Le détroit de Malacca et le golfe arabo-persique : des points de passage au cœur de la mondialisation
Introduction :
Un détroit et un golfe sont deux espaces différents. Un détroit est un étroit bras de mer entre deux terres, une voie de passage. Un golfe est une portion de mer qui avance à l’intérieur des terres. Le détroit de Malacca et le golfe Arabo-Persique sont devenus des espaces maritimes majeurs ces dernières années dans le cadre de la mondialisation. Le détroit de Malacca est un étroit couloir d’environ 800 km de long entre la Malaisie et l’Indonésie, avec Singapour en son centre. C’est une artère vitale pour le commerce mondial. Le golfe Arabo-Persique est situé dans l’océan Indien. Sa superficie est de 251 000 km2. Les ressources en pétrole et en gaz y sont abondantes et l’exploitation aisée. Il se termine par le détroit d’Ormuz qui est la « porte de sortie » pour l’exportation du pétrole. Ces deux espaces géographiquement différents ont en commun leur insertion dans la mondialisation. On peut alors se demander en quoi le détroit de Malacca et le golfe Arabo-Persique sont des espaces maritimes tous deux symboles de la mondialisation malgré leur spécificité.
Nous verrons dans un premier temps que le détroit de Malacca se distingue car il est une voie de passage majeure du commerce mondial. Dans un deuxième temps, nous analyserons la place du golfe Arabo-Persique dans les enjeux contemporains.
Le détroit de Malacca : un point de passage majeur et stratégique
Le détroit de Malacca : un point de passage majeur et stratégique
Le détroit de Malacca met en relation l’océan Indien et l’océan Pacifique. De largeur très variable (de 38 à 390 km) et plus long que les détroits de Gibraltar, Ormuz et Bab-el-Mandeb, il est devenu un axe de circulation majeur avec la maritimisation de l’économie et la croissance des échanges. Cependant, sa position stratégique n’est pas sans poser quelques problèmes.
La largeur du détroit varie de 38 km dans sa partie la plus étroite à 390 km.
Un point de passage majeur pour le commerce maritime
Un point de passage majeur pour le commerce maritime
50 % du commerce maritime mondial traverse le détroit de Malacca, soit environ 70 000 navires par an. Après avoir été une artère vitale pour le Japon jusque dans les années 1980, ce détroit est aujourd’hui devenu aussi indispensable au développement économique chinois, puisque l’économie du pays est aujourd’hui particulièrement dépendante de ce passage. En effet, les ¾ des ressources pétrolières importées en Chine passent par détroit. C’est également par Malacca que les marchandises fabriquées en Chine sont exportées vers l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient car ce trajet est le plus court pour les porte-conteneurs.
Le détroit est jalonné de ports, dont le plus important est celui de Singapour. De par sa taille, Singapour contrôle de détroit de Malacca. La suprématie de la cité-État reste incontestée car elle garantit la sécurité et la régularité des flux maritimes.
Singapour :
Singapour est une Cité-État composée d’une soixantaine d’îles dont la principale ne dépasse pas les 585 km2. Elle est un centre financier et portuaire mondial sous un gouvernement autoritaire.
Les autres ports du détroit, notamment Belawan, servent à Singapour de base portuaire pour réexpédier les marchandises. La Malaisie tente de lutter contre cette dépendance. Elle le fait avec succès dans la mesure où le pays peut offrir des surfaces libres (le pays possède beaucoup plus d’espace que Singapour) pour des installations portuaires à des coûts attractifs (la Malaisie étant moins développée que Singapour).
Trois bénéficiaires du trafic maritime dans le détroit de Malacca peuvent être identifiés : les ports du détroit, les compagnies maritimes internationales de type CMA CGM, Maersk et les États : Singapour, la Malaisie et l’Indonésie.
Au trafic maritime mondial s’ajoutent des échanges maritimes régionaux entre les pays de la zone. Des cargos de petites dimensions, des navires de pêche, de plaisance traversent quotidiennement le détroit d’Est en Ouest et non du Nord au Sud comme la flotte mondiale. Cela conduit à la nécessité d’une surveillance rigoureuse pour éviter les accidents.
Le détroit de Malacca est donc un point de passage majeur pour le commerce mondial. Cette vitalité économique produit plusieurs inconvénients.
Un détroit sous pressions
Un détroit sous pressions
Le détroit de Malacca est reconnu comme détroit international. Cette reconnaissance est un statut juridique qui implique des règles de fonctionnement particulières. La liberté d’accès au détroit est garantie en temps de paix comme en temps de guerre. Le détroit ne peut donc être bloqué par un pays. Cependant, les pays riverains peuvent s’assurer que leur sécurité et leur souveraineté ne sont pas mises en danger dans le détroit. Les pays riverains doivent également veiller au respect de l’environnement dans le détroit.
