Le processus d'intégration européenne
Introduction :
Ce cours a pour objectif de mieux comprendre le processus d’intégration européenne ainsi que ses effets.
L’intégration européenne est un processus économique permettant de rassembler des économies nationales dans le but de former un ensemble régional supranational (au-dessus des États nationaux) en renforçant la cohérence de cet ensemble. Cette intégration est économique dans le sens où les interdépendances nationales s’exercent principalement par le développement des échanges et la mise en œuvre de politiques économiques communes et harmonisées.
Dans un premier temps, nous aborderons les grandes caractéristiques de l’intégration européenne en insistant sur les effets que cette intégration a sur l’agrandissement du marché et sur la croissance économique. Dans une seconde partie, nous insisterons sur les modalités de la politique de la concurrence et ses limites.
Les grandes étapes de l’intégration européenne
Les grandes étapes de l’intégration européenne
Comment s’est déroulée l’intégration européenne ?
Comment s’est déroulée l’intégration européenne ?
À l’origine, l’intégration européenne se veut être un projet politique. La déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950 insiste sur le fait que « la paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent ».
Afin de créer une paix durable dans une Europe meurtrie par les conflits mondiaux, des hommes politiques vont faire la promotion d’une méthode d’intégration nouvelle à l’échelle européenne, faite de réalisations concrètes permettant de créer une solidarité de fait.
- Ce rapprochement par « petits pas » concernera d’abord la France et l’Allemagne et se fera dans un secteur clé : le charbon et l’acier.
Voici 12 dates clés qui méritent d’être retenues afin de mieux comprendre ce processus :
- 1951 : traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) entre six pays : l’Allemagne, la France, l’Italie et le Bénélux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg).
- 1957 : traité de Rome créant la Communauté économique européenne (CEE) ou « Marché commun ».
- 1962 : décidée par le traité de Rome, la politique agricole commune (PAC) est lancée. Elle vise à garantir l’autosuffisance alimentaire en soutenant les producteurs agricoles par des subventions.
- 1968 : suppression totale des droits de douane entre les six pays de la CEE et mise en place de droits de douane communs sur les importations en provenance de pays extérieurs.
- 1986 : signature de l’Acte unique européen qui réaffirme la volonté d’une libre circulation des facteurs de production (travail et capital).
- 1992 : traité de Maastricht instituant l’Union européenne : la monnaie unique est mise sur les rails, les compétences de l’Union sont timidement étendues à la politique étrangère et de défense, et le pouvoir du Parlement européen est élargi.
- 1993 : entrée en vigueur officielle du Marché unique.
- 1997 : Mise en place du Pacte européen de stabilité et de croissance (PSC) mettant en place une série d’instruments au sein de la zone euro afin de coordonner les politiques budgétaires et d’éviter l’apparition de déficits budgétaires excessifs. Des critères de convergence sont mis en place : ne pas dépasser 3 % du PIB pour le déficit public, et 60 % du PIB pour la dette publique.
- 1999 : Onze pays adoptent l’euro en tant que monnaie unique. Les taux de change entre leurs monnaies deviennent fixes et la politique monétaire est confiée à la Banque centrale européenne (BCE) siégeant à Francfort, en Allemagne. L’introduction des pièces et des billets en euros s’effectue en 2002.
- 2007 : traité de Lisbonne reprenant l’essentiel des dispositions institutionnelles du traité constitutionnel européen déjà ratifié par 26 pays mais rejeté par la France et les Pays-Bas en 2005. Ce traité entre en application en 2009.
- 2010 : dans un contexte de crise des dettes souveraines, l’Union européenne met sur pied un plan d’aide à la Grèce de 110 milliards.
- 2016 : référendum britannique en faveur du Brexit. En 2020, le Royaume-Uni quitte l’UE.
L’intégration européenne s’est faite par étapes. Afin de mieux comprendre la composition de cet ensemble institutionnel économique, voici un tableau récapitulant le processus d’élargissement.
Les membres de l’Union Européenne et leur année d’adhésion
1957 |
France – Allemagne – Italie – Belgique – Pays-Bas – Luxembourg |
1973 |
Royaume-Uni – Irlande – Danemark |
1981 |
Grèce |
1986 |
Espagne – Portugal |
1995 |
Suède – Finlande – Autriche |
2004 |
Chypre – Malte – Estonie – Lettonie – Lituanie – Pologne – Hongrie – République tchèque – Slovaquie – Slovénie |
2007 |
Roumanie – Bulgarie |
2013 |
Croatie |
*pays en vert : euro (union monétaire)
L’élargissement au sein de l’Union européenne a été progressif. Les six pays signataires du traité de Rome, tous situés en Europe de l’Ouest et considérés comme les fondateurs du projet européen, ont ensuite été rejoints en 1973 par les pays anglo-saxons ainsi que le Danemark.
