La France et ses territoires transfrontaliers
Introduction :
Par ses frontières, la France est en contact avec cinq pays membres de l’Union européenne (l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie et le Luxembourg) et trois pays non-membres (Andorre, Monaco et la Suisse). Seules l’Allemagne et la Hongrie sont limitrophes d’un nombre plus important de pays.
Le territoires transfrontaliers se caractérisent par d’importantes connexions de part et d’autre des frontières — ces dernières ne disparaissent toutefois pas —. La France possède ainsi plusieurs territoires transfrontaliers au sud et à l’est. Ces territoires sont aujourd’hui des espaces privilégiés de l’intégration européenne car ils sont traversés par des flux intenses et bénéficient d’aides dans plusieurs directions. On peut alors se demander si l’aide de l’UE dynamise l’ensemble des régions transfrontalières françaises.
Nous étudierons dans un premier temps la manière dont l’Union européenne encourage les coopérations transfrontalières. Puis nous analyserons les résultats différenciés de cette politique transfrontalière.
Des territoires qui bénéficient d’aides de l’UE
Des territoires qui bénéficient d’aides de l’UE
Les territoires transfrontaliers ont des caractéristiques communes. Ils sont valorisés par la politique de l’Union européenne.
La France des « Petites Europes » (A. Frémont-Vanacore)
La France des « Petites Europes » (A. Frémont-Vanacore)
La réalité des zones transfrontalières, c’est tout d’abord une histoire mouvementée avec des tracés qui ont varié au fil du temps et qui ont souvent été l’objet d’âpres conflits. L’Alsace et la Lorraine furent par exemple françaises puis allemandes entre 1871 et 1918 puis à nouveau françaises. L’Alsace fut ensuite annexée par les nazis en 1940. Au sud, l’annexion du comté de Nice à la France date quant à lui de 1860. Il appartenait jusque-là au royaume de Piémont-Sardaigne. Enfin, du côté des Pyrénées, de nombreux affrontements militaires concernant la délimitation entre la France et l’Espagne eurent lieu avant la fixation de la frontière en 1866. Ces aléas ont conduit à des proximités linguistiques et culturelles. Et même si la frontière définit la souveraineté d’un État, elle a aussi toujours été un lieu de passage majeur des hommes et des marchandises.
Les flux transfrontaliers actuels sont de grande ampleur et de nature différente. Des flux de marchandises traversent quotidiennement les frontières. La majorité se fait entre pays frontaliers eux-mêmes, autrement dit entre la France, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne… Les autres sont des flux de transit. Par exemple, de nombreux produits agricoles et alimentaires partent d’Espagne et traversent la France en direction de l’Allemagne.
À ces flux de marchandises s’ajoutent des flux quotidiens de travailleurs et des flux plus occasionnels, touristiques par exemple.
Selon L’INSEE, la France compte 363 000 travailleurs transfrontaliers c’est-à-dire des Français traversant la frontière chaque jour pour travailler dans le pays voisin.
La Suisse est toujours comptabilisée dans les chiffres transfrontaliers donnés par l’Union européenne. En effet, la Suisse n’appartient pas à l’UE mais a intégré les programmes de coopération transfrontalière pratiqués par l’Union européenne.
La majorité des travailleurs transfrontaliers français travaille donc en Suisse et au Luxembourg.
Viennent ensuite dans l’ordre l’Allemagne et la Belgique. L’Espagne ne représente que 1 % de ces travailleurs frontaliers. Les hommes sont plus nombreux que les femmes à assurer ces déplacements. Les trajets se font essentiellement de la France vers les pays frontaliers, les flux inverses sont beaucoup moins importants. On peut signaler toutefois le fait que 15 % de l’ensemble des travailleurs frontaliers allemands ont fait le choix d’habiter en France, en raison notamment des logements et du coût de la vie.
La géographe Anne Frémont-Vanacore, auteur de La France en Europe qualifie ces territoires transfrontaliers de « Petites Europes » car ils mettent en contact, à une autre échelle, les populations, les économies, les cultures. Il est donc tout naturel que ces territoires bénéficient d’une politique volontariste de l’Union européenne.
