Guerres et paix au Moyen-Orient
Introduction :
« Vers l'Orient compliqué, je volais avec des idées simples » écrivait le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre en référence à la région connue aujourd’hui comme le Moyen-Orient.
L’expression « Moyen-Orient », s’est imposée en France sous l’influence des Anglo-Saxons. Géographiquement, le Moyen-Orient peut être défini comme l’ensemble des pays établis au carrefour entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, de la Turquie à l’Iran, voire l’Afghanistan, et du sud du Caucase à la péninsule Arabique, ensemble auquel il faut ajouter l’Égypte.
Compliqué ou, du moins, complexe à appréhender, comme le souligne la citation du général de Gaulle, le Moyen-Orient l’est pour plusieurs raisons. En effet, depuis la Grande Guerre et l’épopée de Lawrence d’Arabie, cette région forme un espace de tensions et de conflits. Carrefour entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique, riche en pétrole et gaz naturel, berceau des trois religions monothéistes (judaïsme, christianisme et islam), le Moyen-Orient s'inscrit au cœur de rivalités internationales entre grandes puissances qui ont toujours cherché à y imposer leur présence politique, économique et militaire.
On peut dès lors se demander comment les conflits régionaux qui émaillent cette région du monde peuvent avoir des répercussions mondiales.
Nous verrons que cet espace, après avoir été longtemps dominé par le conflit israélo-arabe, devenu israélo-palestinien, voit se développer de nouvelles formes de conflictualités depuis la fin de la guerre froide, constituant ainsi une menace permanente pour la sécurité internationale comme l’illustrent les trois guerres du Golfe.
Le Moyen-Orient : un foyer de conflits
Le Moyen-Orient : un foyer de conflits
L’histoire du Moyen-Orient est émaillée par de nombreux conflits, parmi eux le conflit israélo-arabe a des répercussions mondiales.
Du conflit israélo-arabe au conflit israélo-palestinien
Du conflit israélo-arabe au conflit israélo-palestinien
À partir de la fin du XIXe siècle, la côte palestinienne sous domination ottomane accueille de nombreuses vagues d'immigration juive en provenance d’Europe, et en particulier d’Europe de l’Est. L'antisémitisme, stimulé par l'essor des nationalismes, se manifeste par des pogroms en Russie et en Europe de l'Est, où réside la majeure partie des juifs d'Europe. À la suite de l’affaire Dreyfus (1894-1906), le journaliste autrichien Théodore Herzl crée l’Organisation sioniste mondiale.
Sionisme :
Mouvement fondé à la fin du XIXe siècle par des juifs européens militant pour la création d'un État national juif en Palestine ottomane.
En 1894, Alfred Dreyfus, capitaine de l’armée française, injustement accusé d’avoir communiqué des documents confidentiels à l’ennemi, est condamné au bagne. Cette condamnation, motivée par l’antisémitisme d’une partie de l’armée, va déclencher une intense polémique au sein de la société française entre dreyfusards, partisans de Dreyfus, et antidreyfusards. En 1906, Dreyfus est définitivement innocenté et réhabilité.
En 1917, en pleine Première Guerre mondiale, le gouvernement britannique publie la déclaration Balfour par laquelle il autorise le mouvement sioniste à créer en Palestine un « foyer national juif ». En 1920, la région est placée sous l’autorité de l’Empire Britannique par mandat de la Société des Nations. Une importante immigration juive se met en place et la constitution d'un « foyer juif » (Yichouv) en Palestine est rapide.
- Entre 1919 et 1939, plus de 300 000 immigrants juifs s'installent en Palestine.
Dans l’entre-deux-guerres, un mouvement national palestinien émerge, revendiquant l’arrêt de l’immigration juive. Il aboutit à la révolte Arabe de 1936-1939 qui obtient en partie satisfaction. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux survivants de la Shoah émigrent à leur tour en Palestine, bravant l’interdiction britannique. L’occupant est alors à bout de forces, épuisé par la Seconde Guerre mondiale et par les attaques provenant des mouvements arabes et sionistes.
Le terme hébreu Shoah, qui signifie « catastrophe » désigne l’extermination systématique des juifs d’Europe par l’Allemagne nazie au cours de la Seconde Guerre mondiale.
