Développement et inégalités : étude comparative Brésil/Inde
Introduction :
Le Brésil et l’Inde sont tous deux des pays émergents, intégrés à la mondialisation et amenés à progressivement bénéficier d’un développement économique et humain équivalent à celui des pays développés. Cependant, ce développement n’est pas encore achevé. Les deux pays sont confrontés à des défis, parfois comparables, qui pèsent sur leur population. L’Inde et le Brésil ne parviennent pas encore à satisfaire les besoins vitaux de leurs habitants et les inégalités au sein du pays se creusent. Dès lors, il est intéressant de procéder à une étude comparative entre ces deux pays.
Nous verrons dans une première partie en quoi l’Inde et le Brésil sont deux pays émergents bien intégrés à la mondialisation. Dans un second temps, nous nous intéresserons à l’inégal développement dont profitent les populations au sein de ces deux pays.
Brésil et Inde : des BRICS intégrés à la mondialisation
Brésil et Inde : des BRICS intégrés à la mondialisation
Deux pays émergents présents sur la scène internationale
Deux pays émergents présents sur la scène internationale
Le Brésil et l’Inde sont tous deux des pays émergents.
Pays émergent :
Un pays émergent est un pays qui réunit trois caractéristiques :
- une croissance économique forte depuis les vingt dernières années ;
- la formation d’une classe moyenne capable de consommer et d’occuper les emplois intermédiaires dans les services et l’administration et vivant dans les grandes villes ;
- une partie de la population qui reste dans une grande pauvreté et qui vit souvent dans les régions autours des villes ou dans les zones rurales.
Ils appartiennent au regroupement des BRICS.
BRICS :
L’acronyme BRICS signifie Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud (South Africa en anglais). Ces cinq pays émergents se regroupent dans des sommets internationaux dédiés depuis 2011, pour évoquer leurs problématiques économiques communes.
Les BRICS réunis en partenariat économique sont devenus des acteurs incontournables de la scène internationale et les porte-paroles des économies émergentes lors de sommets internationaux tel que le G20 (forum économique international).
En effet, ils estiment que les pays les plus riches ont trop d’influence sur la politique internationale, la régulation de l’économie ou encore les normes environnementales.
Les pays les plus développés de la planète se réunissent régulièrement au sein du G7 ou « Groupe des 7 » comprenant les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie et le Canada.
Plus globalement, l’Inde et le Brésil se distinguent au sein des pays du globe par leur taille et leur importance démographique.
- L’Inde est un géant démographique : 1,3 milliards d’habitants en 2018.
- Le Brésil se place au 6e rang de la planète en termes de population. Cependant, avec 208 millions d’habitants, son importance démographique est sans commune mesure avec celle de l’Inde.
Ce sont tous deux de grands pays. Le Brésil est le 5e pays le plus grand du monde : sa superficie est égale à 15 fois celle de la France. L’Inde a une population bien plus nombreuse sur une superficie plus réduite équivalente à 6 fois celle de la France. Néanmoins, l’Inde est le 7e pays le plus grand de la planète.
Ainsi, l’Inde et le Brésil ont en commun de vouloir peser sur la scène internationale. Ils disposent pour cela d’un hard power et d’un soft power.
Le soft power correspond aux outils culturels et idéologiques utilisés pour exprimer leur puissance sur la scène internationale.
- L’Inde influence le reste du monde grâce à sa richesse culturelle. Par exemple, les films indiens réalisés à Mumbai (« Bollywood ») sont exportés dans de très nombreux pays et notamment au Moyen-Orient et dans le nord de l’Afrique.
- Le Brésil a des outils de soft power comme le football ou encore la langue portugaise.
Le hard power correspond aux éléments de puissance concrets développés par les pays pour exercer une influence dans le monde. Le hard power peut s’exprimer par une grande force économique ou une suprématie militaire.
- Pour le Brésil comme pour l’Inde, les éléments de hard power correspondent à la croissance continue de leurs économies.
Deux économies en forte croissance
Deux économies en forte croissance
Mesurer la puissance économique d’un État dépend de plusieurs facteurs. On étudie entre autres son PIB – Produit Intérieur Brut (somme des richesses produites par les entreprises dans un pays en 1 an), qui permet de refléter l’activité économique interne d’une nation.
- Le Brésil est la première économie d’Amérique du Sud. Sa croissance économique est forte : + 7 % en 2010. Son PIB est très élevé, même pour un pays émergent : à près de 2 milliards de dollars en 2017, c’est le 8e PIB mondial.
- L’Inde est en concurrence avec la Chine en Asie sur le plan économique. Néanmoins, sa puissance est réelle : avec un PIB de 2,6 milliards de dollars en 2017, elle se classe devant le Brésil avec la 7e place en terme de PIB.
