Avancées des démocraties : les exemples du Portugal et de l’Espagne de 1974 à 1982

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Introduction :

Sortant de la dictature au milieu des années 1970, entrant dans la communauté européenne en 1986, l’Espagne et le Portugal partagent assurément un destin commun de transition démocratique.

Un coup d’État au Portugal met fin à la république parlementaire en 1926. Antonio de Oliveira Salazar installe un nouveau régime autoritaire, l’Estado Novo (l’« État nouveau ») en 1933. Il meurt le 27 juillet 1970. Son successeur, Marcelo Caetano, est renversé lors de la révolution des Œillets en avril 1974, marquant la fin du régime autoritaire.
Un coup d’État en Espagne amène une dictature militaire en 1923. En 1936, l’Espagne sombre dans la guerre civile, à l’issue de laquelle s’impose le général Franco, qui concentre tous les pouvoirs de 1939 jusqu’à sa mort en 1975. Les premières élections libres ont lieu en 1977.

En quoi l’analyse comparée de ces deux cas nous permet-elle de mieux comprendre le phénomène de transition démocratique ?
Après avoir présenté quelques éléments théoriques de la transition démocratique, nous en verrons la pratique à travers les exemples de l’Espagne et du Portugal.

Comprendre le processus de transition démocratique

Chronologie des vagues de démocratisation

La théorie des vagues de démocratisation est exposée par le sociologue américain Samuel Huntington dans son ouvrage La Troisième Vague (The Third Wave), publié en 1991.
Il distingue trois vagues de démocratisation qui se succèdent à l’échelle mondiale.

  • La première vague succède aux révolutions américaine et française et caractérise le XIXe siècle.
  • La deuxième vague a lieu après la Seconde Guerre mondiale avec la fin du nazisme.
  • La troisième vague est celle qui nous intéresse plus particulièrement. Elle s’étend du milieu des années 1970 à la fin des années 1990. Elle commence durant l’année 1974 au Portugal, avec la révolution des Œillets, puis avec la disparition du régime franquiste en Espagne. En Europe, la démocratisation concerne également la Grèce. Dans le reste du monde, elle concerne aussi la construction des régimes démocratiques en Amérique du Sud avec la fin des dictatures militaires au Brésil et en Argentine dans les années 1980, sans oublier le Chili qui fait sa transition démocratique entre 1988 et 1990 avec la défaite du général Pinochet. La période des années 1990 connaît l’implosion de l’URSS et la démocratisation progressive de ses satellites d’Europe de l’Est, mais aussi la démocratisation de certains pays africains, comme l’Afrique du Sud ou le Bénin, et de pays asiatiques, comme la Corée du Sud.

Cette troisième vague a inspiré Francis Fukuyama, chercheur en économie politique américain, qui élabore le concept controversé de « fin de l’histoire ». La « fin de l’histoire » signifie pour lui la convergence progressive des différents régimes vers la démocratie libérale. Cette vision controversée a vu le jour avec la fin de la guerre froide, mais il n’existe pas de consensus mondial autour de cette convergence supposée : certains chercheurs considèrent qu’on observe une « tendance lourde » à l’échelle mondiale dans cette direction, d’autres que la démocratie libérale à l’occidentale est en reflux.

Les incertitudes de la transition démocratique

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Définition

Transition démocratique :

C’est le passage d’un régime autoritaire à un régime démocratique, c’est-à-dire l’intervalle de temps entre la chute d’une dictature et l’établissement d’un régime démocratique.

Cet intervalle de temps se caractérise par une incertitude forte.
Les chercheurs s’intéressant aux régimes de transition politique (transitologie), notamment les politologue Guillermo O’Donnell et Philippe C. Schmitter, insistent sur cette incertitude qui est inhérente au processus de démocratisation.

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Définition

Transitologie :

Étude du processus de changement d’un régime politique à un autre.

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À retenir

Les changements de régime sont très rarement linéaires, et les périodes de transition sont souvent des périodes de fortes tensions entre les différents acteurs.

Quels sont alors les différents facteurs permettant l’évolution des régimes politiques ? Y a-t-il des facteurs favorables à plus de démocratie ?

Les facteurs de démocratisation

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À retenir

Il existe plusieurs types de facteurs de démocratisation, dont notamment :

  • ceux centrés sur les structures (institutions, économie, société, géopolitique) ;
  • et ceux centrés sur les acteurs (acteurs au pouvoir, acteurs dans l’opposition, acteurs de la société civile).

