La liberté de la presse
Introduction :
La liberté de la presse est souvent considérée comme le « quatrième pouvoir » dans les démocraties, face aux trois pouvoirs de l’État (pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire). Néanmoins, dans de nombreux pays, la liberté de la presse et la liberté de s’informer ne sont pas garanties, notamment dans les dictatures. En France, cette liberté est consacrée dans le droit depuis la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Dans quelle mesure la liberté de la presse, garante de la démocratie, est-elle remise en cause aujourd’hui ?
Nous verrons dans un premier temps que la liberté de la presse est essentielle au bon fonctionnement de la démocratie, puis nous nous intéresserons aux règles qui encadrent le travail des journalistes et aux menaces qui s’exercent à l’encontre de ces derniers. Enfin, nous analyserons le rôle des médias comme garants du pluralisme politique en France.
La liberté de la presse : une liberté essentielle au bon fonctionnement de la démocratie
La liberté de la presse : une liberté essentielle au bon fonctionnement de la démocratie
Dans une démocratie, le droit à l’information est un droit fondamental : les citoyens doivent pouvoir produire et/ou accéder à des informations. Parce qu’elle participe à la production d’informations libres, la liberté de la presse est aussi garante de la liberté de s’informer.
- Informer et être informé sont deux éléments indispensables au bon fonctionnement de la démocratie, puisqu’ils permettent également à la liberté d’opinion de s’exprimer (on se forge une opinion à partir d’informations que l’on analyse).
L’ancrage progressif de la liberté de la presse en France
L’ancrage progressif de la liberté de la presse en France
C’est avec la Révolution que la presse connaît un véritable essor en France. Chacun y va de sa publication, des républicains les plus radicaux aux royalistes les plus acharnés.
Presse (écrite) :
Ensemble des moyens de diffusion de l’information écrite.
Mais le XIXe siècle est celui des empires (1804-1815 et 1852-1870) et de plusieurs tentatives de restaurations monarchiques durant lesquelles la liberté de la presse est durement mise à mal.
La IIIe République, proclamée en 1870, décide de remédier à cela par la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
- S’inspirant de l’article 11 de la Déclaration de 1789, cette loi est considérée comme le texte fondateur de la liberté d’expression en France.
Bénéficiant d’un large soutien au Parlement lors de son vote, la loi de 1881 supprime notamment l’autorisation préalable des pouvoirs publics à toute publication. En cela, elle instaure une indépendance de la presse par rapport à l’État.
De même, en cas de mise en accusation d’un titre de presse, il est demandé aux accusateurs de motiver précisément leurs griefs, notamment en cas de procédure pour diffamation, qui ne peut d’ailleurs plus être déclenchée si le plaignant ou la plaignante n’a pas déposé formellement une plainte au préalable.
La loi de 1881, en ce qu’elle reconnaît l’importance de la liberté de la presse, est une étape fondamentale essentielle dans la construction de la démocratie française.
La presse participe en effet au débat politique. À travers elle, les différentes sensibilités politiques peuvent débattre de leurs idées et de leurs projets et les porter à la connaissance de l’ensemble des citoyens.
Une liberté indispensable au bon fonctionnement de la démocratie
Une liberté indispensable au bon fonctionnement de la démocratie
Au niveau international, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée en 1948 par les États membres de l’ONU, fait de la liberté d’expression et d’information une liberté fondamentale :
« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
Dans l’Union européenne, cette liberté est garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, et par l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE en ce qu’elle est considérée comme consubstantielle de la démocratie.
- En effet, dans les démocraties représentatives, les citoyens délèguent des pouvoirs de décision à des élus. La presse constitue donc l’un des moyens par lesquels les citoyens peuvent contrôler les activités de leurs élus.
Démocratie représentative :
La démocratie représentative (ou « délégative ») est une forme de la démocratie dans laquelle les citoyens expriment leur volonté par l’intermédiaire de représentants élus.
Qualifiée de « chien de garde » de la démocratie par de nombreux auteurs, la liberté de la presse garantit le débat d’opinion, lui-même indissociable de la démocratie. À ce titre, elle doit permettre l’expression de l’ensemble des sensibilités politiques.
Enfin, lorsqu’elle est libre, et donc indépendante, la presse représente un garde-fou contre les campagnes de désinformation massives qui peuvent être relayées à travers le monde entier par les réseaux sociaux et parfois initiées ou soutenues par des responsables politiques de haut rang, voire des gouvernements. Ces campagnes de désinformation recourent de plus en plus souvent à l’intelligence artificielle.
