L’énergie électrique au cours des deux derniers siècles : le XXe siècle
Introduction :
Dans le cours précédent, nous avons vu les progrès que les physiciens ont faits dans le domaine de l’électricité jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Au cours du XXe siècle, les scientifiques vont explorer de nouvelles voies pour mieux comprendre la structure de la matière, c’est la naissance de la physique quantique. Cette nouvelle branche de la physique va engendrer de nombreuses applications faisant maintenant partie de notre quotidien.
À un moment où les enjeux énergétiques, et donc climatiques, deviennent incontournables, nous verrons que la meilleure compréhension de certains phénomènes physiques a permis des avancées spectaculaires concernant les propriétés électriques de la matière.
Nous présenterons tout d’abord, de façon simplifiée, quelques grands principes de la physique quantique. Puis, nous nous intéresserons aux matériaux semi-conducteurs et à l’une de leurs applications : les cellules photovoltaïques, qui permettent de transformer la lumière du Soleil en électricité.
Quand la physique devient quantique
Quand la physique devient quantique
La physique quantique repose sur des concepts ardus et souvent contre-intuitifs.
Notre but ici ne sera donc pas de comprendre la physique quantique, mais de donner un aperçu de ce que recouvre cette discipline dont nous entendons souvent parler et dont les applications sont omniprésentes dans le monde moderne.
À la fin du XIXe siècle, les physiciens ont établi les grands principes de la physique classique. Toutefois, nombre de problèmes restent à résoudre, comme par exemple celui des corps noirs.
Sa résolution par Planck, en 1900, allait tout bouleverser et ouvrir le champ à la quantification et à la dualité onde/corpuscule, les deux aspects de la physique quantique qui, nous le verrons, permettent d’expliquer l’effet photoélectrique.
L’énergie par paquets
L’énergie par paquets
Nous n’entrerons pas dans le détail du problème du corps noir. Il nous suffit de savoir qu’un corps noir est un objet (théorique) qui absorbe la totalité de l’énergie électromagnétique qu’il reçoit. Lorsque l’on chauffe un corps noir, celui-ci émet un rayonnement électromagnétique que l’on peut étudier. Or, c’est justement dans cette analyse que résidait le problème, quelque peu gênant en science physique…
- Pour certaines longueurs d’ondes, les résultats expérimentaux ne correspondaient pas aux prévisions théoriques !
La théorie prévoyait en effet que l’énergie émise serait de plus en plus grande à mesure que la longueur d’onde diminue, notamment dans l’ultraviolet. Et cela n’a pas été observé : on parle de la « catastrophe ultraviolette ».
Pour comprendre ces résultats, Max Planck introduisit l’idée de discontinuité.
Pour lui, un atome ne pouvait pas absorber n’importe quelle énergie, mais des paquets d’énergie qui prennent des valeurs bien précises, dites discrètes. Ces paquets d’énergie, ou quanta (quantum au singulier), dépendent de la longueur d’onde de la lumière.
Planck proposa une relation permettant de calculer le quantum d’énergie $E$ et détermina la constante de Planck notée $h$ : $E=h\times v$, où $v$ est la fréquence de l’onde en Hz et $E$ est le quantum d’énergie en Joule ($\text{J}$).
Il estima la valeur de $h$, dite de Planck : $h\approx 6,626\times 10^{-34}\ \text{J}\cdot \text{s}$.
Ceci n’était qu’un « artifice de calcul », mais qui résolut le problème. Et, sans le savoir, Planck venait d’ouvrir la voie à la quantification dans le monde microscopique.
- La physique quantique était née.
Le photon : le côté obscur de la lumière !
Le photon : le côté obscur de la lumière !
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la physique dissociait :
- d’une part, les corpuscules (particules), qui sont des points matériels (constituants de matière) que l’on peut localiser dans l’espace et que l’on peut décrire avec un nombre fini de propriétés ;
- d’autre part, les ondes, qui sont des phénomènes diffus, qui peuvent se propager dans toutes les directions.
La lumière, elle, était considérée uniquement d’un point de vue ondulatoire.
Se fondant sur les travaux de Planck, Albert Einstein, en 1905, supposa que, si l’atome émet de l’énergie lumineuse par paquets, alors c’est que la lumière possède déjà ces paquets d’énergie.
- Il imagina alors un corpuscule (une particule), sans masse mais doté d’une énergie : le photon.
Photon :
Le photon est un quantum d’énergie associé au rayonnement électromagnétique, qui se comporte comme une particule. Le nom de photon ne sera donné à ce quantum d’énergie qu’en 1926.
