Sujet bac : annale 2024 – sujet Amérique du Nord
Dissertation de philosophie Sujet 2 — Peut-on parler sans savoir ? |
- Il est important de repérer, dans la question, les notions du programme. Ici, le fait de « parler » implique toujours un acte de langage. Le fait de « savoir » peut se référer soit aux connaissances objectives de la science, soit aux états subjectifs de notre conscience.
- Le sujet remet en question une idée courante sur les rapports entre le langage et la connaissance : beaucoup diront en effet que savoir de quoi l’on parle est essentiel à la communication. Afin de questionner cette opinion commune, le sujet nous invite donc à envisager des situations dans lesquelles, au contraire, notre parole révèle notre ignorance ou notre inconscience (ex. : les oublis, les lapsus, etc). Ces situations peuvent servir d’exemples dans le devoir.
- Il n’y a jamais de réponse simple à une question philosophique. Au contraire, un sujet présente toujours un problème, c’est-à-dire un débat entre deux perspectives. C’est ce débat qui doit permettre d’élaborer la structure du devoir. Dans ce sujet, l’opinion commune sera défendue dans la première partie. La remise en cause de cette opinion sera analysée dans la deuxième partie.
- L’énoncé du sujet donne également des indications sur son traitement. La formulation « peut-on » signifie à la fois : « est-il possible » et « est-il permis ». Par exemple, on peut se demander si une personne a le droit de parler sans connaissance de cause. Le sujet peut donc donner lieu à un traitement éthique dans la troisième partie.
Introduction :
Parler, c’est utiliser les signes conventionnels du langage dans le but d’exprimer une opinion personnelle, partager une émotion vécue ou encore relater une expérience subjective. La prise de parole implique une intention de signification qui reposerait donc sur un savoir préalable des choses dont on parle. Ainsi, nous ne pourrions parler sans connaître le sens même de nos paroles. Pour beaucoup, cet usage de la parole est précisément ce qui définit l’Homme en tant que tel. Comme Aristote l’indique dans les Politiques : L’homme est un animal doué de raison, c’est-à-dire qu’il est capable d’exprimer ses pensées à l’aide d’un discours rationnel (logos). Contrairement à l’animal qui, comme dans le cas du perroquet, répète mécaniquement des sonorités du langage, l’homme est responsable, par sa parole, de dire ce qu’il sait, dans un souci constant de vérité. Cependant, la relation de l’homme au langage n’est pas toujours transparente. Dans certains cas, nos paroles peuvent trahir des arrière-pensées que nous ne voulons pas assumer auprès des autres. Dans d’autres cas, nos paroles peuvent masquer notre ignorance sur un sujet considéré au cours d’une conversation. Les rapports entre parole et savoir nous confrontent donc à un problème. Soit nous considérons que nos paroles sont l’expression d’un savoir préalable, mais nous risquons alors de négliger le fait qu’elles échappent parfois à notre contrôle et trahissent nos pensées. Soit nous admettons le caractère secret de certaines paroles, mais nous risquons alors de rendre impossible un dialogue authentique avec autrui. Dès lors, nos paroles ne produisent-elles qu’une illusion du savoir ? N’est-ce pas à travers nos paroles que nous parvenons à la connaissance raisonnée du monde et de nous-même ? Si chaque parole engagée auprès des autres relève de notre responsabilité, n’avons-nous pas le devoir de ne parler qu’en toute connaissance de cause ? Nous verrons dans un premier temps en quoi l’usage de la parole nécessite la conscience d’un sens que nous cherchons à exprimer. Puis, nous étudierons les raisons pour lesquelles l’homme n’est pas toujours en mesure de savoir ce qui l’amène à parler. Enfin, nous insisterons sur l’enjeu éthique des échanges de paroles qui, dans un effort de lucidité, nous engagent dans la recherche commune du savoir.
Les titres des parties et des sous-parties ne doivent pas apparaître sur la copie. Ils sont indiqués dans ce corrigé afin de mieux repérer la structure du devoir.
La parole implique le savoir préalable de ce qui est dit
La parole implique le savoir préalable de ce qui est dit
Le langage implique une intention de signification
Le langage implique une intention de signification
Il est conseillé de commencer par l’argument en apparence le plus évident et de s’en servir comme d’une base pour commencer la réflexion.