En novembre 1947, le plan de partage de la Palestine, qui prévoit un partage du pays entre un État juif et un État arabe est voté par l’ONU. Il marque le commencement de six mois de conflit armé entre les forces paramilitaires juives et palestiniennes, tandis que les Britanniques évacuent le territoire.
- Le 14 mai 1948, leur départ définitif entraîne la création de l’État d’Israël, proclamé par David Ben Gourion, et la première guerre entre les Israéliens et leurs voisins arabes.
Le 15 mai 1948, les forces armées d’une coalition arabe comprenant l’Égypte, l’Irak, la Syrie, la Transjordanie (actuel royaume de Jordanie), l’Arabie Saoudite et le Liban envahissent le territoire du nouvel État israélien et la Cisjordanie. Les États arabes considèrent en effet la Palestine comme une terre arabe et la création d'Israël comme une agression. Bien qu’inférieure numériquement, Tsahal, l’armée israélienne, remporte le conflit et contraint les pays arabes à signer des cessez-le-feu en 1949. Les terres prévues pour l’État arabe (Cisjordanie et bande de Gaza) sont respectivement annexées par la Jordanie et par l’Égypte. Environ 720 000 palestiniens se réfugient à Gaza, en Cisjordanie et au Liban, chassés ou partis de leur plein gré dans l’espoir de revenir une fois Israël vaincu.
- À partir de cette date, connue sous le nom de Nakba (la catastrophe) dans les pays arabes, les Palestiniens deviennent un peuple sans État.
En 1956, à la suite de la crise du canal de Suez, a lieu la seconde guerre israelo-arabe, au cours de laquelle Israël occupe brièvement le Sinaï et la bande de Gaza. Cependant, le conflit va véritablement commencer à avoir des répercussions internationales à partir de la Guerre des Six jours. Cette guerre, qui s’étendit du 5 au 10 juin 1967 opposa Israël à l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban. Provoquée par le blocus par l’Égypte du détroit de Tiran (qui privait de facto les Israéliens de leur unique port sur la mer Rouge), le conflit se solde par une cuisante défaite pour les pays arabes suite à une attaque préventive foudroyante de l’aviation israélienne.
À l’issue du conflit, l’armée israélienne occupe la Cisjordanie (dont Jérusalemen-Est), la bande de Gaza, le plateau du Golan (au détriment de la Syrie) et le désert du Sinaï (au détriment de l’Égypte).
- À partir de ce moment, l’OLP (Organisation de libération de la Palestine), organisation politique et paramilitaire créée en 1964, devient un mouvement de guérilla dont les bases arrières sont établies dans les pays arabes frontaliers d’Israël, dont l’Égypte, la Jordanie et le Liban.
Cette défaite, vécue comme une humiliation dans les pays arabes, est la principale cause de la guerre du Kippour, d’octobre 1973.
Lors de la fête juive du Grand Pardon (Yom Kippour), les armées syriennes, égyptiennes et jordaniennes attaquent Israël dans l’intention de récupérer les territoires perdus en 1967. Cependant, elles essuient une fois encore un échec militaire. Les pays arabes vont alors user d’une nouvelle arme, le pétrole, pour faire pression sur les pays occidentaux, au premier rang desquels les États-Unis, qui soutenaient militairement Israël. Les 16 et 17 octobre 1973, les pays de l’OPEP décident en effet d’une hausse unilatérale des prix du pétrole brut de 70 % puis d’un embargo sur les ventes de pétrole aux États-Unis et aux Pays-Bas, en raison du soutien apporté à Israël par ces deux pays.
OPEP :
Créée en 1960, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole réunit les principaux pays producteurs de pétrole dans le but d’influencer les cours du pétrole. Ces membres fondateurs sont l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Irak, le Koweït et le Venezuela.
Cette flambée du prix du pétrole (le baril passe de $3\ \$ $ à $18\ \$ $) se traduit par le premier choc pétrolier de l’histoire, qui va conduire les économies des pays occidentaux à la récession. La crainte d’une pénurie d’hydrocarbures va inciter la plupart des pays occidentaux à adopter une position moins favorable à Israël au sein de l’ONU ce qui explique en partie que le Conseil de sécurité de l’ONU adopte alors une résolution (n°338) qui recommande un cessez le feu et l’application de la résolution n°242 adoptée à l’issue de la Guerre des Six-jours et restée sans lendemain.