La coopération transfrontalière valorisée par l’Union européenne
La coopération transfrontalière valorisée par l’Union européenne
La libre circulation des biens et des personnes est l’un des fondements de la construction européenne qui favorise les échanges transfrontaliers. Pour l’ensemble des citoyens de l’UE, elle est garantie par l’article 45 de la Charte européenne des droits fondamentaux (2000). Les ressortissants de l’Union européenne passent donc souvent la frontière sans être arrêtés. Il leur suffit de circuler avec des papiers d’identité en règle. Quant à la libre circulation des marchandises, elle est harmonisée depuis longtemps : un produit légalement commercialisé dans un État membre peut l’être dans tous les autres selon le principe de « reconnaissance mutuelle ».
Les coopérations transfrontalières ont, de plus, débuté bien avant une véritable politique de l’UE. De façon informelle, les contacts ont toujours existé. Des partenariats se sont également développés très tôt. Au nord, dès la fin des années 1960, les élus de la Lorraine, de la Sarre en Allemagne et du Luxembourg ont cherché à travailler ensemble notamment pour réfléchir à la reconversion de l’industrie minière. Au sud, dans les années 1970-1980, deux Communautés de travail ont été instaurées, l’une dans les Alpes et l’autre dans les Pyrénées pour améliorer la circulation à travers ces deux massifs montagneux.
Aujourd’hui, les territoires transfrontaliers sont intégrés dans la politique européenne de coopération territoriale.
Cette politique a débuté en 1989 et se poursuit aujourd’hui avec un programme qui s’échelonne de 2014 à 2020. Les superficies concernées par les aides européennes sont très variables : quelques petites communes ou de très grands territoires. Les milieux urbain, rural, mixte (urbain et rural à la fois) et naturel protégé (les parcs naturels) rentrent pleinement dans le cadre de cette politique. Cela donne lieu à de multiples appellations : eurorégions, eurodistricts, eurocités, eurométropoles, groupements eurorégionaux de coopération territoriale (GECT)… La multiplicité des appellations peut paraître complexe mais ne doit pas effrayer. En effet, cette complexité s’efface devant les objectifs communs (11 au total pour 2014-2020).
Eurorégion :
Le terme eurorégion est un mot-valise dans lequel l’on peut ranger toutes les autres formes de coopérations (eurodistricts, etc.). L’appellation la plus encadrée par des règles de fonctionnement (une assemblée, un budget…) est le GECT (groupement européen de coopération territoriale), créé en 2007.
Ainsi, il n’existe pas un modèle unique d’eurorégions mais une multitude d’organisation d’échelles, de gouvernance, de budgets et de compétences différentes.
Enfin, à ces coopérations s’ajoutent des programmes de mise en réseau qui visent à partager des expériences, des expertises. Toutes ces coopérations donnent lieu à des actions cofinancées par l’UE, les États et les collectivités territoriales (régions, départements, communes).
Dans le cadre de la coopération transfrontalière 2014-2020, neuf programmes concernaient la France, pour un budget total d’environ 1,5 milliard d’euros investi par l’UE sur six ans. L’Est était prioritaire avec six projets. Le travail s’est effectué en suivant 4 objectifs (sur les 11 définis par l’UE) :
- la recherche, le développement technologique et l’innovation ;
- la compétitivité des petites et moyennes entreprises ;
- la transition énergétique ;
- l’éducation, la formation et l’emploi.
Au-delà de 2020, l’Union européenne entend poursuivre cette politique de coopération territoriale transfrontalière dont la France bénéficie largement. Cependant, on observe des dynamiques différenciées selon les frontières.
Des dynamiques différenciées
Des dynamiques différenciées
Les régions transfrontalières du nord-est de la France semblent plus coopératives que celles du sud-est et du sud-ouest où la coopération progresse mais plus lentement.
Une coopération embryonnaire au Sud
Une coopération embryonnaire au Sud
Le sud transfrontalier français concerne les relations France/Espagne et France/Italie.
Du côté espagnol, la chaîne de montagne des Pyrénées ne facilite pas le passage. La circulation est possible aux extrêmes est et ouest mais beaucoup moins au centre.
La circulation des marchandises est intense (voir I, 1) mais les migrations quotidiennes liées à l’emploi se trouvent limitées par le relief mais aussi par l’offre moins grande que dans l’Est de la France.
La coopération transfrontalière existe néanmoins dans le cadre de l’UE. Six GECT se superposent, et sont de taille très différente. Par exemple, l’eurorégion Pyrénées-Méditerranée est immense. Entre l’Espagne et la France, elle compte 15,2 millions d’habitants pour une superficie de 157 000 km2. D’autres ont un territoire d’action beaucoup plus limité, comme les Pyrénées-Cerdagne, l’hôpital de Cerdagne et l’espace Pourtalet. Ils regroupent seulement quelques communes françaises et espagnoles en vue du développement touristique (espace Pourtalet) ainsi que la gestion transfrontalière de l’hôpital.
