Sujet 4 Expliquer le texte suivant : La découverte de la vérité est tout à la fois difficile en un sens ; et, en un autre sens, elle est facile. Ce qui prouve cette double assertion, c'est que personne ne peut atteindre complètement le vrai et que personne non plus n'y échoue complètement, mais que chacun apporte quelque chose à l'explication de la nature. Individuellement, ou l'on n'y contribue en rien, ou l'on n'y contribue que pour peu de chose ; mais de tous les efforts réunis, il ne laisse pas que de sortir un résultat considérable. Si donc il nous est permis de dire ici, comme dans le proverbe : « Quel archer serait assez maladroit pour ne pas mettre sa flèche dans une porte ? » à ce point de vue, la recherche de la vérité n'offre point de difficulté sérieuse ; mais, d'autre part, ce qui atteste combien cette recherche est difficile, c'est l'impossibilité absolue où nous sommes, tout en connaissant un peu l'ensemble des choses, d'en connaître également bien le détail. Peut-être aussi, la difficulté se présentant sous deux faces, il se peut fort bien que la cause de notre embarras ne soit pas dans les choses elles-mêmes, mais qu'elle soit en nous. De même que les oiseaux de nuit n'ont pas les yeux faits pour supporter l'éclat du jour, de même l'intelligence de notre âme éprouve un pareil éblouissement devant les phénomènes qui sont par leur nature les plus splendides entre tous. ARISTOTE, Métaphysique, IVe siècle av. J.-C. |
Une introduction d’explication de texte doit comporter 5 éléments :
- un problème qui justifie le texte,
- une question que le texte pose,
- l’objet du texte,
- sa thèse,
- et les étapes du texte, qui sont aussi celles du développement de l’explication.
Il convient de distinguer d’une part la vérité, d’autre part la recherche et la saisie de la vérité. La vérité peut exister en elle-même, indépendamment de l’esprit humain qui la recherche : par exemple la vérité sur l’origine de toute chose, la cause première de tout être. La recherche et la saisie humaine de cette vérité posent dès lors différents problèmes, notamment celui de savoir si nous avons les capacités intellectuelles et physiques de trouver et de saisir cette vérité qui nous dépasse. On dit d’untel qu’il a trouvé la vérité, c’est-à-dire dans sa totalité et à lui tout seul. Mais justement, à lui tout seul, un être humain est-il capable de saisir la vérité tout entière ? Trouve-t-on la vérité seul et dans sa totalité à la fois ? Aristote, dans cet extrait de sa Métaphysique dont l’objet est la découverte de la vérité, pose la thèse suivante : la saisie de la vérité résulte d’un assemblage logique des différentes saisies partielles de la même vérité que chacun peut réaliser. Cette idée n’est pas sans implications, qu’Aristote expose au fur et à mesure de son raisonnement. Tout d’abord (jusqu’à « considérable »), la saisie de la vérité est difficile si on la vise totalement mais facile si on la vise tout court, certains qu’on est alors d’en découvrir un aspect qui viendra compléter les autres découvertes. Ensuite (jusqu’à « détail »), Aristote précise que l’impossibilité de découvrir la vérité en totalité vient, non pas d’une incapacité à l’embrasser, mais à en connaître les détails, l’ensemble des détails. Enfin, pour le philosophe, cette incapacité vient, non pas de la vérité, mais de nous : nous manquons de clairvoyance et d’acuité pout tout voir de la vérité.
Le développement de l’explication doit être linéaire, c’est-à-dire suivre l’ordre des idées du raisonnement. Par exemple, si le texte a 3 parties, faites 3 paragraphes.
Qu’est-ce qu’Aristote entend ici par « vérité » ?
Il faut commencer par définir les concepts du texte.
La vérité n’est pas une connaissance que l’on invente ou que l’on établit, comme en science où l’on définit un système permettant de faire apparaître la vérité d’un fait puis d’établir une loi physique vraie. Pour Aristote, la vérité, au contraire, est l’objet d’une « découverte ». On la « dé-couvre ». Autrement dit, elle existe avant qu’on la recherche. Elle précède l’esprit humain.
On continue en donnant des exemples.
