La socialisation en fonction du genre et du milieu social
Introduction :
Le gagnant d’une loterie issu des milieux populaires adoptera-t-il le même comportement qu’un individu évoluant dans un milieu aisé ? Pourquoi le métier le plus féminisé est-il celui d’« aide-ménagère » ?
Les explications à ces questions sont d’ordre sociologique. Le comportement du premier ou l’orientation professionnelle de la seconde n’ont rien de naturel. Ils questionnent plutôt le poids des déterminismes sociaux. Dès le plus jeune âge, nous assimilons des normes et des valeurs différentes en fonction de notre milieu social et de notre sexe.
Nous verrons d'une part que la socialisation transmet un genre (masculin/féminin) en fonction de notre sexe ou rôle, puis nous verrons qu’elle varie aussi en fonction de notre milieu social.
Une socialisation différenciée en fonction du genre
Une socialisation différenciée en fonction du genre
La transmission des genres masculin et féminin
La transmission des genres masculin et féminin
Dès les premiers mois de la vie, garçons et filles sont socialisés différemment sans que les adultes soient toujours bien conscients d’exercer un tel conditionnement. Avant même la naissance, certains parents veulent connaître le sexe de l’enfant afin d’entamer la construction de son identité sociale. On choisit un prénom, des couleurs pour la chambre et toute une gamme de vêtements et de jouets. Ces choix sont grandement déterminés par les normes et les valeurs que la société attribue au fait d’être un homme ou une femme.
Filles et garçons feront donc l’apprentissage d’un rôle social dans leur culture dès les premiers instants de leur vie.
De nombreux sociologues ont d’ailleurs insisté sur le conditionnement des nouveau-nés. La façon dont les parents interprètent les pleurs est parfois différenciée en fonction du sexe. Les pleurs sont plus souvent tolérés chez les filles que chez les garçons. Les pleurs du petit garçon sont davantage interprétés comme l’expression de la colère, alors que les pleurs de la petite fille sont rapportés à la peur.
Les parents fabriquent inconsciemment un modèle culturel différencié selon le sexe.
Il ne faut pas confondre genre et sexe.
Le sexe d’un individu renvoie à ses caractéristiques biologiques présentes dès la naissance (innée).
En revanche, le genre renvoie aux rôles stéréotypés que l'on associe à un sexe (acquis).
Ainsi, le sexe est une caractéristique naturelle alors que le genre est une caractéristique culturelle. Le genre peut donc varier d'un pays à un autre ou d'une époque à une autre.
Genre :
On désigne par l'expression « genre masculin » et « genre féminin » non pas le sexe des individus mais les qualités attribuées socialement et culturellement aux hommes et aux femmes grâce à l’action des instances de socialisation.
Filles et garçons sont ainsi socialisés sur le mode de l’opposition entre féminin et masculin.
La socialisation des filles est par exemple tournée vers l’intérieur alors que celle des garçons est tournée vers l’extérieur. Les instances de socialisation, comme la famille, tolèrent davantage les sorties des enfants quand il s’agit de garçons. Chez les garçons, les instances de socialisation valorisent également la motricité, la compétition, la virilité ou encore le goût du risque. La présentation, la modestie, la retenue ou encore l’aptitude à prendre soin de ses affaires sont des caractéristiques davantage transmises aux filles qu’aux garçons.
Ces observations ont de nombreuses traductions concrètes. En sport par exemple, la pratique de la natation synchronisée chez les hommes n’est pas encore reconnue, malgré le succès du film Le Grand Bain. Quant à la boxe anglaise féminine, elle n’est devenue un sport professionnel qu’en 2001.
Une socialisation différenciée produisant d’importantes inégalités
Une socialisation différenciée produisant d’importantes inégalités
Dans notre société comme dans d’autres, la socialisation genrée s’effectue au détriment des filles qui subissent de nombreuses inégalités.
On encourage par exemple les filles à se montrer coquettes, souriantes, douces, conciliantes. L’inégalité de traitement commence dès l’enfance. Avec les années, les différences peuvent prendre plus d’ampleur. La petite fille commence par être davantage sollicitée pour les tâches ménagères.