Les facteurs structurels favorisant la démocratisation peuvent être internes et externes.
Un exemple de facteur interne socio-économique : le niveau de développement d’un pays (IDH en hausse, réduction des inégalités, accès à l’éducation…) peut être un facteur favorable à un processus de démocratisation.
Un exemple de facteur externe : par intérêt, idéologie ou par opportunité, certains États ou organisations internationales peuvent chercher à influencer les évolutions politiques d’autres pays ou territoires, parfois dans le sens d’une plus forte démocratisation.

  • Mais les facteurs structurels ne suffisent pas à eux seuls à expliquer l’enclenchement d’un processus de transition démocratique : ils ne sont que des ingrédients considérés comme favorables, et des contre-exemples existent d’ailleurs, notamment sur le facteur économique (ex. : l’Arabie saoudite a un PIB important et un IDH en hausse, mais ce n’est pas une démocratie).

Il convient alors de s’intéresser au rôle des acteurs dans le processus de transition démocratique. En effet, la démocratisation est souvent le fruit de confrontations politiques, qui peuvent donner lieu par exemple à des négociations ou des révolutions.
Un exemple de négociation conduisant à la transition démocratique : dans un contexte de tensions internes faisant peser un fort risque d’instabilité sur le pays, les élites politiques au pouvoir et celles dans l’opposition parviennent à trouver un terrain d’entente afin de trouver une sortie de crise démocratique fondée sur l’intérêt du plus grand nombre.

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Définition

Élites :

Les élites forment une minorité dominante au sein de la société. Elles détiennent les postes de responsabilité et possèdent les pouvoirs politique, économique et symbolique.

Un autre exemple : la société civile parvient à se mobiliser et amener au pouvoir de nouveaux leaders en faveurs de la démocratie pour remplacer les dictateurs.

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Définition

Société civile :

En sciences politiques, la société civile est l’ensemble des associations, des organisations et des groupes de réflexion (think tank).
Cette société civile, organisée et impliquée dans la vie politique, peut prendre des initiatives pour impulser des changements politiques.

  • Dans la réalité, le rôle des élites (politiques et économiques) et celui des acteurs de la société civile (citoyens, mouvements, associations…) sont entremêlés et méritent donc d’être analysés de manière conjointe, que ce soit dans les rapports de force, d’entrainement ou de convergence des idées.
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À retenir

L’impulsion vers un changement de régime plus démocratique résulte ainsi généralement d’une combinaison d’acteurs très variés qui se retrouvent et s’organisent autour de principes et/ou intérêts communs.
Nous pouvons donc voir que le processus de démocratisation est un processus complexe (facteurs multiples), non linéaire, dont l’aboutissement n’est pas garanti.

Observons à présent deux trajectoires de transition durant la troisième vague de démocratisation à travers les exemples de l’Espagne et du Portugal.

La comparaison des exemples de transition démocratique en Espagne et au Portugal

Nous utiliserons une démarche comparative pour étudier l’importance des facteurs internes et externes, la mobilisation des acteurs, mais aussi les incertitudes d’un processus qui conduisent, dans les deux cas présents, à la démocratisation.

frises des transitions démocratiques portugaise et espagnole

Le contexte socio-économique et le contexte international

Sur le plan international, il existe une grande différence entre l’Espagne et le Portugal.
Le Portugal a en effet mené des guerres coloniales en Angola, en Guinée-Bissau et au Mozambique entre 1961 et 1974 pour écraser les révoltes indépendantistes.

Alt texte Soldats portugais dans la jungle d’Angola durant les guerres coloniales, ©Joaquim Coelho

Conserver son empire colonial est, pour la dictature portugaise, un moyen de garder un certain prestige et des atouts commerciaux. Mais cela nécessite une mobilisation militaire et un effort financier qui fragilisent le Portugal. L’opposition aux guerres coloniales, au sein même de l’armée, est source de déstabilisation. Tandis que les conflits s’enlisent dans les colonies, le soutien de l’armée, pourtant pilier politique de la dictature portugaise est donc compromis. La contestation s’organise pour provoquer un changement politique, et l’idée de décolonisation est avancée comme la seule solution possible pour sortir de cette situation chaotique.

  • Décoloniser (pour résoudre la crise coloniale) et démocratiser (pour remplacer le gouvernement en place, qui cristallise les mécontentements) sont deux objectifs qui vont alors se rejoindre.

Sur le plan économique, les deux États de la péninsule ibérique sont ébranlés par le premier choc pétrolier de 1973. Les économies étaient fragilisées ce qui a entraîné une inflation et une augmentation du chômage, donc une montée de la contestation face à la détérioration de la situation économique et sociale. Les mouvements sociaux sont violemment réprimés, ce qui ne fait qu’accentuer la montée de l’opposition.

