La monarchie parlementaire anglaise : un modèle à l’opposé de la monarchie française
Introduction :
Si le royaume d’Angleterre est loin de détenir une richesse équivalente à celle du royaume de France, le roi d’Angleterre devient un souverain avec lequel il faut compter à l’époque moderne. Il prend peu à peu une importance majeure au sein de l’Europe.
Le roi anglais dispose de pouvoirs considérables sur ses sujets. Néanmoins, il y a des limites à sa capacité d’action. Au fil du temps, les Parlementaires obtiennent des compromis et une certaine forme de partage du pouvoir. Deux textes de référence, l’Habeas Corpus et le Bill of Rights, sont le symbole de cette évolution. Nous verrons que les principes limitant l’arbitraire royal, c'est-à-dire la capacité du monarque à agir comme il le souhaite, ne s’appliquent qu’à une partie de la population sous domination de la monarchie anglaise.
Dans une première partie, nous verrons que le modèle politique anglais relève du consensus (de l’accord) entre le pouvoir royal et les différents contre-pouvoirs (parlements, etc.). Dans un second temps, nous nous interrogerons sur l’application de ses principes en-dehors de l’Angleterre (conquêtes, colonies).
Un modèle politique du consensus
Un modèle politique du consensus
Un monarque concentrant de nombreux pouvoirs
Un monarque concentrant de nombreux pouvoirs
Le roi d’Angleterre est au moins aussi absolu que le roi de France.
- Son pouvoir est fondé sur la conquête. La terre qu’il a conquise lui appartient en totalité, au moins symboliquement. Même si un noble est très puissant, il est obligé de se soumettre au roi.
- Il a le pouvoir d’anoblir ou de déchoir ses sujets. Il peut gracier les condamnés.
- Il possède les pouvoirs régaliens : prélever les taxes, déclarer la guerre, signer la paix…
Pouvoirs régaliens :
Les pouvoirs régaliens sont ceux qui dépendent de la compétence exclusive du souverain. Généralement, ils désignent les pouvoirs de police, l’armée, la justice ou encore le pouvoir de battre monnaie, c'est-à-dire de créer de nouvelles pièces de monnaie.
- Il n’est pas soumis aux lois.
- En tant que chef de l’Église anglicane, il peut faire et défaire les évêques.
Aujourd’hui encore, le monarque anglais est le chef de l’Église anglicane. Cette religion est née en 1534 suite au conflit entre Henri VIII et le Pape, qui refusait d’accorder le divorce au souverain. Il s’agit d’une forme de protestantisme ayant de nombreux points communs avec le catholicisme. Par exemple, il existe un clergé anglican à la tête duquel se trouve l’Évêque de Canterbury.
La monarchie anglaise est parlementaire. Cela signifie que le roi est assisté par un Parlement qui peut prendre certaines décisions. Le Parlement anglais est composé de deux chambres. Il est donc bicaméral :
- la chambre des Communes, composée de notables élus par suffrage censitaire, c'est-à-dire qu’il faut un certain niveau de richesse pour voter et être élu ;
- la chambre des Lords, composée de lords (nobles) qui héritent de leur place et de membres du clergé. Le suffrage est censitaire mais libre. Le roi ne peut imposer un membre du Parlement.
La Chambre des Communes en 1808
La chambre des Lords et la chambre des Communes existent toujours de nos jours. La chambre des Lords comprend encore aujourd’hui des membres non élus.
Sans nier le rôle fondamental des parlementaires, il faut insister sur le fait que le roi n’est pas lié par le Parlement. Par ailleurs, dans les textes de loi, il est mentionné que le roi « prend conseil de son parlement ».
Comme le roi de France, le roi d’Angleterre a une fonction de « père de ses sujets ». Il protège le peuple sous sa domination. Il est également réputé thaumaturge, c’est-à-dire qu’il pourrait guérir ses sujets par imposition des mains. Ainsi, le peuple symbolise l’enfant qui doit se soumettre et obéir à son « père ».
Malgré sa puissance, le roi d’Angleterre est limité par des contre-pouvoirs. En Angleterre, aucun monarque n’est réellement « absolu ».
Des limites au pouvoir absolu du monarque ?
Des limites au pouvoir absolu du monarque ?
Comme tout pouvoir politique, la monarchie anglaise est d’abord limitée dans son action par son budget. Le Roi n’est pas le plus riche de son royaume. Ses revenus proviennent :
- de l’exploitation des domaines royaux ;
- d’impôts et taxes ;
- des amendes issues des condamnations.
