Développement et écologie : les limites de la croissance
Introduction :
La croissance économique est un phénomène essentiellement quantitatif qui s’intéresse à la création de richesses dans une économie. Néanmoins, cette création de richesses n’est pas forcément synonyme de progrès. En effet, d’autres éléments plus qualitatifs doivent être pris en considération lorsque l’on s’intéresse à la notion de développement. C’est la raison pour laquelle de nombreux économistes s’interrogent sur la corrélation qui peut exister entre la croissance et le développement.
Nous verrons dans un premier temps les limites de la croissance économique en matière de développement humain, puis nous nous intéresserons aux problématiques écologiques qu’elle soulève.
Une croissance qui n’est pas forcément synonyme de développement humain
Une croissance qui n’est pas forcément synonyme de développement humain
Si l’on se réfère par exemple aux évolutions connues par les pays développés, la notion de croissance économique semble liée à celle de développement.
Après avoir montré les liens entre ces deux concepts, nous montrerons les limites de cette relation en termes de développement humain.
Les liens entre croissance et développement
Les liens entre croissance et développement
- Rappel des concepts
- La croissance économique est l’augmentation durable et soutenue du PIB : c’est avant tout un indicateur quantitatif.
- Le développement quant à lui est un indicateur qualitatif.
Il correspond à la transformation des structures démographiques, sociales et économiques qui accompagne la croissance. - C’est un indicateur de bien-être et de progrès qui prend en considération d’autres éléments que le PIB. Il peut être mesuré par l’IDH.
L’indice de développement humain (IDH) se mesure à partir de trois critères principaux :
- l’espérance de vie des citoyens d’un État ;
- le niveau d’éducation mesuré à partir de 15 ans et plus.
L’IDH est depuis 2011 remplacé par l’IDHI, c’est-à-dire l’IDH ajusté selon les inégalités.
L’IDHI tient compte non seulement des avancées moyennes d’un pays en matière de santé, d’éducation et de revenu, mais également de la répartition et de la distribution de ces avancées au sein de la population.
- La croissance : une condition au développement
La croissance économique est souvent un facteur d’amélioration du niveau de vie.
Ce fut ainsi le cas dans de nombreux pays pendant la période des Trente Glorieuses.
À l’échelle mondiale, le dynamisme de la croissance va généralement de pair avec la réduction de l’extrême pauvreté, ce qu’attestent les données relatives à la Chine sur la période 1975-2017 :
Date | 1975 | 1990 | 2000 | 2017 |
Taux de croissance annuel moyen | 8,7 % | 4 % | 8,5 % | 6,9 % |
IDH | 0,530 | 0,608 | 0,719 | 0,752 |
- La croissance enclenche le processus de développement et donc favorise une amélioration de l’IDH. Même si elle ralentit en 1990 puis légèrement à partir des années 2010, elle est toujours positive et continue à améliorer l’IDH.
L’IDH a une valeur comprise entre 0 et 1. Plus il est proche de 1 et plus le niveau de développement du pays en question est élevé.
Le lien entre la croissance et le développement est mis en avant pour que la croissance apparaisse comme une condition nécessaire au développement.
Dans les années 1960, l’économiste Walt Whitman Rostow a formalisé ce lien de façon linéaire, chaque pays passant par cinq étapes avant d’être considéré comme développé :
- Étape 1 : la société traditionnelle
La production est principalement agricole et les échanges sont limités. - Étape 2 : les conditions préalables au « décollage »
L’agriculture apparaît comme créatrice de richesses, les individus modifient leur comportement : on voit apparaître l’esprit d’entrepreneur, les hommes commencent à prendre des risques, à investir grâce à leur épargne dans le but d’obtenir des profits. - Étape 3 : le « décollage » ou take-off
Le pays voit l’apparition de nombreux investissements, le développement de nouvelles industries, une forte augmentation de la croissance. - Étape 4 : la marche vers la maturité
Il s’agit de la phase permettant au pays de se développer. Les fruits de la croissance sont utilisés pour permettre des progrès économiques et sociaux. Une partie de la population va bénéficier de ces progrès. - Étape 5 : l’ère de la consommation de masse
Les progrès sont de plus en plus nombreux et bénéficient à l’ensemble de la population. L’État devient un acteur incontournable : il mène une politique interventionniste qui va avoir comme principal rôle de redistribuer les ressources et de mettre en place un système de protection sociale et des services publics (État-providence).
La croissance semble donc bien jouer un rôle dans le processus du développement.
Néanmoins, cette relation peut être nuancée. En effet, dans les PDEM (pays développés à économie de marché), la croissance n’entraîne pas toujours de façon proportionnelle une amélioration du bien-être et des conditions de vie.
On notera par exemple que, depuis quelques décénies, le taux de pauvreté en France ne diminue pas : il est même en augmentation. Il y a certes eu la crise économique de 2008, mais si l’on prend la période de 2002 à 2007, période de croissance économique, le taux de pauvreté a tout de même augmenté, puisqu’il est passé de 6,7 % à 7,4 %, ce qui représente 700 000 personnes supplémentaires sous le seuil de pauvreté sur cette courte période.
