la poursuite de leur bonheur propre tout en favorisant l’émergence d’une harmonie d’ensemble. Une telle approche considère comme juste une action contribuant au bonheur futur des générations en garantissant un effet positif durable sur l’ensemble de la société. Il n’y aurait donc pas de contradiction entre la vertu éthique d’agir selon le bien durable et la recherche individuelle du bonheur dans le présent. Toutefois, une telle conception ne présuppose-t-elle pas la capacité, pour le sujet, de faire preuve de prudence en s’adaptant aux circonstances toujours changeantes du monde ?
Il est important d’utiliser des connecteurs logiques afin de construire le raisonnement dans un paragraphe (car, en effet, cependant, ainsi, donc, par exemple, etc.)
Le bonheur consiste à agir en vue d’une fin en soi durable
Le bonheur consiste à agir en vue d’une fin en soi durable
Le bonheur doit être considéré comme une recherche naturelle, donnant sens à la vie humaine. En effet, toute action visant le bonheur se situe sur un autre plan que celle vouée à la simple nécessité de survivre. En recherchant le bonheur, l’homme se réalise en tant qu’homme. Le travail, avec son rythme de production lié aux cycles des biens vitaux, enchaîne l’homme à une vie répétitive dans laquelle aucune réalité ne subsiste, les besoins de l’organisme étant toujours renouvelés. En revanche, toute action visant le bien en soi et pour les autres a toujours une finalité en elle-même. Avec elle, les individus se réalisent en tant que sujets. Aristote distingue ainsi dans Éthique à Nicomaque, la production des moyens (poiesis) et l’action ayant une finalité propre (praxis). L’homme vertueux doit alors faire preuve de prudence (phronesis) et se détacher du caractère toujours changeant des choses produites afin de se consacrer à des actions justes car trouvant en elles-mêmes le principe de leur justification. Le fait d’être heureux consiste donc à s’adapter à la particularité de chaque situation et d’agir de sorte à rendre durable les principes éthiques qui motivent notre choix. Le sage ne doit toutefois pas s’enfermer dans des principes figés, mais savoir s’adapter à la réalité toujours changeante du monde afin de vivre une vie vertueuse.
La conclusion doit récapituler les étapes principales de l’argumentation et proposer une solution nuancée au problème.
Conclusion :
Nous pouvons donc conclure en insistant sur le fait que l’évolution perpétuelle des événements du monde n’est pas un obstacle à la réalisation du bonheur : il en est au contraire l’une des conditions. En effet, nous avons vu en quoi être heureux implique la capacité de vivre intensément le présent et de trouver en lui un équilibre dans la réalité toujours changeante des choses soumises au passage du temps. Toutefois, loin de consister en un repli sur soi dans lequel l’individu chercherait des principes figés pour l’éternité, le bonheur implique la capacité de s’adapter aux différentes situations de l’existence et d’agir en vue de donner sens à son existence future ainsi qu’à celle des autres. Pour cela, une distance vis à vis des biens strictement matériels est peut-être nécessaire afin de donner naissance à une vie vertueuse. En effet, c’est en agissant selon le principe universel de la justice que nous pouvons donner une réalité durable à notre bonheur et celui des autres.