Corrigé Bac
Sujet zéro n° 1 - Philosophie 2021 - Corrigé - Sujet 1

Sujet 1

Le langage trahit-il la pensée ?

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Attention

Pour vous aider à visualiser le corrigé, nous allons mettre des titres aux différentes parties : vous ne devez bien sûr pas les écrire sur votre copie le jour de l’épreuve, mais vous pouvez les noter sur votre brouillon pour vous aider à structurer vos idées.

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Astuce

L’introduction doit avant tout poser un problème qui justifie la question ; un problème est un débat, une opposition entre deux éléments, entre deux idées contraires, ou bien un dilemme, ou encore la définition générale d’un concept qui vient s’opposer à la définition d’un autre concept : ici, langage / pensée. Vous avez donc le choix du procédé, mais dans tous les cas, il faut poser un vrai problème.

Introduction :

De façon classique, nous définissons la vérité comme une relation adéquate entre le langage et la pensée : dire ce que l’on pense serait dire la vérité. L’importance du lien entre le langage et la pensée tient donc dans le fait qu’il recèle la notion de vérité. Cependant, dire ce que l’on pense, c’est-à-dire avoir un langage fidèle à sa pensée, n’est possible que si les mots du langage constituent le reflet fidèle de nos idées, nos sentiments, nos souvenirs, et tout ce qui constitue une pensée. À l’inverse si les mots que nous utilisons ne sont pas le reflet fidèle de notre pensée, nous pouvons dire dans ce cas que le langage trahit la pensée. La difficulté est que les mots (ceux que nous avons appris) et nos pensées viennent de nous-mêmes : dès lors, si nos mots trahissent nos pensées, ne nous trahissons-nous pas alors nous-mêmes ? Cela est-il possible ? Plus largement, le langage en général trahit-il la pensée ?

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Astuce

La question ici est n’est pas posée sans raison, artificiellement : un problème la justifie.

Dans un premier temps nous verrons que l’esprit qui possède un bon langage possède en même temps un outil qui ne peut trahir sa pensée. Cependant, dans un deuxième temps, nous verrons que même avec un langage parfait, nos mots ne sont pas toujours fidèles à ce que nous pensons. Enfin, il arrive aussi que nos mots trahissent la pensée quand il s’agit de celle des autres.

Un bon langage est fidèle à la pensée

Le langage ne peut trahir la pensée dans la mesure où celui-ci est un moyen indissociable de sa fin, à savoir la pensée, mais aussi son expression. Qu’est-ce qu’un langage ? Le langage se définit comme un système de signes codifiés et articulés, notamment en vue de la pensée, c’est-à-dire tout ce qui constitue notre vie intérieure.

La formation réciproque langage/pensée

On peut considérer que le langage et la pensée se forment conjointement. La psychologie du développement de l’enfant observe que les deux entretiennent une relation de réciprocité dynamique : penser favorise la parole et parler (en acquérant des mots et une syntaxe) favorise la pensée. Piaget par exemple, dans Le Langage et la Pensée chez l’enfant, examine le monologue de l’enfant quand celui-ci se parle à lui-même. C’est un phénomène montrant que la parole n’est pas faite seulement pour communiquer avec autrui, dirigée vers le monde extérieur et social, mais qu’elle est aussi tournée vers le sujet lui-même, c’est-à-dire son monde intérieur, sa pensée. Par le langage, l’enfant se représente à lui-même sa pensée, sur un mode spontané qui garantit une forme d’authenticité et de sincérité de la parole exprimant un imaginaire sur le mode de l’immédiateté. La fidélité de la parole à la pensée se constate aussi dans les dialogues enfantins. Si un enfant dit à un autre « tu es le voleur et je suis le gendarme », ce qu’il dit reflète exactement son désir, son intention préalablement pensée.