En 2023, le gouvernement vénézuélien a généré un faux journal télévisé afin de relayer des fake news, c’est-à-dire de fausses informations auprès de sa population, embellissant la situation économique du pays alors que ce dernier fait face à une crise économique sans précédent.
La liberté de la presse constitue un pilier de la vie démocratique :
- parce qu’elle participe à faire vivre le débat politique dans lequel des sensibilités différentes s’expriment (pluralisme politique) ;
- parce qu’elle a la capacité de jouer un rôle de contre-pouvoir face aux dirigeants (contrôle du pouvoir en place) ;
- et par conséquent, car elle participe à l’exercice de la liberté d’opinion et de l’esprit critique.
Parce que la liberté de la presse est précieuse, la profession de journaliste est aussi rigoureusement encadrée.
Le métier de journaliste aujourd’hui : entre rigueur et difficultés
Le métier de journaliste aujourd’hui : entre rigueur et difficultés
Une profession régie par des règles rigoureuses
Une profession régie par des règles rigoureuses
Comme on l’a vu, en France, la liberté de la presse est protégée par la loi : la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse lui accorde un cadre très large.
Cependant, la loi instaure des limites liées au respect de la personne, à la protection des mineurs, à la répression de l’injure et à l’atteinte à la vie privée.
Cette loi interdit également la diffamation et offre un recours juridique à toute personne qui jugerait ses droits bafoués dans le cadre d’une publication.
- La loi définit donc un cadre pour la liberté de la presse, afin de la protéger tout en garantissant les autres libertés (droit à la dignité, droit à la sécurité, droit à la vie privée…).
Diffamation :
Volonté de porter atteinte publiquement à l’honneur, à la dignité ou à la réputation d’un individu.
Au-delà de ces limites, la loi Pleven de 1972 punit l’injure, la discrimination ou la diffamation à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance, réelle ou supposée, à une ethnie, une nation ou une religion déterminée.
De plus, la loi Gayssot de 1990, qui sanctionne la négation des crimes perpétrés par le régime nazi, s’étend à la presse.
Enfin, en 2018, deux lois ont été adoptées afin de lutter contre la diffusion des fausses informations par les médias ou sur les réseaux sociaux.
Au-delà des dispositions légales, les journalistes sont également tenus à une éthique professionnelle rigoureuse.
Cette éthique est notamment énoncée, en Europe, dans la Charte de déontologie de Munich (ou Déclaration des devoirs et des droits des journalistes), signée le 24 novembre 1971 puis adoptée par la fédération européenne des journalistes. Cette charte énonce ainsi des droits et devoirs propres aux journalistes.
Déontologie :
Principes et règles éthiques qui encadrent une activité professionnelle.
Parmi les devoirs des journalistes figurent ainsi :
- le fait de respecter la vérité, même si cela signifie de prendre des risques ;
- le fait qu’un journaliste doit respecter et protéger ses sources (ne pas divulguer les sources d’informations obtenues de manière confidentielle pour éviter de les exposer, voire de les mettre en danger) ;
- le fait qu’un journaliste doit refuser les pressions et ne doit accepter d’obéir qu’aux responsables de sa rédaction même s’il est salarié (ce qui signifie qu’un journaliste doit conserver son indépendance, y compris envers les actionnaires éventuels de son journal).
La profession de journaliste est régie par des règles déontologiques rigoureuses, qui privilégient l’indépendance et la recherche de la vérité, quels que puissent être les risques encourus.
Une profession menacée
Une profession menacée
Parmi les droits des journalistes, on retrouve notamment le droit d’enquêter librement et d’avoir accès aux différentes sources d’information. Or, dans de nombreux pays, la liberté d’investiguer des journalistes est entravée, voire menacée.
Dans son classement mondial de la liberté de la presse de 2023, l’association Reporters sans frontières constate que « les conditions d’exercice du journalisme sont mauvaises dans 7 pays sur 10 et satisfaisantes dans seulement 3 pays sur 10. »
Par ailleurs, on observe que la liberté de la presse est en recul dans de nombreux pays du monde.
L’exercice de la profession de journaliste est la plus difficile dans les régimes autoritaires et dictatoriaux. Ainsi, la Chine et la Corée du Nord se retrouvent parmi les dernières places du classement établi par Reporters sans frontières pour l’année 2024.
