L'autorité morale de la parole
Introduction :
L’autorité de la parole se doit d’être respectée. Pour cela, elle doit être exemplaire non seulement dans son message mais aussi dans l’action et le comportement auxquels elle donne lieu. Un chef qui donnerait des ordres qu’il violerait lui-même perdrait toute crédibilité et toute autorité. Sa parole serait suspecte et plus personne n’y attacherait une quelconque importance. C’est pour cette raison que l’autorité de la parole mythologique doit représenter une autorité morale.
Parler d’une autorité morale de la parole, c’est, d’une part, parler de sa sincérité, et d’autre part de son efficience, c’est-à-dire sa capacité à accomplir une action bonne et utile, sinon pour tous, du moins pour le plus grand nombre. Celui qui a de l’autorité est celui en qui on a confiance dans la mesure où il nous donne sa parole. De sa parole dépendent à la fois son honneur et notre sécurité. Aussi faut-il, pour avoir confiance en la parole de l’autre, être en mesure de la comprendre. L’autorité de la parole est donc aussi une autorité pédagogique : il faut qu’elle se fasse comprendre pour que nous la reconnaissions comme une source d’autorité.
D’où la problématique de ce cours : sur quels principes se fondent l’autorité morale de la parole et l’autorité de la parole morale ?
La parole divine
La parole divine
L’autorité se définit ici comme acte moral et créateur : elle est le pouvoir de distinguer ce qui est bien et mal, d’inventer des principes selon lesquels diriger son action, et de les faire respecter.
Auctoritas, en latin, désigne un pouvoir qui présente une efficacité spéciale car fondatrice. L’auteur, le créateur mythique serait un être bon pour la simple raison qu’en créant, il nous donne une terre et une vie. L’autorité apparaît dès lors comme un acte de générosité. Le mythe permet de préciser deux hypothèses.
- Première hypothèse : le mythe propose une explication sur l’origine et la raison de notre existence.
- Deuxième hypothèse : le mythe est une parole humaine et populaire mais qui est en lien avec la parole divine.
La parole divine, à son tour, est à prendre dans deux sens.
- D’une part, la parole divine est la parole créatrice de Dieu Lui-même : Dieu crée par la parole.
- D’autre part, la parole divine est la parole de Dieu en tant qu’elle est rapportée dans les textes sacrés : c’est donc également une parole sur Dieu.
Avant de développer ces deux axes, il faut répondre à une question essentielle : les textes religieux sont-ils des livres de mythes ?
- Peut-on qualifier de mythe l’épisode biblique de la création du monde par Dieu, celui de l’arche de Noé ou encore toutes les grandes paraboles du Nouveau Testament ?
Si nous entendons le mot « mythe » au sens péjoratif – un récit absurde et superstitieux coupé de toute réalité – ce mot n’est pas à retenir parce qu’il serait trop réducteur. En revanche, si nous nous demandons si les textes bibliques présentent les caractères essentiels du mythe – récit fabuleux des origines ou des fins, caractère inséparable du mythe et du rite – alors nous pouvons répondre par l’affirmative.
La parole créatrice
La parole créatrice
Premièrement, la parole divine est la parole créatrice de Dieu Lui-même.
- Dans la Genèse, Dieu crée le monde par la parole.
« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.
Or la terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l'abîme, un vent de Dieu tournoyait sur les eaux.
Dieu dit : “Que la lumière soit” et la lumière fut.
Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres.
Dieu appela la lumière “jour” et les ténèbres “nuit.” Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour.
Dieu dit : “Qu'il y ait un firmament au milieu des eaux et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux” et il en fut ainsi.
Dieu fit le firmament, qui sépara les eaux qui sont sous le firmament d'avec les eaux qui sont au-dessus du firmament, et Dieu appela le firmament “ciel”. Il y eut un soir et il y eut un matin : deuxième jour.
Dieu dit : “Que les eaux qui sont sous le ciel s'amassent en une seule masse et qu'apparaisse le continent” et il en fut ainsi.
Dieu appela le continent “terre” et la masse des eaux “mer”, et Dieu vit que cela était bon.
Dieu dit : “Que la terre verdisse de verdure : des herbes portant semence et des arbres fruitiers donnant sur la terre selon leur espèce des fruits contenant leur semence” et il en fut ainsi.
La terre produisit de la verdure : des herbes portant semence selon leur espèce, des arbres »
Genèse, 1, 1-12.
« Dieu dit » apparaît ici comme une anaphore exprimant la logique d’une création ordonnée, du plus grand (le ciel) au moins grand (l’herbe). Dieu disant, les choses apparaissent. Nous retrouvons ici le principe même de toute autorité de la parole, de tout commandement par la parole.