Nous pensons dans les mots

Penser signifie aussi conceptualiser, c’est-à-dire penser le monde et ses éléments par des concepts généraux qui sont des mots du langage. C’est en ce sens que Hegel, dans sa Philosophie de l’esprit, écrit : « c’est dans les mots que nous pensons ». Le langage est donc consubstantiel à la pensée. Nous n’avons réellement la conscience de nos pensées que si celles-ci prennent la forme objective en nous. Le « son articulé », c’est-à-dire le mot, est ce qui donne à nos pensées leur réalité. À l’inverse, sans les mots en nous, nous ne pouvons penser. La pensée et les mots sont indissociablement liés. Avec des mots flous et imparfaits, la pensée est floue et imparfaite. Ainsi, « le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie ». C’est donc bien la vérité, le fait de la penser et l’énoncer, ne serait-ce qu’intérieurement, qui est la marque de la fidélité et de la sincérité du langage à l’égard de la pensée. Ainsi, le langage étant consubstantiel à la pensée, il ne peut trahir cette dernière, c’est-à-dire lui être infidèle.

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Une transition critique est indispensable avant de passer à la partie suivante.

Cependant, il nous arrive de chercher nos mots. Il nous arrive aussi de sentir que nos mots ne sont pas à la hauteur de nos idées. Pire : l’exemple du lapsus montre que nous pouvons dire quelque chose que nous ne voulions pas dire. Le lapsus est donc un acte du langage qui trahit sinon notre pensée, du moins notre volonté.

Même un langage parfait peut trahir la pensée

Le langage n’est pas à la hauteur de nos idées et de nos sentiments

Ainsi, nos mots ne sont pas toujours fidèles à ce que nous pensons. La pensée ne se réduit pas à des concepts : nos pensées sont aussi des représentations qui émanent de nos sentiments et de nos émotions. Or, il nous arrive souvent de ne pas trouver les mots pour exprimer un sentiment intense par exemple. En ce sens, les mots que nous allons quand même utiliser trahissent la précision de nos pensées. Bergson, dans Le Rire, explique ce phénomène. Selon lui, les mots ne sont que des « étiquettes » que nous collons sur nos idées. Les mots désignent des généralités (par exemple « le chat ») alors que la représentation personnelle d’un chat peut produire une résonnance propre, que « le chat » ne peut refléter. Le mot est banal, c’est-à-dire partagé, utilisé conventionnellement par tous. À l’inverse, les éléments de notre vie intérieure et notre rapport aux choses extérieures sont intimes. Comment une pensée personnelle et originale pourrait-elle s’exprimer adéquatement par ces outils aussi impersonnels que courants, que sont les mots de notre langage ? Ma haine n’est que ma haine ; mais, pour le dire, le mot « haine » ne m’appartient pas en propre.

Notre pensée imparfaite ne peut pas trouver son langage et ses concepts

Si nos mots ne sont pas toujours fidèles à ce que nous pensons, l’inverse est vrai aussi, notre pensée n’est pas toujours fidèle à nos mots ; la trahison fonctionne dans les deux sens. Reposons-nous la question : qu’est-ce que la pensée ? Descartes, au début de la troisième partie des Méditations métaphysiques se demande : que suis-je ? Il répond ainsi : « une chose qui pense ». Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est « une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. » La pensée ne se réduit donc pas à un acte d’intellection abstrait. Elle est, au contraire, la réalité concrète de la vie intérieure, faite notamment d’une diversité d’images (« qui imagine » dit Descartes). Or, ces éléments de la pensée que sont les images mentales ne trahissent-ils pas nos mots dans leur incapacité à se les représenter parfaitement ? Descartes prend cet exemple : si j’imagine en mon esprit une figure à mille côtés égaux, je ne verrai en moi rien d’autre qu’une forme indistincte, proche d’un cercle très imprécis. Pourtant, il existe un mot pour désigner cette figure : « chiliogone ». Pour que ma pensée et mes mots concordent, il faut une définition de ces mots et non simplement une image, une représentation vague. Ainsi, tout, dans la pensée, ne peut se dire fidèlement avec des mots : les notions mathématiques par exemple (chiliogone, égalité, ou addition) correspondent à des mots précis s’ils sont conçus mais ne correspondent à rien de concret s’ils sont simplement imaginés.

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Une transition critique est indispensable avant de passer à la partie suivante.

Telles sont les raisons pour lesquelles notre langage peut trahir notre pensée. Cependant, « la pensée » ne se réduit pas à « ma pensée », celle que je voudrais exprimer. La pensée est également celle des autres. Il nous arrive couramment, par un usage particulier de notre langage, de juger et de trahir la pensée, et notamment la pensée d’autrui.

