Corrigé Bac
Sujet bac – Philosophie 2024 – Corrigé – Sujet 3

Sujet bac   : annale 2024 – sujet Amérique du Nord

Philosophie : explication de texte

« Comment peut-on dire des choses extérieures qu’il y en a de conformes à la nature et que d’autres lui sont contraires ? C’est comme si nous étions isolés. Ainsi je dirai qu’il est de la nature du pied d’être propre, mais, si tu le considères comme pied et non comme une chose isolée, son rôle sera de patauger dans la boue, de marcher sur des épines et parfois même d’être amputé pour sauver le corps entier. Sinon il ne sera plus un pied. C’est une conception analogue qui convient à notre propre sujet. Qu’es-tu ? Un homme. Si tu te considères comme un membre isolé, il est selon la nature de vivre jusqu’à un âge avancé, de t’enrichir, de te bien porter. Mais, si tu te considères comme un homme et comme partie d’un certain tout, c’est dans l’intérêt de ce tout que tu dois tantôt subir la maladie, tantôt entreprendre une traversée et courir des risques, tantôt supporter la pauvreté et parfois même mourir avant l’heure. Pourquoi donc te fâcher ? Ne sais-tu pas qu’isolé, pas plus que le pied ne sera un véritable pied, toi de même tu ne seras plus un homme ? Qu’est-ce, en effet, que l’homme ? Une partie d’une cité, de la première d’abord, de celle qui est constituée par les dieux et par les hommes, puis de celle qui, comme on dit, s’en rapproche le plus, et qui est une petite image de la cité universelle. »

ÉPICTÈTE, Entretiens (I°-II° s.)

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Astuce

Une introduction d’explication de texte doit comporter 5 éléments :

  • un problème qui justifie le texte ;
  • une question que le texte pose ;
  • l’objet du texte ;
  • sa thèse ;
  • les étapes du texte, qui sont celles du développement de son explication.

Introduction :

Lorsque nous cherchons à définir la nature de l'homme, nous proposons toujours une définition idéale qui le présente dans ce qu’il aurait de spécifique, contrastant ainsi son être des autres êtres vivants. Par exemple, nous disons que l’homme est, comme le faisait Aristote, un « animal raisonnable » qui espère trouver le bonheur si les circonstances de la vie lui sont favorables. Toutefois, est-ce que cette définition idéale de la nature humaine correspond à la réalité que chaque individu est en mesure de vivre ? Aux prises avec des situations toujours singulières, l’homme est amené à vivre un quotidien qui est loin d’être parfait. L'incapacité à anticiper certaines situations provoque souvent l'incompréhension et le malheur. Tout se passe comme si l’homme était victime d’une fausse conception de sa nature. Dans ce texte, extrait des Entretiens, Épictète affirme que l’homme est souvent malheureux en raison d’une mauvaise interprétation de la nature en général. Il remarque que, faute d’observations rigoureuses des circonstances d’une vie humaine, l’opinion commune engendre un préjugé sur la nature de l’homme, ne l’envisageant que sous un angle idéal et l’isolant du tout dont il fait partie.
Comment expliquer une telle incompréhension de la nature humaine ? Quelles sont les conséquences d’une telle interprétation sur la perspective du bonheur ? Pourquoi une représentation plus juste permettrait-elle d'accéder à une vie plus heureuse ? Nous étudierons comment Épictète critique un préjugé commun sur la nature des êtres en général, en montrant qu’elle expose les hommes à de faux-problèmes philosophiques. Puis nous analyserons comment, à l’aide d’exemples, l’auteur réfute cette représentation courante en montrant qu'elle ne prend pas en compte le vécu de chacun. Enfin, nous verrons pourquoi Épictète conseille à son lecteur de changer de perspective afin de retrouver sa place dans le tout de la société auquel il appartient.

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Astuce

Le développement de l’explication doit être linéaire, c’est-à-dire suivre l’ordre des idées du raisonnement. Par exemple, si le texte a trois parties, l’explication comporte trois paragraphes.