- Or, la résolution 242 prévoyait la rétrocession des territoires occupés par Israël en échange de la reconnaissance par les pays arabes de la souveraineté d’Israël dans ses frontières d’avant 1967 et de son intégrité territoriale.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies est l’organe exécutif de l’ONU. Il se compose de cinq membres permanents (les cinq pays vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale) qui y possèdent un droit de véto et de membres non permanents. Sa principale mission est d’assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Pour remplir cet objectif, le Conseil de sécurité peut adopter des résolutions, qui sont des décisions à portée contraignante qui s’imposent théoriquement à l’ensemble des pays membres de l’ONU.
Le soutien (du moins le soutien militaire) des pays arabes aux groupes armés palestiniens, de plus en plus perçus comme des menaces pour la stabilité des régimes arabes, s’effrite à partir de cette époque. En septembre 1970 (le « Septembre noir » palestinien), l’armée jordanienne écrase une insurrection de groupes palestiniens présents sur son territoire et chasse l’OLP vers le Liban. À son tour, le pays est déstabilisé par l’arrivée de la guérilla palestinienne et bascule dans la guerre civile à partir de 1975.
- D’israélo-arabe, le conflit devient progressivement israélo-palestinien à partir de cette date.
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’immigration des juifs d’Europe en Palestine s’intensifie et aboutit à la proclamation de l’État d’Israël qui entraîne le déclenchement de la première guerre israélo-arabe. À partir de ce moment, débute une série de conflits entre Israël et ses voisins arabes qui se soldent systématiquement par des victoires israéliennes et de nouvelles annexions de territoires sans que l’ONU, paralysée par le conflit entre les États-Unis et l’URSS dans le cadre de la guerre froide, ne parvienne à imposer un accord de paix, voire un cessez-le-feu durable.
Des tentatives de résolution qui impliquent de nombreux acteurs
Des tentatives de résolution qui impliquent de nombreux acteurs
En 1977, le président égyptien Anouar el-Sadate devient le premier chef d’État arabe à se rendre en visite officielle en Israël où il rencontre le premier ministre israélien Menahem Begin (1977-1983) et prononce un discours au parlement israélien. L’objectif de la visite est de négocier une paix durable entre l’Égypte et Israël.
Bien que très impopulaire dans le monde arabe, l’initiative d’Anouar el-Sadate fut couronnée de succès. Le 17 septembre 1978, les deux dirigeants signèrent les accords de Camp David sous l’égide du président américain de l’époque Jimmy Carter (1977-1981).
- Ces accords débouchèrent quelques mois plus tard à la conclusion du traité de paix israélo-égyptien (1979).
À l’issue des accords de Camp David et de la conclusion du traité de paix israélo-égyptien, Israël se retire du désert du Sinaï, y démantèle ses colonies et restitue la région à l’Égypte. En retour, l’Égypte devient le premier État arabe à reconnaître Israël et à signer un traité de paix avec l’État hébreu. De surcroît, le pays le plus peuplé du Moyen-Orient s’engage à permettre aux Israéliens le libre accès au détroit de Tiran et au canal de Suez.
La portée de ces accords est historique. D’une part, une solution de paix est entrevue pour la première fois au Moyen-Orient, puisque les accords de Camp David laissent la porte ouverte à la conclusion d’accords similaires entre Israël et le reste du monde arabe, dont les Palestiniens. D’autre part, ces accords contribuent à faire des États-Unis et de l’Égypte des acteurs incontournables des futures tentatives de résolution du conflit israélo-palestinien.
- Le retentissement de l’accord est tel qu’il est salué par la remise du prix Nobel de la paix conjointement à Anouar el-Sadate et Menahem Begin en 1978. Sadate est cependant mis au ban du monde arabe, et même assassiné en 1981.
La fin de la guerre froide et la crispation des relations entre Israéliens et Palestiniens vont accentuer ce rôle central de médiateur joué par les États-Unis dans le conflit. Le déclenchement de la première intifada, le 9 décembre 1987, laisse en effet craindre un nouvel embrasement de toute la région.
Intifada :
Le terme intifada, qui signifie « soulèvement », désigne les révoltes de la population palestinienne de Gaza et de Cisjordanie contre l’occupation israélienne.
Pour sortir de cette voie sans issue, des pourparlers secrets sont menés entre Palestiniens et Israéliens sous l’égide conjointe des États-Unis et de la Russie entre 1991 et 1993.