À l’époque moderne, l’Angleterre se dote de textes qui doivent protéger l’intégrité des personnes et limiter l’arbitraire royal ainsi que celui de la noblesse.
Au XVIIe siècle, l’Angleterre connait des périodes de guerre civile entre royalistes et parlementaires qui aboutissent en 1649 par l’exécution du roi Charles Ier pour trahison. Après sa mort, l’Angleterre connait une période d’interrègne jusqu’en 1660 : il n’y a pas de roi à la tête du royaume mais un Lord Protecteur, Olivier Cromwell.
En 1660, la monarchie est rétablie et la dynastie des Stuart (1603-1714) est au pouvoir en Angleterre. Cependant, des tensions subsistent entre pouvoir royal et membres du parlement.
- L’Habeas Corpus (1679)
En 1679, le Parlement s’oppose au roi Charles II pour deux raisons :
- Charles II est admirateur de la monarchie française absolutiste de Louis XIV, ce qui inquiète le Parlement qui craint de perdre du pouvoir ;
- l’héritier du roi Charles II est catholique et le Parlement est anglican.
Cela entraîne nécessairement un conflit majeur entre parlementaires et partisans du roi.
Charles II tente d’assurer sa position. Les arrestations d’opposants sont nombreuses et le roi ne les justifie pas. En réaction, le chef des opposants fait voter la loi dite de l’Habeas Corpus au parlement.
Ce texte fondamental indique qu’il est interdit de maintenir en prison une personne sans preuve de culpabilité.
Le Bill of Rights ou Déclaration des Droits (1689), dont le titre complet est « Acte déclarant les droits et les libertés du sujet et mettant en place la succession de la couronne »
- Le Bill of Rights (1689)
À la mort de Charles II en 1685, son frère Jacques II monte sur le trône.
Pour beaucoup de parlementaires, les Stuart ne respectent pas l’Habeas Corpus et sont trop fascinés par l’absolutisme « à la française ».
La Glorious Revolution (« Révolution Glorieuse ») débute en 1688 et aboutit à la destitution de Jacques II qui fuit vers la France. Sa fille Marie Stuart et le mari de celle-ci, Guillaume d’Orange, montent sur le trône avec le soutien du Parlement.
En 1689, les parlementaires rédigent le Bill of Rights, qui limite les pouvoirs de la monarchie avec les éléments suivant :
- réunions fréquentes du Parlement ;
- accord du Parlement nécessaire pour lever un nouvel impôt ou pour les actes concernant l’armée en temps de paix ;
- création d’un « droit d’adresse » pour les sujets qui souhaitent alerter le souverain sur un sujet particulier et d’un droit de pétition ;
- liberté de l’élection (suffrage censitaire) à la Chambre des Communes.
On peut noter que ces limitations du pouvoir royal profitent majoritairement à l’élite sociale de l’Angleterre. En effet, la Chambre des Communes est accessible sous conditions de revenu. Le Parlement est en partie décisionnaire sur la question de l’impôt, qui touche toutes les catégories de population en Angleterre. Nous allons voir à présent que les différents principes novateurs de l’Habeas Corpus et du Bill of Rights ne s’appliquent pas à tous les sujets de la Couronne.
Des principes circonscrits à certains sujets de la Couronne
Des principes circonscrits à certains sujets de la Couronne
Une intégration inégale des autres territoires du Royaume-Uni : l’exemple de la conquête de l’Irlande
Une intégration inégale des autres territoires du Royaume-Uni : l’exemple de la conquête de l’Irlande
Le souverain anglais règne sur l’Irlande par droit de conquête. Il est donc « Roi d’Irlande » en même temps qu’il est Roi d’Angleterre.
Le royaume d’Irlande n’est pas rattaché à la Couronne d’Angleterre avant le XIXe siècle. Cela signifie qu’à l’époque moderne, on ne parle pas encore de « Royaume-Uni ».
Pour rappel, le Royaume-Uni comprend aujourd’hui l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galle et l’Irlande du Nord.
L’Irlande n’est pas un territoire comme un autre :
- tout au long de l’époque moderne, les relations entre la Couronne et les Irlandais sont parsemées de révoltes et de répressions sévères de la part du pouvoir royal ;
- à l’époque moderne, il existe un parlement à Dublin. Cependant, celui-ci n’est quasiment jamais réuni et il ne jouit d’aucune autonomie. Il doit enregistrer les textes de lois qui lui proviennent de Londres ;
- les Irlandais parlent le gaélique. Après la constitution de l’Église anglicane (XVIe siècle), ils restent catholiques et refusent d’embrasser la religion de la Couronne. Plusieurs prêtres catholiques irlandais sont arrêtés et déportés.