Les années 1980 marquent un virage important puisque l’UE (la CEE à l’époque) intègre trois pays d’Europe du Sud (Grèce, puis Espagne et Portugal).
Au milieu des années 1990, une nouvelle intégration s’opère, l’Autriche ainsi que deux pays nordiques (Finlande et Suède) rejoignent l’UE.
Les années 2000 seront marquées par un vaste élargissement à l’Est avec l’intégration de Chypre et de Malte, mais surtout celle de 11 pays d’Europe centrale et orientale appartenant presque tous à l’ancien « bloc soviétique ». Sur ces 11 pays, seuls 5 appartiennent à l’Union économique et monétaire (zone euro) : l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie et la Slovénie. Le dernier pays à avoir intégré l’Union européenne est la Croatie (2013).
Une intégration économique par étapes : le modèle de Béla Balassa
Une intégration économique par étapes : le modèle de Béla Balassa
Le schéma de l’intégration européenne obéit à peu près au modèle d’intégration économique en 5 étapes mis en évidence en 1961 par l’économiste hongrois Béla Balassa :
- zone de libre-échange
- union douanière
- marché commun
- union monétaire
- union politique
- Ces 5 étapes définissent des degrés d’intégration économique avec un engagement progressif.
Zone de libre-échange :
Les partenaires échangent librement leurs marchandises à la suite de la suppression des obstacles tarifaires (fin des droits de douanes à l’importation) et non tarifaires (fin des quotas à l’importation et mise en place de normes de consommation communes).
La réglementation des échanges de produits avec le reste du monde reste cependant du ressort des politiques commerciales nationales.
- À l’échelle de l’intégration européenne, cette étape est franchie d’abord avec la CECA (1951) qui permet l’abolition des taxes douanières intérieures sur le charbon et sur l’acier.
Union douanière :
Non seulement les obstacles douaniers, quantitatifs et tarifaires, sont éliminés (zone de libre-échange) mais les États membres fixent également un tarif extérieur commun. Ils adoptent donc une politique commerciale commune.
- Décidée à la suite du traité de Rome (1957), l’union douanière entre en vigueur seulement en 1968.
Les années 1970 aboutissent au renforcement de cette union douanière : un code des douanes communautaire fixant les normes applicables aux importations et exportations de marchandises entre la CEE (puis l’UE) et le reste du monde est mis en place.
Marché commun :
Le marché commun résulte de l’ouverture de l’ensemble des marchés : le marché des produits, le marché du travail et celui des capitaux. II repose donc sur la libre circulation des hommes et des capitaux.
- À l’échelle de l’UE, il faut attendre la fin des années 1980 avec l’Acte unique pour que le marché commun soit une réalité.
La construction européenne s’axe alors autour de « quatre libertés » :
- libre circulation des biens ;
- libre circulation des personnes ;
- libre circulation des services ;
- libre circulation des capitaux.
Union économique et monétaire :
L’UEM ajoute au marché commun une harmonisation des politiques économiques et la mise en place d’une monnaie commune.
Par conséquent, cette forme d’intégration nécessite une régulation économique par le biais d’interventions étatiques.
- Décidée à la suite du traité de Maastricht (1992) qui dote les européens d’une nationalité, la « zone Euro » voit véritablement le jour en 1999. Elle regroupe aujourd’hui 19 pays de l’UE qui ont adopté l’euro comme monnaie unique.
La Banque centrale européenne est créée en 1998, elle est chargée de mettre en place la monnaie unique. La mise en circulation de l’euro commence en 2002. Attention, tous les pays membres ne l’utilisent pas ; la zone euro ne concerne aujourd’hui que 19 pays sur les 27 que compte l’Union européenne. Néanmoins, même les pays qui n’ont pas adopté l’euro sont concernés par les effets du nouveau marché commun auquel ils appartiennent.
Union politique :
Unification totale des politiques économiques, des affaires étrangères et de la défense commune.
- L’Union européenne n’est pas encore totalement une union politique, bien que des institutions européennes existent (Commission, Parlement, conseils). En effet, les États conservent encore une souveraineté importante dans de nombreux domaines (exemple : la politique budgétaire est l’affaire de chaque État). En outre, l’Union européenne n’a pas d’armée.