Notre langage trahit surtout la pensée des autres

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Astuce

La troisième partie doit pouvoir être l’affirmation d’une pensée propre, sortant un peu des sentiers battus

Mes mots trahissent les pensées de l’autre afin de lui donner tort

Mes mots trahissent souvent la pensée qui n’est pas la mienne, volontairement ou involontairement. Volontairement, il peut exister une mauvaise foi dans l’usage de mon langage quand je veux donner tort à autrui et à sa pensée. Dire la vérité et avoir raison sont deux choses bien différentes. Il se peut donc que j’aie raison par mes mots, mais en trahissant la pensée pourtant vraie que je voudrais combattre. La rhétorique et la sophistique, par exemple, que Socrate condamne, sont des techniques destinées non à dire ou à faire dire la vérité, mais à mettre son interlocuteur dans l’embarras, à faire passer pour faux ce qui est vrai, ou vrai ce qui est faux. Par exemple, quelqu’un vous traite de menteur, avec des preuves incontestables à l’appui. Vous répondez : « J’admets : je suis un menteur. Or, ce que je viens de dire là est vrai. Si je dis la vérité, je ne peux mentir. Donc, quand vous dites que je suis en menteur, cela signifie que je ne suis pas un menteur. Ainsi, je dis vrai. C’est vous le menteur. » Schopenhauer, dans son livre L’Art d’avoir toujours raison, nomme ce procédé « retorsio argumentio », argument retors, c’est-à-dire qui se retourne de façon spécieuse contre son auteur. Ici, le langage n’est plus un outil au service de la vérité, mais un outil de pouvoir exercé sur autrui qui trahit le bien-fondé de sa pensée.

Comment mes mots peuvent-ils comprendre la pensée de l’autre ?

C’est en outre involontairement et de bonne foi que le langage trahit, sinon complètement, du moins partiellement, la pensée des êtres humains. Cette difficulté nous renvoie à la question de l’interprétation. L’interprétation d’une poésie faite par un critique littéraire, par exemple, constitue-elle un usage du langage qui trahit la pensée du poète ? À la lettre, oui, car toute interprétation critique est un jugement personnel, subjectif, qui dévie par rapport au texte initial. Mais, en même temps, ne pas dévier de la pensée du poète reviendrait à le répéter, ce qui n’aurait aucun intérêt. L’interprétation d’une poésie est une « trahison » nécessaire qui, probablement, change le texte lui-même mais sans en changer le sens. Au contraire, expliquer un texte, c’est être infidèle à sa lettre afin d’être fidèle à son esprit. Schleiermacher, dans Herméneutique et Critique, distingue en ce sens interprétation grammaticale (à la lettre) et interprétation psychologique (selon l’esprit). De là, si « on cherche en penser la même chose que l’auteur a voulu exprimer », on le dit différemment. Interpréter, c’est comprendre. Le concept d’interprétation se comprend ainsi au sens de l’interprète et traducteur. Le langage se constitue de langues diverses. Se pose alors cette question précise : traduire un texte d’un langue vers une autre langue, est-ce le trahir ? Là encore, la distinction entre la lettre et l’esprit – c’est-à-dire traduire le texte littéralement et le traduire dans son intention – est utile pour nuancer l’idée que le langage trahit (le mot est finalement fort) la pensée : c’est plutôt une interprétation ou une traduction littérale de la pensée d’un texte qui finirait par le trahir en le vidant de son sens. C’est d’ailleurs ce que font souvent les traducteurs automatiques.

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Astuce

On utilise la conclusion pour préciser sa prise de position finale, l’idée à laquelle on aboutit en fin de raisonnement et sur laquelle on s’engage.

Conclusion :

Ainsi, au-delà de la vérité que vise l’adéquation entre la pensée et le langage, le sens de notre langage, c’est-à-dire le fond de notre pensée, est ce que vise un texte ou une parole de bonne foi. Nous pouvons nous tromper (faire une erreur de traduction ou d’interprétation) mais la faute réside dans la mauvaise foi dont nous faisons preuve quand, par un usage perverti du langage, nous trahissons la pensée d’autrui. Mais nous trahissons aussi parfois notre propre pensée : c’est ce que nous nommons le mensonge. En tout état de cause, il semble exister plusieurs degrés de gravité dans la trahison de la pensée par le langage : déformer volontairement les idées d’autrui est bien plus problématique au plan moral qu’une simple maladresse de vocabulaire.