Reporters sans frontières :
Organisation non gouvernementale internationale fondée en 1985 dont la mission est de promouvoir et protéger la liberté de la presse dans le monde.
Les menaces qui pèsent sur les journalistes à travers le monde recoupent un large spectre allant des pressions et des intimidations en passant par l’emprisonnement arbitraire jusqu’à l’assassinat pur et simple.
Ainsi, sur l’année 2023, 45 journalistes ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions à travers le monde (qu’il s’agisse d’assassinats ciblés ou de décès survenus dans le cadre de la couverture d’un conflit, comme à Gaza), tandis que 521 étaient détenus arbitrairement en raison de leur activité professionnelle.
Globalement, c’est en Europe que les conditions d’exercice de la profession apparaissent les plus favorables, de nombreux États européens offrant un cadre juridique protecteur aux journalistes. Néanmoins, même là, l’exercice de cette profession comporte des risques.
En 2017, la journaliste maltaise Daphné Caruana Galizia a été assassinée dans l’explosion de sa voiture piégée. Très connue sur l’île de Malte pour avoir révélé plusieurs scandales de corruption, Daphné Caruana Galizia avait fait l’objet de nombreuses menaces avant son assassinat : tentative d’incendie de sa maison, chien tué, ou encore voiture brûlée. L’enquête a mis en lumière le lien direct existant entre son travail de journaliste et son meurtre. En effet, avant d’être assassinée, Daphné Caruana Galizia avait mis au jour un immense scandale de corruption, les Malta files, impliquant de hauts responsables du gouvernement maltais, y compris l’épouse du Premier ministre de l’époque. À la suite de son assassinat, un groupement de journalistes d’investigation du monde entier, dont des journalistes du quotidien français Le Monde, ont repris ses travaux et prouvé l’implication de hauts responsables gouvernementaux maltais dans cet assassinat.
Concernant l’Europe occidentale, Reporter sans frontière précise : « Si en France et au Royaume-Uni la liberté de la presse n’est pas menacée par des atteintes politiques d’ampleur, la vigilance reste de mise, comme l’ont montré l’arrestation de la journaliste française Ariane Lavrilleux à la suite d’une plainte du ministère des Armées et le maintien en détention de Julian Assange au Royaume-Uni ». (données de 2024)
Outre les États, le grand banditisme et les mouvements terroristes représentent des menaces pour les journalistes, qu’ils enquêtent sur les activités illicites des premiers ou bien qu’ils publient des contenus jugés blasphématoires par les seconds.
En janvier 2015, deux terroristes affiliés à Al Qaida dans la péninsule arabique attaquent la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo et massacrent douze personnes dont huit membres de la rédaction à la suite de la publication de caricatures du prophète de l’islam par ce journal.
La liberté de la presse est donc gravement menacée aujourd’hui, que ce soit dans les pays autoritaires ou par des groupes criminels ou terroristes. Même dans les démocraties, cette liberté reste fragile : elle est susceptible d’être remise en cause et doit donc être protégée.
Des médias garants du pluralisme politique en France
Des médias garants du pluralisme politique en France
La propriété des médias français est de plus en concentrée entre les mains de quelques grandes fortunes et de l’État.
Néanmoins, la loi précise la nécessité de l’indépendance des rédactions et impose aux médias audiovisuels de respecter le pluralisme politique.
Média :
Institution ou moyen technique qui permet une diffusion massive d’informations ou d’opinions quel qu’en soit le support. Exemples : la presse, la télévision, la radio, etc.
Pluralisme (politique) :
Existence de courants d’idées politiques différents au sein d’une société.
Entre concentration et indépendance des médias
Entre concentration et indépendance des médias
En France, 80 % des titres de la presse quotidienne sont détenus par une dizaine d’investisseurs privés qui contrôlent également 50 % de la part d’audience des radios et 60 % de l’audience en télévision.
On parle de concentration des médias.
Cette constitution de grands groupes médiatiques soumis à des intérêts financiers pose donc la question de leur indépendance et devient « une préoccupation forte dans le pays » (Reporter sans frontières).