Voici un tableau réalisé d’après les résultats d’une enquête menée par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CRÉDOC) et présentant la situation actuelle dans ce domaine précis :
Répartition des tâches domestiques au sein du couple en France
Chiffres correspondant au pourcentage des individus ayant réalisé l’action au cours de la semaine précédant l’enquête
Femmes | Hommes | |
Cuisine | 93 % | 50 % |
Ménage | 93 % | 40 % |
Courses | 85 % | 64 % |
Vaisselle | 83 % | 52 % |
Repassage | 73 % | 9 % |
Source : Crédoc, 2016.
Enquête réalisée sur des couples installés ensemble depuis au moins un an et dont l’un des partenaires au moins est actif.
Malgré l’entrée des femmes sur le marché du travail, les tâches domestiques restent inégalement réparties au sein du couple. Plus de 9 femmes en couple sur 10 déclarent avoir fait la cuisine et le ménage au cours de la semaine contre seulement 1 homme sur 2 pour la cuisine et 4 sur 10 pour le ménage. L’écart est encore plus important en ce qui concerne le repassage : 73 % des femmes en couple ont repassé au cours de la semaine contre 9 % des hommes, soit un écart de 64 points.
Cette division sexuelle du travail domestique est en lien avec la socialisation des femmes qui ont bien souvent vu leurs mères effectuer ces tâches. L’enquête du CRÉDOC montre également qu’un homme en couple consacre en moyenne 5 minutes par jour au bricolage contre seulement 1 minute pour les femmes. Là encore, le processus à l’œuvre est le même : il y a une reproduction sociale des rôles sociaux observés dès l’enfance. De nombreux individus, et parmi eux les principaux intéressés, considèrent cette division comme « normale » (au sens de « dominante »). Elle l’est jusqu’au jour où d’autres normes s’imposent. D’autres pensent à tort que cette répartition est naturelle. C’est faux, notre sexe biologique ne donne aucune prédisposition particulière aux tâches domestiques.
Il ne s’agit là que d’un exemple. Nous aurions aussi pu insister sur les choix d’orientation à l’école, la discrimination au travail ou encore les pratiques sportives. De nombreux exemples attestent d’un haut niveau d’inégalités hommes/femmes dans notre société.
Une socialisation différenciée en fonction du milieu social
Une socialisation différenciée en fonction du milieu social
On oppose souvent la socialisation au sein des milieux populaires à celle des milieux aisés. Là encore, les normes et les valeurs sont pensées sur le mode de l’opposition reproduisant d’importantes inégalités.
Des styles de vie différents
Des styles de vie différents
Milieu social :
Le milieu social désigne le groupe auquel appartient l’individu. Il est défini à partir des caractéristiques socio-économiques (profession, niveau de diplôme, revenus) des individus.
Il est possible de classer les milieux sociaux en fonction de leur position dans la société : les catégories populaires, moyennes ou supérieures par exemple.
Style de vie :
Un style de vie désigne l’ensemble de pratiques sociales propres à un groupe social. Il dépend donc du milieu social.
Les catégories populaires, moyennes et supérieures n’adoptent pas toutes les mêmes modes de vie. Les normes et valeurs transmises au sein des groupes d’appartenance peuvent fortement varier.
Prenons l’exemple des rallyes mondains organisés dans les milieux aisés. Il s’agit de réunions de jeunes organisées par les parents qui commencent dès l’âge de 10/13 ans par des sorties culturelles et se terminent par de grandes soirées dansantes. Les enfants issus de la haute-bourgeoisie y apprennent les bonnes manières : le baisemain, les normes vestimentaires (chemise, mocassins, etc.), les jeux comme le bridge, etc. L’objectif de ces rallyes est de former un entre-soi. Ils entraînent une forte reproduction sociale au sein du milieu.
Dans les catégories populaires, les styles de vie sont bien différents. Dans un célèbre ouvrage de sociologie, Pierre Bourdieu oppose au « franc-manger populaire » le modèle alimentaire bourgeois. Il note que le repas des catégories populaires est marqué par l’abondance et la liberté : « on fait des plats “élastiques”, qui “abondent”, comme les soupes ou les sauces, les pâtes ou les pommes de terre » (Bourdieu, La Distinction, 1979). À l'inverse, toujours selon Bourdieu, la bourgeoisie transmet de nombreuses contraintes formelles lors des repas : « on attend que le dernier à se servir ait commencé à manger, on se sert et se ressert discrètement ».