L’intégration européenne et ses effets économiques
L’intégration européenne et ses effets économiques
Les effets de l’intégration européenne sur la croissance économique
Les effets de l’intégration européenne sur la croissance économique
La croissance économique désigne le processus d’augmentation durable de la production d’un pays, mesuré en règle générale par l’augmentation du PIB.
Le processus d’intégration européenne a eu un effet non négligeable sur la croissance économique.
- L’intégration a d’abord eu pour effet d’augmenter de façon importante le volume des échanges entre les États membres (commerce intra-zone, c’est-à-dire à l’intérieur d’un même espace géographique).
En effet, la suppression des entraves douanières ainsi que la reconnaissance de normes communes sur les biens échangés ont permis de stimuler de façon importante le commerce intra-européen.
De plus, le développement du libre-échange a permis d’augmenter considérablement la concurrence entre les entreprises, poussant ces dernières à innover ou à baisser leurs prix pour conquérir de nouveaux consommateurs.
L’agrandissement de la taille du marché a aussi permis aux entreprises de réaliser d’importantes économies d’échelle, c’est-à-dire de diminuer les coûts de production par unité produite grâce à l’augmentation des quantités vendues. Les baisses de prix ainsi permises favorisent l’accroissement des quantité demandées, donc la hausse de la production, c’est-à-dire la croissance.
La mise en œuvre d’une politique agricole commune a également permis de subventionner de façon importante le secteur primaire de nombreux pays européens, contribuant de fait à augmenter les rendements sur de nombreuses parcelles agricoles et à obtenir d’importants gains de productivité sur les prix.
Productivité et production agricoles ont donc augmenté considérablement dans le cadre de l’intégration européenne.
Enfin, la mise en œuvre du marché unique des capitaux en 1992 a permis d’attirer plus facilement des investissements directs à l’étranger (IDE).
En effet, en supprimant les frontières sur les capitaux, les épargnants européens peuvent plus facilement investir dans n’importe quel pays. Avec la même mise en œuvre de l’euro en 1999, l’incertitude liée aux variations de change entre les monnaies disparaît, réduisant les risques de perte de valeur liés à la nécessité de devoir convertir les monnaies.
Cette harmonisation a pu permettre en théorie de faciliter les projets d’investissement au sein de l’Union économique et monétaire et donc la croissance économique.
Mais les effets de l’intégration économique européenne sont à nuancer : les effets positifs évoqués ci-dessus sont aussi contrebalancés par des effets plus négatifs.
- Le processus d’élargissement et d’extension du marché européen a incité de nombreux producteurs des pays fondateurs à réorienter leurs flux d’investissements directs à l’étranger en direction des nouveaux entrants (création de filiales) puis à délocaliser leurs appareils productifs (fermeture de sites industriels). D’un côté, l’intégration européenne est ainsi accusée de participer au processus de désindustrialisation dans de nombreuses régions désormais qualifiées de « sinistrées ». De l’autre, l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale (PECO) a modifié la spécialisation de ces pays vers des processus de production plus élaborés tels que l’industrie automobile et ses équipementiers.
- D’un point de vue strictement économique, la croissance globale est donc nuancée par une inégale progression à l’échelle des territoires et par des problématiques régionales importantes (délocalisations).
- De plus, certaines mesures politique censées œuvrer à l’intégration économique européenne sont critiquées pour leur inefficacité. Ainsi, la politique agricole commune (PAC) est en proie à des critiques quant à ses impacts sur l’environnement. En favorisant le subventionnement des grandes exploitations agricoles (plus les exploitations sont grandes et rentables, plus elles perçoivent d’aides), cette politique a eu tendance à encourager l’agriculture intensive et les circuits de production longs, peu respectueux de l’environnement.
Manifestation pour une « autre » PAC, plus juste et plus respectueuse de l’environnement, Strasbourg, 2019, ©GUE/NGL/Wikimedia Commons
- Au niveau politique, l’efficacité de certaines mesures est remise en question : la volonté d’intégration et de croissance économique doit ainsi tenir compte des enjeux environnementaux et sociaux.
Les effets de l’intégration européenne sur la concurrence
Les effets de l’intégration européenne sur la concurrence
L’intégration européenne repose sur un élément fondamental : la concurrence libre et non faussée doit permettre, en théorie, d’améliorer l’allocation des ressources à l’intérieur des frontières de l’Union européenne.
