La Russie et l’Asie du Sud-Est : entre inégale intégration dans la mondialisation, coopérations et tensions
Introduction :
La Russie et l’Asie du Sud-Est sont deux espaces qui s’affirment dans la mondialisation.
Le fonctionnement de la Russie a été bouleversé à la fin de la guerre froide. En 1991, l’URSS (Union des républiques socialistes soviétiques) a éclaté, donnant naissance à de nouveaux pays (14 au total sans la Russie). La perte de ces territoires pour la Russie a signifié une diminution de population, de ressources, d’accès à la mer. Aujourd’hui, le pays tente de retrouver sa puissance.
L’Asie du Sud-Est correspond à un ensemble de pays. Certains font partie aujourd’hui de la façade orientale de l’Asie Pacifique, c’est-à-dire de l’un des pôles majeurs de la mondialisation. Il est alors intéressant d’analyser comment ces deux espaces s’intègrent différemment dans la mondialisation.
L’Asie du Sud-Est s’est intégrée dans la mondialisation par le volet économique. La Russie cherche à retrouver une puissance qu’elle estime avoir perdue.
L’Asie du Sud-Est : une intégration essentiellement économique
L’Asie du Sud-Est : une intégration essentiellement économique
L’Asie du Sud-Est compte une dizaine de pays d’une grande diversité géographique et culturelle. Certains États sont d’une superficie très réduite (la cité-État de Singapour, le sultanat de Brunei), d’autres sont des États archipels (Indonésie). Les langues pratiquées sont différentes. Néanmoins, des facteurs d’unité ont conduit à un développement de la région selon des critères identiques. Cela n’est pas sans poser de nouveaux défis en termes d’inégalités et de coopération.
Une unité de développement (et d’intégration)
Une unité de développement (et d’intégration)
Malgré les éléments de diversité cités en introduction, l’Asie du Sud-Est est un ensemble homogène sous plusieurs aspects.
Ces États ont des superficies et des configurations très différentes (archipels comme l’Indonésie ou état enclavé comme le Laos)
C’est un carrefour depuis longtemps, une voie de passage maritime entre l’océan Indien et l’océan Pacifique pour les hommes, les marchandises et les capitaux bien avant la mondialisation que nous connaissons actuellement. La colonisation de l’ensemble des pays de la zone (à l’exception du Siam, soit la Thaïlande aujourd’hui) par les États européens fut aussi un facteur d’unité, d’autant que les indépendances s’échelonnent à des dates rapprochées et précèdent le décollage économique. L’unité est également le résultat d’une pratique culturelle partagée par beaucoup d’habitants, le bouddhisme. Enfin, ces États sont tous peuplés d’une partie importante de la diaspora chinoise.
Diaspora :
Une diaspora est une communauté dispersée dans plusieurs pays qui garde des liens familiaux, culturels et économiques avec son pays d’origine.
L’Asie du Sud-Est s’est développée de manière fulgurante dans les années 1960-1970. La chronologie est différente selon les pays mais les fondements sont identiques. En suivant le modèle économique du Japon d’après 1945, les pays d’Asie du Sud-Est sont tour à tour devenus des pays producteurs tournés vers l’exportation. Les productions exportées sont des matières premières comme l’hévéa (pour la production du caoutchouc), le café, l’huile de palme mais aussi et surtout des produits industriels. Les exportations se sont faites dans les premiers temps en direction de l’Asie, à une échelle régionale, avant de devenir mondiales.
Ce type de développement tourné vers des productions destinées à l’exportation suit un mouvement d’ensemble dénommé parfois « développement en vol d’oies sauvages ».
- Cette expression signifie que, dans un premier temps, le pays est dépendant des importations (phase 1).
- Puis, il commence à fabriquer des produits qui ne nécessitent pas une technologie très avancée (phase 2).
- Lorsque les premiers signes de développement apparaissent avec les exportations (phase 3), ces produits sont abandonnés au profit d’une montée en gamme.
- La production de produits à faible technicité revient alors à un nouveau pays (phase 4) qui, à son tour, en profite pour se développer.
On doit cette théorie de développement en quatre phases à des économistes asiatiques
Parti du Japon, le développement économique atteint les pays d’Asie du Sud-Est à des dates différentes.
Singapour, port franc développé par les Britanniques dès la fin du XIXe siècle, est d’abord concerné, dans les années 1970-1980. Il est suivi dans la décennie suivante par l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines et la Thaïlande, nommés parfois les « Tigres ». En dernier lieu, après les années 1990, le Laos, le Vietnam et le Cambodge ont intégré ce processus de développement.
Port franc :
Zone portuaire de commerce non soumise aux droits de douane.
