La mondialisation et ses limites
Introduction :
La mondialisation doit relever de nombreux défis. Malgré la croissance économique, le développement de certains pays et l’amélioration des conditions de vie de nombreux habitants de la planète, la mondialisation cristallise les critiques. Elle est accusée de hiérarchiser les territoires en fonction de leur intégration dans ce processus (voir le cours Des territoires inégalement intégrés dans la mondialisation), d’accentuer les fractures entre les pays riches et les pays pauvres, de dégrader un peu plus l’environnement. Ces constats génèrent des tensions ainsi que des propositions pour une autre organisation à l’échelle planétaire. Il est alors légitime de se demander si une autre forme de mondialisation est possible.
Nous verrons, dans un premier temps, que certains aspects de la mondialisation font l’objet d’opinions défavorables. Dans un deuxième temps, nous analyserons les orientations et perspectives envisagées.
La mondialisation en débats
La mondialisation en débats
L’ensemble de ces critiques se fonde sur les observations des dysfonctionnements de la mondialisation ainsi que sur les tensions générées par celle-ci.
Une contestation économique et sociale
Une contestation économique et sociale
Ces critiques économiques et sociales sont interdépendantes car elles concernent le fonctionnement de la mondialisation et ses répercussions sociales.
La mondialisation est le fruit d’un long processus de diffusion de l’économie marchande puis capitaliste.
Ainsi, l’impression qui domine aujourd’hui est celle d’un monde où capitalisme et libéralisme sont devenus la règle, le modèle universel incontestable.
Capitalisme :
Le capitalisme est un système économique qui suppose la propriété privée des moyens de production et leur utilisation en vue de la recherche du profit.
Libéralisme :
Le libéralisme est une doctrine fondée sur la liberté. Le libéralisme économique implique de ne pas intervenir dans le fonctionnement des entreprises, l’offre et la demande.
Il semblerait, dans ce contexte, que plus aucun autre système économique ne soit possible alors que, durant la guerre froide (1945-1989), le capitalisme s’exerçait en parallèle du collectivisme prôné par le communisme. Cette absence d’alternative ressemble fort à une « dictature économique », qui est rejetée par certains (voir la partie II de ce cours).
Toujours dans la sphère économique, la mondialisation a certainement favorisé les trafics illégaux et les paradis fiscaux. Par trafics illégaux, il faut entendre par exemple les trafics de drogue. Même si, par définition, on ne dispose pas de données exactes de ces trafics, des estimations montrent que la croissance des échanges a profité aux échanges illicites. Ces échanges illégaux suivent souvent une logique Sud-Nord, des zones de production (pour les matières premières et les drogues) aux zones de consommation.
Les paradis fiscaux, quant à eux, sont des lieux où les impôts sont inexistants ou très peu élevés. Il est donc très intéressant pour les entreprises d’y être domiciliées. Les îles de la Caraïbe et des Antilles sont une zone de paradis fiscaux. En ce sens, on peut dire qu’elles ont une large ouverture mondiale et sont très bien intégrées dans la mondialisation.
Les critiques sociales découlent aussi du fonctionnement de la mondialisation.
La division internationale du travail (DIT) c’est-à-dire, entre autres, le fait de produire dans des pays où la main d’œuvre est moins chère, a généré une aggravation de la condition des travailleurs dans certains pays.
Les conditions de travail dans les usines de Foxconn, dans la ZES (zone économique spéciale) à Schenzen en Chine ont souvent été dénoncées par des médias occidentaux ou des ONG. Les employés sont logés sur place, ont des rythmes de travail difficiles (12 heures par jour 10 jours de suite). Plusieurs suicides sont survenus et ont été commentés par les médias occidentaux. Pourtant, cette usine assemble certains produits Apple, Nokia ou Dell.
« Ils ont entre 16 et 25 ans, ils ont grandi dans les campagnes misérables, élevés par leurs grands-parents tandis que leurs parents travaillaient en ville. Internet leur a donné accès aux images de la société de consommation et les a fait rêver à une vie urbaine ‟pleine de richesse et de merveilles”, comme dit Tian Yu, une jeune fille de 17 ans. Dès qu’ils peuvent, ils prennent le train ou le bus et partent s’embaucher dans les grandes usines. Ils y découvrent épuisement, brimades et solitude. Certains en meurent, tous sont brisés. […] Car à FoxConn, les conditions de travail sont draconiennes. Le PDG, Terry Gou, est un ancien militaire réputé pour son ‟cost-cutting” [réduction des coûts]. Il dit : « Un dirigeant doit avoir le courage d’être un dictateur pour le bien commun. »
Extrait de l’article du Nouvel Observateur « Dans les usines à smartphones, certains meurent, tous sont brisés », par Claire Richard, publié le 21 novembre 2016
Enfin, dans les pays émergents, la réussite de certains a creusé le fossé avec les plus pauvres.
