Entretenir la croissance économique : le rôle des institutions et des innovations
Introduction :
Nous avons vu dans le cours précédent que la croissance économique pouvait être obtenue en augmentant la quantité de facteur travail ou celle de facteur capital, mais également en améliorant la qualité et la productivité de ces facteurs grâce aux innovations.
L’économiste américain Robert Solow a montré que l’augmentation des facteurs de production permettait d’expliquer une partie de la croissance économique, l’autre partie étant expliquée par un facteur extérieur : le progrès technique. Ce modèle de croissance est appelé croissance exogène.
Néanmoins, cette théorie ne permet pas de tout expliquer, notamment le caractère auto-entretenu de cette croissance.
La théorie de la croissance endogène développée dans les années 1980 permet d’expliquer ce caractère auto-entretenu.
Nous mettrons donc en évidence dans une première partie les facteurs qui contribuent à entretenir cette croissance, puis nous insisterons dans une seconde partie sur le rôle des institutions dans ce processus.
Les sources de la croissance endogène
Les sources de la croissance endogène
La croissance endogène est une théorie montrant que, contrairement à ce que disait Robert Solow, « le progrès technique ne tombe pas du ciel » ou plutôt qu’il ne provient pas seulement d’éléments externes.
En ce sens, le progrès technique n’est pas résiduel et peut s’expliquer par les comportements volontaires des agents économiques. En effet, la richesse créée par la croissance économique leur permet d’accumuler différents capitaux (techniques, humains, technologiques). Cette accumulation de capitaux profitera à l’ensemble de la société en générant des externalités positives et en dynamisant l’activité économique. De ce fait, la croissance engendre elle-même les conditions qui lui permettent de s’auto-stimuler.
Par exemple, en obtenant des diplômes, les individus accumulent du capital humain. Étant de fait mieux formés, ils seront plus productifs et contribueront donc davantage à la croissance.
Cette croissance trouve donc sa source dans l’accumulation de trois formes de capitaux.
Le capital physique ou technique
Le capital physique ou technique
L’économiste américain Paul Michael Romer s’intéresse à l’accumulation du capital physique ou technique.
Le capital physique ou technique correspond au capital fixe, c’est-à-dire aux investissements réalisés par les entreprises.
Romer montre qu’une entreprise, en accumulant du capital, c’est-à-dire en investissant, va créer des externalités positives qui vont bénéficier à d’autres entreprises.
Une externalité positive correspond au fait qu’un agent économique profite des effets positifs d’une autre activité économique sans en payer le prix.
En effet, la croissance entraîne une augmentation des richesses dont une partie pourra être utilisée pour financer la recherche et développement. Ces travaux permettent d’augmenter les connaissances de manière générale et rendent les firmes plus performantes.
- Par exemple, ces investissements en R&D pourront engendrer des innovations de procédés (méthodes de production plus efficaces) et des innovations de produits (amélioration d’un produit existant).
À ce phénomène s’ajoute le transfert de compétences aux autres entreprises et l’augmentation globale du stock de capital.
Finalement tous les éléments permettant d’augmenter la quantité de biens d’équipement dans une économie sont favorables à la croissance.
Le capital humain
Le capital humain
L’économiste américain Robert Emerson Lucas s’intéresse au facteur travail, c’est-à-dire les ressources humaines qui sont mobilisées pour produire. Ce facteur travail doit être traité comme du capital. Cela sous-entend qu’il peut s’accumuler.
On parlera à ce titre de capital humain.
Ce capital humain est le résultat de l’éducation, mais également de la formation tout au long de la vie.
En effet, au fil du temps, les individus vont améliorer leurs compétences, soit en se formant, soit par effet d’apprentissage.
- Cette amélioration des compétences pourra être valorisée sur le marché du travail et profitera aux entreprises.
L’instruction va permettre aux individus de sortir du système scolaire avec de meilleurs niveaux de qualifications.
- Une population mieux formée est une population plus productive et qui sera donc plus à même à participer au dynamisme de l’activité économique.