- Einstein imaginait donc que la lumière est à la fois onde et corpuscule, ou ni onde ni corpuscule, mais l’un ou l’autre en fonction de comment on l’étudie !
Cette théorie révolutionnaire fut corroborée par le fait qu’elle permettait d’expliquer un phénomène bien connu à l’époque mais encore incompréhensible : l’effet photoélectrique.
Effet photoélectrique :
Lorsqu’un matériau est exposé à la lumière, à certaines conditions, des électrons peuvent être expulsés de ce matériau.
- Il s’agit de l’effet photoélectrique.
En effet, considérer la lumière uniquement comme une onde électromagnétique ne suffisait pas à expliquer ce phénomène.
Pour Einstein, les photons, comme corpuscules, viennent « heurter » les électrons du matériau et, si leur énergie est suffisante, les « déloger ». S’ensuit un mouvement des électrons. Cette dualité onde/corpuscule de la lumière est, après la quantification, l’autre approche primordiale de la physique quantique.
Louis de Broglie va encore aller plus loin, en affirmant qu’à chaque point matériel est associée une onde et que la dualité onde/corpuscule n’est pas valable que pour la lumière, mais aussi pour toutes les particules, électrons compris, qui auront donc des propriétés ondulatoires !
Pour décrire l’état d’un tel objet quantique, il faut alors faire intervenir des statistiques, puis même des probabilités !
- C’est ce qui aura valu à Einstein, qui n’a jamais été convaincu par la physique quantique alors même qu’il en a été un des principaux artisans, la célèbre phrase : « Dieu ne joue pas aux dés ! »
L’atome se fait « discret »
L’atome se fait « discret »
Une des conséquences de la théorie des quanta est que l’on ne peut plus considérer les électrons comme répartis de manière aléatoire au sein d’un atome.
En 1913, Niels Bohr propose un modèle pour l’atome, dans lequel les électrons ne peuvent orbiter autour du noyau qu’à des niveaux répartis de façon discrète (non continue).
Chaque électron est alors un peu comme un ascenseur qui, au lieu de se déplacer continûment d’un niveau à l’autre, ne pourrait être qu’à des étages autorisés et ne se déplacer que par « bonds » d’un niveau à l’autre !
À chaque orbite correspondent un état et un niveau d’énergie quantifié :
- l’état de plus faible énergie est l’état fondamental et correspond à l’orbite électronique la plus proche du noyau ;
- les états d’énergie supérieurs sont les états excités.
- Plus un électron possède de l’énergie, plus il se trouve éloigné du noyau. À partir d’un certain niveau d’énergie, il quitte l’attraction du noyau.
Pour changer de niveau d’énergie, un électron doit émettre (passer au niveau inférieur) ou absorber (passer au niveau supérieur) un quantum d’énergie.
Le quantum d’énergie que peut absorber un électron est exactement le même que celui qu’il est capable d’émettre, comme le prouve la similitude existante entre le spectre d’émission et le spectre d’absorption d’un atome.
- L’atome absorbe une ou plusieurs longueurs d’onde de la lumière qu’il reçoit (spectre d’absorption). Pour être absorbée, la longueur d’onde en question doit avoir une énergie égale à la différence entre deux niveaux d’énergie.
- L’atome émet de la lumière lorsqu’un électron passe d’un état excité à un état moins excité (spectre d’émission). La lumière émise aura alors pour énergie la différence entre les deux niveaux d’énergie.
Grâce à ce modèle, Bohr expliqua la présence des raies dans les spectres d’absorption et d’émission des atomes. Et, selon ce que nous avons dit plus haut, les raies noires sur le spectre d’absorption et les raies « colorées » sur celui d’émission correspondent parfaitement, comme nous pouvons le voir sur les spectres de l’hydrogène :
- La raie rouge du spectre d’émission correspond à un passage du niveau 3 vers le niveau 2 de l’atome d’hydrogène.
Le modèle de Bohr est maintenant obsolète, car les électrons de l’atome n’ont pas une orbite fixe, ils sont placés dans des sous-couches aussi appelées « orbitales ». Le concept de la quantification des énergies de ces orbitales est toujours valable.
Quand un isolant devient conducteur
Quand un isolant devient conducteur
Après avoir évoqué les rudiments de la physique quantique, nous allons en voir une application directe : les semi-conducteurs.
- Pour cela, nous allons nous intéresser à la structure microscopique des matériaux, pour mieux comprendre ce qui les rend conducteurs ou isolants.
De l’atome unique au solide
De l’atome unique au solide
Nous savons maintenant que les niveaux d’énergie d’un atome isolé sont quantifiés (ne prennent que certaines valeurs précises).
