Les caractéristiques de la puissance à l’échelle internationale aujourd’hui
Introduction :
Le géographe Gérard Dorel nous explique qu’une puissance, aujourd’hui, c’est « un État qui, dans le monde, se distingue non seulement par son poids territorial, démographique et économique ; mais aussi par les moyens dont il dispose pour s’assurer une influence durable sur toute la planète, en termes économiques, culturels, et diplomatiques ».
Cette explication comprend deux volets. Elle rappelle d’abord une vision traditionnelle de la puissance qui repose sur la superficie du territoire, le poids démographique et la richesse. Elle ajoute ensuite la dimension rayonnante et conquérante de la puissance dans les relations internationales.
Nous verrons dans un premier temps les paramètres de la puissance en montrant que le concept de puissance repose sur de nombreux facteurs. La deuxième partie présentera les manifestations de la puissance avec ses leviers stratégiques. Enfin, notre troisième point portera sur les dynamiques des puissances et leurs trajectoires.
Les paramètres de la puissance d’un État
Les paramètres de la puissance d’un État
Une « puissance », c’est un État qui jouit de certains atouts et d’une certaine influence au niveau mondial dans un ou plusieurs domaines.
La caractérisation de la puissance d’un État dépend de différents critères ou paramètres.
La puissance territoriale et démographique
La puissance territoriale et démographique
La vision traditionnelle de la puissance territoriale repose sur la superficie d’un État. En effet, un grand territoire confère potentiellement plusieurs atouts : par exemple, il peut apparaître plus difficile à attaquer pour un État ennemi, et il dispose souvent de ressources naturelles en quantités plus importantes.
Mais la puissance territoriale n’est pas qu’une question de superficie.
- En effet, la superficie du territoire joue un rôle moins important que la maîtrise du territoire.
Le plus grand pays du monde en 2024 est la Russie avec 17 098 242 de kilomètres carrés. Mais la Russie ne maîtrise pas véritablement l’ensemble de son territoire : les défis de l’immensité et du climat ne sont pas relevés, les infrastructures de transports sont insuffisantes et les pouvoirs publics inefficaces. Il importe donc que le territoire soit mis en valeur dans son intégralité.
La vision traditionnelle de la puissance démographique repose sur le nombre d’habitants. Une population nombreuse peut participer à la montée en puissance d’un pays. Ainsi, les deux grands géants démographiques, l’Inde et la Chine, sont des pays qui ont connu une montée en puissance impressionnante.
- La croissance démographique peut favoriser la puissance économique en alimentant une main-d’œuvre nombreuse et un marché intérieur dynamique. Mais une population nombreuse ne suffit pas à faire d’un État une puissance.
Ainsi, le problème du vieillissement de la population se pose pour la Chine. Le géant asiatique compte déjà plus de 130 millions de seniors. Le vieillissement démographique s’accompagne d’une baisse de la main-d’œuvre qui menace à terme la croissance économique. Il confronte la Chine à la question du financement des retraites. La dynamique démographique, à savoir la fécondité, la moyenne d’âge, l’espérance de vie et leurs évolutions, met en perspective le devenir de la puissance.
Il est intéressant de remarquer que le territoire et la démographie sont des paramètres relatifs : un territoire immense et une population nombreuse peuvent constituer un atout aussi bien qu’un handicap selon les circonstances.
La puissance économique, financière et commerciale
La puissance économique, financière et commerciale
La puissance économique se mesure à partir du PIB (produit intérieur brut) qui est la somme des valeurs ajoutées de toutes les entreprises sur le territoire.
Les trois premiers PIB mondiaux en 2024 sont ceux des États-Unis (plus de 26 milliards de dollars), de la Chine (plus de 21 milliards de dollars) et du Japon (plus de 4 milliards de dollars).
La croissance économique est également à prendre en compte ainsi que le nombre et l’importance des grandes entreprises parmi les plus grandes firmes du monde et parmi les firmes transnationales.
En 2024, Microsoft est la première entreprise au monde en termes de capitalisation boursière.
La puissance financière repose sur les nombreux instruments d’influence : l’épargne brute, la capitalisation boursière et les capacités d’investissement, notamment les IDE (investissements directs à l’étranger), mais aussi le rôle de la monnaie dans les échanges internationaux.
La monnaie la plus échangée au monde est le dollar américain et au deuxième rang se trouve l’euro.
La puissance commerciale se traduit non seulement par sa place dans le commerce international, mais aussi comme sa capacité à contrôler les échanges en créant ou dominant par exemple une zone de libre-échange ou d’intégration économique multinationale. Le pouvoir d’embargo ou de restrictions est également le reflet de la puissance commerciale.
Dans un monde organisé autour d’un système libéral et capitaliste, marqué par une forte mondialisation des échanges, le poids économique et financier d’un État est un élément essentiel de sa puissance.
