L'ordre de la narration
Introduction :
Pour comprendre un récit ou pour écrire un texte narratif, il faut analyser son organisation. Ce cours va permettre de découvrir le vocabulaire de la chronologie, afin de comprendre les textes narratifs, et d’écrire des récits dont la chronologie pourra être bouleversée.
En général, une histoire est racontée chronologiquement, c’est-à-dire dans l’ordre où les événements se déroulent. Cependant, le narrateur peut décider de modifier cet ordre. Souvent, un narrateur bouleverse l’ordre chronologique de son récit pour créer du suspense, ou pour évoquer des éléments qui permettent de mieux comprendre l’histoire. Le but est de donner envie au lecteur de poursuivre sa lecture. Le format de la nouvelle ainsi que les genres du policier ou du fantastique sont propices à ces modifications temporelles.
Afin de bousculer l’ordre de la narration, le narrateur peut anticiper les actions pour laisser le lecteur dans l’attente d’une suite. Il peut aussi effectuer des retours en arrière pour aider à comprendre certains éléments de l’histoire.
L’anticipation
L’anticipation
Dans le langage courant, « anticiper » signifie prévoir, prévenir à l’avance.
Anticipation :
Dans un récit, une anticipation permet au narrateur de révéler à l’avance un événement qui se produira plus tard dans l’histoire, après ce qu’il est en train de raconter.
- Dans un langage plus soutenu et littéraire, l’anticipation est appelée prolepse.
Un narrateur utilise l’anticipation pour plusieurs raisons. Il peut vouloir montrer la différence entre ce que le personnage prévoit de faire et ce qui lui arrivera vraiment. Il peut aussi faire des allusions subtiles sur l’avenir du personnage, pour créer du suspense et donner envie au lecteur de poursuivre sa lecture.
Afin d’illustrer le principe d’anticipation, un extrait de La Parure, une nouvelle de Maupassant parue en 1884, peut servir d’exemple. Dans ce passage, les Loisel, un couple de petits bourgeois, viennent d’assister à un bal organisé par le Ministère pour lequel travaille M. Loisel. À cette occasion, Mme Loisel a demandé à une amie très riche de lui prêter une parure de diamants pour agrémenter sa tenue. Malheureusement, elle la perd lors de la soirée. Le couple doit donc en acheter une identique pour la remplacer.
« Ils trouvèrent, dans une boutique du Palais Royal, un chapelet de diamants qui leur parut entièrement semblable à celui qu’ils cherchaient. Il valait quarante mille francs. On le leur laisserait à trente-six mille.
Ils prièrent donc le joaillier de ne pas le vendre avant trois jours. Et ils firent condition qu’on le reprendrait pour trente-quatre mille francs, si le premier était retrouvé avant la fin de février.
Loisel possédait dix-huit mille francs que lui avait laissés son père. Il emprunterait le reste.
Il emprunta, demandant mille francs à l’un, cinq cents à l’autre, cinq louis par-ci, trois louis par-là. Il fit des billets, prit des engagements ruineux, eut affaire aux usuriers, à toutes les races de prêteurs. »
Ce récit est écrit au passé avec de l’imparfait (« il valait ») et du passé simple (« ils prièrent »). L’extrait raconte à quel endroit les Loisel trouvent une parure identique et comment ils vont la payer. D’autres verbes sont cependant au conditionnel présent : « on laisserait », « il emprunterait ».
Dans un récit au passé, les anticipations sont souvent au conditionnel, qui a une valeur de futur dans le passé.
Ainsi, quand le joaillier annonce le prix, on anticipe l’achat du couple. On sait qu’ils n’ont pas le choix et qu’ils achèteront le bijou quel que soit son prix. Pour le lecteur, cela ajoute à la fatalité de la perte. L’anticipation est confirmée ensuite par le complément circonstanciel de temps « avant trois jours », qui indique le délai pour réunir l’argent et payer.
Dans la phrase « On le reprendrait pour trente-quatre mille francs », le conditionnel crée une anticipation aussi, mais a plutôt une valeur d’hypothèse, qui est complétée par « si le premier était retrouvé ». On comprend que les Loisel anticipent de retrouver le collier. Ainsi, le narrateur relance l’espoir chez le lecteur. Celui-ci pourra comparer ce qui se passera vraiment pour les Loisel et ce qu’ils avaient anticipé.