Première partie : réfutation de l’opinion commune sur la nature des choses

« Comment peut-on dire des choses extérieures qu’il y en a de conformes à la nature et que d’autres lui sont contraires ? C’est comme si nous étions isolés. Ainsi je dirai qu’il est de la nature du pied d’être propre, mais, si tu le considères comme pied et non comme une chose isolée, son rôle sera de patauger dans la boue, de marcher sur des épines et parfois même d’être amputé pour sauver le corps entier. Sinon il ne sera plus un pied. »

L’auteur commence son argumentation en questionnant la façon dont l’opinion définit la nature des choses en général. Cette analyse a pour but d’invalider cette approche en repérant le caractère abstrait de sa représentation. En effet, lorsque les hommes se représentent les éléments dont le monde se compose, il leur attribue une « nature », c'est-à-dire une essence qui caractérise leur fondement. Cette façon d’envisager le monde permet alors d'établir des relations entre les choses afin de différencier leurs propriétés spécifiques. Cette méthode, appliquée déjà par un philosophe comme Platon dans sa théorie des Idées, consiste à établir une hiérarchie entre les propriétés « conforme à la nature » de la chose considérée, et celles qui dépendent de circonstances contingentes. Toutefois, l’auteur remarque qu’en procédant ainsi, on oublie le caractère essentiellement relatif des phénomènes naturels, eux qui font partie prenante de relations constitutives du monde. Épictète illustre cette remarque par un exemple, celui du pied, partie du tout de l’organisme et qui, lorsque le mot vient à être défini, est séparé de la totalité du corps. Il est en effet alors conçu selon des propriétés qui sont considérées, à tort, comme lui étant intrinsèques. Or, la définition d'une partie du corps n’a de sens que si elle prend en considération les nombreux événements auxquels le corps est exposé dans le temps de la vie, événements qui le confrontent aux limites du monde matériel. En se référant à la salissure de la boue, la douleur des épines ou l’amputation du corps malade, l’auteur envisage ainsi des situations extrêmes qui contrastent avec la définition idéale et sans éléments concrets de l’opinion. Il nous faut donc insister sur la volonté de questionner une représentation traditionnelle qui, parce que trop abstraite, empêche de connaître la véritable nature dont les choses sont constituées. Une telle critique permet d’entrevoir la vision du monde proposée par Épictète, celle d’un ensemble infini d'événements singuliers dans lequel les corps s'efforcent d’exister, exposés constamment à l’adversité de forces naturelles. Quelles sont les conséquences d’une telle approche lorsque la définition même de l’homme est mise en jeu ? Quel regard faut-il porter sur la vie humaine afin de le maintenir dans des rapports d’appartenance au monde qui l’entoure ?

Deuxième partie : application du raisonnement à la nature humaine

« C’est une conception analogue qui convient à notre propre sujet. Qu’es-tu ? Un homme. Si tu te considères comme un membre isolé, il est selon la nature de vivre jusqu’à un âge avancé, de t’enrichir, de te bien porter. Mais, si tu te considères comme un homme et comme partie d’un certain tout, c’est dans l’intérêt de ce tout que tu dois tantôt subir la maladie, tantôt entreprendre une traversée et courir des risques, tantôt supporter la pauvreté et parfois même mourir avant l’heure. »

Dans le deuxième moment de l'explication, l’auteur précise le véritable sujet de sa réflexion, à savoir la définition qu’il faut donner de la vie humaine en général. Loin de consister en une nature faite de propriétés abstraites, la vie humaine est au contraire constamment aux prises avec des événements particuliers dont la tournure est le plus souvent imprévisible pour l’individu même et vis-à-vis desquels il ne saurait totalement se détacher. Tant que l’on reste fidèle à la définition traditionnelle de la nature humaine, telle qu’elle est souvent proposée par les philosophes, on isole l’homme du reste du monde et on lui prévoit une évolution conforme à des prédispositions innées. Ainsi, en définissant, comme le fait Aristote, l’homme comme « un être doué de raison », on attribue une finalité à la vie humaine, on envisage la vieillesse, la richesse et la santé comme autant de conditions raisonnables pour être heureux. C’est pourquoi l’auteur dit à son lecteur : « il est selon la nature de vivre jusqu’à un âge avancé, de t’enrichir, de te bien porter. » On peut remarquer à quel point le texte remet en cause ce que l’opinion considère comme essentiel à la vie heureuse. Il insiste au contraire sur le caractère idéal et illusoire d'une telle approche en la contrastant avec des situations réelles dans lesquelles les hommes sont engagés au cours de leur vie. En envisageant le fait de « subir la maladie », « d’entreprendre une traversée » ou encore de « courir des risques », Épictète montre le caractère imprévisible des événements qui nous affectent, et indique à quel point nous dépendons le plus souvent de situations dont nous ne sommes pas maîtres. Il ne s'agit pourtant pas de remettre en cause la possibilité pour un homme d'être heureux. Il s’agit plutôt de rappeler aux hommes à quel point le cours de la vie dépend non de leur volonté mais de leur capacité à accepter de faire partie du tout de la nature elle-même. Le monde est fait d'événements dont la tournure n’est justement pas centrée sur la volonté des hommes. Ainsi, « supporter la pauvreté et parfois même mourir avant l’heure » sont autant d’épreuves que l’individu peut accepter en réalisant que ce qui arrive dans le monde ne dépend ni de sa volonté ni de sa nature. Dès lors, en quoi cette nouvelle conception de la vie humaine peut-elle changer notre rapport aux événements eux-mêmes et garantir la possibilité d’un bonheur dans l’existence ?