- Mais que se passe-t-il dans un solide ?
Dans un solide, il y a beaucoup (beaucoup) d’atomes. Les électrons vont donc subir l’influence de multiples noyaux. Un principe fondamental de la mécanique quantique (le principe d’exclusion de Pauli) indique que les électrons présents dans un solide ne peuvent avoir exactement le même niveau d’énergie à cause des interactions qu’ils subissent. Cependant, des électrons des atomes présents dans la même sous-couche auront des niveaux d’énergie très proches. En raison du grand nombre d’atomes, des bandes d’énergie possible vont se créer.
- Dans un solide, on ne parle plus de niveau d’énergie, mais de bandes d’énergie.
Comme pour celle d’un atome, la répartition des électrons d’un solide est fondée sur le remplissage successif des bandes d’énergie.
- La bande de valence est la dernière bande complètement remplie.
- Les électrons concernés sont responsables de la cohésion du solide.
- La bande de conduction est la bande suivant immédiatement celle de valence ; elle est vide ou partiellement remplie.
- Ce sont ces électrons qui vont pouvoir se déplacer et donc créer un courant électrique.
- La bande interdite entre ces deux bandes correspond à une largeur appelée gap. Le gap est exprimé dans une unité d’énergie adaptée, l’électron-volt (eV) : $1\,\text{eV}=1,6\times 10^{-19}\text{J}$.
- De ce gap va dépendre la conductivité du matériau.
Nous pouvons ainsi distinguer trois cas.
- Si le gap est important, alors aucun électron ne pourra passer dans la bande de conduction.
- Le solide est isolant.
- Si le gap est nul, autrement si les bandes de valence et de conduction se « chevauchent », alors les électrons pourront être facilement excités.
- Le solide est conducteur.
- Si le gap n’est pas nul, mais assez petit, alors des électrons pourront être suffisamment excités (gagner une énergie suffisante) pour passer dans la bande de conduction.
- Isolant au départ, le solide devient alors conducteur. Nous parlons alors de semi-conducteur.
Intéressons-nous donc aux semi-conducteurs, dont les propriétés ont révolutionné notre monde.
Les semi-conducteurs
Les semi-conducteurs
Pour qu’un solide semi-conducteur devienne conducteur, il faut que certains électrons de la bande de valence gagnent de l’énergie pour passer le gap et ainsi se retrouver dans la bande de conduction. Prenons deux exemples.
- Un courant électrique, même faible, pourra exciter suffisamment les électrons de valence pour les faire passer dans la bande de conduction.
- C’est ce principe qui est à la base des transistors, ces composants minuscules sans lesquels vous auriez besoin d’une remorque pour déplacer votre téléphone mobile, ou d’un camion pour transporter votre ordinateur portable !
- La lumière pourra aussi apporter cette énergie aux électrons et rendre notre solide conducteur
- Les cellules photovoltaïques utilisent ce principe pour transformer la lumière solaire en électricité.
Remarque :
Pour rendre un semi-conducteur plus efficace, on peut augmenter sa conductivité, en procédant à un dopage (autorisé celui-ci !).
Le dopage consiste à ajouter quelques atomes ayant soit un électron de valence supplémentaire (on parle alors de dopage N, pour « négatif »), soit un électron de valence de moins (on parle alors de dopage P, pour « positif ») pour diminuer la taille du gap et ainsi faciliter le passage des électrons de la bande valence vers la bande de conduction.
Le semi-conducteur actuellement le plus utilisé est le silicium, de symbole $\text{Si}$.
Mais le silicium pose également des problèmes.
Alors même qu’il est aujourd’hui indispensable aux cellules photovoltaïques ou aux batteries, son extraction est à l’origine de problèmes environnementaux (utilisation de produits toxiques, de grandes quantités d’eau, d’énergie d’origine fossile…), de problèmes éthiques (exploitation humaine, travail des enfants) et de problème politique (corruption).
Si exploiter des ressources renouvelables comme l’énergie solaire est aujourd’hui vital, il ne faut pas pour autant minimiser l’impact de ces technologies sur l’environnement et sur les populations.
- Il ne faudrait pas que la solution soit aussi problématique (voire plus) que le problème !
C’est en associant des semi-conducteurs dopés différemment que l’on peut obtenir les propriétés que l’on souhaite.
Ainsi, quand deux couches P et N sont mises en contact (jonction PN), les électrons en excès de la couche N vont être naturellement diffusés vers la couche P, déficitaire en électrons, et créé un champ électrique. C’est à cette condition que l’effet photoélectrique permet d’obtenir un courant utilisable.