Leur puissance économique est fondée sur des stratégies différentes. En effet, chaque pays a des atouts à mettre en valeur pour s’intégrer à la mondialisation. Il est impossible de traiter de façon exhaustive les réussites économiques des deux puissances. Cependant, on peut en mettre certaines en lumière.
- Le Brésil mise entre autres sur l’agriculture. En effet, la superficie et le climat du pays permettent le développement de grandes exploitations dédiées à des monocultures intensives. Ainsi, le pays est le premier exportateur mondial de nombreux produits : soja, sucre de canne, viande bovine, tabac ou encore café.
Culture intensive du coton au Brésil (2007) ©João Felipe C.S
79 % de la production agricole du Brésil est assurée par 5 % des exploitations . Cela montre que quelques grands exploitants agricoles profitent de la mondialisation. Les autres exploitations appartiennent à de petits paysans, dont un grand nombre pratique une agriculture vivrière.
- L’Inde est la 4e puissance agricole mondiale. Près de la moitié de sa population travaille dans ce secteur de l’économie. Cependant, compte tenu de sa démographie, une grande partie de ce qui est produit dans le pays doit servir à nourrir sa population.
Ainsi, l’Inde a fait le choix de se tourner vers le secteur tertiaire et notamment l’informatique. Des villes comme Bangalore se sont spécialisés dans la production de logiciels de pointe ou dans la formation d’ingénieurs. L’Inde a un avantage concurrentiel important vis-à-vis des pays développés dans ce domaine : le coût de la main d’œuvreest très faible.
Un immeuble de bureaux à Bangalore, Inde (2007) ©Mohseen Khan CC BY-SA 3.0
Il faut noter que le Brésil est autosuffisant en pétrole grâce à ses exploitations off-shore (sur la mer). Ce n’est pas le cas de l’Inde qui importe le pétrole et le gaz dont elle a besoin pour faire fonctionner son économie. De plus, le Brésil est le premier exportateur mondial d’éthanol, un biocarburant, grâce à sa production intensive de canne à sucre.
L’Inde comme le Brésil disposent donc d’atouts économiques. Les deux pays s’appuient sur un réseau de villes intégrées à la mondialisation, qui facilitent les échanges avec les pays développés et les autres pays émergents.
Un réseau de mégapoles intégrées au « système monde »
Un réseau de mégapoles intégrées au « système monde »
La croissance économique et le développement d’un pays dépendent de son intégration à la mondialisation.
Mondialisation :
La mondialisation est l'ensemble des processus (socio-économiques, culturels, technologiques, etc.) facilitant les échanges entre les sociétés du monde entier. Elle comprend :
- des échanges de population, de marchandises et d’argent qui sont de plus en plus nombreux ;
- une nouvelle échelle pour réfléchir aux relations économiques et sociales entre les êtres humains.
Ainsi, les villes jouent un rôle primordial dans le processus de mondialisation. Les mégapoles sont reliées entre elles par des échanges de personnes, des flux de capitaux ou de marchandises.
Mégapole :
Une mégapole est une ville de très grande taille, peuplée de plus de dix millions d’habitants (seuil défini par l’ONU).
Dès lors, l’intégration du Brésil et de l’Inde à la mondialisation est directement liée à la présence, sur leur territoire, de mégapoles.
- Dans le classement des dix plus grandes villes du monde, deux sont indiennes : Delhi (29 millions d’habitants) et Mumbai (24,7 millions). Par ailleurs, l’Inde compte deux autres mégapoles : Calcutta et Bangalore.
- Le Brésil possède deux mégapoles : Sao Paulo (22,2 millions d’habitants) et Rio de Janeiro (13 millions). Par ailleurs, ces mégapoles ont aussi des fonctions de commandement.
Fonction de commandement :
Les fonctions de commandement désignent les pouvoirs dont disposent les institutions politiques et économiques. Ces fonctions sont multiples : politiques, économiques, culturelles, militaires.
- La capitale politique indienne de Delhi dispose d’une fonction politique importante. Elle est le siège du gouvernement indien et donc le siège de la diplomatie indienne.
- La ville de Sao Paulo au Brésil est la capitale économique du pays. Pratiquement toutes les grandes FTN y ont un siège social. La ville représente à elle seule plus de 10 % du PIB brésilien.
Une firme transnationale est une entreprise qui a son siège social dans un pays mais qui a développé plusieurs filiales à l’étranger.
Le quartier d’affaires de Sao Paulo (2007) ©Caio do Valle CC BY SA 3.0
Malgré une économie en croissance et une intégration à la mondialisation, l’Inde et le Brésil n’ont pas achevé leur développement. Ces pays émergents souffrent toujours de fortes inégalités sociales et d’un développement humain insuffisant.