La puissance militaire et diplomatique
La puissance militaire et diplomatique
Le poids militaire comprend une dimension quantitative et qualitative.
L’importance des effectifs et équipements militaires ne suffit pas. Il faut également des armes sophistiquées et ultra-modernes : têtes et vecteurs nucléaires, sous-marins, porte-avions, parc de satellites. La capacité à projeter ces forces militaires à l’extérieur en s’appuyant son propre territoire et sur des bases à l’étranger, des réseaux de renseignements, des satellites militaires, est essentielle.
La puissance militaire est très liée à la puissance diplomatique par la place dans les réseaux d’alliance militaires et le rôle dans les instances internationales, notamment à l’ONU. La tradition diplomatique est ancienne : elle permet de maintenir un niveau de dialogue entre les puissances et de favoriser des négociations afin d’éviter des conflits.
Le rayonnement culturel
Le rayonnement culturel
Le rayonnement culturel repose évidemment sur la langue et la diffusion hors des frontières de la langue véhiculaire, ainsi que du nombre de locuteurs.
Les médias et leurs réseaux permettent ce rayonnement. La place dans Internet et le poids des agences de presse permettent la diffusion internationale des modèles sociaux et culturels d’un État.
Les pratiques culturelles de masse, comme le cinéma et la musique, participent à la diffusion d’un modèle culturel.
Il faut ajouter à cela l’importance des systèmes d’éducation et de formation.
Une puissance peut ainsi attirer les migrations de cerveaux (étudiants, chercheurs, jeunes diplômés). Au-delà du pourcentage d’étudiants étrangers, le nombre de prix Nobel est le reflet d’une puissance innovante et compétitive qui a les moyens de perdurer.
De nombreux paramètres sont donc à prendre en compte pour mesurer la puissance d’un État.
- Ces paramètres s’entremêlent de façon complexe.
Le critère de population ne suffit pas sans mesurer le capital humain, c’est-à-dire le niveau de formation et de santé de cette même population. De même, le territoire doit être économiquement mis en valeur et militairement protégé.
En s’appuyant sur tous ces critères, comment se manifeste alors la puissance ?
La manifestation de la puissance
La manifestation de la puissance
Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, une grande puissance se définissait avant tout comme un pays ayant la capacité de remporter une guerre. La plus grande puissance était donc l’État disposant de la plus grande armée.
Mais cette vision traditionnelle est aujourd’hui dépassée. Cela ne signifie pas que la dimension militaire est sans importance pour s’imposer dans le monde, mais elle ne suffit pas.
Trois types de stratégies sont présentées par le théoricien américain Joseph Nye, qui est la fois inspirateur et analyste de la diplomatie étatsunienne.
Le hard power
Le hard power
Tout d’abord, la domination fondée sur la force est le hard power.
C’est la « big stick policy », la diplomatie du gros bâton » du début du XXe siècle, c’est-à-dire le rôle de gendarme du continent américain qui va se transformer en rôle de gendarme du monde à la fin du XXe siècle.
Caricature de William Allen Rogers représentant le hard power des États-Unis en 1904 : le président Théodore Roosevelt patrouille dans la mer des Caraïbes avec son gros bâton.
- Cette caricature datant de 1904 montre le président des États-Unis Théodore Roosevelt patrouillant dans la mer des Caraïbes avec son gros bâton !
Le hard power se manifeste par la guerre mais aussi par toute autre forme de pression ou de coercition (contrainte par la force), notamment économique et financière.
Le soft power
Le soft power
La deuxième stratégie est la domination fondée sur la séduction : c’est le soft power.
Elle se manifeste par l’influence d’un modèle culturel, de valeurs et d’un mode de vie attractifs. La puissance douce est une redoutable stratégie de domination. En effet, contrairement au hard power, sa visée de domination est plus difficile à identifier, puisque cette stratégie ne recourt pas directement à la force. Mieux, elle est même souvent en partie consentie par les populations.
Le cinéma est un outil du soft power efficace.
Le « rêve américain » continue d’être mis en image à Hollywood. Mais d’autres industries cinématographiques, comme Bollywood, pour le cinéma indien, et Nollywood, pour le cinéma nigérian, ont une influence concurrente à l’échelle régionale. Enfin, la Chine ne néglige pas le soft power à travers l’implantation de nombreux instituts Confucius : 548 présents dans 154 États du monde.
Instituts Confucius :
Établissements culturels publics à but non lucratif qui ont pour but de faire connaitre et de diffuser la langue et la culture chinoises à travers le monde.
Le smart power
Le smart power
Enfin, la domination, fondée sur une alliance harmonieuse et efficace entre le hard power et le soft power, est appelée smart power, ou puissance intelligente.
Le concept de smart power a été repris par Hillary Clinton alors qu’elle était secrétaire d’État sous la présidence Obama de 2009 à 2013. Il s’agit de restaurer l’image des États-Unis dans le monde. Bien sûr, cette manière avisée de manifester son pouvoir nécessite toujours une certaine fermeté, mais l’approche diplomatique est préconisée pour la résolution des conflits.