Enfin, dans les deux cas, une partie des opposants à la dictature a pour objectif l’entrée dans la CEE (Communauté économique européenne). Intégrer la Communauté européenne, c’est à leur yeux faire le choix de partager les valeurs démocratiques des pays déjà membres.

  • L’attraction européenne donne une certaine impulsion à la démocratisation.
    À l’issue de la transition démocratique, les deux États intègrent la CEE en 1986.

Ces facteurs ont donc permis une usure de la dictature, mais rien n’était possible sans la lutte contre la dictature et l’effort de compromis de nombreux acteurs.

Le rôle majeur des acteurs au début du processus

Il nous faut considérer le rôle des élites mais aussi celui des mouvements populaires, parce que l’action de ces derniers, notamment au Portugal, a été très importante.

C’est au Portugal que débutent les prémisses de la démocratisation dans la péninsule avec la révolution des Œillets, dans la nuit du 24 au 25 avril 1974. Il s’agit d’une révolution pacifique déclenchée par le MFA (Mouvement des Forces Armées), avec à sa tête le général António de Spínola.

Alt texte Antonio de Spinola en 1974

Cette révolution est soutenue par des milliers de Portugais, lassés par les guerres coloniales (qui mobilisent et provoquent la mort de nombreux jeunes enrôlés) et inquiets des dépenses qu’elles représentent dans un contexte économique compliqué. Le peuple portugais descend ainsi dans la rue et pactise avec les militaires en vue d’un changement politique. Les œillets dans le canon des fusils ou à la boutonnière donnent un nom à cette révolution qui est donc à la fois militaire et populaire.

Alt texte Scène de liesse populaire dans les rues de Lisbonne, le 25 avril 1974

  • Il s’agit d’une transition originale : un coup d’État militaire qui s’est transformé en révolution et met fin à 48 ans de dictature.
    Spínola est nommé président de la République en attendant l’organisation des élections.

En Espagne, la chute du régime est liée au décès de Franco, acteur central du régime dictatorial en place.
Avant de décéder le 20 novembre 1975, Franco a choisi son successeur, Don Juan Carlos, héritier de la couronne d’Espagne. Franco est alors persuadé que celui-ci sera son légitime héritier et continuera sa politique.
Mais il est possible de voir les prémisses de la transition avant même la mort de Franco, lors de l’assassinat de Luis Carrero Blanco par l’ETA (organisation indépendantiste basque d’extrême gauche) le 20 décembre 1973. La mort de cet homme, symbole du franquisme pur et dur et principal homme de confiance de Franco, a permis à Juan Carlos de jouer un rôle de premier plan.

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Définition

ETA :

Organisation indépendantiste basque fondée en 1959.
Il s’agit initialement d’une organisation de résistance contre le régime dictatorial de Franco, dont l’action terroriste s’est ensuite poursuivie pour l’indépendance du Pays basque jusqu’en 2018 officiellement.

Le prince Don Juan Carlos est proclamé roi d’Espagne le 22 novembre 1975, sous le nom de Juan Carlos 1er.
Parmi les facteurs externes favorisant la transition démocratique, on peut mentionner la révolution des Œillets : en effet, la chute de la dictature dans le Portugal voisin a aussi eu une part d’influence sur le choix de l’orientation politique en Espagne : mieux vaux maitriser le changement de régime que de le subir. Face à la pression de la société civile et la violence qui commence à s’exprimer dans l’extrême-gauche, les partisans du régime dictatorial de France et les groupes indépendantistes, Juan Carlos 1er décide alors d’œuvrer pour l’établissement d’une monarchie parlementaire démocratique et se présente comme le réconciliateur de tous les Espagnols.

  • La transition espagnole est donc graduelle et sans rupture révolutionnaire, contrairement au Portugal.

Juan Carlos joue un rôle majeur dès le début du processus. Il joue, en fait, un rôle décisif à deux reprises.

  • Il initie la transition démocratique, avec l’appui d’Adolfo Suarez qu’il choisit pour présider le gouvernement, en organisant des élections libres en 1977 pour choisir les députés de l’Assemblée Constituante : ce sont les premières élections démocratiques depuis 1936. Elles sont suivies de la rédaction d’une nouvelle Constitution adoptée par référendum en 1978.