Prendre la parole, c’est avoir l’intention d’exprimer quelque chose dont on a pleinement conscience. Savoir de quoi on parle est d’ailleurs une exigence sociale concernant la parole des experts dans les domaines scientifiques, professionnels ou politiques. Cette norme du savoir est liée à la structure et à la fonction du langage lui-même. Comme l’indique Saussure dans Cours de Linguistique générale (1916), une parole est composée de signes qui expriment un sens. Pour éviter l’échec dans la communication, les interlocuteurs doivent savoir distinguer le son ou la graphie du signe (le signifiant) et ce que le signe veut dire, sa signification dans la situation (le signifié). Le lien entre le signifiant et le signifié étant essentiellement dépendant des normes d’usage de la langue, tout locuteur est censé connaître, avant de parler, les normes linguistiques en vigueur dans la communauté. C’est précisément cette exigence qui permet de différencier une parole ayant du sens d’un simple galimatias incompréhensible : tout locuteur doit savoir ce qu’il veut dire avant de parler. Autrement dit, il est supposé être capable de visualiser l’idée à laquelle son discours fait référence avant de la communiquer dans une parole adaptée. Ne faut-il pas d’ailleurs admettre que cette exigence, en permettant d’éviter les paroles insensées, est essentielle à la connaissance de la vérité elle-même ?
La parole est la condition du partage du savoir
La parole est la condition du partage du savoir
Il est utile de se servir des distinctions repères proposées par le programme. Dans ce paragraphe, la distinction entre « convaincre » et « persuader » est utilisée afin de distinguer l’usage dialectique et l’usage sophistique de la parole.
La volonté de savoir doit animer toute parole afin d’éviter les erreurs de jugement. En effet, pour qu’une discussion puisse amener à un accord sur une vérité commune, l’individu doit être animé par la volonté de vérité. C’est ce que Platon explique dans le Protagoras en exposant les principes rationnels de la méthode dialectique. Le dialogue est une parole visant à établir une vérité par l’accord de ceux qui participent à la discussion. Platon reproche justement au sophiste Protagoras de ne pas savoir de quoi il parle lorsqu’il définit la sagesse comme l’art de changer les apparences afin de vivre plus heureux. Un tel usage de la parole, parce qu’il ne respecte pas les exigences du savoir, repose simplement sur des impressions superficielles et empêche la découverte de la vérité comme telle. Il faut donc distinguer les paroles visant à convaincre et celles cherchant à persuader. Une parole parvient à convaincre parce qu’elle repose sur un savoir authentique et expose une démonstration logique s’adressant à la raison de ses interlocuteurs, en vue d’un accord de tous dans la discussion. En revanche, une parole visant à persuader ne s’appuie sur aucun savoir véritable et influence la pensée des interlocuteurs en se jouant de leurs émotions. Par conséquent, accepter que les principes logiques de la raison doivent animer la discussion est un savoir préalable à tout échange. C’est cet usage de la raison qui permet aux hommes de se libérer des préjugés de l’opinion. Toutefois, l’accord dans la discussion n’est pas toujours possible. Dans le cas de l’aporie par exemple, le dialogue mène à une impasse du discours, la raison ne pouvant trouver d’accord sur le sujet considéré. Comme le disait Socrate dans l’Apologie : « tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». Le discours philosophique a aussi pour but de nous faire prendre conscience de notre ignorance lorsque nous nous contentons de suivre la parole de l’opinion.
Transition :
Il est conseillé d’utiliser parfois des questions afin d’établir une transition entre les différents moments de l’argumentation.
Toutefois, l’homme qui parle est-il toujours animé par l’idéal de la vérité ? Est-il même toujours en mesure de savoir ce qui le force à parler ? N’est-il pas parfois victime d’illusions en parlant de ce qu’il croit connaître ?
Les hommes ignorent le plus souvent les origines véritables de leurs propres paroles
Les hommes ignorent le plus souvent les origines véritables de leurs propres paroles
L’homme vit dans l’illusion car il refuse de connaître le vrai sens de ses paroles
L’homme vit dans l’illusion car il refuse de connaître le vrai sens de ses paroles
Il est conseillé de construire son antithèse en adressant une critique aux arguments défendus par la thèse.