Malgré la multiplication des structures, la coopération territoriale reste modeste en termes de personnes et de domaines concernés. Il en va de même pour le côté italien.
Les Alpes sont traversées depuis l’Antiquité mais, comme en Espagne, les points de passage ne sont pas nombreux. Ils se limitent aux vallées. Des tunnels jalonnent aujourd’hui cette traversée. D’autres raisons peuvent être avancées pour expliquer le timide développement transfrontalier dans cette région qui s’étend du Mont Blanc à Menton. Le caractère rural d’une grande partie du territoire et le faible nombre de métropoles par exemple semblent être des facteurs explicatifs déterminants. De plus, les territoires de part et d’autre de la frontière sont hétérogènes dans le domaine économique.
La plus grande coopération transfrontalière concerne ici les espaces naturels protégés.
Les parcs nationaux du Mercantour et de la Vanoise et le parc marin de Bonifacio travaillent en lien avec les parcs italiens, de même que la réserve de biosphère du Mont Viso. Le territoire transfrontalier franco-italien est donc un enjeu important dans la perspective des bouleversements climatiques.
Les coopérations sont plus abouties dans l’est et le nord-est.
Une coopération plus développée à l’est et au nord-est
Une coopération plus développée à l’est et au nord-est
Cette région transfrontalière pour l’instant plus dynamique que les deux précédentes s’étend du lac Léman à Lille. Les métropoles européennes sont une réalité dans cette partie du territoire français. On peut citer le caractère résolument européen de Lille ou de Strasbourg qui accueille, entre autres, le Parlement de l’UE.
Les déplacements quotidiens liés à l’emploi y sont plus importants que dans les autres territoires transfrontaliers (voir première partie du cours) et les infrastructures de transport sont d’ailleurs sans cesse améliorées dans le cadre de l’Union européenne pour faciliter ces déplacements. À Strasbourg, par exemple, le trajet du tramway a été étendu jusqu’à Kehl en Allemagne (2017).
Le développement économique est également partagé de part et d’autre de la frontière. La Lorraine, après avoir été en crise pendant de nombreuses années, bénéficie aujourd’hui d’importants investissements allemands.
Une entité se dégage dans cet ensemble et apparaît comme une réussite de la coopération transfrontalière. Il s’agit de la Grande Région qui regroupe des territoires français (Lorraine), allemands (Rhénanie-Palatinat et Sarre), belges (Wallonie) et luxembourgeois. Plus de 11 millions d’Européens y vivent, pour un PIB de 390 milliards d’euros (chiffres 2017). En 2018, 240 000 personnes franchissaient la frontière chaque jour, majoritairement en direction du Luxembourg. Le plus grand marché du travail transfrontalier européen possède par conséquent beaucoup d’entreprises artisanales ou des industries manufacturières.
Industrie manufacturière :
L’industrie manufacturière regroupe des industries de transformation des biens alimentaires, textiles, chimiques, métalliques, etc.
La Grande Région est devenue un groupement européen de coopération territoriale (GECT) en 2010.
C’est un territoire de coopération privilégiée car il coordonne des actions diverses en plus du domaine économique : l’innovation, la coopération universitaire, le tourisme et la culture, la santé.
Ainsi, l’Université de la Grande Région regroupe six universités réparties dans les différents pays et propose des cursus transfrontaliers valorisant pour les étudiants. La Grande Région a même été capitale européenne de la culture en 2007.
Capitale culturelle : Une capitale culturelle est désignée par l’UE pendant une année. De nombreux projets sont alors conçus dans la région pour dynamiser le territoire et contribuer au rapprochement des peuples européens.
Conclusion :
Les coopérations transfrontalières sont donc fortement valorisées par l’Union européenne Les relations existantes (parfois anciennes) dans ces territoires ont été renforcées, organisées par l’intervention de l’UE. Mais les régions transfrontalières françaises n’ont pas toutes le même dynamisme. Le nord-est se détache devant le sud qui ne manque pourtant pas d’atouts. Cependant, on peut s’interroger sur le devenir des frontières internes de l’UE dans le cadre de ces coopérations transfrontalières.