La construction et les limites de la monarchie absolue face à la noblesse
Introduction :
Au Moyen Âge, la noblesse reste longtemps plus puissante que le roi de France. Mais à partir du XIIIe siècle, les souverains cherchent à accroître leur autorité aux dépens du système féodal, en s’efforçant de limiter le rôle politique de la noblesse. C’est à l’époque moderne que celle-ci se voit peu à peu définitivement soumise à l’autorité suprême du roi. Nous verrons dans ce cours comment les monarques français ont peu à peu établi leur contrôle sur une noblesse qui a longtemps résisté à la mise en place de l’absolutisme. Après avoir présenté les caractéristiques de la noblesse à l’époque moderne, nous nous intéresserons aux résistances de la noblesse avant de voir comment Louis XIV parvient à la placer entièrement sous son contrôle à Versailles.
La noblesse, un ordre puissant, privilégié mais hétérogène
La noblesse, un ordre puissant, privilégié mais hétérogène
Un ordre privilégié
Un ordre privilégié
Second ordre du royaume derrière le clergé, la noblesse représente un peu moins de 2 % de la population française à l’époque moderne et bénéficie d’importants privilèges.
Ceux-ci peuvent être fiscaux, civils ou militaires. La noblesse est exemptée de la taille royale (impôt sur les personnes et les biens) et certains impôts ne la frappent que très faiblement. Les nobles sont également les seuls à pouvoir porter l’épée et à chasser. Les plus hauts grades dans l’armée et les plus hautes fonctions dans le clergé leur sont réservés.
Un ordre hétérogène
Un ordre hétérogène
À l’époque moderne, on distingue deux sortes de noblesses : la noblesse d’épée et la noblesse de robe.
La noblesse d’épée est la plus ancienne. Elle est formée des descendants des familles de la chevalerie du Moyen Âge. Elle vit des revenus que lui rapportent ses seigneuries. Une centaine de familles forme la haute noblesse. Ces « Grands » nobles portent les titres les plus prestigieux : ce sont les princes de sang, pairs et ducs du royaume. Très puissantes, ces grandes familles accaparent notamment les hauts commandements militaires.
La noblesse de robe, elle, apparaît avec le développement de l’administration royale. Elle est formée de bourgeois anoblis grâce aux offices achetés au roi. Elle vit des revenus de ses charges. Cette noblesse, moins prestigieuse, vient néanmoins concurrencer la noblesse d’épée et c’est souvent parmi elle que Richelieu, Mazarin ou Louis XIV choisissent leurs ministres ou recrutent les intendants.
Même privilégiée, la noblesse est un ordre très hétérogène : les conditions de vie des nobles peuvent être très différentes.
La haute noblesse vit à la Cour, elle dispose de revenus importants mais elle s’endette pour pouvoir mener une vie fastueuse et tenir son rang. Souvent plus riche et cultivée, la noblesse de robe réside dans les grandes villes du royaume. Les autres membres de la noblesse vivent sur leurs terres dans les provinces, avec parfois un train de vie très modeste.
Groupe social ancien et très puissant au sein du royaume, la haute noblesse résiste longtemps à l’établissement de la monarchie absolue.
La noblesse, un foyer de résistance à l’absolutisme royal
La noblesse, un foyer de résistance à l’absolutisme royal
François 1er soumet les derniers princes féodaux…
François 1er soumet les derniers princes féodaux…
François 1er (dates de règnes : 1515-1547)
Lorsque François Ier arrive au pouvoir, certains territoires importants échappent encore au contrôle direct du roi. Il va ainsi s’efforcer de soumettre les derniers princes féodaux.
Il parvient notamment à annexer en 1527 la principauté de Charles de Bourbon, dernier grand féodal, en le sanctionnant pour l’avoir trahi au profit de Charles Quint : l’ensemble de ses vastes seigneuries passe sous le contrôle direct du roi. François Ier unit ensuite définitivement la Bretagne à la France en 1532.
François Ier s’entoure également d’une cour nombreuse et itinérante à laquelle il fait participer les Grands nobles du royaume.
En effet, pour les empêcher de comploter dans leurs provinces, le roi comprend qu’il faut les garder auprès de lui. Il développe ainsi la cour qu’il entraîne dans ses nouveaux châteaux où se déroulent fêtes et spectacles. Par ailleurs, grâce au concordat de Bologne signé avec le Pape en 1516, il peut aussi s’offrir la fidélité des Grands nobles en offrant des fonctions ecclésiastiques prestigieuses (évêchés ou archevêchés) aux membres de leur famille.
Concordat :
Accord écrit signé entre un souverain laïc et le pape, chef de l’Église catholique.
…mais la noblesse résiste et se révolte contre l’autorité royale
…mais la noblesse résiste et se révolte contre l’autorité royale
Après la mort d’Henri II en 1559 et le début des guerres de religion, l’autorité du roi s’affaiblit face à la noblesse et celle-ci ne sera que progressivement soumise sous les règnes de Henri IV et Louis XIII.
En effet, les guerres de religion sont aussi des luttes de rivalité entre grandes familles nobles pour influencer le roi. Les Grands convertis au calvinisme (Condé, Bourbon) n’obéissent plus aux souverains et affrontent parfois les armées royales. Ceux qui appartiennent à la Ligue catholique font de même, reprochant aux souverains Valois (dynastie au pouvoir de 1328 jusqu’à la mort d’Henri III en 1589) leur manque de fermeté envers les princes protestants.