Depuis le début des années 2000, l’industriel Vincent Bolloré investit massivement dans les médias (C8, Cnews, Canal Plus, Europe 1, Le Journal du dimanche) et multiplie les prises de participation dans plusieurs groupes de presse. Ses liens d’amitié avec l’ancien président Nicolas Sarkozy élu en 2007 ont été à l’origine d’accusations de complaisance à l’égard de ce dernier dans le traitement de l’information par les médias qu’il contrôlait. Les luxueuses vacances passées par Nicolas Sarkozy à Malte après son élection sur un yacht mis à disposition par Vincent Bolloré ont contribué à accentuer ces accusations.
De fait, la plupart des médias qui influencent l’opinion dépendent d’intérêts industriels ou financiers ou de l’État (groupe France télévision).
Par conséquent, les médias et titres de presse indépendants (Le Canard enchaîné, Mediapart, Politis, Off-Investigation…) font aujourd’hui figure d’exception.
La tendance actuellement observée en France n’est pas sans rappeler d’autres exemples, notamment en Italie ou en République tchèque, où des hommes d’affaires comme Silvio Berlusconi sont parvenus à remporter les élections grâce à l’influence exercée sur l’opinion publique par les médias en leur possession.
En République tchèque, l’ancien premier ministre Andrej Babis (2017-2021), également homme d’affaires, possède ou contrôle en partie les plus gros titres de presse du pays, ainsi que la radio la plus écoutée et des chaînes de télévision.
Cette concentration de médias influents entre ses mains lui permet d’influencer le traitement de l’information le concernant et de peser sur le résultat des élections.
Depuis les années 1990, dans les pays démocratiques, on assiste à une concentration de plus en plus importante des médias entre les mains d’intérêts privés financiers ou industriels.
- Cette concentration représente une menace pour le pluralisme de l’information, l’indépendance des journalistes et, en fin de compte, pour la démocratie elle-même.
Les obligations des médias audiovisuels en termes de pluralisme politique
Les obligations des médias audiovisuels en termes de pluralisme politique
En France, les médias audiovisuels ont obligation de respecter le pluralisme politique, c’est-à-dire qu’ils doivent donner la parole sur leurs antennes à l’ensemble des sensibilités politiques représentées dans le pays.
Cette obligation est sous le contrôle de l’Arcom.
Arcom :
L’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique est une autorité publique indépendante chargée de garantir la liberté de communication et le respect des lois dans le secteur de l’audiovisuel en France.
Concrètement, l’Arcom est l’organisme qui octroie aux radios et aux chaînes de télévision des ondes de diffusion en échange du respect d’un cahier des charges. Le respect de la déontologie journalistique et du pluralisme politique fait partie intégrante de ce cahier des charges.
L’Arcom a également pour mission d’encourager la création de contenus de qualité. De plus, principalement en période électorale, elle s’assure que chaque sensibilité politique dispose sur toutes les chaînes d’un temps de parole équivalent.
Le 24 juillet 2024, l’Arcom a annoncé que la chaîne C8 ne pourrait pas continuer à émettre sur les fréquences de la TNT. Parmi les arguments avancés par l’Arcom pour justifier sa décision figure celui du manque de représentativité « de pluralisme des courants d’expression socio-culturels » sur la chaîne. En juin de la même année, l’Arcom avait déjà mis en demeure la radio Europe 1 et l’animateur Cyril Hanouna (également présentateur phare de la chaîne de télévision C8) pour leur traitement de la campagne des élections législatives. Il était notamment reproché à Cyril Hanouna et à ses équipes d’avoir reçu une majorité d’invités issus de la droite et d’avoir dans le même temps dénigré outrancièrement l’alliance électorale de gauche du Nouveau front populaire.
Conclusion :
La liberté de la presse est indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. Cependant, elle est contestée, voire menacée, particulièrement au sein des régimes autoritaires ainsi que par certains groupes criminels ou terroristes. De plus, même dans les démocraties, les journalistes soumis à une déontologie rigoureuse peuvent être la cible de pressions, céder à l’auto-censure lorsqu’ils ne sont pas complètement libre, et leur vie peut même être mise en danger, comme l’a rappelé l’assassinat de la journaliste Daphné Caruana Galizia à Malte en 2017.
En France, la liberté de la presse est protégée par la loi depuis 1881, mais depuis une vingtaine d’années, l’indépendance des rédactions est fragilisée par l’emprise des « puissances d’argent », à travers la concentration croissante des titres de presse et des médias télévisuels et radiophoniques entre les mains de quelques grandes fortunes.