Le fascisme italien : un modèle spécifique
Introduction :
Bien que faisant partie des vainqueurs de la Première Guerre mondiale, le Royaume d’Italie sort de la Grande Guerre avec un sentiment amer : le pays échoue depuis son unification en 1860 à devenir une vraie puissance et les gains tirés de la guerre semblent bien trop maigres pour compenser les efforts engagés. Le pays est alors tiraillé par des tendances politiques opposées : les socialistes révolutionnaires souhaitent profiter du malaise de la classe ouvrière pour pousser à une révolution de type bolchévique, tandis que la droite nationaliste blâme les Alliés pour leur manque de considération vis-à-vis de l’Italie. Un ancien révolutionnaire socialiste passé à l’extrême droite pendant la guerre, Benito Mussolini, va alors profiter de la situation pour prendre le pouvoir et instaurer une dictature moderne : le fascisme.
Nous verrons dans ce cours comment les frustrations de l’Italie, considérée comme une nation prolétaire, favorisent la conquête du pouvoir par le mouvement fasciste de Mussolini. Nous verrons aussi comment celui-ci va transformer l’Italie en une dictature d’un nouvel âge, évoquant la modernité et la splendeur pour asseoir son régime totalitaire.
Une nation frustrée qui favorise l’avènement de Mussolini
Une nation frustrée qui favorise l’avènement de Mussolini
Depuis son unification en 1860, l’Italie peine à se construire en tant que puissance européenne, à l’image de ses voisins. Au sortir de la Première Guerre mondiale, le pays est le terrain d’affrontement d’idéologies contraires, ce qui va favoriser l’avènement de Mussolini au pouvoir.
La nation prolétaire, frustrée par la Première Guerre mondiale
La nation prolétaire, frustrée par la Première Guerre mondiale
L’Italie est au début du XXe siècle une nation inaccomplie : depuis l’unification en 1860, l’État a exclu tout une partie des citoyens, confiant la politique aux mains de la bourgeoisie industrielle. Cette dernière favorise le développement du nord au détriment du Sud. Le manque d’opportunités pousse des millions d’Italiens à migrer vers l’étranger et favorise le développement d’une économie parallèle dans le sud par le biais de mafias. Les ambitions de grandeur coloniale de l’Italie se confrontent aussi à ses faiblesses : contrairement aux autres nations européennes qui ont pu faire la conquête de larges colonies, la politique coloniale italienne est faible : seule l’Érythrée et la Libye, des territoires pauvres, ont été conquis tandis que l’armée italienne a été humiliée par deux fois en échouant à conquérir l’Éthiopie.
C’est dans ce contexte que l’Italie est entrée en guerre (tardivement) en 1915, dans le but de s’attribuer des colonies allemandes et ottomanes et surtout de conquérir les terres irrédentes en Autriche-Hongrie.
Terres irrédentes :
Territoires étrangers peuplés par des Italiens réclamés par l’Italie pour constituer son État-nation.
Comme les autres belligérants, l’Italie s’embourbe dans la guerre des tranchées et subit une humiliante défaite à Caporetto (novembre 1917). Si l’Italie résiste jusqu’à la fin de la guerre, c’est notamment grâce à ses Alliés, qui lui en ont tenu rigueur lors de la répartition des territoires. À la conférence de la paix à Paris, l’Italie n’obtient pas l’ensemble des territoires réclamés, qui sont pour la plupart attribués à la Yougoslavie.
Un territoire en particulier est désiré par les Italiens : celui de la ville de Fiume, à majorité italienne. Lorsque cette dernière est attribuée aux Yougoslaves, le poète nationaliste Gabriele D’Annunzio décide de conquérir la ville avec des volontaires le 12 septembre 1919. Embarrassée, l’Italie se voit obligée de les déloger et de laisser la ville de Fiume sous un statut neutre suite à un nouvel accord avec les alliés. Devant une telle capitulation et constatant l’exclusion de l’Italie de la répartition des colonies allemandes et ottomanes, D’Annunzio qualifie l’Italie de « nation mutilée ».
Nation mutilée :
Terme utilisé par le poète Gabriele D’Annunzio pour évoquer le sort de l’Italie à la fin de la Première Guerre mondiale. Selon lui, l’Italie a perdu de nombreux soldats pour des gains territoriaux incomplets.