L’être supérieur nomme mais ne fait pas : les choses se mettent à exister.
Elle n’existent que parce qu’elle sont d’abord nommées.
- Sans la parole, pas de réalisation.
Dieu dit, et les choses une fois faites, Il les vérifie : « Dieu vit que cela était bon ». Il les valide, en quelque sorte. On ne sait pas qui réalise, ce qu’est la force fabricatrice obéissant à Dieu – cela fait partie du mystère du mythe – mais elle obéit à l’autorité de la parole divine.
La parole divine rapportée
La parole divine rapportée
De plus, la parole divine est la parole de Dieu en tant qu’elle est rapportée dans les textes sacrés. Dans L’Évangile de Jean, l’apôtre commente la parole divine en usant lui aussi d’une parole créatrice d’autorité.
« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu.
Elle était au commencement avec Dieu.
Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.
En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes.
La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue.
Il y eut un homme envoyé de Dieu : son nom était Jean.
Il vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui.
Il n’était pas la lumière, mais il parut pour rendre témoignage à la lumière.
Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme.
Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue.
Elle est venue chez les siens, et les siens ne l’ont point reçue.
Mais à tous ceux qui l’ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu lesquels sont nés,
non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu.
Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père.
Jean lui a rendu témoignage, et s’est écrié : C’est celui dont j’ai dit : Celui qui vient après moi m’a précédé, car il était avant moi.
Et nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce ;
car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui l’a fait connaître. »
Évangile de Jean, prologue (trad. Louis Segond).
« Au commencement était la Parole » ou « Au commencement était le Verbe », selon les traductions.
- Dieu n’a pas la parole, il est parole.
Le « verbe » est le mot qui indique par définition une action (verbes d’action : faire, créer, etc.) ou un état (verbe d’état : être). Ici, le « Verbe » exprime à la fois un état et une action : l’état de perfection divin (Dieu est tout-puissant) et l’action qui émane directement du « J’ai dit ». Le verbe renvoie à la parole en tant qu’action : acte de parler, mais point de départ de toutes les actions à venir. « Au commencement était la Parole » : cette phrase constitue un métalangage sacré : une parole sacrée sur la parole sacrée que la parole du prêtre reprend rituellement.
L’autorité de la parole morale est un thème constamment présent dans la Bible, de la parole divine transmise par les tables de la loi (les Dix Commandements) à Moïse aux deux commandements de l’amour que Dieu transmet au Christ et que le Christ transmets aux hommes : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » et « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
L’autorité de la parole divine consiste à énoncer des principes et des valeurs morales que nous sommes censés suivre, principes reposant essentiellement sur l’amour.
La parole, vertu du « mâle »
La parole, vertu du « mâle »
Mais tout le monde n’est pas apôtre, prophète, et encore moins dieu. Dès lors, qui, dans l’humanité ordinaire, porte la responsabilité du discours « autoritaire » ?
Traditionnellement, dans des sociétés patriarcales et paternalistes, le père, l’homme (le mâle) est le détenteur de l’autorité morale, familiale et sociale ainsi que de la parole qui l’exprime.
Il est celui qui commande, celui qui parle : le colonel, le prêtre, le manager. Parler avec autorité est donc une vertu, au sens étymologique du terme.
Vertu :
Force virile qui permet de se tourner volontairement vers le bien (en latin vir signifie « la force »), mélange d’habitude, d’exercice et de disposition naturelle.
L’Odyssée d’Homère nous donne un exemple édifiant de la parole « mâle ».
Ulysse, après la guerre de Troie, ne parvient à revenir chez lui à cause de nombreuses péripéties. Des prétendants attendent que Pénélope, la femme d’Ulysse, choisisse un nouveau mari, ce qu’elle ne veut pas faire. Dans l’extrait qui suit, l’aède Phémios chante les exploits d’Ulysse.
Aède :
Un aède est un poète chantant ou récitant en public.
Pénélope lui demande de se taire, tentative de la femme de faire taire la parole de l’homme. Mais Télémaque, le fils de Pénélope et Ulysse s’y oppose.
« “Ma mère, pourquoi refuser à ce poète harmonieux de nous charmer selon les inspirations de son esprit ? Ce ne sont pas les poètes qui causent nos infortunes, mais Zeus, qui distribue comme il lui plaît ses dons aux ingénieux mortels. Ne reproche pas à Phémios de célébrer les malheurs des Achéens : les chants qu'on admire davantage sont toujours les plus nouveaux. Il faut avoir assez d'empire sur ton cœur pour l'écouter, ô ma mère ! Car Ulysse n'est point le seul qui, dans la ville de Troie, ait perdu à jamais le jour du retour : bien d'autres héros sont, comme lui, descendus dans la tombe ! Retourne donc dans tes appartements ; reprends tes travaux accoutumés, la toile et le fuseau, et commande à tes femmes de hâter leur ouvrage. Le soin de parler appartient aux hommes, et surtout à moi qui règne dans ce palais.”