Le 13 septembre 1993, ces pourparlers aboutissent à la rencontre de Yasser Arafat, dirigeant de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) et du premier ministre israélien Yitzhak Rabin (1992-1995) à Washington sous l’égide du président américain Bill Clinton (1992-2000).
Le texte adopté à l’issue de la rencontre prévoit une reconnaissance mutuelle officielle entre Israël et l’OLP et doit aboutir à un processus de paix négociée, l’OLP renonçant officiellement à la violence pour aboutir au règlement du conflit. La rencontre donne lieu aux accords d’Oslo, succession de textes élaborés et signés entre 1993 et 1995 qui prévoyaient la création d’une Autorité palestinienne (composée d’un président, d’un gouvernement et d’un parlement) et le transfert progressif des territoires occupés à cette entité dans un délai de cinq ans.
De gauche à droite : Yitzhak Rabin, Bill Clinton et Yasser Arafat le 13 septembre 1993 devant la Maison-Blanche
Cependant, cette ébauche de paix fut éphémère. Non seulement les accords passaient sous silence le sort des réfugiés palestiniens dans les pays arabes voisins mais il n’évoquaient pas non plus le devenir des nombreuses colonies israéliennes implantées dans les territoires palestiniens ni la question des frontières du futur état palestinien. Plus grave, cette ébauche de plan de paix se heurta aux extrémistes des deux partis. Ce rejet aboutit, côté israélien, à l’assassinat d’Yitzhak Rabin par un extrémiste juif le 4 novembre 1995 tandis que le Hamas, mouvement islamiste palestinien, multiplia les attentats contre les civils israéliens. À partir de cette date, les négociations s’enlisent. La visite d’Ariel Sharon (dirigeant du Likoud, parti politique israélien hostile à la conclusion d’un accord avec les Palestiniens) sur l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem, le 28 septembre 2000 met le feu aux poudres en provoquant le début de la deuxième intifada. La mort de Yasser Arafat en 2004 acheva de décourager les efforts de paix.
Cependant, l’évacuation des colonies israéliennes de la bande de Gaza en 2005, décidée unilatéralement par les Israéliens, laissa brièvement espérer une reprise du processus de paix. Mais la prise de contrôle de la bande de Gaza (jusqu’alors gouvernée par l’Autorité palestinienne aux mains de l’OLP) par le mouvement islamiste du Hamas en 2006 et le conflit intestin qui s’en suivit entre Palestiniens, ainsi que la poursuite de la colonisation de la Cisjordanie où plus de 400 000 colons sont installés, morcelant complètement le territoire, achevèrent de rendre caducs les accords d’Oslo.
Depuis, la situation n’a cessé de s’envenimer. Incapables de présenter un interlocuteur unique face aux Israéliens, les Palestiniens sont devenus inaudibles sur la scène internationale. La demande de reconnaissance de l’État palestinien à l’ONU en septembre 2011 s’est ainsi heurtée aux protestations d’Israël soutenu par les États-Unis de Barack Obama (2008-2011).
Parallèlement, la situation sur le terrain est devenue inextricable. Le gouvernement israélien a édifié un mur de séparation pour isoler la Cisjordanie à partir de 2002, lequel englobe une partie des territoires revendiqués par les Palestiniens comme base de leur futur État, tandis que, depuis Gaza, le Hamas procède régulièrement à des tirs de roquettes contre l’État hébreu.
La décision du président des États-Unis Donald Trump de transférer l’ambassade américaine en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem, le 6 décembre 2017, implique de facto la reconnaissance par les États-Unis de la ville sainte comme capitale d’Israël. Ce transfert a annihilé tout espoir de règlement du conflit dans un proche avenir malgré l’annonce d’une relance du processus de paix par Donald Trump qui a été rejetée par l’Autorité palestinienne avant même son annonce.
Les accords de Camp David conclus entre l’Égypte et Israël en 1978 puis la fin de la guerre froide ont contribué à faire de l’Égypte et des États-Unis des acteurs incontournables dans le règlement du conflit israélo-palestinien. Au lendemain de la signature des accords d’Oslo, l’espoir d’une résolution du conflit grâce à des discussions directes entre l’Autorité palestinienne et Israël naquit. Cependant, les extrémistes des deux camps parvinrent à faire s’enliser les négociations. Aujourd’hui au point mort, le processus de paix ne semble pas devoir être réactivé par une initiative américaine. Au contraire, en reconnaissant Jérusalem comme capitale de l’État hébreu, Donald Trump semble avoir franchi le Rubicon.
