États et religions, une inégale sécularisation : l’exemple de la Turquie

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Introduction :

Dans l’article 2 de la Constitution turque de 1924, l’islam est reconnu comme religion officielle et les fonctionnaires doivent prêter serment sur le Coran. Cet article est amendé en 1928 et, en 1937, le principe de laïcité est inscrit dans la Constitution.
Il faut tenter de comprendre les conditions ayant permis la laïcisation de la Turquie, c’est-à-dire le cheminement de la Turquie vers un État laïque, mais aussi la définition du modèle laïque turc, également appelé modèle laïque kémaliste puisque Mustafa Kemal en est l’instigateur.

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Rappel

Les rapports entre États et religions sont très variés dans le monde et, de nos jours, de nombreux États continuent d’avoir une religion officielle :

Les rapports entre États et religions sont très variés dans le monde, entre religion officielle, État laïque et État athée

  • Une religion officielle est considérée comme une religion d’État. Cela signifie que l’État reconnait une religion en particulier, qui se trouve privilégiée et subventionnée. L’existence d’une religion officielle ne s’oppose pas forcément au respect des autres religions et à la liberté de conscience, tant qu’elle n’est pas imposée à l’ensemble de la population. Néanmoins, l’État n’est pas laïque, puisqu’une religion est favorisée. De plus, il n’existe ni séparation entre l’Église et l’État ni neutralité de l’État envers toutes les religions.

  • L’idée de laïcité, quant à elle, repose justement sur la séparation de la religion et de l’État. En France, cela signifie que la religion est réservée à la sphère privée. Quant à l’État, il est neutre, c’est-à-dire que l’État laïque ne privilégie aucune religion et protège la liberté de conscience.

schéma simplifié du principe de laïcité

  • Cependant, dans la pratique, la laïcité ne revêt pas une forme unique : il existe plusieurs interprétations de la laïcité et donc plusieurs mises en pratique de cette idée.

Le projet de Mustafa Kemal dans un contexte favorable à la laïcisation

La chute du sultanat ottoman et la proclamation de la République turque

Portrait de Mustafa Kemal Atatürk dans les années 1930 Portrait de Mustafa Kemal dans les années 1930, auteur inconnu

Mustafa Kemal, aussi appelé Kemal Atatürk (le « père des Turcs »), est l’homme à l’origine de la construction d’une nation turque, indépendante et moderne.
Pendant la Première Guerre mondiale, l’Empire ottoman s’engage aux côtés des Empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie). Héros de la Première Guerre mondiale lors de la bataille des Dardanelles, Mustafa Kemal refuse l’humiliation du traité de Sèvres signé par le sultan Mehmet VI le 10 août 1920, qui démembre l’Empire ottoman vaincu.
Après l’abolition du sultanat en novembre 1922, il parvient militairement à obtenir une révision du traité de Sèvres. C’est le traité de Lausanne, signé en juillet 1923, qui dessine les frontières de l’actuelle Turquie. Cette victoire nationaliste et diplomatique conduit à la proclamation de la République de Turquie le 29 octobre 1923. Mustapha Kemal est alors élu président de la République.

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Rappel

L’Empire ottoman est un sultanat depuis sa fondation à la fin du XIIIe siècle. À la tête de l’Empire, le sultan concentre les pouvoirs politiques, administratifs et militaires. Le premier sultan est Osman Ier, qui règne de 1299 à 1326, et le dernier sultan, au moment de l’abolition du sultanat, est Abdülmecid II.

L’abolition du califat

Afin de « moderniser » la Turquie en rompant avec le sultanat ottoman, Mustafa Kemal envisage de se rapprocher des puissances occidentales.
Pour cela, il remet en cause le poids de la religion dans l’État et procède à l’abolition du califat ottoman.

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Rappel

Le califat est une institution spirituelle.

  • Alors que le pouvoir du sultan est politique et temporel, le pouvoir du calife est religieux et spirituel.

Le calife est considéré comme le successeur du prophète Muhammad. Il possède un pouvoir religieux, non seulement sur les Ottomans mais sur toute la communauté musulmane sunnite, appelée Oumma, qui est majoritaire dans le pays.

  • Dans l’Empire ottoman, le sultan est aussi calife : il détient donc le pouvoir politique, mais également le pouvoir religieux.