Dans le détroit de Malacca, la sécurité est un problème ancien et récurrent, due aux actes de piraterie. Il s’agit d’un des risques majeurs de la traversée, avec les risques de collisions. La piraterie est le fait d’hommes jeunes, pauvres et originaires d’Indonésie la plupart du temps. Les navires sont accostés et pillés ou bien les vols ont lieu dans les ports lors des escales. L’étroitesse du détroit en certains endroits et la multitude d’îles permettent aux pirates d’agir rapidement et de se replier tout aussi vite sur terre.
Les États riverains ainsi que d’autres pays ayant des intérêts dans la zone coopèrent depuis 2004 pour lutter contre le fléau de la piraterie. En effet, les pirates profitaient des ZEE (zones économiques exclusives) de chaque État pour échapper aux sanctions. Ils attaquaient un navire dans l’espace maritime sous la responsabilité d’un État et se réfugiaient aussitôt dans la zone appartenant à un autre État. Ils étaient alors protégés. Un accord entre plusieurs gouvernements a alors été conclu : le ReCAAP (Regional Cooperation Agreement on Combating Piracy and Armed Robbery at Sea in Asia). Vingt pays y participent actuellement : des pays asiatiques mais aussi européens, ainsi que les États-Unis.
L’accord prévoit un partage des informations et des patrouilles communes. Cette coopération a eu des résultats positifs puisque la piraterie a fortement diminué.
Le ReCAAP a également renforcé l’intégration régionale entre les pays membres, c’est-à-dire que d’autres formes de coopération se sont ajoutées à la lutte contre la piraterie. La limite du ReCAAP est la non-participation de la Malaisie et de l’Indonésie, pourtant directement concernés par la piraterie maritime.
La Chine, ces dernières années, a également mis le détroit de Malacca sous pression. Elle tente en effet, pour limiter la dépendance de son économie vis-à-vis de cette unique voie de passage, de construire un canal plus au nord, en Thaïlande. Son nom est le canal de Kra.
Le canal permettrait de réduire encore le temps de transport maritime et par conséquent, les coûts.
Ce canal est un ancien projet thaïlandais qui, faute de financement, n’a jamais pu aboutir. Cependant, la Chine a proposé de participer à son financement, ce qui pourrait relancer le projet. Elle a proposé d’intégrer le projet du canal de Kra à sa stratégie des « nouvelles routes de la soie », ces infrastructures terrestres et maritimes prévues pour relier plus facilement, dans les années à venir, l’Europe à la Chine. La construction, si elle se concrétise, prendra du temps mais à la fin, le détroit de Malacca pourrait perdre une partie de son importance économique et stratégique.
Le détroit de Malacca est donc un symbole du commerce mondial. Si l’on compare le niveau de vie des pirates aux contenus des porte-conteneurs, il est également le symbole des inégalités et fractures que la mondialisation a accentuées.
Le golfe Arabo-Persique est, lui aussi, un espace maritime qui symbolise la mondialisation. Cependant, il se distingue du détroit de Malacca par plusieurs aspects.
Le golfe Arabo-Persique : un espace au cœur des enjeux contemporains
Le golfe Arabo-Persique : un espace au cœur des enjeux contemporains
Le golfe Arabo-Persique est situé à l’Est de la péninsule arabique. Il est fermé au Nord et il débouche sur l’océan Indien par le détroit d’Ormuz. Il est bordé par plusieurs pays. L’Iran domine la rive orientale. Sur la rive occidentale sont présents l’Irak, le Koweït, l’Arabie Saoudite, Bahreïn, le Qatar et les Émirats Arabes Unis.
Les pays arabes du golfe font face à l’Iran. Les tensions sont fréquentes.
De nombreux atouts
De nombreux atouts
Le golfe Arabo-Persique possède de nombreux atouts. Tout d’abord, il a d’importantes ressources halieutiques. La pêche y est pratiquée depuis l’Antiquité et reste encore aujourd’hui une activité traditionnelle. Mais surtout, le golfe Arabo-Persique regorge de ressources en pétrole et en gaz. Les premières exploitations du pétrole dans la région ont débuté au début du XXe siècle.
Les deux rives du golfe présentent des particularités très avantageuses. La rive iranienne est la retombée en mer des monts Zagros. Cette chaine de montagne a une géomorphologie plissée en forme de « poches » dans lesquelles se trouvent du pétrole en abondance.
Géomorphologie :
La géomorphologie est une discipline qui étudie les formes du relief, explique leur formation et tente de prévoir leur évolution. Le relief plissé est, comme le laisse sous-entendre son appellation, une alternance d’élévations et de creux.
La rive du côté de l’Arabie Saoudite est plus monotone mais elle est la bordure d’un bassin sédimentaire lui aussi riche en hydrocarbures.
Bassin sédimentaire :
Un bassin sédimentaire correspond à une portion de la croûte terrestre en forme de cuvette.