Selon le sociologue français Pierre Bourdieu, notre milieu social (la famille principalement) transmet un ensemble de normes et de valeurs permettant de nous adapter à notre milieu social : cela constitue un habitus.
Habitus :
Concept développé par Pierre Bourdieu désignant l'ensemble des dispositions que l'on acquiert au cours du processus de socialisation (disposition à parler, agir, sentir, comprendre). Cet habitus détermine nos comportements et permet de nous adapter aux situations sociales nouvelles.
Il met aussi en évidence l’importance de plusieurs capitaux transmis par les parents aux enfants. Il en dénombre trois principaux :
Les milieux aisés possèdent ces trois capitaux en abondance, alors que les milieux populaires sont moins bien dotés.
Une forte inégalité des chances
Une forte inégalité des chances
La réussite des enfants à l’école est grandement dépendante de notre milieu social. Si les enfants issus des milieux aisés réussissent mieux que les autres, ce n’est pas parce qu’ils sont naturellement doués. Ils réussissent mieux, car ils héritent d’un cadre économique, social et culturel propice à la réussite scolaire.
En plus du capital économique et social, les parents des milieux aisés transmettent aussi aux enfants un capital culturel qui contribue à favoriser la réussite scolaire. Prenons l’exemple du langage. Dès le plus jeune âge, les enfants issus des milieux les plus favorisés apprennent, grâce à leurs parents, un langage élaboré. Les phrases des enfants sont souvent plus précises et emploient des mots plus variés. L’emploi de mots grossiers est fortement sanctionné. Dans les milieux populaires, le langage est généralement plus direct et familier. Il s’agit d’un langage plus restreint. Les gros mots sont aussi sanctionnés, mais ils sont plus souvent tolérés car ils traduisent les difficultés du quotidien que les parents subissent.
Le langage restreint n’est pas valorisé à l’école. Les enfants des milieux populaires ont plus de chances de subir un décrochage scolaire.
Selon le ministère de l’Éducation nationale, à la rentrée 2014, 14,2 % des enfants issus d’un milieu ouvrier accusaient un retard à l’entrée en sixième contre seulement 2,9 % des enfants de cadres. En 2017, 80 % des adultes de 25-34 ans issus d’un milieu de cadres ont un diplôme du supérieur contre seulement 26 % pour les fils et filles d’ouvriers du même âge.
La poursuite des études est fortement liée au milieu social qui exerce sur l’individu de nombreuses contraintes. À côté des écarts de réussite scolaire, les fils et filles d’ouvrier ressentent une urgence à travailler plus importante que les enfants de cadres du fait des difficultés économiques de leurs parents.
Il est difficile de sortir de son milieu social d’origine car il existe un fort déterminisme social. Ce concept sociologique indique que la société détermine l’individu. Nos comportements individuels résultant de la socialisation sont grandement orientés par notre origine sociale.
Pour toutes ces raisons, on parle ainsi de socialisation différenciée pour désigner le fait que la socialisation ne s’opère pas de manière uniforme, les instances socialisantes et la société elle-même poussant les individus à se conduire de certaines façons, selon leurs groupes d’appartenance, par le biais de l’apprentissages de valeurs et de normes parfois stéréotypées.
Conclusion :
Notre socialisation est fortement différenciée selon le genre et le milieu social.
Nous naissons fille ou garçon. Face à cette différence naturelle liée à notre sexe biologique, les instances de socialisation attachent un rôle social spécifique : c'est le genre.
Cette socialisation différenciée produit des genres masculins et féminins opposés qui n'ont rien de naturel : il s'agit d'une construction sociale. Ce conditionnement est à l’origine d’importantes inégalités économiques et sociales entre les hommes et les femmes.
Dans les milieux aisés, des capitaux sont transmis en quantité abondante : le capital économique, social ou encore culturel. Les individus adoptent des styles de vie différents en fonction de leurs groupes d'appartenance. Le milieu social d'origine influence les normes et les valeurs transmises. L’habitus (ensemble de dispositions durables acquises pendant l’enfance) varie grandement en fonction des catégories sociales étudiées.
Cet écart de socialisation provoque là encore une forte reproduction des inégalités sociales. La réussite scolaire des enfants issus des milieux populaires est bien moindre que celle des enfants issus des milieux plus aisés. Le constat est le même quant à l’accès à l’emploi.