Le point religieux est majeur. En effet, à partir du XVIe siècle, des penseurs politiques européens mettent en avant le principe : « À chaque région, sa religion » (en latin « cujus regio, ejus religio »). Ce principe signifie que les sujets d’un souverain doivent avoir la même religion que lui.
- Ainsi, toute contestation religieuse devient une contestation politique. Cela explique les répressions subies par les Irlandais durant l’époque moderne.
Oliver Cromwell par Samuel Cooper, 1656 - Lord Olivier Cromwell, Lord Protecteur d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande pendant la Guerre civile (1653-1658). Il prend le pouvoir après l’exécution du roi Charles Ier en 1649 et gouverne pendant la période « d’Interrègne » (1649-1660). Il réprime de façon très sanglante les révoltes irlandaises durant son règne, au point que certains auteurs parlent de « génocide ».
Dans les textes royaux du XVIIe siècle, l’Irlande était qualifiée de « plantation ». Il s’agit du même terme que l’Angleterre utilise pour qualifier ses colonies outre-Atlantique.
La situation des Amériques
La situation des Amériques
Dès 1651, Cromwell élabore un « Western Design » (« Projet pour l’Ouest ») dans le but de concurrencer les Espagnols et les Portugais dans les Antilles.
Peu à peu, l’Angleterre se constitue un empire durant l’époque moderne. La majeure partie des possessions de la Couronne se situent en Amérique.
Empire (époque moderne) :
Un empire à l’époque moderne signifie :
- une domination du Roi sur des espaces et des peuples étrangers ;
- un peuplement, c’est-à-dire l’envoi de sujets anglais dans les colonies ;
- une forme de monopole commercial entre l’Angleterre et les colonies.
En Amérique, le roi d’Angleterre règne sur des territoires peuplés de populations très diverses :
- des Anglais ;
- beaucoup d’Irlandais, comme à la Barbade, en raison de leur expropriation d’Irlande suite à la répression anglaise ;
- des Natifs américains (« Indiens d’Amérique ») ;
- des esclaves noirs issus du commerce triangulaire (Europe, Afrique, Amériques).
« Natifs » :
Aux États-Unis, le terme « Indien d’Amérique » est considéré comme insultant. On lui préfère le terme de « natives » (« natifs ») qui désigne les populations installées en Amérique avant l’arrivée des colons européens.
Commerce triangulaire ou traite Atlantique :
Le commerce triangulaire désigne la traite d’esclaves noirs mise en place à l’époque moderne entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques. Il consistait à des échanges en trois temps :
- envoi de navires européens en Afrique pour s’approvisionner en esclaves noirs ;
- transfert de ces esclaves en Amérique où ils produisent des produits locaux à destination de la métropole (café, sucre, tabac, or…) ;
- envoi de ces produits vers les ports européens.
Les différentes populations n’ont pas les mêmes droits. Bien entendu, les Indiens et les Noirs sont exclus de la protection royale et des textes comme le Bill of Rights. Ils ne sont pas considérés comme des sujets du Roi. L’esclavage est bien le fait de nier la condition humaine d’un individu, qui devient une marchandise.
La culture du tabac par des esclaves en Virginie, 1670 (auteur anonyme)
De plus, la volonté de faire des Amériques des colonies de peuplement a un impact direct sur les populations natives qui sont peu à peu repoussées vers l’ouest.
La construction progressive de l’empire britannique se fait parallèlement au développement de la marine anglaise, la Royal Navy. Celle-ci fait de la Grande-Bretagne la première puissance maritime mondiale au XIXe siècle. Elle est en concurrence avec les flottes hollandaises et françaises.
Ainsi, les Amériques sont bien un facteur de la puissance du monarque anglais. Leurs productions enrichissent la Couronne et la bourgeoisie anglaise. À l’inverse, seules des marchandises anglaises peuvent être importées dans les colonies américaines, par le biais de navires anglais. Il existe des exceptions : les esclaves sont apportés par des navires espagnols et portugais.
Conclusion :
Le monarque anglais dispose donc d’un pouvoir considérable sur ses territoires et les populations qui les composent. Son rôle symbolique, tant politique que religieux, est aussi majeur.
Cependant, au cours de l’époque moderne, certains rééquilibrages ont eu lieu au profit des parlementaires. Par ce biais, des privilèges ont été donnés au peuple anglais, parmi lesquels des textes les protégeant face à l’arbitraire royal. Ces privilèges sont néanmoins parfois bafoués selon le contexte politique local. De même, ils ne s’appliquent pas aux populations dominées dans les colonies.