L’Inde est représentative du creusement de ces écarts. C’est le pays où le nombre de milliardaires a le plus augmenté ces dernières années (106 milliardaires en 2018). Parallèlement, la population vivant en-dessous de pauvreté est évaluée à un quart de la population.
La mondialisation entre contrainte et tensions
La mondialisation entre contrainte et tensions
La distance demeure, semble-t-il, un facteur contraignant voire un handicap. Une étude de l’OCDE a montré deux phénomènes qui corroborent cette idée.
Le premier est le fait que les échanges diminuent d’environ 10 % lorsque la distance augmente de 10 %. Cela expliquerait donc le succès des organisations régionales (voir le cours Coopérations et tentatives de régulation) qui développent une liberté des échanges de proximité.
Le deuxième phénomène concerne la distance par rapport aux axes majeurs et aux pôles mondiaux. Il ressort des observations de l’OCDE que plus un pays est éloigné des pôles et axes principaux de la mondialisation, plus son PIB s’en ressent (à hauteur de 10 % en moins selon les calculs de l’OCDE). L’éloignement de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie et dans une moindre mesure de l’Islande, de la Finlande a donc des répercussions sur leur intégration dans la mondialisation et sur leur PIB. À l’inverse, les Pays-Bas et la Belgique bénéficieraient grandement du fait d’être à côté de la mégalopole européenne (+ 6 % de PIB).
La mondialisation a également accru la pression sur les espaces maritimes. Des contestations sont apparues par exemple en Asie orientale. Certains îlots sont disputés car ils permettent l’extension de la ZEE (zone économique exclusive) ainsi que le contrôle des voies de passage. Des tensions surviennent notamment au niveau des détroits d’Ormuz et de Bab-el-Mandeb (voir les cours Des enjeux géostratégiques qui se déplacent vers les mers et les océans et Le détroit de Malacca et le golfe arabo-persique : des points de passage au cœur de la mondialisation).
Des tensions existent aussi entre pays du Nord et pays du Sud. Ces derniers accusent les pays du Nord de les transformer en « poubelles géantes » et acceptent de moins en moins les transferts de déchets. Cela consiste à envoyer toutes sortes de matériaux dans un autre pays afin qu’ils soient éliminés ou transformés. Ainsi, depuis 2018, la Chine n’accepte plus les importations de déchets plastiques. C’est l’Asie du Sud-Est qui les accueille désormais, non sans protester puisqu’elle commence à refuser l’entrée de nombreux conteneurs de déchets étrangers.
En Afrique, les normes de stockage et de recyclage sont moins contraignantes que dans les pays développés. Le continent africain est donc lui aussi un lieu destinataire de déchets, notamment électroniques. La plus grande décharge africaine de déchets électroniques importés se trouve au Ghana.
Enfin, depuis l’élection de Donald Trump, la mondialisation semble fragilisée avec un retour du protectionnisme.
L’un des slogans du candidat à la Maison Blanche était « America first ». Élu, le président a taxé logiquement les produits chinois entrant aux États-Unis (+ 25 % sur l’acier et + 10 % sur l’aluminium). Selon lui, les États-Unis doivent produire sur leur sol pour créer des emplois. La Chine a riposté (+ 15 % sur le vin américain et quelques produits alimentaires). Le terme de guerre commerciale a même été employé. Les résultats sont en demi-teinte. L’électorat de Donald Trump semble satisfait et quelques indicateurs économiques étaient positifs (taux de chômage en baisse) mais les entreprises dépendantes de matières premières chinoises pour fonctionner ont souffert de ces décisions.
Face à ces tensions et critiques, des voix s’élèvent pour proposer de nouvelles alternatives.
Les nouvelles perspectives mondiales
Les nouvelles perspectives mondiales
Les propositions pour faire face aux dysfonctionnements, critiques et tensions sont d’ordre économique mais aussi matériel.
La galaxie altermondialiste
La galaxie altermondialiste
Des citoyens se regroupent dans une multitude d’organisations à travers le monde pour proposer une mondialisation différente. Ce sont des mouvements altermondialistes qui regroupent aussi bien des ONG, des syndicats, des mouvements écologiques, paysans, citoyens au sens large. Leur slogan est souvent le même : Another World is possible (« Un autre monde est possible »). En France, l’un de ces mouvements se nomme ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne). Il a été fondé en 1998 et est présent dans d’autres pays. Il s’oppose aux grandes instances internationales comme l’OMC ou le G20. Parmi les ONG altermondialistes, on trouve notamment Amnesty international (liberté, droits de l’homme), WWF (protection de la nature), ou encore Greenpeace (questions environnementales). Ces acteurs de la société civile ont pris l’habitude de se réunir, eux aussi, lors de forums sociaux mondiaux.