Notre relation au langage n’est pas toujours transparente et il nous arrive de manquer de lucidité dans l’usage de nos paroles. Parfois un mot nous échappe et nous trahissons sans le prévoir un secret sur nous-même ou quelqu’un d’autre. Dans ces situations, nous pouvons toujours reprocher au langage son incapacité à exprimer ce que nous voulions vraiment dire. Toutefois, le manque de maîtrise dans nos paroles n’exprime-t-il pas ce que nous refusons d’admettre ou de reconnaître ? L’hypothèse de l’inconscient formulée par Freud dans Introduction à la Psychanalyse (1917) fait référence à cette incapacité chez l’Homme de connaître immédiatement la vérité de ses pensées et de ses paroles. Dans le lapsus par exemple, l’échec de la communication serait lié à l’influence de mécanismes psychiques refoulés qui expriment, à notre insu, un désir inconscient refoulé et contraire aux normes morales établies par la société. Le sujet qui s’exprime n’est donc jamais en mesure de savoir ce qui motive ses propres paroles. Le langage serait davantage l’expression de ce que Lacan appelle notre « parlêtre », la structure fondamentale de notre existence qui, alors qu’elle nous échappe, se manifeste pourtant à travers la symbolique des mots que nous prononçons. Faut-il en conclure que nos paroles traduisent le plus souvent une méconnaissance du langage et de son fonctionnement ?
L’homme qui parle croit savoir mais est pris au piège des illusions du langage
L’homme qui parle croit savoir mais est pris au piège des illusions du langage
Il est important d’utiliser des connecteurs logiques afin de construire le raisonnement dans un paragraphe (car, en effet, cependant, ainsi, donc, par exemple, etc.)
Nos paroles nous induisent en erreur car nous nous méprenons le plus souvent sur la nature et l’usage du langage. En effet, nous avons tendance à croire que les mots correspondent aux choses et qu’à travers eux nous exprimons une vérité sur la réalité objective qui nous entoure. Cette croyance est d’ailleurs motivée par l’usage indexical de signes comme « ici », « là », « maintenant » puisqu’ils renvoient directement à la circonstance dans laquelle on parle. Cependant, nous risquons d’oublier à quel point les mots que nous employons sont artificiels et que leur usage est né d’un apprentissage par lequel nous avons progressivement intégré les codes de notre culture et la vision du monde qu’elle implique. Ainsi, comme le dit Nietzsche dans Le Livre du Philosophe (1873), nous oublions le caractère métaphorique de nos paroles quand nous croyons exprimer à travers elles le monde tel qu’il est vraiment. Ce que nous ignorons, en parlant, c’est le processus de transformation nécessaire pour passer de la chose considérée à la sensation visuelle que nous en avons, puis des images mentales aux mots que nous employons pour les désigner. Nos paroles n’expriment donc pas notre savoir du monde mais notre croyance en une réalité illusoire, simple reflet de nos sensations éphémères. Par exemple, affirmer qu’une pierre est « lourde » en croyant énoncer une description objective, c’est ignorer le fait que la lourdeur est une sensation subjective et ne correspond à aucune réalité extérieure. Cette illusion se répercute dans la position de faux-problèmes philosophiques. Pris au piège de la grammaire de notre langue, les philosophes auraient tendance à postuler une réalité substantielle derrière chaque nom qu’ils emploient, sans voir que les mots ne reflètent aucune essence mais la simple apparence des choses.
Transition :
Il est conseillé de faire une transition séparée entre les parties du devoir.
Faut-il alors renoncer à parler, de peur de commettre une erreur ? Faut-il se résigner au silence et adopter le mot d’ordre de Wittgenstein dans le Tractatus Logico-Philosophicus (1921) : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut se taire » ? Ne peut-on pas espérer, dans une parole adressée aux autres, dépasser notre ignorance première et découvrir, avec leur aide, un savoir véritable ?
C’est dans l’échange des paroles que les hommes acquièrent un savoir de la vérité
C’est dans l’échange des paroles que les hommes acquièrent un savoir de la vérité
Il est toujours intéressant de se demander si le sujet a une dimension éthique ou morale. Dans cette troisième partie, la piste éthique est envisagée avec notamment les exemples de la promesse et du dialogue.