Par exemple, rechercher la vérité sur l’origine du monde, c’est rechercher une vérité qui nous préexiste et nous dépasse, et qui est donc transcendante. Il en va de même pour la connaissance de la nature. Nous pourrions penser que la découverte de la vérité pose toujours de grandes difficultés. Aristote est plus nuancé. En effet, selon lui, la saisie de la vérité est difficile pour une seule personne, si celle-ci vise une saisie totale, « complètement ». Cependant, il ne faut pas renoncer, comme le font les philosophes sceptiques, à rechercher la vérité car, de cette recherche, l’accès à une partie de la vérité sera toujours possible. C’est pour cette raison qu’Aristote ajoute que, si la recherche de la vérité est difficile quand nous la visons complètement, elle est facile quand nous la visons partiellement. La leçon à tirer est la suivante : la recherche de la vérité n’est jamais un échec. Nous pouvons toutefois nous demander : à quoi sert le fait de ramener de sa recherche juste un « morceau » de vérité ? C’est que cette recherche est présentée comme une contribution : par la saisie fragmentaire de la vérité on « contribue », même peu, à une reconstitution de la vérité.
En parallèle des concepts du texte, citez les phrases essentielles de celui-ci.
« Chacun apporte quelque chose à l’explication de la nature », chacun apporte sa pierre à l’édifice de la connaissance qui saisit la vérité : untel sur la réfraction de la lumière, un autre sur la composition de la lumière, un autre encore sur notre vision sensorielle. L’ensemble de ces découvertes donnera une théorie vraie sur la perception optique des phénomènes. Des « efforts réunis », assemblés de façon logique, sera produit « un résultat considérable » qui, s’il n’est pas la vérité en son entier, y contribuera.
La vérité est donc la vérité de la réalité de ce qui est recherché, mais aussi la connaissance vraie de cette réalité, dans son intégralité et toutes ses parties réunies.
Il est pertinent de poser sur le texte quelques éclairages extérieurs, qui confirment, nuancent ou contredisent le texte.
En ce sens, le philosophe arabe Al-Kindi, considère également, dans son Épître sur la philosophie première que c’est historiquement et collectivement que la vérité métaphysique, la vérité première, se révèle. Découvrir la vérité nécessite la collaboration et la solidarité des penseurs d’époques et même de cultures différentes. Il écrit : « Si donc on rassemble le peu qu’a atteint chacun de ceux qui ont atteint le vrai, la somme en est quelque chose d’imposant. » Manquer le Vrai, le Haqq dans sa totalité, c’est participer quand même à l’établissement du Haqq, en disant quelque chose de vrai.
Il est utile de poser une question pour passer d’une partie à une autre
Mais, plus précisément, qu’est-ce qui empêche une personne, à elle seule, de saisir la vérité dans son intégralité ?
C’est à cette question qu’Aristote va répondre dans un deuxième temps. Cette impossibilité est due à notre incapacité à voir le détail et les détails du réel, c’est-à-dire chacune de ses parties et sous-parties, ensemble et en même temps. Pour expliquer cette idée, le philosophe fait une comparaison avec un archer, tirée d’un proverbe. À une distance peu importante, un archer ne peut pas ne pas mettre sa flèche dans une porte (une grande cible). Cette image permet de dire que celui qui cherche la vérité trouvera toujours quelque chose de celle-ci, tellement est générale. « Il n’y a de science que du général », écrit Aristote. Mais cette caractéristique de la science et de la connaissance vraie se heurte justement à la difficulté de la généralisation : d’une seule partie de la vérité, nous ne pouvons en saisir la totalité ; pour cela, il faudrait saisir tous ensemble tous les détails de la vérité générale. Que l’archer atteigne la porte ne signifie pas qu’il puisse atteindre, avec une multitude de flèches, une multitude de points de la porte, les uns après les autre, et qu’il pourra à lui tout seul recouvrir la porte d’un ensemble organisé de flèches. L’impossibilité de saisir la vérité totale tient au fait que nous ne connaissions pas tous les éléments de la nature ou du monde. Par exemple, nous savons aujourd’hui qu’il y a un univers. Nous en connaissons avec certitude certaines composantes et nous savons expliquer certains phénomène de façon vraie. Mais des « détails », des moments, des lieux et des faits de l’univers, restent toujours dans l’inconnu (par exemple, l’explication scientifique et expérimentale des trous noirs). Ou encore, le simple fait que nous ne connaissions pas de façon absolument vraie la destination du système solaire (mais seulement par des hypothèses pour l’heure non vérifiables expérimentalement), fait que nous ne pouvons pas en établir une vérité complète.