Les résultats sont positifs. L’Asie du Sud-Est est présentée comme le 5e bloc économique mondial derrière l’UE, les États-Unis, la Chine et le Japon. La moyenne de la croissance économique des pays se situe encore aux alentours des 5 % avec une différence entre les pays déjà très développés (Singapour, 2 % environ) et les pays qui se développent depuis peu (Laos, 7 % environ). Plusieurs ports sont devenus des ports mondiaux comme celui de Singapour, de grandes métropoles ont vu le jour avec des quartiers d’affaires ultra-modernes, comme à Kuala-Lumpur en Malaisie, une classe moyenne est née et les conditions de vie se sont améliorées.
Cependant, cette intégration dans la mondialisation est synonyme de nouveaux défis.
De nouveaux défis
De nouveaux défis
L’Asie du Sud-Est a développé très tôt plusieurs formes de coopération essentiellement économiques. L’ASEAN (voir le cours Coopérations économiques et tentatives de régulation) existe depuis 1967. L’Association of South East Asian Nations regroupe l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, Brunei, le Vietnam, le Cambodge, le Laos et le Myanmar (ex-Birmanie). L’ASEAN est basée sur le libre-échange, auquel se sont associés des échanges dans les domaines politiques, culturels et sécuritaires. De plus, d’autres pays participent aujourd’hui à l’ASEAN pour élargir la zone de libre-échange et sécuriser la zone, notamment le détroit de Malacca.
Aujourd’hui, les échanges de l’Asie du Sud-Est se font pour moitié entre les pays de la zone et pour moitié avec le reste du monde.
Il existe deux autres formes de coopération qui participent à l’intégration dans la mondialisation : les corridors de développement et les triangles de croissance. Les corridors de développement ont été réactivés en Asie du Sud-Est dans le prolongement des nouvelles routes de la soie initiées par la Chine.
Les corridors de développement correspondent à la mise en place d’infrastructures (routes, voies ferrées) construites pour désenclaver une région et améliorer ses activités économiques et le niveau de vie de sa population.
Un projet concerne par exemple les confins du Laos qui devraient être traversés par une ligne à grande vitesse chinoise. Ces projets ne participent pas obligatoirement au développement de la région traversée qui en subit alors les désavantages (nuisances sonores, dégradations environnementales) et non les effets positifs. C’est ce que l’on appelle l’effet tunnel.
Les triangles de croissance datent des années 1990. Il s’agit notamment du triangle SIJORI unissant Singapour (SI), Johore (JO) en Malaisie et les îles de Bintam et Batam de l’archipel Riau en Indonésie (RI). Ils associent un lieu très développé et deux autres, à proximité, qui le sont moins mais bénéficient d’atouts. Les îles indonésiennes sont riches en pétrole et en gaz naturel. Singapour a alors investi dans les deux autres États (IDE) moins développés. Des productions ont aussi été délocalisées sur ces îles car la main d’œuvre était moins chère qu’à Singapour. Des pôles de haute technologie ont été installés dans les deux États ainsi que des complexes touristiques sur les îles de Batam et Bintam.
Malgré ces différentes coopérations, les pays d’Asie du Sud-Est n’échappent pas aux inégalités d’intégration dans la mondialisation.
À l’échelle de la zone, cette intégration mondiale limitée est marquée par le fait que les échanges ont d’abord été régionaux avant de s’étendre au reste du monde.
De plus, les pays ne forment pas encore un ensemble homogène. Le Laos, le Cambodge et le Myanmar sont encore classés par l’ONU dans la liste des PMA (pays les moins avancés) alors qu’en 2020 Singapour occupe la 9e place dans le classement mondial des IDH (0,935).
Enfin, les inégalités d’intégration dans la mondialisation sont surtout visibles à l’intérieur des pays. Elles concernent les différences entre :
- les villes et les campagnes ;
- l’intérieur des États et les littoraux ;
- les bidonvilles et les quartiers d’affaires.
Le « miracle asiatique » a donc permis une intégration régionale et internationale par des leviers économiques mais les inégalités socio-territoriales perdurent.
La Russie a adopté une autre stratégie face à la mondialisation.
La Russie, un pays dans la mondialisation : inégale intégration des territoires, tensions et coopérations internationales
La Russie, un pays dans la mondialisation : inégale intégration des territoires, tensions et coopérations internationales
La Russie est un État de 17 millions de km2. Cet « État-continent » souffre d’un certain nombre de contraintes. D’ouest en est, le territoire russe s’étend sur deux continents, l’Europe puis l’Asie, le tout sur une distance de 10 000 km. À la distance s’ajoutent des contraintes climatiques (climat polaire en Sibérie). Mais c’est aussi un pays qui aime se référer à son Histoire. Depuis la fin de la guerre froide, il est difficile de positionner la Russie dans l’organisation mondiale. Certains la qualifient de pays émergent (cf. le « R » des BRICS), d’autres de pays en recomposition. Pendant ce temps, le président russe Vladimir Poutine insiste sur la puissance russe retrouvée. Ces hésitations reflètent finalement bien la réalité de la place incertaine de la Russie dans la mondialisation.