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Astuce

Il est utile de poser une question pour passer d’une partie à une autre.

Troisième partie : conséquence du raisonnement sur le lien de l’homme à la société

« Pourquoi donc te fâcher ? Ne sais-tu pas qu’isolé, pas plus que le pied ne sera un véritable pied, toi de même tu ne seras plus un homme ? Qu’est-ce, en effet, que l’homme ? Une partie d’une cité, de la première d’abord, de celle qui est constituée par les dieux et par les hommes, puis de celle qui, comme on dit, s’en rapproche le plus, et qui est une petite image de la cité universelle. »

Dans le dernier moment de son explication, l’auteur revient sur l’analogie entre la vie humaine et l’organisme vivant. De même qu’un organe existe au cœur de l’organisme, de même l’homme ne peut vraiment comprendre le sens de sa destinée qu’en replaçant son être dans le tout de la Cité à laquelle il appartient. « Qu’est-ce, en effet, que l’homme ? Une partie d’une cité, de la première d’abord, de celle qui est constituée par les dieux et par les hommes. » Épictète insiste sur la dimension politique de la vie humaine, l’homme se définissant comme citoyen appartenant à une communauté d’hommes libres. C’est de cette pluralité humaine que surviennent les événements qui nous affectent, c’est à travers elle que nous faisons face à leur adversité dans notre engagement pour la Cité. Cette conception politique de la vie humaine est emblématique de la pensée grecque. À travers l’éducation du citoyen (paideia), la Cité transmet les vertus sans lesquelles les hommes ne sauraient être considérés comme tels. Or de telles vertus ne s’exercent que dans l’action collective. Ainsi, très tôt, l’âme du citoyen reçoit un enseignement l’initiant aux liens essentiels qui unissent l’individu au reste de la Cité. C’est à cela que l’auteur fait allusion lorsque, à la fin du texte, il établit un parallèle entre la Cité et l’âme, elle « qui est une petite image de la cité universelle ». Cette analogie, déjà présente dans La République de Platon, établit un rapprochement entre les éléments structurant l’âme lorsqu'elle exerce les vertus, et les institutions de la cité : au courage des citoyens faisant vivre la démocratie, correspondrait ainsi l’effort de l’âme à accepter l'adversité des événements du monde.

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Astuce

On peut conclure en récapitulant la façon dont l’auteur résout la question posée dans l’introduction ainsi que son enjeu.

Conclusion :

On peut conclure en indiquant que, pour l’auteur, il serait illusoire de réduire l’essence de l’homme à une nature unique. Essentiellement exposé à la diversité des éléments du monde, l'homme est fait de la multitude des événements qui lui arrivent. Il fait toujours partie d’ensembles dont il ne peut se séparer, qu’ils appartiennent à la nature ou à la société. Ainsi, c’est dans la communauté humaine que l'individu peut devenir véritablement heureux. Le texte est donc une façon pour l’auteur d'indiquer au lecteur que seule une vision juste des rapports de l’homme à son environnement peut permettre d’atteindre la sérénité de l’âme et éviter le malheur dont il est victime, influencé qu’il est par l’opinion commune.