Ligue catholique :
Organisation catholique armée, fondée par le duc de Guise pour empêcher toute tolérance vis-à-vis de la religion protestante.
Portrait de Henri IV roi de France (1553-1610), Peinture de Francois (Frans) Pourbus le jeune.(1569-1622) Firenze, Galleria Palatina©Raffael/Leemage - CC BY-SA 4.0
Ainsi, lorsqu’il arrive au pouvoir en 1589, Henri IV est contraint d’affronter militairement les armées de nombreux Grands afin de restaurer peu à peu l’autorité de l’État. Il obtient peu à peu leur soumission au cours de son règne.
Mais, par la suite, profitant dans un premier temps de la jeunesse du roi Louis XIII, les Grands s’opposent à nouveau à la politique royale.
Partie du portrait du cardinal Richelieu par Philippe de Champaigne, 1633-1640, National Gallery, Londres
Richelieu, principal ministre de Louis XIII à partir de 1624, s’efforce alors de réduire leur pouvoir et leur influence auprès du roi. Mécontents, les Grands multiplient les complots contre lui. En réponse, Richelieu n’hésite pas à faire raser les châteaux des nobles récalcitrants ou à les faire condamner, comme le marquis de Cinq-Mars, décapité en 1642.
Peu à peu soumise sous les règnes d’Henri IV et Louis XIII, et mise à l’écart du Conseil du Roi, la grande noblesse se fait à nouveau contestataire lors de la Fronde.
Fronde (1648-1653) :
Soulèvement généralisé qui éclate en France sous la régence d’Anne d’Autriche, mère de Louis XIV, contre la politique menée par son premier ministre, le cardinal de Mazarin.
Cardinal Mazarin, par Magnard le Romain, 1658-1660
Portrait d Anne d’Autriche par Frans Fourbus le Jeune, 1616
La noblesse participe largement à la Fronde. Les officiers protestent contre les pouvoirs accrus des intendants et du Conseil du roi. Les Grands, eux, n’acceptent plus leur exclusion du pouvoir au profit de bourgeois plus fidèles. Ils voient ainsi une occasion de retrouver leur pouvoir et leur influence au sein du Conseil du Roi. Mais Mazarin finit par l’emporter en divisant les frondeurs et en isolant la noblesse.
- À l’issue de la Fronde, l’autorité de l’État sur la noblesse sort renforcée de l’épreuve et Louis XIV entreprend ensuite de rendre les Grands définitivement fidèles et soumis au roi.
Une noblesse domestiquée à la cour
Une noblesse domestiquée à la cour
C’est sous le règne de Louis XIV que la haute noblesse est enfin entièrement soumise à l’autorité royale et que cessent les révoltes nobiliaires.
Portrait de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud, 1702
La fin de l’itinérance et l’installation à de la cour Versailles
La fin de l’itinérance et l’installation à de la cour Versailles
Très marqué dans son enfance par la Fronde, au cours de laquelle il a dû fuir Paris avec sa mère en pleine nuit, Louis XIV veut pouvoir surveiller de près les Grands du royaume.
Il met fin à l’itinérance de la cour et en 1682, il quitte le Louvre et Paris pour s’installer définitivement à Versailles. Le château devient à la fois le siège de son gouvernement et sa résidence, dans laquelle il vit entouré de sa famille et où il fait venir la haute noblesse. Il y développe la société de cour, qui lui permet de mettre en scène son autorité absolue et de mieux contrôler les Grands, réduits à l’état de courtisans. Le roi les flatte par des honneurs, leur verse des pensions et les occupe par de nombreux divertissements.
Une noblesse soumise et domestiquée
Une noblesse soumise et domestiquée
C’est l’étiquette, que le roi définit lui-même, qui joue un rôle majeur dans la domestication des Grands à la cour.
Étiquette :
Ensemble des règles fixées par le souverain pour organiser la vie de la famille royale à la cour. Celles-ci codifient notamment les préséances, c’est-à-dire la hiérarchie (position de chacun par rapport au Roi) entre les courtisans lors des cérémonies.
Initiée par François Ier, l’étiquette connaît sa forme la plus codifiée et la plus rigide sous Louis XIV. À Versailles, elle règle la place, la fonction, l’attitude, le moindre geste de chacun, à tout moment de la journée du roi. L’étiquette institue ainsi une société entièrement hiérarchisée où aider le roi à enfiler sa chemise ou tenir le bougeoir le soir était un immense privilège et honneur. Grâce à l’étiquette, Louis XIV organise ainsi un rituel quotidien centré sur sa personne, participant à renforcer son autorité absolue.
Dans le même temps, en accordant à la Cour une place plus importante que ne l’avaient fait Henri IV et Louis XIII, Louis XIV redonne aussi aux Grands le sens du service envers le royaume. Cela contribue aussi à leur soumission et à faire disparaître chez eux toute contestation de l’autorité royale.
Conclusion :
Ainsi, l’époque moderne a vu les rois de France réduire peu à peu la puissance de la grande noblesse d’épée et son rôle politique, tout en renforçant la noblesse de robe par l’augmentation des offices et l’expansion de l’administration de l’État. Définitivement fixée et domestiquée par le Roi-Soleil à Versailles, la haute noblesse cesse les révoltes ou les complots qu’elle avait multipliés jusqu’alors contre le pouvoir royal.
En revanche, la résistance qu’elle opposera de nouveau à la fin du XVIIIe siècle face à toute réforme de ses privilèges fiscaux contribuera en partie au déclenchement de la Révolution française et par là à sa chute.