Des conflits régionaux aux répercussions mondiales
Des conflits régionaux aux répercussions mondiales
Un événement de l’histoire du Moyen-Orient est le renversement du régime monarchique pro-américain du Shah Mohamed Reza Pahlavi par l’Ayatollah (religieux chiite) Rouhollah Khomeiny en 1979. Ce dernier instaure la République islamique d’Iran. Le plus puissant allié des États-Unis dans la région devient en quelques mois un adversaire implacable du « Grand Satan » américain. Suite à ce changement de régime la guerre Iran-Irak est déclenchée par le dictateur irakien Saddam Hussein, soutenu par la plupart des États arabes, pour enrayer la vague islamiste. Cette guerre, qui dure de 1980 à 1988, fait un million de morts et échoue à détruire la République islamique.
Guerre Iran-Irak :
La guerre Iran-Irak oppose les deux pays entre 1980 et 1988. Craignant que la révolution islamique survenue en Iran en 1979 ne déstabilise ensuite son pays, Saddam Hussein attaque l’Iran par surprise en 1980. Cependant, le conflit s’enlise jusqu’en 1988 sans qu’aucun des deux rivaux ne parvienne à l’emporter.
D’une guerre à l’autre : les deuxième et troisième guerres du Golfe
D’une guerre à l’autre : les deuxième et troisième guerres du Golfe
Du 2 au 4 août 1990, l’armée irakienne de Saddam Hussein envahit le Koweït, accusé de voler le pétrole irakien grâce à des forages obliques. En réalité, l’Irak, sorti exsangue de la guerre Iran-Irak saisit ce prétexte pour ne pas avoir à rembourser une dette de 60 milliards de dollars contractée auprès de son riche voisin et de l’Arabie saoudite.
Qui plus est, l’Irak, qui détient la cinquième plus importante réserve de pétrole de la planète, espère contrôler les champs pétrolifères koweïtiens et faire augmenter le prix du baril de pétrole, et donc ses revenus, en obligeant son voisin à diminuer ses exportations.
À l’origine conflit frontalier entre l’Irak et le Koweït impliquant l’Arabie Saoudite, la première guerre du Golfe a eu des répercussions mondiales.
En effet, les attentes de Saddam Hussein sont déçues : alors qu’il escomptait dissuader les États-Unis d’intervenir dans le conflit en opérant un rapprochement avec l’URSS, cette dernière, en pleine implosion, demeure neutre. Dès lors, les États-Unis, inquiets de la déstabilisation du marché du pétrole et, de surcroît, alliés de l’Arabie saoudite (depuis la conclusion du pacte du Quincy en 1945) elle-même alliée du Koweït, ne rencontrent guère de difficultés à réunir une coalition internationale forte de 35 pays, parmi lesquels plusieurs pays arabes, dont l’Arabie saoudite, l’Égypte et les Émirats arabes unis contre le dictateur irakien.
- En janvier 1991, l’opération militaire de la coalition, baptisée Tempête du désert, permet aux troupes de la coalition d’écraser l’armée irakienne, et de libérer le Koweït.
Du point de vue géopolitique, l’invasion du Koweït par l’Irak est à l’origine d’un nouvel ordre mondial défini par le président George Bush (1989-1993) comme fondé sur le multilatéralisme et le respect du droit international. De fait, l’URSS n’oppose pas son droit de véto au Conseil de sécurité de l’ONU ce qui permet à la coalition menée par les États-Unis d’agir dans le respect du droit international.
Cependant, cette Première Guerre du Golfe peut être qualifiée de trompeuse pour les États-Unis. En effet, si les pertes humaines de la coalition s’élèvent à moins de 300 morts (exception faite des pertes civiles et militaires koweïtiennes) elle constitue en revanche un élément déstabilisateur dans la région qui favorise le développement de l’islamisme.
Islamisme :
Courant de pensée politique musulman qui vise à transformer le système politique et social d’un pays en faisant de la charia, la loi islamique, l’unique source du droit.
Depuis le début du XXe siècle, les mouvements terroristes islamistes contestent la présence occidentale dans la région, notamment en Arabie saoudite, qui abrite les lieux saints de l’islam. Ces mouvements se renforcent à cette époque. C’est notamment le cas au Liban du Hezbollah shiite, proche de l’Iran, du Hamas, proche des Frères musulmans et d’Al-Qaïda, dirigée par le Saoudien Oussama Ben Laden.