Brésil et Inde : un développement encore inachevé
Brésil et Inde : un développement encore inachevé
Un développement humain insatisfaisant
Un développement humain insatisfaisant
On a vu que le PIB était un indicateur du développement économique d’un pays. Néanmoins, cet indicateur est insuffisant si l’on veut s’assurer que ce développement profite à toute la population d’un État. Par exemple, le PIB n’indique pas si la population du pays en question a accès à la satisfaction de tous ses besoins.
Pour étudier le développement humain, on utilise d’autres indicateurs comme l’IDH.
IDH – Indice de Développement Humain :
L’IDH mesure le niveau de développement d’un pays. Il prend en compte le PIB mais aussi l’espérance de vie, le taux d’alphabétisation et le niveau de santé et d’accès aux soins. Il reflète la qualité de vie d'une population et donc son potentiel à vivre une vie longue et en bonne santé, à acquérir des connaissances et à jouir d’un niveau de vie décent.
Avec cet indicateur, on s’aperçoit que malgré un PIB très élevé, le développement humain de l’Inde et du Brésil sont insatisfaisants.
Les deux pays sont mal placés au niveau mondial :
- avec un IDH de 0,754, le Brésil est 79e mondial (sur environ 200 États) ;
- avec un IDH de 0,624, l’Inde est 131e mondial.
Comme tous les pays émergents, les deux États sont caractérisés par une quasi-absence de classe moyenne : une partie de la population accède au niveau de vie des pays riches mais une grande partie de la population vit dans une grande pauvreté.
En Inde, une personne sur cinq vit sous le seuil de pauvreté défini par l’ONU. Cela signifie qu’elle vit avec moins de 1$ par jour.
Malgré des progrès récents, une partie importante de la population n’accède pas à des soins suffisants en matière de santé. Cela peut se vérifier grâce à divers indicateurs, comme celui de la mortalité infantile.
Mortalité infantile :
La mortalité infantile désigne le nombre d’enfants morts avant 1 an dans un pays sur une année, sur 1 000 naissances. Cet indicateur s’exprime en ‰.
Dans les pays développés, la mortalité infantile est inférieure à 5 ‰.
Dans certains PMA, elle peut atteindre 200 ‰ soit 1 enfant sur 5.
Avec un taux de 34 ‰, l’Inde est particulièrement touchée par la mortalité infantile, y compris en la comparant aux autres pays émergents. Plusieurs associations dénoncent les causes multiples de ce chiffre élevé. Si la pauvreté et le manque de soins sont un facteur évident, l’Inde est aussi marquée par de très nombreux infanticides, notamment à l’égard des filles.
Le Brésil a un taux de mortalité infantile de 13,6 ‰, en baisse constante.
Il faut noter que le Brésil et surtout l’Inde ont une population très nombreuse. Cela affecte nécessairement la capacité des États à développer les infrastructures nécessaires à un accès satisfaisant aux soins et à l’éducation.
De plus, ces mauvais chiffres masquent des progrès importants en matière de développement. Par exemple, le Brésil a un taux d’alphabétisation de plus de 90 %.
Ce développement humain inachevé prend sa source dans des inégalités socio-spatiales, entre une partie de la population intégrée à la mondialisation et une autre vivant dans des conditions de grande pauvreté.
Une forte ségrégation socio-spatiale
Une forte ségrégation socio-spatiale
La différence de niveau de vie entre les classes aisées et les populations les plus pauvres se matérialise dans l’espace. C’est ce qu’on appelle des inégalités socio-spatiales.
Inégalités socio-spatiales :
Les inégalités socio-spatiales désignent le fait que l’on observe les inégalités de richesse dans l’organisation de l’espace. Ces inégalités existent à toutes les échelles :
- à l’échelle de la planète : certains pays sont plus développés que d’autres ;
- à l’échelle d’un État : certaines régions sont plus riches que d’autres ;
- à l’échelle d’une ville : certains quartiers sont très pauvres quand d’autres sont riches et intégrés à la mondialisation.
On peut étudier l’Inde sous l’angle de ses inégalités socio-spatiales. En effet, la pauvreté en Inde se trouve à toutes les échelles.
- Certains États, comme le Kerala dans le sud, sont particulièrement développés, alors que d’autres comme Madhya Pradesh au nord sont très pauvres.
- Cependant, les inégalités de richesse se retrouvent aussi à l’échelle urbaine. Mumbai, capitale économique de l’Inde, est aussi la ville où l’on trouve le plus grand bidonville du monde. Le bidonville de Dharavi compte près d’un million d’habitants.