Une difficile intégration dans la mondialisation
Une difficile intégration dans la mondialisation
L’intégration du territoire russe dans la mondialisation présente de fortes disparités. À l’ouest sont situées la capitale (Moscou) et les principales grandes villes (Saint Pétersbourg, Kazan, Samara, etc.) qui s’égrènent le long de l’axe majeur de circulation. Cette partie européenne de la Russie est la plus peuplée, la mieux desservie par les réseaux de transport. Les activités industrielles y sont développées. On y trouve aussi des gisements d’hydrocarbures. Il s’agit donc d’un territoire intégré dans la mondialisation.
Plus on s’éloigne de cette région, moins l’intégration dans la mondialisation est effective. Dans la Russie centrale, les ressources sont variées mais difficiles d’accès par manque d’infrastructures. Même si le développement de cette partie centrale de la Russie est encouragé par l’État, les résultats sont peu visibles.
À l’échelle mondiale, l’intégration de la Russie est due majoritairement aux exportations de pétrole, de gaz naturel et de métaux.
La Russie est peu présente dans le reste des échanges mondiaux. De plus, les exportations russes se font surtout en direction de l’UE et de l’Asie Pacifique. Cette absence de diversité n’est pas synonyme d’une forte intégration dans la mondialisation. Elle présente plutôt des risques de dépendance économique. Le reste des échanges se fait surtout dans un environnement régional avec les pays qui faisaient auparavant partie de l’URSS (Ukraine, Biélorussie, Kazakhstan).
La Russie tente néanmoins de développer des formes de coopération économique.
Des coopérations qui n’excluent pas les tensions
Des coopérations qui n’excluent pas les tensions
En 2014, à l’initiative de la Russie, naissait l’Union économique eurasiatique (UEEA). Elle comprend dès l’origine la Biélorussie et le Kazakhstan. L’Arménie et le Kirghizistan ont adhéré ensuite. Il s’agit donc d’une union centrée sur l’Asie centrale dont les atouts sont les richesses agricoles et minières. Les clauses de l’accord demeurent très classiques : la libre circulation des hommes, des biens, des marchandises et des capitaux. Il est également question d’harmoniser des politiques économiques. Le pays dominant l’ensemble est la Russie. Les autres pays adhérents sont d’anciennes républiques de l’URSS. Ce type d’accord fait écho au concept « d’étranger proche » défendu par les Russes. Ce concept, qui s’étend au-delà du cercle économique, veut que tout pays ayant appartenu à l’URSS reste sous son influence, voire sous sa domination.
Présente à la fois en Europe et en Asie, la Russie a la particularité d’appartenir à des associations régionales présentes sur l’un ou l’autre des continents.
Du côté asiatique, la Russie est membre observateur de l’ASEAN. Du côté européen, elle participe à des institutions plus politiques qu’économiques, le Conseil de l’Europe par exemple ou encore l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe).
Conseil de l’Europe :
Le Conseil de l’Europe est une organisation qui s’occupe du respect des droits de l’homme et du bon fonctionnement de la démocratie.
Enfin, la Russie a manifesté sa volonté d’intégrer des organisations mondiales qui impliquent d’autres formes de coopération et l’acceptation de règles communes. Elle faisait partie du G8 depuis 1997 mais en est exclue en 2014. Elle a également intégré l’OMC (Organisation mondiale du commerce) en 2012. Sa procédure d’adhésion à l’OCDE n’a pour l’instant pas abouti.
Toutes ces formes de coopération n’empêchent pas les dirigeants russes d’être très méfiants et critiques. La Russie garde une position originale marquée par des alliances géopolitiques spécifiques plutôt que par une position économique dominante. Par ces prises de position très fermes, la Russie, par la voix de son président Vladimir Poutine, entend garder une place équivalente à celle des États-Unis dans les relations internationales. Dans la guerre en Syrie, elle soutient depuis le début le dirigeant syrien, convaincue, au contraire des Européens, que le pays risque de tomber aux mains des islamistes si Bachar El-Assad est vaincu. En 2014, la Russie annexait la Crimée, rattachée à l’Ukraine en 1991. Elle récupérait ainsi une façade maritime stratégique et la base navale de Sébastopol. Depuis lors, l’UE a pris des sanctions économiques à l’égard de la Russie. Ces différents éléments sont révélateurs des tensions que la Russie entretient au niveau diplomatique.
Forte de ses ressources naturelles, de sa domination passée, de sa position diplomatique actuelle, la Russie tente de maintenir une place de premier plan dans les relations internationales plutôt que d’asseoir une domination économique comme le fait la Chine ou comme souhaitent y parvenir les pays d’Asie du Sud-Est.
Conclusion :
La Russie et les pays d’Asie du Sud-Est ont choisi des voies d’intégration dans la mondialisation très différentes. Au « tout-économique » de l’Asie du Sud-Est, la Russie répond par la volonté d’améliorer sa situation économique mais surtout celle de jouer un rôle géopolitique majeur à l’échelle mondiale. Les évolutions mondiales économiques, environnementales et politiques permettront de faire dans le futur un bilan de la pertinence des deux modèles.