Par ailleurs, la santé, qui fait également partie du capital humain, favorise également la performance économique. En effet, des individus en bonne santé sont moins assujettis aux arrêts maladie, aux accidents de travail et sont globalement plus productifs.
Le capital public
Le capital public
Le macroéconomiste américain Robert Barro a montré l’impact des investissements publics dans la croissance et leur caractère cumulatif.
Prenons l’exemple du système de santé.
Grâce au surplus de richesses engendré par la croissance, l’État pourra améliorer le système de santé, rendant les travailleurs moins vulnérables et donc plus efficaces.
L’État peut également utiliser les fruits de la croissance pour améliorer les infrastructures (écoles, hôpitaux, routes, les télécommunications).
Ces améliorations vont permettre de réduire les coûts de production des entreprises, qui pourront donc être plus productives et créer plus de richesses.
Enfin, l’État peut aider au financement de la recherche fondamentale.
Recherche fondamentale :
La recherche fondamentale désigne les travaux expérimentaux, théoriques, en vue d’acquérir de nouvelles compétences.
Elle n’a pas pour principal objectif une mise en application directe.
Les découvertes issues de ces financements vont permettre de développer par la suite des innovations de produits ou de procédés.
L’apparition d’un nouveau produit à la suite d’une découverte fondamentale va ainsi susciter de nouveaux besoins, créer de nouvelles productions, et donc engendrer de nouveaux revenus… L’ensemble de ces éléments seront à leur tour source de croissance économique.
La théorie de la croissance endogène cherche à expliquer d’une part les sources de la croissance et d’autre part que la croissance est un phénomène cumulatif qui s’auto-entretient. Parmi les sources de la croissance, trois facteurs apparaissent essentiels :
- l’accumulation du capital technique ;
- l’accumulation du capital humain ;
- l’accumulation du capital public.
- L’accumulation de ces capitaux entraîne des externalités positives et favorise la croissance économique.
Le schéma suivant permet de mettre en évidence ce processus :
L’accumulation de capitaux provient donc de décisions volontaires des agents économiques qui souhaitent créer des conditions favorables à la croissance.
Néanmoins, les institutions et en particulier les pouvoirs publics, doivent encourager cette accumulation en mettant en place des politiques de long terme.
Le rôle des institutions dans la croissance économique
Le rôle des institutions dans la croissance économique
Les institutions définissent les règles du jeu économique.
Elles ont un rôle en matière d’incitation des actions des agents économiques et permettent également d’organiser l’utilisation des ressources.
Institution :
Ensemble des règles formelles ou informelles, des organisations qui s’imposent aux individus et qui concourent à l’existence des échanges marchands.
On trouve par exemple, les règles juridiques, le code de la santé publique, le système bancaire.
Ces institutions sont généralement représentées par les pouvoirs publics.
Des règles formelles et informelles qui organisent la société et permettent la croissance
Des règles formelles et informelles qui organisent la société et permettent la croissance
- Les règles formelles
Parmi les règles formelles, on trouve toutes les réglementations qui favorisent le bon fonctionnement du marché.
Par exemple, on peut penser aux règles interdisant les monopoles ou les règles protégeant les consommateur·rice·s.
On trouve également des règles qui vont encadrer le fonctionnement des entreprises (droit du travail, possibilité de recourir au télétravail, aides publiques, etc.).
Ces règles formelles peuvent s’inscrire dans un cadre plus large.
Par exemple, lorsque la loi indique que l’instruction est obligatoire jusqu’à 16 ans, cela permet de maintenir les populations dans le milieu scolaire, de les former, autrement dit d’accumuler du capital humain qui, comme nous l’avons vu, est créateur de croissance.
- Les règles informelles
Les règles informelles sont des règles qui ne sont pas instituées clairement au départ dans un but économique, mais qui, finalement, favorisent le fonctionnement d’une économie. Ce sont les normes, conventions, habitudes qui permettent aux individus de vivre en harmonie entre eux.