Illustration du dernier sultan et calife de l’Empire ottoman, Abdülmecid II « Le dernier calife », illustration du Petit Journal illustré, 16 mars 1924

Le dernier calife ottoman, Abdülmecid II, avait déjà perdu tout pouvoir temporel avec l’abolition du sultanat. Le 3 mars 1924, sur proposition de Mustafa Kemal, la Grande Assemblée nationale de Turquie vote l'abolition du califat. Le calife est alors contraint à l’exil.

Pour Mustafa Kemal, l’objectif politique est double :

  • il s’agit de se détacher de la tradition religieuse ottomane afin d’instaurer un nouvel État moderne, laïque et républicain ;
  • il s’agit aussi de réduire le poids politique de la religion pour limiter des radicalisations religieuses qui pourraient menacer la jeune République turque.

Les réformes conduisant à la laïcisation et la sécularisation de la Turquie

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Définition

Sécularisation :

Effacement progressif, dans l’espace public, de ce qui relève du religieux.
La sécularisation se traduit ainsi par l’affaiblissement de la religion dans les mentalités, les comportements sociaux et les pratiques culturelles.

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Définition

Laïcisation :

Processus de séparation du religieux et du politique (l’État).
La religion s’efface sur le plan institutionnel, au sein de l’administration, de la justice et de l’école notamment. Les institutions publiques deviennent ainsi indépendantes de toute autorité religieuse.

L’application du principe de laïcité dans les institutions publiques

Les réformes constitutionnelles connaissent deux étapes majeures.
À partir de 1928, l’Islam n’est plus considéré comme religion officielle de l’État turc, mais il faut attendre 1937 pour que le principe de laïcité soit inscrit dans la Constitution.

Les réformes concernent aussi l’enseignement.
Dès 1924, les écoles passent sous le contrôle de l’État. Les programmes scolaires sont définis par le ministère de l’Éducation nationale. Les écoles coraniques sont vouées à disparaître.

Les réformes concernent enfin la justice.
La même année, en 1924, les tribunaux religieux sont supprimés. Et en 1926, un code civil est créé : il interdit polygamie et la répudiation de l’épouse (rupture du mariage par la décision du mari uniquement). Le mariage civil est instauré et le divorce est autorisé.

Les réformes, reflet de la sécularisation de la société

La sécularisation est rapide et elle est imposée par Mustafa Kemal de manière autoritaire. Elle est appréciée par une petite élite occidentalisée, mais elle met du temps à toucher une population rurale à 85 % et attachée à la tradition musulmane.

La place des femmes dans la société connait une évolution majeure.
Les jeunes filles ont accès à l’école publique qui devient mixte et le travail des femmes est autorisé. De plus, elles obtiennent le droit de vote en 1934 (soit 10 ans avant les femmes françaises).
Le port du voile est interdit dans les administrations. Les femmes sans foulard symbolisent la laïcité turque. Si le voile n’est pas interdit dans l’espace public, il est déconseillé de le porter.

Les hommes sont également touchés par la réforme vestimentaire de 1925 qui interdit le port du fez. Ce chapeau traditionnel turc, qui n’a pas de visière, permet au croyant de poser le front au sol pour prier. La réforme abolit donc une coiffe qui était considérée comme instrument de piété.

Mais la sécularisation concerne de nombreux autres aspects de la vie sociale et culturelle.
En 1926, le calendrier musulman est remplacé par le calendrier grégorien. L’alphabet arabe est remplacé par l’alphabet latin en 1928. Si le changement d’alphabet apparaît comme une vraie rupture, il ne faut pas oublier que la Turquie de l’époque a une population majoritairement analphabète. Quant aux lettrés, ils ont tendance à conserver dans la pratique les deux alphabets.

  • Néanmoins, la volonté politique marquée de Mustafa Kemal est de privilégier le nationalisme turc au référentiel culturel arabo-musulman.