Pénélope, frappée d'admiration, se retire en réfléchissant aux sages paroles de son fils ; elle se dirige vers les appartements supérieurs du palais, accompagnée de ses suivantes, et là elle pleure Ulysse, son époux bien aimé, jusqu'au moment où Athéna répand un doux sommeil sur ses paupières. Pendant ce temps les prétendants s'agitent dans les salles obscurcies par les ombres du soir, et tous désirent partager la couche de Pénélope. Alors Télémaque leur adresse ces paroles :
“Prétendants de ma mère, hommes remplis d'audace, livrons-nous au plaisir du festin et que le tumulte cesse. Il est honorable d'entendre un tel chanteur qui, par sa voix, est égal aux dieux. Demain au point du jour nous nous réunirons tous en assemblée, afin que je vous donne publiquement l'ordre d'abandonner ce palais. Établissez ailleurs le lieu de vos plaisirs, consumez vos richesses et traitez-vous tour à tour dans vos propres demeures. Mais, s'il vous semble meilleur et plus profitable d'enlever impunément les richesses d'un seul homme, continuez ; moi, j'invoquerai les dieux éternels, pour que Zeus vous châtie selon vos crimes : puissiez-vous alors périr en ces lieux !” »
Homère, L’Odyssée, chant I.
La parole est-elle de nature masculine ? L’autorité de cette parole, qui consiste dans l’expression d’injonctions et de conseils, n’est-elle pas le caractère d’un machisme qui déconsidère aussi bien les femmes que leurs paroles ? Pire ! Dans l’extrait de L’Odyssée, Télémaque, en l’absence du père, endosse le statut paternel et s’adresse à sa mère en inversant le rapport d’autorité parent/enfant.
- C’est l’enfant qui en vient à ordonner à sa mère ce qu’on pourrait traduire ainsi : « remonte dans ta chambre et plus vite que ça ! »
Pénélope, plutôt que de s’offusquer des paroles de son fils, les accepte avec « admiration ». Mais Télémaque assume son autorité de substitution jusqu’au bout et tente de faire, par la parole, ce que son père aurait fait à sa place (et fera) : chasser les prétendants.
Toutefois, cette tradition de l’autorité morale du discours mâle est contrebalancée par deux phénomènes : d’une part l’existence de sociétés matriarcales où ce sont les femmes qui décident, commandent et parlent ; et d’autre part, aujourd’hui, un souci d’égalité de parole entre les hommes et les femmes.
La promesse, clé de l’autorité morale de la parole
La promesse, clé de l’autorité morale de la parole
« Je te donne ma parole ». « Je te crois sur parole ». « Tu n’as pas de parole ».
- La morale de la parole renvoie aussi à l’idée que la parole se donne comme un engagement, ce qui évidemment, là encore, ne peux relever que du symbole et donc de la confiance que l’on accorde ou non à celui qui s’engage par les mots.
La promesse est un élément crucial de l’autorité de la parole.
On dit de celui qui promet mais qui ment qu’il n’a pas de parole, comme si on l’en privait. Que signifie « ne pas tenir sa parole » ? Que la parole a dérapé et a fini dans les fossés de la trahison et de la mauvaise foi. Là aussi, les formules sont symboliques. Mais ces symboles ont une valeur : c’est par eux que nous sommes unis à l’autre.
En grec, « symbole » vient de sumbolon, c’est-à-dire « mettre ensemble » : le sumbolon était un tesson de poterie cassé en deux et partagé entre deux personnes qui, des années plus tard, pouvaient se reconnaître en remettant ensemble les deux fragments, comme deux pièces d’un puzzle. Il avait valeur de serment ou de contrat.
L’Antiquité a produit une parole symbolique essentielle, c’est-à-dire fondant le lien de confiance entre deux types de personnes : celle du médecin et de son patient.
- Le serment d’Hippocrate, parole d’initiation permettant de devenir médecin, est un discours oral, prononcé en public, construit sur la promesse et l’engagement. Il est encore prononcé de nos jours à la fin des études de médecine.
Hippocrate de Cos (-460 à -377 environ) est un médecin grec et philosophe, considéré comme le père de la médecine, ayant travaillé la pratique de l’observation clinique et du diagnostic, et développé la théorie des humeurs.
Hippocrate de Cos, gravure de Pierre Paul Rubens, 1638
« Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l'engagement suivants :
Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon savoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères, et, s'ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part de mes préceptes, des leçons orales et du reste de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.
Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif1 . Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté.
Je ne pratiquerai pas l'opération de la taille2, je la laisserai aux gens qui s'en occupent.
Dans quelque maison que j'entre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves.
Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l'exercice de ma profession, je tairai ce qui n'a jamais besoin d'être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas.
Si je remplis ce serment sans l'enfreindre, qu'il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire ! »
Serment d’Hippocrate, trad. Émile Littré
1 Moyen d’avortement.
2 Opération chirurgicale qui consistait à inciser la vessie pour extraire la pierre liée aux calculs.
Le serment, réactualisé, du Conseil de l'Ordre des médecins de 2012 utilise le verbe « promettre » en introduction et le mot « promesse » en conclusion :
« Au moment d'être admis à exercer la médecine, je promets et je jure d'être fidèle aux lois de l'honneur et de la probité.
[…] Que les hommes et mes confrères m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré et méprisé si j'y manque. »
La dimension publique de la promesse est une donnée importante de la parole, puisqu’elle prend l’auditoire à témoin.
C’est ce que fait le groupe Radiohead dans la chanson de « I promise » (« Je promets »).
Radiohead en concert, ©Raph_PH CC BY 2.0
Radiohead est un groupe de rock alternatif anglais, dont le leader est Thom Yorke, et qui est notamment connu pour la chanson « Creep ».
« I won't run away no more, I promise
Even when I get bored, I promise
Even when you lock me out, I promise
I say my prayers every night, I promise
I don't wish that I'm spread, I promise
The tantrums and the chilling chats, I promise
Even when the ship is wrecked, I promise
Tie me to the rotten deck, I promise
I won't run away no more, I promise
Even when I get bored, I promise
Even when the ship is wrecked, I promise
Tie me to the rotten deck, I promise
I won't run away no more, I promise »
Je ne m'enfuirai plus, je le promets
Même quand je m'ennuierai, je le promets
Même quand tu m'enfermeras dehors, je le promets
Je dirai mes prières tous les soirs, je le promets
Je ne souhaite pas me répandre, je le promets
Ni colères ni discussions effrayantes, je le promets
Même quand le bateau fera naufrage, je le promets
Attache-moi à ce pont tout pourri, je le promets
Je ne m'enfuirai plus, je le promets
Même quand je m'ennuierai, je le promets
Même quand le bateau fera naufrage, je le promets
Attache-moi à ce pont tout pourri, je le promets
Je ne m'enfuirai plus, je le promets
Radiohead, « I promise », Ok Computer, OKNOTOK.
La chanson présente une épiphore.
Épiphore :
Procédé stylistique qui consiste à reprendre les mêmes mots à la fin de chaque phrase.
Ici, il s’agit de « I promise », comme une incantation vis-à-vis de soi-même et de sa propre faculté à s’engager. Une personne fait une série de promesses à une autre personne. Est-ce que ce sont des promesses de fidélité ? À tout le moins, il est promis que, quoi qu’il arrive, on restera près de l’autre, dans le malheur, dans la mort, pour le pire. L’essence même de la promesse comme expression de l’autorité morale de la parole peut aller jusqu’à ce cas limite.
- La promesse à l’autre est alors aussi promesse à soi.
Dans un cadre publique bien plus large et moins intime, on retrouve également la promesse dans les discours politiques, surtout en deux occasions :
- en période électorale où la parole politique, censée être morale c’est-à-dire au service de l’intérêt général, est souvent un ensemble de promesses que l’on s’engage à tenir si l’on est élu ;
- quand un homme politique, dans la tourmente des affaires, jure qu’il n’a pas commis de délit.
- Ce fut le cas de Jérôme Cahuzac dont la parole prononcée devant les élus de l’Assemblée nationale fut ensuite démentie par son auteur lui-même.
La promesse devient acte de jurer « les yeux dans les yeux ». La suspicion de mensonge rode. Un article du site de la revue L’Express intitulé « “Les yeux dans les yeux” : l’expression préférée des politiques » reprend les grands moments de la politique française où, médiatiquement, l’on promet de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, « les yeux dans les yeux ».
Conclusion :
Ainsi, face à certaines autorités, le scepticisme est de mise. La bonne moralité de la parole ne serait-elle parfois qu’une apparence, une manière de s’imposer aux autres sous couvert de discours sincères ? La défiance avec laquelle la parole politique se manifeste, par exemple, ne fait-elle pas inévitablement naître de la méfiance ? Aussi, nous trouvons l’autorité morale de la parole plutôt dans des genres où les auteurs, plutôt que de chercher à obtenir quelque chose, nous livrent leur sentiment authentique.