Des défis à relever qui fragilisent l'UE
Introduction :
La construction européenne est en perpétuelle évolution. Du fait de ses ambitions d’élargissement et d’intégration, elle doit sans cesse se réinventer. Elle est également traversée par des désaccords internes. Certains pays fondateurs souhaiteraient parvenir à une union politique que les PECO (Pays d’Europe centrale et orientale) refusent pour l’instant. Les tensions externes sont autant de défis à relever : comment répondre à la crise syrienne ? à l’afflux migratoire ? De plus, l’UE fait l’objet de critiques assez vives ces dernières années. Dans ces conditions, on peut s’interroger sur la capacité de l’UE à relever les défis qui l’attendent.
Pour répondre à cette interrogation, nous verrons d’abord que les pays membres et les citoyens ne sont pas toujours d’accord sur ce que doit être la construction européenne. Ensuite, certains domaines sont particulièrement sensibles et difficiles à harmoniser. Enfin, ces questionnements sont susceptibles d’affaiblir le rôle international de l’UE.
Quelle Europe à construire ?
Quelle Europe à construire ?
Depuis les débuts de la construction européenne, des débats ont lieu sur la façon de procéder. De plus, ces dernières années, les oppositions à l’UE se sont multipliées et ont conduit à la première sortie d’un pays : le Royaume-Uni.
Les différentes visions de la construction européenne
Les différentes visions de la construction européenne
Deux courants principaux discutent depuis le début de ce que doit être la construction européenne. La question qui divise est la suivante : doit-on aller vers un État fédéral ou chaque État membre doit-il conserver sa souveraineté ? Les réponses sont encore à ce jour très variées.
Selon certains, l’Union européenne doit aboutir à une simple coopération entre gouvernements et préserver la souveraineté nationale de chaque État. Les Français et les Britanniques (alors dans l’UE) sont plutôt des défenseurs de ce courant. Le Général de Gaulle, président de la République française de 1958 à 1969, a défendu cette conception dès le départ et elle a été largement suivie par ses successeurs.
« Construire l’Europe, c’est procéder non pas d’après des rêves, mais suivant des réalités. Quelles sont les réalités de l’Europe et quels sont les piliers sur lesquels on peut la bâtir ? En réalité, ce sont les États, les seules entités qui aient le droit d’ordonner et le pouvoir d’être obéis. »
Conférence de presse de Charles de Gaulle, septembre 1960 cité in B. Elissalde (sous la dir. de), Géopolitique de l’Europe, Paris, Nathan, 2017, p. 41
Charles de Gaulle préconisait donc une « Europe des patries ». De plus, il souhaitait que la France joue un rôle de premier plan dans cette Europe qui devait s’affranchir de l’influence des États-Unis.
La même remarque s’applique pour le Royaume-Uni. Margaret Thatcher, Premier ministre britannique de 1979 à 1990 et ses successeurs, furent partisans d’une souveraineté conservée par chacun au sein de l’Union. Dans un discours, en 2000, le Premier Ministre travailliste Tony Blair (1997-2007) eut cette formule qui résume aussi parfaitement cette idée : « De par sa force économique et politique, l’Europe peut être une super-puissance, mais pas un super-État ». C’est à ce titre d’ailleurs que les Britanniques refusèrent en 2002 l’adhésion à l’euro car cela signifiait l’abandon d’un symbole fort de leur souveraineté nationale.
Le deuxième courant défend une conception fédérale de l’Union européenne. Selon ses partisans, l’organisation doit dépasser le cadre des États. Pour y parvenir, chaque pays doit déléguer une partie de sa souveraineté. Les fondateurs du projet européen étaient fédéralistes. Les Allemands aussi défendent plutôt cette approche.
Un troisième courant s’est fait entendre avec l’entrée des PECO (Pays d’Europe centrale et orientale). Il s’agit d’une conception pragmatique de l’UE. Ces pays ont souhaité leur adhésion pour accéder à une plus grande prospérité, à une amélioration économique et sociale. Pour eux, l’UE se doit avant tout de garantir la sécurité économique et géopolitique.
À ces différents courants s’ajoutent ces dernières années une montée des critiques adressées à l’UE.