- Et c’est donc ce type de jonction qui est à la base des cellules photovoltaïques.
Quand la lumière devient électricité
Quand la lumière devient électricité
En 1883, la première cellule photovoltaïque a un rendement très faible. Mais des études sur la superposition de semi-conducteurs et sur les techniques de dopage ont ensuite permis des progrès importants.
Ainsi, la conquête spatiale, à partir des années 1950, a trouvé avec cette technologie un moyen d’alimenter ses satellites notamment. Une nouvelle preuve que la recherche théorique et expérimentale est la source de progrès technologiques.
Le choix d’un matériau semi-conducteur pour la fabrication d’un capteur photovoltaïque
Le choix d’un matériau semi-conducteur pour la fabrication d’un capteur photovoltaïque
Dans un matériau, legap (largeur de la bande interdite) détermine un seuil d’énergie radiative (photons) nécessaire aux électrons pour le franchir, et donc pour qu’il y ait une circulation d’électrons (courant électrique).
Pour qu’il puisse être performant, un matériau semi-conducteur doit donc pouvoir absorber des photons d’énergie supérieure au gap.
La capacité d’un matériau à absorber l’énergie radiative émise par le soleil dépend ainsi de l’importance du gap, mais aussi de la longueur d’onde du rayonnement reçu.
Le silicium présente l’intérêt de pouvoir absorber de l’énergie radiative correspondant à plusieurs longueurs d’onde (lumière visible et une petite partie des infrarouges). Il constitue donc un matériau semi-conducteur intéressant pour la fabrication des panneaux solaires.
Néanmoins, comme on peut le voir, ce n’est pas le seul semi-conducteur exploitable. Le tellure de cadmium, le phosphure d’indium et le germanium présentent aussi une capacité d’absorption de l’énergie radiative intéressante. La capacité d’absorption du germanium se déploie même assez loin dans les infrarouges, ce qui en fait un matériau intéressant dans la technologie spatiale (panneaux solaires des satellites).
D’autres critères vont également entrer en jeu dans le choix d’utilisation d’un matériau semi-conducteur : sa disponibilité en ressource par exemple (l’indium est plus rare que le silicium), la possibilité de le recycler (l’indium est plus difficile à recycler que le silicium), le prix de sa production (le germanium et l’indium sont plus chers que le silicium), ses conséquences sur la santé et l’environnement (le cadmium présente un certain degré de toxicité)…
Pour tirer parti des propriétés de divers semi-conducteurs, on développe les cellules photovoltaïques multi-jonction. Celles-ci sont constituées de plusieurs couches qui mêlent des matériaux différents pour absorber le plus de rayonnements possible et améliorer les rendements.
Autres paramètres à prendre en compte pour le fonctionnement d’une cellule photovoltaïque
Autres paramètres à prendre en compte pour le fonctionnement d’une cellule photovoltaïque
Au-delà des matériaux choisis, le bon fonctionnement d’une cellule photovoltaïque dépend de plusieurs paramètres.
- La température
On constate que plus la température est élevée, plus la valeur de la tension à partir de laquelle l’intensité chute est faible.
- Ainsi, une cellule photovoltaïque est d’autant plus efficace que la température est faible.
- L’éclairement énergiétique ou « irradiance »
L’éclairement énergétique désigne la puissance reçue par unité de surface (perpendiculairement à celle-ci).
L’éclairement énergétique (noté $E$) est exprimé en watt par mètre carré ($\text{W}\cdot \text{m}^{-2}$).
On constate que plus l’éclairement énergétique est important, plus l’intensité du courant produit est importante pour une même valeur de tension.
- Ainsi, une cellule photovoltaïque est d’autant plus efficace que l’éclairement qu’elle reçoit est important.
Ces deux paramètres sont difficilement compatibles : en effet, le meilleur éclairement correspond à la période estivale (inclinaison moindre des rayons solaires incidents), mais durant cette période, la température est également plus élevée.
Conclusion :
Au cours du XXe siècle, la connaissance de la physique quantique et les applications qui en découlent ont permis le développement de la production d’électricité à partir de la transformation d’énergie électromagnétique (solaire).
Les considérations environnementales ainsi que les progrès pour améliorer la compréhension et le rendement des cellules photovoltaïques ont ouvert la voie à un mode de production d’électricité alternatif plus « propre » (au moins pendant l’utilisation !).
Cependant, des problèmes liés à la matière première, le silicium, au retraitement des cellules photovoltaïques ainsi que ceux liés au stockage de l’énergie restent à résoudre pour faire de l’énergie solaire une véritable solution pour envisager l’ère de l’après pétrole et faire face au réchauffement climatique.