La phrase « Il emprunterait le reste » nous explique comment M. Loisel va payer la parure. Son argent personnel comblera une partie de la somme, mais il devra trouver l’autre partie, qu’il ne possède pas. L’anticipation nous montre à l’avance les difficultés qu’il rencontrera pour payer : il devra emprunter. La suite du texte explique ses emprunts, souvent délicats : « à l’un », « à l’autre », « par-ci », « par-là », « des billets », « des engagements ruineux », des « usuriers » et « toutes les races de prêteurs ».
En résumé, pour identifier une anticipation, on peut repérer les verbes au conditionnel dans un récit au passé, et ceux au futur dans un récit au présent.
Le retour en arrière
Le retour en arrière
Retour en arrière :
Dans un récit, lorsque le narrateur revient dans le passé, il s’agit d’un « retour en arrière », ou « flash-back » en anglais. Ce procédé est souvent utilisé au cinéma. Le flash-back revient en arrière pour évoquer des événements qui ont eu lieu avant, qui sont antérieurs à ce que le personnage est en train de vivre.
- Dans un langage plus soutenu et littéraire, le retour en arrière est appelé analepse.
Le retour en arrière sert souvent à expliquer la situation actuelle du personnage. Il peut être de quelques mots, ou de plusieurs pages. Le retour en arrière peut être utilisé dans un récit au passé ou au présent. Il permet aussi d’expliquer les réactions du personnage.
Évoquer le passé d’un personnage permet de comprendre son présent dans l’histoire.
Pour illustrer le retour en arrière, voici un nouvel extrait de La Parure de Maupassant.
« Mme Loisel semblait vieille, maintenant. Elle était devenue la femme forte, et dure, et rude, des ménages pauvres. Mal peignée, avec les jupes de travers et les mains rouges, elle parlait haut, lavait à grande eau les planchers. Mais parfois, lorsque son mari était au bureau, elle s’asseyait auprès de la fenêtre, et elle songeait à cette soirée d’autrefois, à ce bal où elle avait été si belle et si fêtée.
Que serait-il arrivé si elle n’avait point perdu cette parure ? Qui sait ? Qui sait ? Comme la vie est singulière, changeante ! Comme il faut peu de chose pour vous perdre ou vous sauver !
Or, un dimanche, comme elle était allée faire un tour aux Champs-Élysées pour se délasser des besognes de la semaine, elle aperçut tout à coup une femme qui promenait un enfant. C’était Mme Forestier, toujours jeune, toujours belle, toujours séduisante.
Mme Loisel se sentit émue. Allait-elle lui parler ? Oui, certes. Et maintenant qu’elle avait payé, elle lui dirait tout. Pourquoi pas ?
Elle s’approcha. »
Le récit est toujours écrit au passé, et principalement à l’imparfait : « Mme Loisel semblait », « elle parlait haut, lavait ». Cet extrait décrit Mme Loisel après les dix ans de travaux pour rembourser la dette. Certains verbes sont au plus-que-parfait : « elle avait été », « elle n’avait point perdu », « elle avait payé ».
Dans un récit au passé, les retours en arrière sont souvent au plus-que-parfait. Il donne une valeur d’antériorité aux actions par rapport à d’autres, déjà racontées au passé.
Les actions au plus-que-parfait sont survenues avant d’autres actions du passé. Sur une frise temporelle, nous pouvons placer les événements les uns par rapport aux autres :
Frise temporelle
Au moment où Mme Loisel s’assoit, elle songe à son passé, aux événements qui sont terminés. Dans la phrase « si elle n’avait point perdu », l’action de perdre la parure est antérieure au moment où elle réfléchit à sa situation.
Le narrateur émet même une hypothèse en laissant le lecteur imaginer quelle aurait été la vie de Mme Loisel sans cette perte dramatique. Il opère donc un retour en arrière pour renvoyer le lecteur au moment crucial de la perte.
À la fin de la nouvelle, Mme Loisel rencontre Mme Forestier, son amie qui lui avait prêté la parure. Elle décide de lui dire la vérité sur la perte du bijou. Dans la phrase « maintenant qu’elle avait payé », « maintenant » fait référence au moment de la promenade. Ce retour en arrière permet de rappeler au lecteur la situation de Mme Loisel, et d’insister sur le côté tragique : elle est devenue très pauvre. Il permet aussi de préparer la chute de la nouvelle.
Conclusion :
Un narrateur peut raconter une histoire dans l’ordre chronologique des événements. Il peut aussi choisir de modifier cet ordre pour faire des anticipations, c’est-à-dire des sauts dans le futur, et évoquer un fait qui va se produire. Le narrateur peut également faire un retour en arrière, pour raconter quelque chose qui s’est produit auparavant. Dans la narration, il faut aussi bien analyser la durée des actions dans le récit, et repérer par exemple les ellipses narratives.