Société civile :
La société civile correspond à un ensemble de citoyens actifs qui s’engagent dans des mouvements, font entendre leurs opinions et tentent d’influencer les décisions politiques.
Le premier forum social mondial a eu lieu à Porto Alegre (Brésil) en 2001 et depuis, les réunions sont régulières. Le prochain est prévu en janvier 2021 au Mexique. Ces forums sociaux servent à se rencontrer, échanger, débattre. Ils sont traversés par divers courants de pensée qui, chacun, ont des idées différentes.
Concrètement, de nouvelles formes économiques s’appliquent déjà avec le commerce équitable. Lorsqu’il est mis en œuvre à l’échelle mondiale, le commerce équitable consiste à aider les petits producteurs des PED en achetant par exemple leurs productions à des prix fixes et rémunérateurs. En bout de chaîne, les consommateurs des pays développés acceptent d’acheter le produit à un prix un peu plus élevé pour assurer un revenu à ces producteurs. L’idée générale est de respecter le slogan des Nations unies à ce sujet : Trade, not aid, soit « Le commerce, et pas l’assistance ».
Les murs
Les murs
Ces dernières années, un paradoxe s’est répandu à travers le monde. Les échanges de biens et de services se maintiennent mais, parallèlement, la construction de murs se multiplie. Le géographe Michel Foucher utilise l’expression de « barriérisation » du monde. Ces murs rappellent des événements historiques comme la construction du mur de Berlin (1963) ou « rideau de fer », matérialisant la séparation de l’Europe de l’Ouest et de l’Est durant la guerre froide.
Cette carte montre bien l’accélération et la multiplication de ces constructions depuis 2010. Les régions du Moyen-Orient et d’Asie centrale sont particulièrement touchées
Ces murs sont construits aujourd’hui pour matérialiser des frontières. Ils sont présentés comme permettant plus de sécurité. Le terrorisme a été mis en avant après les attentats aux États-Unis (2001) pour justifier leur édification. Ils sont plus souvent destinés aux personnes qu’aux marchandises. Les murs sont censés limiter l’immigration clandestine et les trafics. Mais les migrants trouvent alors d’autres moyens pour parvenir à leurs fins. Aux États-Unis, il est souvent question de poursuivre la construction du mur de séparation avec le Mexique.
Les prédécesseurs de Donald Trump et Joe Biden ont largement participé à la construction de ce mur
L’UE n’échappe pas à la règle. L’espace Schengen met en place une frontière extérieure avec des gardes-frontières et des gardes-côtes. Les barrières pour lutter contre l’immigration clandestine et les trafics sont situées dans l’enclave espagnole de Ceuta au Maroc, aux frontières turque et hongroise. À Ceuta, une barrière a été érigée dès 2001. Elle a conduit de nombreux migrants à choisir des passages plus risqués et dangereux. Dans l’UE, ces barrières sont constituées de grillages surmontés de fils barbelés. Elles sont surveillées par des miradors.
Ces murs évoquent les « gated communities » (communauté fermée) tant ils semblent faits pour couper deux mondes l’un de l’autre : les pays riches et les pays pauvres. Ils entravent même une liberté fondamentale qui est la liberté de circulation. Pour l’instant, ces murs construits pour être infranchissables ne représentent qu’entre 5 et 15 % des tracés frontaliers mondiaux.
Conclusion :
Les limites de la mondialisation sont plurielles. Leur visibilité s’est accentuée en même temps que la croissance des échanges, le développement de la circulation maritime, des métropoles mondiales… Ces limites sont devenues de véritables freins à la poursuite de la mondialisation telle qu’elle est encore pratiquée majoritairement aujourd’hui. Pour cette raison, les alternatives se multiplient et s’intensifient (altermondialisme, commerce équitable, etc.). Cependant, certaines de ces alternatives, comme le protectionnisme ou la construction de murs vont dans le sens contraire de la poursuite de la mondialisation. Il est donc à peu près certain que d’autres voies sont à explorer pour que la mondialisation continue à fonctionner en allant dans le sens d’une répartition plus juste des richesses et d’une réduction des inégalités.
L’épidémie de Covid-19 semble cependant avoir encore accentué les limites de la mondialisation puisque la circulation mondiale a été très largement interrompue durant le confinement, faisant apparaître la fragilité des mobilités humaines lors de la circulation d’un virus particulièrement contagieux.