La faible profondeur du golfe (50 mètres en moyenne) facilite grandement les exploitations pétrolières off-shore. Le pétrole traverse ensuite le détroit d’Ormuz pour être exporté dans le monde entier. 35 % du pétrole mondial qui transite par la mer passe par le détroit d’Ormuz, ce qui correspond environ à 18 millions de barils par jour.
Or, la région du golfe est géopolitiquement très instable. L’inquiétude d’un manque d’approvisionnement en pétrole est ravivée à chaque crise entre l’Iran et ses voisins, ou entre l’Iran et les États-Unis.
Un espace sous tensions
Un espace sous tensions
Les tensions de cet espace sont visibles aussi bien à l’échelle régionale qu’à l’échelle mondiale.
Dans le golfe Arabo-Persique, deux grandes cultures ou civilisations se font face : d’un côté, les Arabes, arabophones, de l’autre les Perses, persanophones. L’arabe et le persan s’écrivent de la même façon, de la droite vers la gauche, mais les deux langues ont une grammaire et un vocabulaire distinct.
Arabes et Iraniens sont majoritairement de religion musulmane mais les Arabes sont le plus souvent sunnites et les Perses sont principalement chiites. Les chiites sont minoritaires dans le monde musulman, sauf en Iran et en Irak. Tous les pays ont des minorités : Juifs, chrétiens, chiites… La Mecque, située en Arabie Saoudite, est le lieu de pèlerinage de tous les musulmans, mais les chiites ont leurs propres lieux saints en Irak et en Iran. L’Arabie Saoudite et l’Iran s’accusent mutuellement de vouloir déstabiliser la région, utilisant des arguments religieux pour se critiquer. La méfiance est donc la règle de part et d’autre du golfe.
Les sunnites admettent les trois premiers califes après la mort de Mahomet comme successeurs légitimes de ce dernier alors que les chiites reconnaissent Ali, gendre de Mahomet, comme seul successeur légitime.
En conséquence, les coopérations régionales instaurées dans le golfe tiennent compte de ce clivage. Le Conseil de coopération du Golfe, créé en 1981, comprend les six pays sunnites du golfe, sauf l’Iran. Ces six pays ne sont d’ailleurs pas tous d’accord sur l’attitude à adopter face au voisin iranien. Certains pays, comme Oman, favorisent le dialogue, ce qui n’est pas le cas de l’Arabie Saoudite.
Ces tensions se sont accentuées au XXe siècle. En effet, la République islamique iranienne est née en 1979 à la suite d’une révolution. Le chah d’Iran renversé était trop occidentalisé et trop soumis aux États-Unis, selon les religieux qui accédèrent au pouvoir. Les États-Unis demeurent aujourd’hui pour les dirigeants iraniens un pays dont ils rejettent le modèle. Or, il se trouve que les États-Unis sont des alliés traditionnels de l’Arabie Saoudite depuis 1945. L’impact des États-Unis dans le golfe Persique est donc un autre sujet de discorde particulièrement important entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Ce désaccord fait passer les tensions dans la zone de l’échelle régionale à l’échelle mondiale.
À l’échelle mondiale également, la question du nucléaire iranien a des répercussions fréquentes dans la région du golfe Arabo-Persique et sur le détroit d’Ormuz en particulier. Les Iraniens sont en effet soupçonnés régulièrement de vouloir développer le nucléaire à des fins militaires, ce à quoi les États-Unis s’opposent fermement car la suprématie iranienne déstabiliserait l’équilibre fragile de la région.
Cette opposition entre les États-Unis et l’Iran se traduit par des sanctions économiques adoptées par les États-Unis envers l’Iran, et par la menace de la fermeture du détroit d’Ormuz par les Iraniens. Cela explique la militarisation internationale (navires militaires et base terrestres de plusieurs pays) du golfe Arabo-Persique, et la surveillance permanente du détroit d’Ormuz. Au niveau régional, le détroit est surveillé par l’Iran, le sultanat d’Oman et les Émirats arabes unis. Au niveau international, la Ve flotte américaine est basée à Bahreïn et au Qatar pour assurer la sécurité des navires qui veulent passer le détroit d’Ormuz. La France a une base militaire à Abu Dhabi aux Émirats Arabes Unis. Les risques d’embrasement sont permanents et toujours inquiétants. Un conflit mettrait en péril l’économie de nombreux pays qui dépendent de l’approvisionnement en pétrole du golfe Arabo-Persique.
Conclusion :
En définitive, le détroit de Malacca et le golfe Arabo-Persique sont des espaces maritimes dont il semble impossible de se passer dans le cadre de la mondialisation des échanges et de la maritimisation de l’économie. Les solutions alternatives ne sont pas suffisantes ou à l’état de projet. Par conséquent, ces espaces sont l’objet de toutes les attentions nationales et internationales. L’importance que nous donnons à ces espaces entraîne plus de convoitises et de tensions. Dans le détroit de Malacca, les difficultés viennent moins des pays riverains mais d’actes illicites alors que, dans le golfe Arabo-Persique, les tensions entre États sont réelles.