Dans son ouvrage Éthique protestante et esprit du capitalisme, Max Weber a ainsi montré qu’il existait un lien entre les valeurs du protestantisme et le développement du capitalisme.
Le protestantisme fonde sa croyance sur l’idée de la prédestination. Cette prédestination suppose que le chemin des individus sur Terre est déjà tracé et qu’ils ne savent pas à l’avance si leur vie terrestre va les conduire aux enfers ou au paradis. Chaque croyant va donc adopter une conduite de vie tournée vers le travail, la vie simple, le refus du luxe, tous ces comportements lui permettant de croire qu’il ira au paradis. Ainsi, le protestantisme encourage un comportement économique favorable au développement du capitalisme, car marqué par des valeurs comme le goût de l’épargne, le refus du luxe, la discipline du travail.
Ces institutions, en fonction des réglementations développées, vont orienter les comportements des acteurs économiques et ainsi favoriser la croissance.
On parlera de capital institutionnel pour évoquer l’ensemble des règles, des dispositions mises en place par les institutions afin de favoriser la production et permettre aux agents économiques de fonctionner dans les meilleures conditions.
Parmi les institutions créatrices de richesse et donc à l’origine de la croissance, on trouve le droit de propriété.
L’impact du droit de propriété sur la croissance
L’impact du droit de propriété sur la croissance
Le droit de propriété est défini dans le Code civil comme « le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue ».
Le code civil est un code juridique qui regroupe l’ensemble des règles du droit français concernant les biens, les personnes.
L’existence de ce droit de propriété est à l’origine de l’échange marchand.
En effet, s’il n’y avait pas de propriété, n’importe qui pourrait prendre n’importe quel bien : il n’y aurait pas d’échange marchand puisque les individus ne seraient pas véritablement en possessions de leurs biens.
- Les institutions, en étant les garantes du droit de propriété, vont donc permettre d’une part de faciliter les échanges, mais également de proposer un cadrer stable permettant d’investir et innover.
Le dépôt de brevet par un·e inventeur·rice ou un·e innovateur·rice va ainsi lui garantir qu’il·elle est la seule personne à pouvoir utiliser, distribuer et vendre son invention.
Les brevets permettent donc de protéger l’inventeur·rice ou l’innovateur·rice contre d’éventuelles copies.
L’économiste Joseph Schumpeter a montré qu’un·e entrepreneur·euse innovateur·rice se trouvait en situation de monopole temporaire lorsque son innovation arrivait sur le marché. Seul·e sur le marché, l’entrepreneur·se peut ainsi fixer son prix de vente comme il·elle l’entend.
Cette situation lui permettra d’une part de rentabiliser son investissement en recherche et développement, mais également de vendre un nouveau produit sur un marché.
- Une augmentation de la production, de la consommation et des revenus suite à cette innovation sont autant d’éléments favorables à la croissance économique.
Le droit de propriété est donc indispensable au maintien et au développement des échanges économiques dans le cadre du modèle économique libéral actuel.
Le droit de propriété est un droit fondamental qui permet d’expliquer l’échange marchand, mais qui permet également de protéger les innovateurs, éléments source de croissance.
Conclusion :
La théorie de la croissance endogène tend à expliquer quelles sont les sources de la croissance économique et permet surtout de montrer que cette croissance peut s’auto-entretenir.
Elle met l’accent sur le fait que l’accumulation de capital humain, technique ou public génère des externalités positives.
Les politiques économiques et les institutions agissent donc pour inciter les agents économiques à accumuler ces capitaux en vue de stimuler l’activité économique.
Il faut néanmoins noter que ce modèle de croissance endogène reste un modèle théorique et que, dans la réalité, les liens de causes à effets ne sont pas aussi évidents.
Par ailleurs, les débats actuels remettent en cause cette recherche de croissance à tout prix et cette accumulation massive de capitaux.
En effet, on pourra notamment s’interroger sur les limites de cette croissance en termes de bien-être et d’environnement.