Mussolini et la conquête du pouvoir
Mussolini et la conquête du pouvoir
En parallèle de la question de Fiume, les ouvriers occupent des usines, pensant que le climat est favorable à une révolution similaire à celle des bolchéviques en 1917. Cette période de tension ouvrière, entre 1919 et 1920 a été appelée Biennio Rosso (« les deux années rouges »).
Paniqués, les patrons d’industries et la bourgeoisie vont se tourner vers Benito Mussolini qui est à la tête d’un mouvement d’extrême droite, les Faisceaux italien de combat (Fasci di combattimento en italien), à qui ils vont confier le rôle de réprimer les manifestants par la force. Tout comme les grands patrons d’industrie, Mussolini déteste les socialistes qui l’ont exclu du Parti socialiste italien en 1914 pour ses positions favorables à la guerre et souhaite désormais prendre sa revanche. Il organise à l’intérieur de son mouvement des escadrons de combats, les chemises noires, qui répriment les grévistes par la violence.
Escadron de chemises noires à Florence
En 1921, Mussolini parvient à faire élire des députés dans la majorité de droite et transforme son mouvement, Les Faisceaux de combat, en parti politique, créant ainsi le Parti national fasciste (PNF, Partito Nazionale Fascista). Profitant de la division de la gauche, dont les partisans de la politique de Lénine font scission pour former le Parti Communiste Italien (Partito comunista italiano), et du soutien qu’il obtient de la bourgeoisie qui le considère comme force antirévolutionnaire, Mussolini se sent prêt à faire un coup d’État. Le 30 octobre 1922, Mussolini organise la Marche sur Rome : les fascistes partent de toutes les villes pour contrôler les préfectures et pour marcher en direction de Rome. Le roi d’Italie, Victor-Emmanuel III (1900-1946) laisse faire, laissant l’armée contempler la prise de pouvoir par Mussolini sans réagir.
L’abolition de la démocratie
L’abolition de la démocratie
Mussolini est nommé par le roi Président du conseil, c’est-à-dire chef du gouvernement, et prend le titre de Duce (« conducteur » ou « guide »).
Benito Mussolini en posture militaire
Il prend soin de ne pas abolir la monarchie, qui lui confère une légitimité. Il considère sa prise de pouvoir comme l’avènement d’une nouvelle ère, ce qu’il va d’ailleurs faire inscrire sur tous les monuments.
Mussolini va abolir progressivement toute opposition et tout fonctionnement de la démocratie par la mise en place des lois fascistissimes (1925 et 1926) : les partis d’opposition sont interdits, hormis le Parti national fasciste qui devient partie intégrante du pouvoir. Cette abolition de la démocratie est symbolisée par l’assassinat du principal opposant de Mussolini, le député Giacomo Matteotti (1924). Le Duce annonce prendre la responsabilité de ce qui s’est passé et en profite pour renforcer son projet fasciste.
La liberté de la presse est abolie, la censure devient la règle en Italie. Celle-ci est scrupuleusement appliquée par la police politique secrète, l’OVRA, (Organizzazione di Vigilanza e Repressione dell’Antifascismo) qui fait régner la terreur dans la société italienne. Lui-même ancien journaliste et éditorialiste, Mussolini connait bien le rôle de la presse et du contrôle de l’information. Il crée un service de la propagande chargé de donner une image positive du régime, qui devient toujours plus dictatorial.
Le fascisme italien, un modèle totalitaire
Le fascisme italien, un modèle totalitaire
Au pouvoir, Mussolini crée un nouveau type de régime innovant, en s’inspirant de nombreux éléments qui constituent la modernité de l’époque. Le fascisme inspire à l’époque d’autres groupes qui aspirent à mettre en place des régimes totalitaires dans leurs pays.
Un discours de grandeur
Un discours de grandeur
Mussolini aspire à donner à l’Italie le statut qu’elle n’a jamais pu avoir, celui de puissance européenne. Après la conquête de l’Éthiopie (1935), il veut créer un Empire, à l’instar de l’Empire romain. Cette volonté se retranscrit dans le style des monuments qu’il fait ériger et qui s’inspirent de l’héritage de l’Antiquité. De même, il reprend le salut romain et le transforme en salut fasciste, salut que les Italiens doivent lui adresser en toute circonstance. Tel un empereur romain, Mussolini fonde des villes en Italie et revendique une image de bâtisseur, s’appropriant l’héritage antique.