La montée des oppositions
La montée des oppositions
Le terme « eurosceptiques » est apparu dans les années 1980. Il désigne une attitude de méfiance envers l’efficacité de l’UE et une critique des politiques de l’UE. Le fonctionnement de l’UE est jugé trop technocratique, réservé à des experts qui oublient la réalité et la vie quotidienne des Européens. D’abord présent au Royaume-Uni, l’euroscepticisme n’a cessé de faire des adeptes. On en trouve désormais dans de nombreux pays membres et de nombreux citoyens ne se sentent plus concernés par le projet européen.
L’Eurobaromètre, qui mesure le sentiment d’appartenance des Européens à l’UE fait encore pourtant état d’une adhésion assez large, démentie toutefois par l’abstention lors des élections au Parlement européen.
La question posée était la suivante : « Veuillez me dire dans quelle mesure vous vous sentez attachés à l’Union européenne. » Ces résultats variés mais plutôt positifs sont contredits par un très fort taux d’abstention lors des élections européennes
En effet, depuis les premières élections (1979), ces taux d’abstention n’ont cessé de croître, passant d’environ 39 % à 50 % (2019) pour l’ensemble des États membres. Cette progression traduit bien une incompréhension, un manque d’intérêt vis-à-vis du projet européen.
Pour certains, ce rejet va jusqu’à la volonté de sortir de l’Union européenne. Les partis politiques antieuropéens s’affirment de plus en plus clairement en Belgique, en France, en Italie. Quant au Royaume-Uni, le référendum du 23 juin 2016 a vu la victoire du « Leave » (partir) contre le « Remain » (rester). Le Brexit l’a donc emporté avec 51,9 % des voix et est devenu effectif depuis le 31 janvier 2020.
L’Union européenne doit donc retrouver la confiance, l’adhésion des populations à son projet mais elle doit aussi relever des défis concernant l’harmonisation de politiques dans des domaines particulièrement sensibles comme la défense, la fiscalité ou encore l’immigration.
Une difficile harmonisation de politiques communes
Une difficile harmonisation de politiques communes
Certains domaines sont plus compliqués que d’autres à harmoniser au niveau européen car ils touchent directement la souveraineté des États. Des tentatives anciennes existent néanmoins. D’autres questions à l’origine de tensions entre les États membres sont directement liées à l’actualité récente.
Défense et fiscalité : des tentatives d’harmonisation anciennes
Défense et fiscalité : des tentatives d’harmonisation anciennes
Dès 1953, un premier projet a vu le jour : la CED (Communauté européenne de défense). Un ministre européen de la Défense était prévu pour la coordination des actions des six pays membres en matière de Défense. Cependant, le Parlement français a refusé de ratifier le traité et la CED a été abandonnée. En effet, les gaullistes et les communistes français souhaitaient absolument garder l’indépendance de la France dans ce domaine. Ils craignaient en outre un réarmement allemand.
Depuis, d’autres tentatives ont vu le jour, mais sans réels succès. Par exemple, la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) a été qualifiée de deuxième pilier de l’UE lors du Traité de Maastricht en 1992 –le premier étant l’ensemble des politiques communes (voir le cours : L’Union européenne : la puissance dans la diversité).
Elle a été conçue comme une coopération entre pays membres pour assurer la sécurité de l’UE, maintenir la paix, développer et renforcer la démocratie et les droits de l’Homme.
Elle a évolué vers la PSDC (Politique de sécurité et de défense commune) depuis le Traité de Lisbonne en 2007. La PSDC donne la possibilité aux pays membres de mettre en commun des moyens militaires afin de lutter contre le terrorisme, d’accomplir des missions humanitaires ou encore d’intervenir en cas de conflits. Il existe également désormais un représentant de l’Union pour les affaires étrangères.
Enfin, la constitution d’une force militaire commune est souvent évoquée mais loin d’être opérationnelle. L’harmonisation de la politique de défense s’échelonne donc sur une période longue et est encore en devenir.
L’harmonisation de la fiscalité européenne, quant à elle, est un large débat qui n’a cessé de s’accentuer avec les élargissements successifs. En effet, de même que pour la défense ou la monnaie, la fiscalité est une composante essentielle de la souveraineté d’un État. Pour être véritablement harmonisée, la fiscalité devrait comprendre un impôt européen, ce qui n’est absolument pas le cas. Pour l’instant, l’UE possède seulement un budget constitué par la contribution des États membres.
