Comment mesurer le niveau de délinquance ?
Introduction :
La délinquance génère au sein de la population un sentiment de peur et d’insécurité. Cette insécurité est devenue une des préoccupations majeures des français, bien avant les préoccupations en matière de santé ou d’environnement : elle est intimement liée au phénomène de délinquance et perçue de manière différente par les hommes et les femmes. En effet, la proportion de femmes qui ressent l’insécurité est bien supérieure à celle des hommes.
Ce cours va nous permettre d’analyser d’abord ce qu’est la délinquance, en marge du sentiment d’insécurité qu’elle suscite, puis nous porterons notre attention sur les différentes manières de mesurer la délinquance.
Définition et types de délinquance
Définition et types de délinquance
Déviance :
La déviance correspond à la transgression d’une norme quelle qu’elle soit.
Délinquance :
La délinquance correspond à la transgression d’une norme juridique.
La délinquance correspond à trois types de comportements :
- les comportements les moins graves, comme un stationnement irrégulier ou des coups et blessures légères, sont sanctionnés par une contravention ;
- les délits sont des comportements déviants plus graves, comme le vol, les agressions sexuelles ou l’homicide involontaire ;
- les crimes sont les comportements déviants les plus grave comme le meurtre, le viol ou le terrorisme. Ces comportements délictueux sont traités d’abord par la police et la gendarmerie qui sont chargés de trouver le coupable présumé d’un acte délictueux. Puis cette personne, si elle est jugée coupable, est sanctionnée par un tribunal.
La mesure de la délinquance
La mesure de la délinquance
La première source d’information sur le niveau de délinquance est les statistiques des forces de l’ordre (police et gendarmerie) et de la justice. Cependant, au vu des critiques que ces statistiques reçoivent, un autre outil de mesure de la délinquance a été mis en place : les enquêtes de victimation. En regardant les données obtenues au travers de ces deux méthodes nous constaterons qu’il y a une différence plus ou moins importante en fonction de l’acte délictueux en cause.
Les statistiques officielles
Les statistiques officielles
Le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice enregistrent les plaintes déposées et les condamnations.
Plainte :
Une plainte est le moyen qui permet à une personne victime d’une infraction de saisir la justice. La plainte peut être déposée à la police ou à la gendarmerie.
Les statistiques policières mesurent les faits délictueux connus des services de la police et de la gendarmerie, ainsi que les crimes et délits transmis à la justice. Les faits délictueux peuvent être constatés directement par les forces de l’ordre ou au travers d’une plainte déposée par un individu.
Les statistiques de la justice mesurent les crimes et délits pour lesquels la justice a ouvert une procédure judiciaire, ainsi que les crimes et délits qui ont donné lieu à une condamnation.
Les statistiques officielles de la délinquance
Plusieurs remarques peuvent être faites par rapport à ces données officielles. Tout d’abord, les statistiques policières et les statistiques judiciaires ne coïncident pas. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation :
- tous les actes délictueux ne sont pas transmis à la justice, faute de suspect identifié ;
- la justice reçoit des affaires qui sont transmises par d’autres institutions, comme par exemple le service des douanes ;
- presque trois quarts des affaires reçues par la justice sont classées sans suite et ne donnent pas lieu à une condamnation ;
- certaines affaires traitées par la justice ne donnent pas lieu à une condamnation car elles font l’objet d’alternatives aux poursuites, comme par exemple la médiation.
De plus, les statistiques officielles ne reflètent pas l’ensemble de la délinquance : une part des actes délictueux n’est pas connue ni par les services de la police ni par la justice. En effet, soit certains actes délictueux ne sont pas constatés de manière directe, soit ils ne font l’objet d’aucune plainte de la part de la victime. On parle ainsi de criminalité découverte pour les actes délictueux connus, et de criminalité cachée pour les actes inconnus.
Criminalité découverte et criminalité cachée
Chiffre noir de la délinquance :
Le chiffre noir de la délinquance représente la différence entre la délinquance réelle (les actes connus plus les actes inconnus) et la délinquance connue au travers des statistiques officielles.
Ensuite, l’évolution des statistiques officielles ne permet pas de révéler l’évolution réelle de la délinquance : une augmentation des chiffres de ces statistiques peut être due à une augmentation de l’activité policière, qui permet à la police de découvrir plus d’actes délictueux.