La concurrence est d’ailleurs une des compétences exclusives de l’Union européenne.
Politique européenne de la concurrence :
Elle désigne un ensemble de principes et de mesures permettant de favoriser une concurrence libre et non faussée au sein de l’Union européenne au nom de la défense des intérêts des consommateurs.
Elle permet de combattre les pratiques anticoncurrentielles (abus de position dominante et ententes), de contrôler les fusions et acquisitions d’entreprises et les subventions des États à la production.
Cette politique est la compétence exclusive de la Commission européenne, bien qu’elle soit assistée des autorités nationales présentes dans chaque pays (en France, il s’agit de l’autorité à la concurrence).
Ainsi, un arsenal de mesures est mis en place à l’échelle européenne afin de lutter contre les pratiques anticoncurrentielles.
- Afin de lutter contre les ententes ou les cartels de producteurs, la politique de la concurrence met en place des sanctions pécuniaires à l’aide d’un programme de clémence : la Commission européenne permet de réduire voire d’annuler une sanction pour une firme qui participe à une entente si cette dernière dénonce l’existence de l’entente, voire collabore avec les pouvoirs publics dans l’enquête pour établir l’existence de l’entente (apport de preuves).
Par exemple, en 2010, la Commission européenne a réduit de 20 % l’amende infligée à deux compagnies aériennes (Air France et KLM), car ces compagnies ont collaboré à l’enquête visant à prouver que plusieurs compagnies s’étaient entendues pour imposer à leurs clients une surtaxe sur les prix et refuser tout rabais.
Entente :
Une entente ou un cartel de producteurs désigne un accord anticoncurrentiel entre plusieurs producteurs sur les prix de vente et/ou les quantités vendues et/ou la répartition de la clientèle.
- En parallèle, la politique de la concurrence entend lutter contre tout type d’abus de position dominante. Ces abus s’opèrent par différents moyens :
- pratiquer un prix prédateur revient à fixer temporairement un prix inférieur au coût de production pour éliminer des concurrents. Cette pratique est aussi appelée le « dumping » ;
- pratiquer la vente liée, c’est obliger les clients à acheter en même temps deux produits pour éliminer les concurrents sur le marché de l’un de ces deux produits ;
- pratiquer la remise de fidélité, c’est accorder un rabais aux clients à condition qu’ils se fournissent exclusivement chez le vendeur.
Par exemple, en 2018, la Commission a infligé une amende de 4,34 milliards d’euros à l’entreprise Google pour les restrictions anticoncurrentielles qu’elle avait imposées depuis 2011 aux fabricants d’appareils mobiles et aux opérateurs de réseau dans le but de renforcer sa position dominante sur le marché de la recherche générale sur Internet.
Abus de position dominante :
Un abus de position dominante désigne le fait pour une firme d’exploiter sa position dominante (position de leader sur le marché) pour affaiblir ses concurrents par divers moyens illégaux (prix prédateur, vente liée et remise de fidélité notamment).
- Enfin, la Commission européenne régule les aides publiques prenant la forme de subventions, d’exonérations fiscales et de garanties de prêt que les pouvoirs publics accordent à certaines entreprises.
La réglementation européenne interdit ces aides publiques quand elles risquent de fausser la concurrence, mais il y a des dérogations possibles dans certains cas (soutien à un secteur ou une région en difficulté, financement de la recherche et des PME, protection de l’environnement et préservation du patrimoine).
Conclusion :
L’intégration européenne s’inscrit dans un mouvement de fond de régionalisation du commerce mondial.
L’Union européenne est un exemple unique d’intégration s’expliquant par des raisons économiques, historiques et politiques.
Cette intégration a permis à l’Europe d’accéder à une place de premier plan sur la scène économique mondiale.
Avec l’euro, l’UE a mis en place une intégration monétaire : une monnaie unique, une Banque centrale européenne, une seule politique monétaire pour les pays de la « zone euro ».
L’intégration européenne a eu des effets non négligeables sur la croissance économique, bien que cet impact soit parfois qualifié d’asymétrique, car ne concernant pas tous les pays au même rythme.
La suppression des entraves à la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux, l’agrandissement de la taille du marché permis par les différentes vagues d’élargissement ainsi que l’adoption d’une monnaie unique permettent de stimuler fortement la demande à l’intérieure des frontières européennes.
Enfin, l’adoption d’une politique de la concurrence à l’échelle européenne a pour effet d’exercer une pression continue sur les prix bénéficiant aux consommateurs et permettant à cette zone d’attirer d’importants investissements.