Fiscalité :
On entend par fiscalité l’ensemble des impôts perçus ainsi que les lois qui s’y rapportent.
De plus, les règles fiscales sont très différentes d’un pays à l’autre. Par exemple, le taux d’imposition irlandais sur les bénéfices des sociétés est de 12,5 %, alors qu’il est de plus de 33 % en France. Ces sociétés vont donc préférentiellement s’installer en Irlande si elles souhaitent payer moins d’impôts. On parle alors de dumping fiscal.
Dumping fiscal :
Le dumping fiscal consiste à attirer des personnes et des capitaux sur un territoire par des mesures fiscales avantageuses. Ces mesures sont parfois à la limite de la légalité.
Ces quelques exemples montrent bien des différences de taux assez importantes
Ces dernières années, la Commission européenne a tenté de lutter contre ces abus devant la montée des mécontentements des citoyens européens. En effet, ces derniers constataient souvent une augmentation de leurs impôts alors que, dans le même temps, des firmes transnationales comme Apple ou encore Nike étaient favorisées au sein de l’UE par certains États. Elles payaient ainsi des sommes d’impôts « ridicules » par rapport à leurs bénéfices. Certains membres de l’UE souhaitent aujourd’hui une harmonisation, en particulier sur le calcul de l’impôt sur les sociétés, mais la décision doit être prise à l’unanimité par les États membres, ce qui compromet largement ses chances de réussite.
Une question récente : la politique migratoire de l’UE
Une question récente : la politique migratoire de l’UE
Les migrations récentes en direction de l’UE ont obligé à des réorganisations de la frontière commune de l’espace européen. Cette frontière extérieure commune, l’espace Schengen, existe depuis 1995 et regroupe 26 pays européens dont 4 pays non-membres (la Norvège, l’Islande, la Suisse et le Liechtenstein).
On comprend facilement en regardant la carte pourquoi on affirme souvent que l’UE est une organisation à géométrie variable. L’espace Schengen n’englobe pas tous les pays de l’UE de même que tous les pays de l’UE n’utilisent pas encore l’euro
L’espace Schengen, qui permet la mise en commun de moyens de contrôle, a été complété en 2005 par l’agence Frontex, en charge de coordonner les actions des États membres en matière de gestion des frontières extérieures. De fait, l’immigration légale, fortement contrôlée, s’est ralentie et dans le même temps, de plus en plus de migrants ont essayé de rejoindre clandestinement l’Europe en particulier par la Méditerranée. Certains États membres comme l’Italie ou la Grèce, aux avant-postes en Méditerranée, ont donc été débordés à certains moments par l’afflux de migrants et n’ont pas trouvé l’appui espéré auprès des autres pays membres. Il découle de ces situations des méfiances et des discordances au sein de l’UE.
On voit donc bien à travers ces domaines sensibles les réponses diverses voire divergentes apportées par les pays membres. L’entente est parfois difficile à trouver (la fiscalité) ou en perpétuel aménagement (la Défense). Les événements conduisent aussi à de sérieux différends (l’immigration). Ces complications, pourtant compréhensibles entre 27 pays, ont pour effet de fragiliser la puissance de l’UE sur la scène mondiale.
L’UE : une puissance en construction
L’UE : une puissance en construction
Dotée de nombreux atouts (voir le cours : L’Union européenne : la puissance dans la diversité), l’UE demeure néanmoins fragile sur le plan international. Elle n’est pas une hyperpuissance sur le modèle étatsunien. En effet, elle peine parfois à affirmer son hard power et son soft power.
Puissance :
La puissance peut être définie de façon simple comme étant la combinaison du hard power c’est-à-dire la mise en œuvre de moyens économique, politique, militaire obligeant les autres pays à faire ce que l’on veut et du soft power qui regroupe l’ensemble des moyens de persuasion plus doux pour arriver aux mêmes résultats.