Promettre, c’est risquer sa parole sans savoir si le futur la garantira
Promettre, c’est risquer sa parole sans savoir si le futur la garantira
Parler, c’est toujours prendre un risque puisque l’on ne peut savoir ce que deviendra notre parole auprès de ceux avec qui l’on échange. Que la parole soit transmise à l’écrit ou à l’oral, sa circulation donne lieu à des interprétations que le locuteur ne peut totalement anticiper. Parler c’est donc oser dire quelque chose sans savoir que les autres feront de ce que l’on dit. Comme le remarque Arendt dans La Condition de l’Homme moderne (1958), les actes de paroles sont essentiellement fragiles car ils s’inscrivent à chaque fois dans une communauté humaine, faite essentiellement d’apparences et dont les liens futurs sont toujours incertains. Par exemple, la promesse que nous faisons aux autres ne peut jamais donner lieu à une certitude ou un savoir immédiat car elle concerne un événement futur que je ne peux garantir avec certitude avant qu’il ne se produise. D’ailleurs, les autres qui écoutent ma promesse prennent aussi un risque, celui de ne pas savoir s’ils peuvent me faire confiance. Et pourtant, donner sa parole est peut-être le seul moyen de tisser des liens durables dans l’avenir, de nous révéler aux autres comme une personne digne de confiance. Promettre me rend donc responsable de ma parole auprès des autres. Cela m’engage à réaliser un jour ce que je ne peux encore savoir avec certitude dans le moment présent. Il y aurait donc une exigence éthique dans toute discussion avec autrui, celle de lui promettre d’être fidèle à sa propre parole. Pourtant, ne risque-t-on pas d’être victime de nos paroles si les intentions d’autrui ne sont pas animées par la volonté de savoir ?
Dialoguer, c’est parler aux autres sans connaître leurs réelles intentions
Dialoguer, c’est parler aux autres sans connaître leurs réelles intentions
Nous venons de voir en quoi donner sa parole implique le risque de se faire mutuellement confiance. Comment alors garantir que les autres ne détourneront pas le sens de nos propos ? Est-il permis de parler sans savoir comment les autres réagiront à ce qui sera dit ? Comment s’assurer qu’ils ne chercheront pas au contraire à nous réduire au silence ? Comme l’indique E. Weil dans Logique de la Philosophie (1950), la violence est un problème pour le discours de l’homme raisonnable, lui qui cherche, dans la parole, à établir une relation durable avec l’autre. En revanche, la parole raisonnable n’est pas un problème pour l’attitude violente, elle qui est indifférente à la recherche commune du savoir. Cependant, nous ne pouvons établir une coexistence pacifique avec les autres si l’on ne prend pas le risque de dialoguer avec eux. Afin d’illustrer ce point, nous pouvons prendre l’exemple des « Comités de Vérité et Réconciliation » comme celui institué en Afrique du Sud après la fin de l’Apartheid. Dans une telle initiative, l’échange des paroles fait suite aux violences de la guerre. La parole donnée vise l’instauration d’une justice durable sans savoir quand réapparaîtra le spectre de la violence future. Que les autres fassent usage de la violence alors que je leur parle est un risque que je dois prendre, même si je ne peux connaître dans le présent leurs réelles intentions. Parler aux autres, c’est accepter le caractère incertain de notre relation, c’est vivre un échange au destin imprévisible et que seul un dialogue peut pérenniser.
Conclusion :
La conclusion doit récapituler les étapes principales de l’argumentation et proposer une solution nuancée au problème.
Nous pouvons donc conclure en insistant sur la nécessité de parler sans toujours savoir quelle importance notre discours aura pour les autres dans l’avenir. Nous avons vu que cette incapacité de toujours connaître le fond de nos paroles était due à la fragilité des liens qui nous unissent aux autres. S’adresser aux autres, c’est s’engager auprès d’eux sans savoir comment ils recevront notre discours. Cette absence de transparence dans les mots que nous prononçons ne doit toutefois pas être conçue comme une fatalité. Il y va de notre responsabilité de toujours veiller à animer nos paroles d’une intention de signification conforme aux exigences de vérité de notre raison. Donner sa parole et lui être fidèle, c’est oser agir sans savoir si notre promesse tiendra. Mais c’est ce risque de vivre sans savoir qui garantit un avenir possible avec les autres.