Le rapprochement avec l’Iran ou avec Cuba sont des exemples de smart power.
Les notions de hard, soft et smart power expriment toutes une forme de domination sur le reste du monde.
Ces stratégies sont mises en place dans le cadre mouvant des puissances, qui se font et se défont.
Les dynamiques des puissances
Les dynamiques des puissances
Une puissance dans le temps
Une puissance dans le temps
Tout Empire périra est le titre d’un ouvrage de l’historien Jean-Baptiste Duroselle publié en 1981.
L’histoire nous apprend le caractère inexorable du déclin des puissances.
- La puissance peut durer des siècles mais son évolution suit un rythme trinaire : essor, apogée et déclin.
Cette dynamique évolutive s’appuie sur la capacité d’un État à garantir sa liberté d’action et à peser sur le comportement des autres dans le sens de ses intérêts.
Le professeur de droit public Serge Sur définit la puissance comme une capacité : « capacité de faire ; capacité de faire faire ; capacité d’empêcher de faire ; capacité de refuser de faire ».
On peut donc décliner 4 types de capacités permettant d’agir :
- sur l’État puissant lui-même, qui est en mesure de « faire » ou de « ne pas faire » $\rightarrow$ liberté d’action et de décision ;
- sur les autres États, à qui l’on « fait faire » ou l’on « empêche de faire » $\rightarrow$ influence sur la liberté d’action et de décision des autres.
Dans le monde actuel très compétitif, il est indispensable d’innover en permanence pour garder une influence sur les autres. La volonté de puissance et l’ambition sont des moteurs de la concurrence.
Une hiérarchie des puissances
Une hiérarchie des puissances
Le modèle centre/périphérie conceptualisé par le géographe Alain Reynaud en 1980 est tout à fait intéressant à l’échelle mondiale.
Dans le monde, les centres, qui sont des lieux de concentration de pouvoir, les chefs d’orchestre de la mondialisation, et les périphéries, qui sont les espaces dominés possédant peu de fonctions décisionnelles, ne sont pas figés. Ils évoluent en fonction du système international.
Les États, qui sont les acteurs du système international, jouent un rôle qui correspond à leur place sur l’échiquier mondial.
Une puissance régionale (ex. : l’Afrique du Sud, qui est une puissance importante sur le continent africain) a moins de pouvoir qu’une puissance mondiale (ex. : le Royaume-Uni, qui est une puissance commerciale, financière, culturelle ou même militaire dont l’influence pèse davantage à l’échelle mondiale).
Une puissance moyenne (ex. : l’Argentine) ne peut rivaliser avec une grande puissance (ex. : la Chine).
- Cependant, il n’y a pas de catégorisation claire des puissances : celle-ci est toujours relative et flottante.
Si les États-Unis ont été considérés comme une puissance mondiale au début du XXe siècle, une superpuissance pendant la guerre froide (face à l’URSS), puis une hyperpuissance (sans rivales) après l’implosion de l’URSS en 1991, ils sont aujourd’hui une puissance contestée et rivalisée. La Chine, par exemple, est une grande puissance mondiale qui a l’ambition de concurrencer la puissance étatsunienne.
Le monde n’est plus bipolaire comme du temps de la guerre froide, ni unipolaire comme dans les années 1990. Dans un monde multipolaire marqué par l’émergence de puissances comme la Chine et l’Inde, mais aussi la réémergence de la Russie, les rivalités sont exacerbées.
Superpuissance :
Le terme « superpuissance » apparaît à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour désigner les deux grandes puissances qui s’affrontent dans la guerre froide : les États-Unis et l’URSS. Ces deux grandes puissances dominent le reste du monde et leur influence s’exerce à de multiples niveaux.
Rétrospectivement, on pourrait par exemple appliquer cette définition au Royaume-Uni du XIXe siècle (immense empire colonial, domination des mers, impulsion de la révolution industrielle, domination économique et commerciale…).
Hyperpuissance : Le terme « hyperpuissance » apparaît à la fin de la guerre froide. Il est utilisé par certains spécialistes pour désigner les États-Unis, après la chute de leur rivale, l’URSS. Les États-Unis dominent alors complètement l’ordre mondial dans tous les domaines (économique, militaire, technologique, culturel…), sans souffrir d’aucune concurrence.
Conclusion :
La puissance est un concept complexe qui se définit par de multiples caractéristiques et dont l’importance est variable dans le temps et dans l’espace.
Garder le statut de puissance nécessite une forte mobilisation. Ce statut repose sur une volonté qui incite à innover et adapter ses stratégies aux mutations technologiques et au contexte international.
L’histoire nous apprend que la puissance est toujours concurrencée et la hiérarchie des puissances n’est pas figée.