Mais à quoi cette impossibilité est-elle due ? Est-ce la nature qui ne se laisse pas connaître ? Est-ce le réel qui n’aurait aucun sens, ou qui, malgré la demande de l’être humain, refuse de nous le livrer comme le pense Camus ? Ou encore, avons-nous vraiment les capacités de tout voir de la vérité ?
Ce sont ces deux faces possibles de l’ignorance que suggère Aristote au début de son troisième argument.
Face un : nous ne connaissons pas la vérité dans sa totalité parce qu’il est dans la nature de la vérité de ne pas se laisser connaître ainsi. Cette impossibilité tiendrait aussi à la logique des choses : comment connaître la vérité du point de vue de son passé et de son avenir, si ces aspects ne sont plus et ne sont pas encore, si l’origine et la finalité de la nature sont invérifiables, c’est-à-dire non soumis à des processus de vérification qui, par définition, servent à découvrir une vérité.
Face deux : ce n’est pas à cause de la nature, mais du rapport épistémologique que nous entretenons avec elle, que je ne peux en connaître à moi tout seul la vérité complète. Autrement dit, pour Aristote, l’impossibilité tient avant tout à mon incapacité. Elle est de mon côté. La vérité n’est pas embarrassante ; c’est nous qui sommes dans « l’embarras », c’est-à-dire insuffisamment structurés au plan intellectuel pour voir tous les aspects, toutes les parties et tous les moments de la vérité du monde. L’embarras n’est pas « dans les choses elles-mêmes » mais « en nous ». Aristote utilise une seconde image comparative pour exprimer ce qu’est l’ignorance individuelle qui empêche de voir la vérité, et pour préciser que ce qui est relatif ne relève pas de la vérité mais de nos aptitudes intellectuelles. L’image est la suivante : nous sommes comme des animaux nyctalopes (la chouette par exemple, qui voit dans l’obscurité, mais seulement dans l’obscurité) dont la vision ne se fait que relativement à des capacité physiologique : en pleine lumière (symbole du savoir), nous sommes éblouis et nous ne voyons rien. Ici, l’éblouissement subi par l’animal nocturne représente notre éblouissement, la petitesse de notre « intelligence » devant ce qu’Aristote nomme « les phénomènes […] les plus splendides » c’est-à-dire ceux qui relèvent le plus la vérité. De quoi s’agit-il ? En toute hypothèse, il peut s’agir des causes premières ou finale du monde qui, dans notre « âme », se situent au-delà de la simple intelligence qui consiste à raisonner ou à calculer. Saisir leur vérité ne nécessiterait-il pas une autre puissance intelligible, en notre « âme », comme par exemple l’intuition ? L’intuition est un type de savoir par lequel une seule et même personne serait capable d’embrasser la totalité de la vérité. Par exemple, Descartes appelle « intuition » la connaissance immédiate, évidente et certaine de la vérité d'une idée par sa nécessité intrinsèque. En géométrie, par exemple : le tout ne peut être plus petit que la somme de ses parties : ou encore : 2 + 2 = 4. En philosophie : « je suis une chose qui pense » ne peut être faux pour le sujet pensant puisqu’au moment où il énonce cette idée, il la pense. L’intuition prouve qu’un seul et même esprit peut découvrir une vérité universelle et générale. Mais le raisonnement démonstratif, la science qui opère par déduction logique, semble constituer pour Aristote la clé de la découverte, dès lors partielle, de la vérité. Or personne ne semble capable à lui-tout seul, sur ce mode de connaissance, de tout savoir de la vérité.
On peut conclure en récapitulant la façon dont l’auteur résout la question posée dans l’introduction ainsi que son enjeu.
La vérité est-elle intuition du sujet ? Est-elle, au contraire, démontrée dans un mouvement qui est celui, par exemple, de la culture partagée et de l’histoire des sciences ? Un être humain peut-il à lui tout seul voir et posséder la vérité ? C’est ce que prétendent toutes les formes de dogmatisme ou de dictature, ou encore les arguments d’autorité par lesquels on décrète que la vérité viendrait de tel ou tel penseur (ce qu’a subi la postérité d’Aristote lui-même, sous l’influence de disciples zélés). Mieux vaut avoir, devant la vérité qui nous dépasse, une attitude d’humilité, considérer que personne ne peut être à la hauteur de celle-ci et, pour considérer comme Nietzsche – qui dira : « À deux commence la vérité » dans Le Gai Savoir – qu’elle se découvre à plusieurs et qu’elle n’appartient à personne en particulier.