L’équipe d’Italie de football fait le salut fasciste, inspiré du salut romain
En plus de se revendiquer comme successeur des Romains, Mussolini s’inspire du modernisme. Proche du mouvement artistique futuriste, il en exploite l’esthétique. Tout comme lui, les futuristes se passionnent pour la vitesse des machines modernes (avions, moto, voitures), la monumentalité et l’agressivité des villes modernes. Mussolini leur confie la charge de moderniser l’image de l’Italie et de faire du fascisme un représentant de la modernité politique du début du XXe siècle.
Les caractéristiques du fascisme
Les caractéristiques du fascisme
Le modernisme du fascisme se retrouve aussi dans sa vision de la société. Réutilisant les concepts de taylorisme et de fordisme, il va appliquer l’idée de la standardisation et de la rationalisation à la société italienne : cela passe par la suppression des libertés individuelles. Mussolini pense en effet le peuple comme une masse d’individus interchangeables, et non comme une série de personnes. Les citoyens sont strictement surveillés par l’OVRA, et toutes leurs activités sont liées au parti fasciste : les loisirs et le travail sont organisés scrupuleusement autour d’une idée de contrôle des masses par le parti fasciste. Même la jeunesse est systématiquement endoctrinée par l’organisation Balilla (Opera Nazionale Balilla, Œuvre Nationale Balilla), qui forme les petits italiens à être de bons fascistes.
Les enfants sont endoctrinés dans l’organisation Balilla
Dans l’Italie fasciste, le Duce est vénéré. Il instaure le culte de la personnalité. Des icônes de Mussolini sont installées partout et le critiquer est interdit.
Mussolini entreprend une modernisation forcée de l’Italie, la « révolution fasciste ». C’est une modernisation dans tous les domaines : industrie, agriculture, extraction, télécommunications… Ses bons rapports avec la bourgeoisie industrielle et son contrôle strict des travailleurs lui permettent de réaliser des progrès importants, bien que l’économie s’endette sans cesse. Pour résister à la crise de 1929, Mussolini adopte une économie autarcique, c’est-à-dire que son pays va se développer avec ses ressources internes, en évitant d’importer des produits de l’étranger et de dépendre des exportations.
La politique extérieure et coloniale de l’Italie fasciste
La politique extérieure et coloniale de l’Italie fasciste
Dans les années 1930, Mussolini rêve d’étendre son territoire afin d’écouler la surproduction industrielle et d’alléger les pressions démographiques de l’Italie. C’est ce qui va le pousser à conquérir l’Éthiopie en 1935-1936, qu’il va faire rentrer dans la liste des colonies italiennes. Cette attaque contrevient cependant à l’ordre établi par la Société des Nations, qui impose alors des sanctions à l’Italie. L’Italie quitte l’organisation en 1937.
Au même moment, la guerre d’Espagne éclate, offrant l’opportunité à Mussolini d’aider les nationalistes espagnols de Franco, qui se revendiquent du fascisme. L’Italie fasciste écoule ainsi ses surproductions militaires en Espagne et participe aussi aux bombardements des villes tenues par les Républicains.
Hitler et Mussolini se rencontrent à Berlin en 1937 ©Ladislav Luppa – CC BY-SA 3.0
Ce conflit rapproche Mussolini d’un autre de ses admirateurs : Adolf Hitler. Ils signent ensemble une alliance, le Pacte d’Acier (1938), liant leurs destins contre les démocraties. Au contact d’Hitler, Mussolini commence à adopter une vision raciale de la société et des lois antisémites.
Conclusion :
Mussolini parvient à la fin de la Première Guerre mondiale à se hisser à la tête de l’Italie grâce à la constitution d’un mouvement d’extrême droite, le fascisme, qui offre à la bourgeoisie la violence nécessaire pour éviter une révolution communiste. Après la marche sur Rome, Mussolini est le maître absolu de l’Italie, abolissant tout contre-pouvoir et établissant une dictature totalitaire d’un genre nouveau. Perçu à l’époque comme un mouvement moderne et comme une alternative crédible au communisme, le fascisme va inspirer de nouveaux mouvements qui vont s’en réclamer dans les années 1920 et 1930, comme le nazisme en Allemagne.