À partir des années 1990, Ben Laden appelle au djihad (c’est-à-dire à la guerre sainte) et organise une série d’attentats contre les intérêts occidentaux dans le monde musulman.
De nombreuses attaques se succèdent à l’encontre des intérêts américains au Moyen-Orient, dont des attaques contre des ambassades et un attentat suicide contre le destroyer américain USS Cole le 12 octobre 2000 lors d’un ravitaillement dans le port d’Aden, au Yémen. Al-Qaida frappa ensuite l’hyperpuissance américaine en son cœur lors des attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone, symboles de la puissance économique et militaire des États-Unis.
Le 11 septembre 2001, des terroristes d’Al-Qaida détournèrent quatre avions de ligne dans le dessein de les utiliser comme avions-suicides contre des cibles prédéfinies par Oussama Ben Laden. Si l’un des avions, manifestement destiné à s’écraser sur la Maison Blanche, s’écrasa au sol grâce au courage de ses passagers qui essayèrent d’en reprendre le contrôle, les trois autres s’écrasèrent sur les deux tours du World Trade Center et sur le Pentagone, occasionnant plus de 3000 morts et 6000 blessés.
En réponse à ces attentats, les plus violents que le monde ait jamais connu, le président américain George W. Bush (2000-2008) désigne un « axe du mal » qui passait par le Moyen-Orient. Parmi les pays ciblés, l’Afghanistan, dirigé par le régime des Talibans qui soutient Ben Laden, et l’Irak, accusé de détenir des armes de destruction massive, deviennent des objectifs militaires prioritaires pour les États-Unis. Si l’intervention en Afghanistan eut lieu en 2001 avec l’aval de l’ONU, en revanche, l’invasion américaine de l’Irak en 2003, présentée comme une guerre préventive, se fit en dehors du cadre du droit international et marqua un retour de l’unilatéralisme américain.
Guerre préventive :
Guerre initiée pour prévenir un conflit jugé inévitable quoique non imminent avant que l’équilibre des forces potentielles en présence ne soit modifié.
Pour justifier leur intention d’envahir l’Irak et de déposer Saddam Hussein, les États-Unis prétendent en effet que ce dernier menait secrètement un vaste programme de production d’armes de destruction massive. Ils accusent en outre l’Irak d’avoir soutenu et financé Al-Qaida. Ces accusations s’avérèrent infondées, voire mensongères dans le cas des armes de destruction massive.
Ce mensonge est dénoncé dans un film, Green Zone, dans lequel Matt Damon interprète un officier américain plongé dans le chaos irakien à la recherche de ces armes inexistantes.
La France, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin, s’oppose à la volonté américaine de lancer une guerre préventive contre l’Irak, accusé – sur la base de fausses preuves – de détenir et de produire des armes de destruction massive.
Les États-Unis passent néanmoins outre aux mises en garde françaises, et envahissent l’Irak à la tête d’une coalition majoritairement anglo-saxonne le 20 mars 2003, initiant ainsi la troisième guerre du Golfe.
Cette guerre est parfois appelée seconde guerre du Golfe quand la guerre Iran-Irak (1980-1988) n’est pas prise en compte comme la première guerre du Golfe.
- De guerre interétatique, cette troisième guerre du Golfe va se transformer en conflit asymétrique aux répercussions mondiales après la chute de Saddam Hussein.
Avec la fin de la guerre froide (1947-1991), les États-Unis deviennent les gendarmes du monde. Suite à l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein, ils interviennent militairement au Moyen-Orient afin de libérer le Koweït de l’emprise irakienne et de protéger l’Arabie Saoudite. Si leur intervention est initialement bien accueillie par les dirigeants des pays arabes, la présence des États-Unis au Moyen-Orient va contribuer à l’émergence de nombreux groupes islamistes terroristes comme Al-Qaida, dirigée par Oussama Ben Laden, le commanditaire des attentats du 11 septembre 2001. Ces attentats vont servir de prétexte aux États-Unis pour déclencher la troisième guerre du Golfe. Conflit originellement interétatique, ce dernier va rapidement se transformer en guerre asymétrique aux répercussions internationales.
D’une guerre interétatique à un conflit asymétrique
D’une guerre interétatique à un conflit asymétrique
À l’origine, la troisième guerre du Golfe est une guerre interétatique classique qui opposait l’état irakien aux États-Unis et à leurs alliés.