Bidonville :
Un bidonville est un groupement d’habitations pauvres, construites illégalement avec des matériaux de récupération.
Le bidonville de Dharavi, à Mumbai, au premier plan ; on distingue des immeubles d’habitation à l’arrière-plan (2008) ©Erin – CC BY 2.0
Le Brésil connait le même type d’habitations pauvres dans les grandes villes. Ces bidonvilles s’appellent des favelas. Ils sont parfois situés à proximité immédiate des quartiers riches.
Favelas :
Nom donné aux bidonvilles brésiliens.
Qu’ils se situent en Inde ou au Brésil, ces quartiers très pauvres ont en commun :
- l’insalubrité, le manque d’eau, un accès difficile aux soins et à l’éducation ;
- des pollutions multiples car il n’y a pas de traitement des déchets ;
- l’absence d’interventions de l’État, ce qui peut occasionner des risques pour les habitants. À Rio de Janeiro, de nombreuses favelas sont contrôlées par des trafiquants de drogue.
Au premier plan, des favelas à Rio de Janeiro. À l’arrière-plan, un quartier d’affaires. Photographie de 2011. ©Adam Jones, Ph.D. CC BY-SA 3.0
En revanche, il existe des quartiers riches dans lesquels les habitants ont des conditions de vie similaires à celles des pays développés.
Parfois, ces populations aisées se renferment dans des quartiers « ghettos », qu’on appelle des gated communities ou barrio cerrado en Amérique du Sud.
Gated communities :
Les gated communities sont des quartiers aisés, isolés du reste de la ville par des barrières ou des systèmes de surveillance. Ce sont des lieux de « l’entre-soi » au sein desquels les populations riches souhaitent éviter le contact avec la pauvreté environnante.
Ces populations aisées profitent de l’intégration à la mondialisation. Elles ont un mode de vie occidentalisé. Cela creuse les écarts de niveau de vie avec les populations plus pauvres.
L’intégration à la mondialisation d’un État accélère son développement. Cependant, elle accroit aussi les inégalités socio-spatiales.
On peut aussi s’interroger sur les impacts sur l’environnement de l’intégration à la mondialisation de ces deux puissances émergentes.
Les effets de l’intégration à la mondialisation sur l’environnement
Les effets de l’intégration à la mondialisation sur l’environnement
Le développement durable est un développement qui prend en compte trois piliers :
- le pilier économique ;
- le pilier social ;
- le pilier environnemental.
La protection de l’environnement fait partie des Objectifs du Millénaire pour le Développement, adoptés par l’Organisation des Nations Unies en l’an 2000.
En tant que membres de l’ONU, l’Inde et le Brésil y sont naturellement soumis. Leur forte croissance depuis les quarante dernières années a entraîné une industrialisation rapide. Les risques environnementaux sont liés aux secteurs économiques qui ont été développés.
- Le Brésil est souvent médiatisé pour la déforestation intensive de la forêt amazonienne. Cependant, ce n’est pas le seul risque environnemental auquel le pays est confronté :
- l’exploitation off-shore du pétrole entraîne un risque de marée noire. En 2001, une plate-forme pétrolière de l’entreprise Petrobras a explosé en pleine mer ;
- l’agriculture intensive entraîne une pollution des sols à cause de l’usage d’intrants (engrais, produits phytosanitaires).
- L’Inde a fait le choix de développer fortement son agriculture au risque de polluer ses sols et ses cours d’eaux. De plus, l’absence de traitement des déchets dans les espaces les plus pauvres entraine une pollution des eaux et une pollution de l’air. Enfin, le nombre croissant de véhicules couplés à celui des usines entraîne une très forte pollution aux particules fines.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 13 des 20 villes les plus polluées aux microparticules se situent en Inde.
Cependant, les pays émergents expriment une voix différente de celles des pays développés sur la question du développement durable. En effet, la Chine et l’Inde estiment que les pays riches ont une « dette écologique » vis-à-vis des pays en cours de développement. Les pays riches ayant pollué durant tout le XXe siècle pour s’industrialiser, les pays émergents revendiquent le même droit.
Conclusion :
Le Brésil et l’Inde sont tous deux des pays émergents et doivent répondre à des problématiques communes : réduction des inégalités, accompagnement de l’intégration à la mondialisation ou encore limitation de l’impact du développement sur l’environnement.
Cependant, ils ont également des problématiques propres. Chaque État dispose de ses propres atouts et contraintes pour accompagner son intégration à la mondialisation. En outre, le poids démographique de l’Inde en fait un défi particulier, comparable avec celui auquel est confronté la Chine. Enfin, on constate que les avancées en matière de développement humain sont inégales.