Enfin, avec le développement de la théorie de l’étiquetage par le sociologue américain Howard Becker dans les années 1960, se pose la question de savoir si les statistiques officielles sont une construction sociale. En effet, les services de police peuvent focaliser leur action en fonction de l’origine ethnique ou socioéconomique des individus car ils appartiennent à des groupes considérés comme délinquants. De ce fait, il est possible que les statistiques officielles puissent montrer une plus grande délinquance de certains groupes, ou l’importance de certains actes par rapport à d’autres, non pas parce qu’il s’agit de la réalité de la société mais parce que l’attention des forces de l’ordre se portera plus sur ces groupes ou ces actes.
Les enquêtes de victimation
Les enquêtes de victimation
Une autre manière d’évaluer la délinquance est d’enquêter auprès des individus au travers d’enquêtes de victimation.
Enquêtes de victimation :
Ces enquêtes sont menées chaque année par l’INSEE, qui interroge un échantillon représentatif de la population sur les actes délictueux qu’ils ont subi au cours des deux dernières années. Elles permettent d’estimer le niveau de délinquance subi par la population.
Cette méthode permet ainsi de comptabiliser les actes subis mais qui n’ont pas abouti à une plainte de la part de la victime, comme par exemple les violences intrafamiliales ou les discriminations, qui font rarement l’objet d’une plainte devant les services de police.
Plusieurs critiques peuvent être apportées à cette méthode.
Tout d’abord, elle ne permet de mesurer que les actes délictueux qui font des victimes. Ainsi, des comportements délictueux ne seront pas comptabilisés car ils ne font pas de victimes directes, comme par exemple la fraude fiscale.
De plus, seuls sont interrogés les individus. En conséquence, les actes délictueux qui ont pour victime une entreprise, une association, une administration ou toute autre institution ne sont pas comptabilisés.
Ensuite, les données recueillies présentent une certaine subjectivité : un acte peut être considéré par une personne comme délictueux alors qu’il ne sera pas considéré comme tel par une autre personne. Ainsi, une insulte peut être vécue comme une agression par certaines personnes et elle peut ne pas être relevée par une autre.
Enfin, les individus peuvent se déclarer victimes par erreur : par exemple, un individu peut se croire victime d’un vol alors qu’il a simplement perdu l’objet en question.
Analyse des différences entre les statistiques et les enquêtes de victimation
Analyse des différences entre les statistiques et les enquêtes de victimation
On constate, que pour beaucoup d’actes délictueux, le taux de plaintes est inférieur à 100 %.
Taux de plaintes :
Le taux de plaintes est le rapport en pourcentage entre le nombre de plaintes et les actes subis et déclarés lors des enquêtes de victimation.
Cela signifie donc que pour une partie des actes subis, l’individu ne porte pas plainte. Dans ce cas, l’acte sera comptabilisé dans les enquêtes de victimation mais pas dans les statistiques officielles.
Ainsi, d’après l’enquête « Cadre de vie et sécurité » menée par l’INSEE, le taux de plaintes varie en fonction de l’acte subi :
- pour les vols de voitures il se situe entre 90 % et 100 % ;
- pour le cambriolage de la résidence principale il se situe entre 70 % et 80 % ;
- pour les tentatives de vol il se situe entre 30 % et 40 % ;
- pour les violences physiques hors ménage il est de 25 % ;
- pour les vandalismes contre la voiture il est de 18 % ;
- pour les violences physiques ou sexuelles à l’intérieur du ménage il est de 8 %.
La variation des taux de plaintes en fonction de l'acte subi
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces différences entre les actes subis et le nombre de plaintes. Dans le cas des vols, les assurances demandent qu’une plainte soit déposée ou au moins une déclaration à la police ce qui pousse l’individu à porter plainte. Lorsque la victime connaît l’agresseur, elle peut subir des pressions pour qu’elle ne le dénonce pas ou peut avoir peur des représailles. La victime peut également penser que porter plainte ne servira à rien soit parce que l’agression est de faible importance, soit parce qu’elle pense que la police a peu de chances de retrouver l’agresseur. Dans le cas des violences sexuelles, certaines victimes peuvent avoir peur ou honte que leurs proches les considèrent comme déshonorées. Enfin, la victime peut penser que porter plainte n’améliorera pas sa situation.
Conclusion :
La délinquance est un phénomène social qui présente des difficultés dans sa mesure. Quelle que soit la méthode choisie, elle ne permet de donner qu’une approximation de la délinquance réelle.