Confrontée à des forces militaires supérieures technologiquement et disposant de la maîtrise totale du ciel, l’armée irakienne ne peut empêcher la progression des Américains vers Bagdad, qui fut prise en avril 2003. Devant l’avancée américaine, Saddam Hussein prend la fuite. Il est arrêté en décembre de la même année dans la région de Tikrit, sa ville natale. Le 1er mai 2003, les forces armées de la coalition contrôlent l’ensemble du territoire irakien, ce qui permet au président Georges W. Bush d’annoncer la fin des combats.
Très rapidement cependant, les forces américaines et leurs alliés vont perdre le contrôle de la situation. Incapables d’instaurer un gouvernement irakien représentatif de la société irakienne, divisée entre sunnites, shiites et kurdes, alors qu’ils étaient intervenus dans l’intention de promouvoir la démocratie, les Américains voient se constituer une multitude de milices et de groupes d’insurgés à travers le pays comme la milice shiite de l’Armée du Mahdi ou Al-Qaida en Irak. Ces insurgés vont se rendre coupables de violences et d’attaques croissantes à l’encontre des troupes de la coalition et des forces armées du nouveau gouvernement irakien.
- De guerre interétatique, la troisième guerre du Golfe a muté en conflit asymétrique qui a progressivement contaminé l’ensemble de l’Irak puis s’est étendu aux pays voisins et aux pays occidentaux à travers le terrorisme islamiste.
Conflit asymétrique :
Un conflit asymétrique est une guerre qui oppose les forces armées d’un État à des combattants matériellement et souvent numériquement inférieurs qui se servent des points faibles de leur adversaire pour parvenir à leur fin. Le terrorisme, la guérilla ou encore les guerres d’indépendance sont des formes de guerre asymétrique.
À partir de 2006, la situation échappe au nouveau gouvernement irakien et aux troupes de la coalition malgré le recours à des sociétés privées de mercenariat comme Blackwater, au déploiement sans cesse croissant de soldats sur le terrain (de 135 000 hommes en 2006, le contingent américain en Irak culmine à 150 000 hommes en 2008) et à des dépenses avoisinant les 3 000 milliards de dollars pour la durée totale du conflit (d’après une étude codirigée par Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie américain en 2001).
Pire, à partir de 2006 a lieu la première guerre civile irakienne entre shiites et sunnites qui ensanglante le pays jusqu’en 2009, date du début du retrait des troupes américaines du pays suite à l’élection de Barack Obama comme président des États-Unis (2009-2017) qui en avait fait une importante promesse de campagne. Les pertes américaines s’élèvent à près de 4 600 tués au cours de la troisième guerre du Golfe. C’est relativement peu en comparaison, par exemple, des 57 000 Américains morts lors de la guerre du Vietnam (1964-1975) ce qui démontre l’efficacité de la guerre asymétrique dont les violences, massivement relayées par les médias, ont un impact considérable sur les opinions publiques internationales pour lesquelles elles paraissent insolvables au fur et à mesure que le temps passe et que les victimes s’accumulent.
- Le retrait progressif des troupes américaines entre 2009 et 2011 va permettre à l’un des groupes d’insurgés islamiques les mieux organisé, l’État Islamique, créé en 2006, d’étendre son influence au-delà des frontières irakiennes.
À l’issue de la fin du retrait américain d’Irak, en décembre 2011, le pays est traversé par une nouvelle vague de violences interconfessionnelles : c’est le début de la seconde guerre civile irakienne. Ces tensions sont particulièrement vives dans le centre et le nord de l’Irak, à majorité sunnite, où la population proteste contre la politique du premier ministre de confession shiite Nouri-al-Maliki. Profitant de ces troubles, le groupe insurgé État islamique en Irak et au Levant s’empare d’une partie des provinces de l’ouest du pays en décembre 2013 puis, le 10 juin 2014, prend la ville de Mossoul qui contrôle le nord du pays avec seulement quelques milliers d’hommes. Simultanément, au Sud, les djihadistes de l’État islamique marchent sur Bagdad précédés par la rumeur des nombreuses exactions qu’ils ont commises, comme l’exécution sommaire de 1 700 soldats irakiens de confession shiite au Camp Speicher, à Tikrit, le 12 juin. Cependant, la mobilisation des milices shiites, soutenues par l’Iran, permet de stopper leur offensive à une centaine de kilomètres de la ville.