Alt texte Adolfo Suarez en 1977

  • Mais son rôle est encore plus décisif par la suite, lorsqu’il fait échouer le coup d’État militaire du 23 février 1981. Alors que le lieutenant-colonel Tejero s’empare de la chambre des députés, le roi, revêtu de l’uniforme de capitaine-général afin de montrer qu’il exerce l’autorité militaire, intervient à la télévision pour défendre la Constitution et la démocratie avec force et conviction. Cet épisode témoigne également du fait que le processus de démocratisation peut subir des à-coups et reste une trajectoire fragile, susceptible de ne pas aboutir.

Alt texte Le roi Juan Carlos s’adresse à la nation pour défendre la démocratie dans un discours télévisé dans la nuit du 23 au 24 février 1981, ©DR

Ainsi, aussi bien au Portugal qu’en Espagne, la transition démocratique connaît des incertitudes.

Les incertitudes de la transition démocratique

Les incertitudes de la transition démocratique dépendent du compromis possible ou non entre les acteurs.

Au Portugal, la transition dure environ deux ans.
Elle est marquée par de fortes tensions entre ceux qui détiennent le pouvoir économique et qui réagissent par une fuite des capitaux, et les organisations populaires autonomes qui occupent les usines et les terres.
Sur le terrain politique, ces tensions s’expriment par l’opposition entre la droite conservatrice et la gauche socialiste. Spínola, qui est l’instigateur de la Révolution, souhaite les pleins pouvoirs afin, selon lui, de sauver le pays du communisme. Mais le gouvernement provisoire comprend toutes les tendances politiques et les tentatives de renversement politique de Spínola échouent. Les divisions s’accentuent au sein de l’armée, mais aussi entre les partis de gauche communiste et socialiste, enfin entre les conservateurs nostalgiques de la dictature et les réformistes. On assiste donc ici à un processus de négociations et d’alliances politiques qui ne parvient pas à aboutir.
Le 11 mars 1975, l’extrême-droite militaire tente un coup d’État, mais des civils et des soldats s’interposent et le putsch échoue.
Le 25 avril 1975, l’Assemblée constituante est élue. Ce sont les premières élections libres depuis 1926 avec une participation de 91 %. Le Parti socialiste de Mario Soares obtient plus de 37 % des suffrages.

Alt texte Mario Soares en 1975

Le 25 novembre 1975, on assiste cette fois-ci à une tentative de coup d’État de la part d’une tendance de la gauche radicale au sein de l’armée. Toujours est-il que cette date vient mettre un terme aux affrontements au sein de l’armée.

  • Les responsables les plus radicaux sont discrédités et la Révolution portugaise suit dès lors une voie plus modérée. La date du 25 novembre amorce symboliquement le retour à une certaine stabilité dans la vie politique.

Il a fallu deux ans pour qu’une Assemblée constituante, très hétérogène politiquement, parvienne à rédiger une nouvelle constitution qui est approuvée le 2 avril 1976 et qui reflète des aspirations socialistes.
Le 25 avril 1976, les élections législatives sont remportées par la principale force politique du pays, le Parti socialiste de Mario Soares avec près de 35 % des suffrages.

Les années suivantes écartent progressivement le Portugal du modèle socialiste avant l’entrée du Portugal dans la CEE en 1986, permettant aux élites économiques plus conservatrices de retrouver une place dominante, mais la démocratie est alors bien enracinée.

En Espagne, la transition démocratique est assez longue d’un point de vue institutionnel. Elle s’étend de la mort du général Franco en 1975 jusqu’aux élections de 1982.
Néanmoins, si les réformes démocratiques se succèdent – liberté de presse et fondation du journal démocratique El Pais, multipartisme et légalisation du parti communiste, amnistie pour les prisonniers politiques, droit de réunion, d’association –, la violence menace régulièrement le processus de démocratisation. Elle est notamment perpétrée par des groupes terroristes, parmi lesquels les terroristes basques de l’ETA qui multiplient les attentats.

Les incertitudes du processus sont alors liées à la violence politique qui accompagne le plus souvent la construction démocratique.

Conclusion :

Au Portugal comme en Espagne, la dictature a été démantelée de l’intérieur (colonies comprises).
En Espagne, les modérés du franquisme se sont alliés aux modérés de l’opposition pour mettre en place la démocratie. En Espagne comme au Portugal, les élites politiques et militaires ont engagé des compromis.
Mais cette démocratisation ne se fait pas sans violence. De plus, sous prétexte de cohésion nationale, les crimes perpétrés pendant les dictatures sont occultés, et les responsables n’ont jamais été poursuivis. La transition démocratique s’accompagne alors, à terme, d’un long travail de mémoire permettant de reconnaître la souffrance des victimes des dictatures.