Les limites du hard power de l’Union européenne
Les limites du hard power de l’Union européenne
Malgré les progrès de la politique de défense commune évoquée dans la partie précédente, le constat permanent depuis plusieurs années est que les États membres n’adoptent jamais une réponse commune en cas de conflits voire de guerre extérieure.
La guerre en Irak (2003) est restée emblématique d’une réponse apportée en ordre dispersé. La France et l’Allemagne souhaitaient une négociation au lieu d’une intervention militaire. Le Royaume-Uni, l’Italie et beaucoup d’autres voulaient, en revanche que l’UE intervienne auprès des États-Unis sur le terrain. Dans un contexte tendu, le président français Jacques Chirac refusa finalement le 18 mars 2003 d’engager la France dans la guerre en Irak aux côtés d’une coalition menée par les États-Unis. Encore plus récemment, dans le conflit syrien, l’UE n’a pas réussi à émettre une position commune tout en condamnant néanmoins les violences du dirigeant syrien et en apportant une aide humanitaire conséquente (la première au monde).
Dans le domaine économique, la puissance de l’UE présente aussi des faiblesses. L’absence d’une politique industrielle commune affaiblit l’ensemble de l’industrie des pays membres car chaque État est en compétition avec les autres à l’intérieur de la zone UE. Les entreprises du numérique sont également peu nombreuses au sein de l’UE, ce qui crée une dépendance à l’égard des États-Unis et des GAFAM.
GAFAM :
Les GAFAM sont l’acronyme des entreprises Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, toutes états-uniennes et leaders mondiaux dans l’industrie numérique.
La recherche et l’innovation sont dans la même situation. Ainsi les budgets consacrés à ces domaines sont éparpillés dans plusieurs pays pour des recherches qui portent sur les mêmes thèmes. Malgré tout, le succès mondial de la coopération européenne dans le domaine aérospatial (les fusées Ariane) nuance ce bilan négatif.
Un manque de crédibilité par rapport aux valeurs portées par le projet européen
Un manque de crédibilité par rapport aux valeurs portées par le projet européen
En 2012, l’Union européenne s’est vu décerner le Prix Nobel de la Paix pour l’ensemble de ses actions en faveur « de la paix et de la réconciliation, la démocratie et les droits de l’homme en Europe ». Effectivement, le projet européen a été, dès le départ, associé à des valeurs : le maintien de la paix, le respect des droits de l’homme, les libertés fondamentales.
Libertés fondamentales :
Les libertés fondamentales sont des libertés que l’on ne peut pas enlever à l’homme, qui lui sont liées, par exemple la liberté d’aller et venir, de penser…
En 2000, dans une Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ces principes étaient rappelés comme socle de l’Union. Ces valeurs ont vocation à être une ligne directrice pour les pays membres entre eux mais pas seulement. Elles ont aussi vocation à être exportées dans le monde entier en tant que principes universels. Or, ces dernières années, on assiste à une érosion de la crédibilité de ces valeurs aussi bien à l’intérieur de l’Union européenne qu’à l’extérieur. Le soft power de l’Union européenne n’est donc pas réellement un élément efficace de puissance. Dans l’Union européenne, l’existence d’un ciment historique et culturel commun est aujourd’hui beaucoup moins fort. Les conflits mondiaux semblent loin. Les personnes ayant vécu la Seconde Guerre mondiale sont de moins en moins nombreuses et les égoïsmes nationaux prennent souvent le pas sur la collectivité. Dans ces conditions, si les citoyens de l’UE ne parviennent plus à appliquer ces valeurs entre eux, comment penser qu’ils pourraient y parvenir vis-à-vis de l’extérieur ? La difficile réponse commune face à la crise migratoire a été révélatrice de cette difficulté pour les 27 à agir d’une seule voix au nom de valeurs communes.
Conclusion :
En définitive, l’Union européenne semble dans la tourmente ces dernières années, agitée par des tensions externes et internes qui remettent en cause sa place au niveau international. Beaucoup doutent de l’avenir du projet européen en oubliant vite ses réussites. Selon Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères en France, spécialiste des relations internationales et auteur de Le Monde au défi (2016), ce qui affaiblit l’UE aujourd’hui c’est le décrochage interne des peuples. Il faut reconquérir la confiance des citoyens européens et retrouver l’enthousiasme fondateur !