Affiche de propagande mettant en avant les réformes kémalistes Affiche de propagande mettant en avant les mesures de Mustafa Kemal, années 1930, auteur inconnu

  • Sur cette illustration de propagande, les réformes kémalistes sont présentées comme des marches du progrès, permettant à la Turquie de s’élever, sous l’œil protecteur de leur instigateur, Atatürk. Sont mis en scène de droite à gauche :
  • la victoire turque sur les Grecs en 1922, permettant à la Turquie de récupérer des territoires qu’elle avait perdu à la fin de la Première Guerre mondiale ;
  • l’abandon du fez (on remarque d’ailleurs que l’homme qui met un coup de pied dans le fez est plutôt vêtu à l’occidentale) ;
  • la fermeture des confréries religieuses que Mustafa Kemal considère trop sectaires ;
  • l’adoption du nouvel alphabet associé à la langue turque (celle-ci remplace d’ailleurs l’arabe dans les sermons religieux) ;
  • l’adoption du code civil turc donnant davantage de droits aux femmes.

Les spécificités du modèle laïque kémaliste

Les différences entre la laïcité telle qu’on la définit en France et le modèle kémaliste de laïcité sont importantes.

La séparation entre l’État turc et la religion n’est pas totale

Tout d’abord, on peut remarquer que l’État turc encadre l’islam.
Dès 1924, Mustafa Kemal crée la Diyanet, la direction des affaires religieuses, rattachée au Premier ministre, et qui a de multiples attributions : contrôler les mosquées, fixer le prêche du vendredi, administrer le pèlerinage à La Mecque, superviser l’enseignement religieux à l’école, nommer et rémunérer les responsables du culte musulman qui sont des fonctionnaires.

  • Il existe donc une mise sous tutelle de la religion par l’État.

L’État turc n’est pas neutre face aux religions

Si la liberté de croyance est tolérée grâce à l’inscription de la laïcité dans la Constitution, toutes les religions ne sont cependant pas considérées à égalité.

  • Chacun est libre de pratiquer sa religion mais la religion musulmane, et plus précisément l’islam sunnite, est privilégiée, et elle reçoit d’ailleurs un financement public.

Les autres religions que l’islam sunnite sont officiellement tolérées, mais les situations d’inégalités, voire les persécutions, sont présentes contre les chrétiens, les juifs et les musulmans non-sunnites (chiites, alévis ou azéris). Dans la pratique, les non-musulmans et les musulmans non sunnites sont considérés comme des citoyens de seconde zone. En 1926, une loi leur interdit d’ailleurs d’exercer toute fonction publique. De plus, les impôts payés par les non-sunnites servent à financer les responsables et les lieux de culte sunnites.

L’Islam sunnite est un pilier de la nation turque

Pour expliquer cette originalité, il faut tenir compte du rôle de l’islam sunnite comme marqueur d’appartenance à la nation turque.
La laïcité est, quant à elle, un marqueur d’appartenance à la république turque.

  • Dans un État multiethnique et pluriculturel, tout en contrôlant l’islam pour protéger la république, Mustafa Kemal conserve l’islam comme levier identitaire.

Conclusion :

Le modèle laïque turc est donc original et très différent du modèle laïque français. Le cheminement vers la laïcité dépend de l’histoire propre à chaque État, et celui de la nation turque ne fait pas exception. Si ce modèle de laïcité propose une séparation plus floue entre l’État et le religieux, il reste pertinent de parler de laïcité dans la Turquie de Mustafa Kemal notamment en ce qui concerne les domaines de la justice et de l’enseignement, qui ne sont plus sous l’influence de la religion.
De plus, grâce à Mustafa Kemal, soucieux de l’émancipation des femmes turques, et contrairement à la plupart des sociétés marquées par l’islam traditionnel au sein d’une société patriarcale, la Turquie des années 1920 connaît une évolution majeure du statut des femmes, statut comparable à celui des femmes en Occident.
L’exemple turc est d’autant plus original au sein du monde arabo-musulman que, après la Seconde Guerre mondiale, la Turquie se rapproche de l’Occident. Elle est considérée par les États-Unis comme un modèle d’État démocratique et laïque exceptionnel au Moyen-Orient et devient membre de l’OTAN en 1952.
De nos jours, la laïcité à tendance à s’effacer au profit d’une islamisation de la société turque. Le président Recep Erdogan défend un projet « néo-ottoman », qui repose sur la nostalgie de la grandeur de l’Empire ottoman et tend à remettre en question l’héritage de Mustafa Kemal.

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