À la fin du mois de juin 2014, le territoire contrôlé par les insurgés de l’État islamique recouvre près d’un tiers du territoire irakien lorsque son chef Abou Bakr al-Baghdadi se proclame calife et appelle les sunnites du monde entier à rejoindre les rangs de l’État islamique ou à commettre des attentats dans les pays soutenant le gouvernement irakien, comme la France, qui sera frappée par les attentats les plus sanglants de son histoire, à Paris, le 13 novembre 2015.
Califat :
Territoire gouverné par un calife, chef d’État reconnu comme successeur du Prophète Mahomet en tant que guide spirituel et temporel de la communauté musulmane.
En aout 2014, l’État islamique lance une offensive au Nord contre le Kurdistan irakien, au cours de laquelle ses troupes se livrent à de nombreuses exactions sur la communauté yézidie, mouvement hétérodoxe de l’islam. Des milliers d’hommes ont été exécutés, tandis que les femmes étaient réduites en esclavage et les enfants, convertis de force à l’islam et contraints de rejoindre les rangs de l’organisation terroriste comme enfants soldats. Dans le même temps, profitant de la guerre civile en Syrie, pays voisin de l’Irak, les troupes de l’État islamique y conquièrent de vastes territoires, dont la province de Raqqa.
La même année, une nouvelle coalition internationale se forme aux côtés des États-Unis afin de soutenir le gouvernement irakien et les forces kurdes qui livrent combat contre l’État islamique dans le nord de l’Irak.
L’Irak était également soutenu par l’Iran, lui-même allié de la Russie et du gouvernement de Bashar al-Assad en Syrie, contre lequel intervenait également la coalition internationale dirigée par les États-Unis. Le gouvernement syrien combattait lui aussi l’État islamique complexifiant davantage encore « l’Orient compliqué » évoqué par le général de Gaulle 70 ans auparavant.
Officiellement achevée le 9 décembre 2017, avec la victoire du gouvernement irakien et de la coalition, la seconde guerre civile irakienne a contribué à déstabiliser davantage encore le Moyen-Orient où les tensions entre les États-Unis et l’Iran, désireux d’y étendre leur influence réciproque, ne cessent de croître et se sont d’ailleurs envenimées en janvier 2020 après l’assassinat du puissant général iranien Qassem Soleimani en territoire irakien sur ordre de Donald Trump.
Quant au groupe État islamique, ses membres, bien que disséminés, demeurent actifs clandestinement en Irak et en Syrie, mais ils se sont également implantés en Afrique, notamment en Libye, dans la région de Syrte où ils espèrent profiter de la guerre civile pour prendre le pouvoir tandis que leurs sympathisants à travers le monde continuent de faire planer le risque d’attentats dans de nombreux pays.
Initialement conflit interétatique, la troisième guerre du Golfe s’est rapidement transformée en conflit asymétrique opposant des insurgés, majoritairement islamistes, aux forces régulières du nouveau gouvernement irakien et de la coalition dirigée par les États-Unis. Non seulement ce conflit a déstabilisé durablement le Moyen-Orient, mais il s’est également diffusé jusqu’en Europe par le vecteur du terrorisme mettant en évidence la vulnérabilité des plus puissantes armées au monde dans les conflits asymétriques.
Conclusion :
À l’origine circonscris, les conflits au Moyen-Orient, qu’il s’agisse du conflit israélo-arabe ou des trois guerres du Golfe, ont vu l’essor de nouvelles formes de guerres dont les répercussions dépassent largement le cadre régional et impactent une grande partie du monde. Les deux guerres du Golfe, si elles ont particulièrement déstabilisé la région, ont également mis en évidence l’impréparation des armées conventionnelles dans le contexte de la guerre asymétrique et illustrent parfaitement le bouleversement des équilibres internationaux depuis la fin de la guerre froide.
Si, lors de la deuxième guerre du Golfe, les États-Unis apparaissent comme une hyperpuissance à même d’imposer un nouvel ordre mondial et de peser sur des conflits anciens et a priori insolvables, comme le conflit israélo-palestinien, la troisième guerre du Golfe va montrer aux yeux du monde les limites de leur puissance et contribuer à l’émergence d’un monde multilatéral à partir de la présidence de Barack Obama et à l’émergence de l’Iran comme puissance régionale.