Dans certains cas, notamment dans des pays en voie de développement (PVD), il peut y avoir croissance économique sans développement.
Croissance sans développement
Croissance sans développement
Beaucoup de pays en voie de développement ont connu, depuis les années 1990, des taux de croissance annuels moyens proches des 8 % (à titre de comparaison, le taux moyen de la croissance économique mondiale en 2019 est de 2,9 %).
Or, certains d’entre eux n’ont vu aucune amélioration de leur IDH, voire parfois une dégradation de celui-ci.
Quant aux autres, la croissance n’a souvent bénéficié qu’à une partie très restreinte de la population.
- La croissance régressive
Ce type de croissance sans développement apparaît par exemple lorsque la croissance économique est inférieure à la croissance démographique.
On peut également parler de croissance appauvrissante lorsqu’il s’agit cette fois d’un lien entre la croissance économique d’un pays et la dégradation des termes de l’échange dans le commerce international : les prix des produits importés augmentent plus vite que ceux des produits exportés, et le pays devra donc produire toujours plus pour acheter la même quantité.
- La croissance réservée
Dans certains pays, en particulier les pays en voie de développement non démocratiques, les fruits de la croissance ne sont redistribués qu’à une partie de la population : les élites.
Par exemple, dans les pays de l’OPEP (pourtant riches en devises, comme le Qatar), la croissance ne se traduit pas toujours par une amélioration du bien-être des populations, à cause des politiques étatiques inadaptées et du manque d’investissement dans l’éducation ou la santé.
Ainsi la croissance et développement ne vont pas forcément de pair.
La croissance revêt une dimension quantitative alors que le développement lui revêt une dimension plus qualitative.
Nous avons montré que ces deux phénomènes allaient de pair dans la plupart des cas. En effet, la croissance entrainerait des modifications structurelles ainsi que des changements de mentalités.
Néanmoins, ce lien n’est pas toujours vérifié.
Dans certains pays en voie de développement, la croissance ne se traduit pas par une amélioration du bien-être des populations, et donc pas par un développement humain.
À cette idée s’ajoute celle de la question du lien entre cette croissance économique et le développement durable ou encore la préservation de l’environnement.
Nous montrerons donc dans la partie suivante les limites écologiques auxquelles se heurte la croissance en revenant sur le concept de développement durable.
Les limites écologiques de la croissance économique
Les limites écologiques de la croissance économique
Épuisement progressif des ressources et externalités négatives
Épuisement progressif des ressources et externalités négatives
Une externalité négative est un effet non voulu qui va nuire à une tierce personne.
Pour subvenir à leurs besoins illimités, les hommes ont de tout temps utilisé les ressources naturelles.
Avec les taux de croissance exceptionnels connus par les pays développés après la Seconde Guerre mondiale et ceux connus aujourd’hui par les pays en développement (Chine, Inde), la production mondiale a énormément augmenté, entraînant de fait une augmentation de l’utilisation des ressources et une dégradation de l’environnement.
Plusieurs externalités négatives peuvent être relevées.
- L’épuisement des ressources naturelles (le pétrole, le poisson, la terre et l’eau…)
- Ce graphique permet de constater que les stocks de poissons qui sont exploités à des niveaux considérés comme « durables » ne cessent de diminuer, tandis que la surpêche est en hausse constante.
Des rapports du GIEC (Group d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) montrent qu’au cours du siècle dernier on a observé une dégradation en profondeur du capital écologique : les ressources marines ont été divisées par 10. Autrement dit, là où il y avait 10 tonnes de poissons, il n’en reste plus qu’une.
Les terres surexploitées sont de moins en moins fertiles et les nappes phréatiques se vident compte tenu de l’augmentation des prélèvements d’eau. Ceux-ci ont triplé en l’espace de 50 ans.
La déforestation gagne du terrain : chaque année plus de 10 millions d’hectares de forêt disparaissent à travers le monde, soit une superficie à peu près équivalente à celle de l’Islande.
On peut noter néanmoins que des campagnes de reboisement tendent à limiter les effets de cette déforestation à l’échelle de la planète. Il n’en demeure pas moins que la déforestation a des conséquences dramatiques à l’échelle locale (exemple : l’Amazonie).
- La diminution de la biodiversité
Comme nous l’avons vu, la croissance économique a aussi comme conséquence une exploitation accentuée des terres et des ressources naturelles. Cette surexploitation menace directement de nombreuses espèces animales et végétales, leur espace vital n’ayant de cesse de se réduire.
En 2018, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, 28 % des 96 951 espèces étudiées sont menacées, dont 40 % des amphibiens, 25 % des mammifères, 14 % des oiseaux, 31 % des requins et raies, 34 % des conifères…
Dans un rapport de 2018, l’organisation WWF précise que 60 % des espèces animales sauvages qui existaient en 1970 ont aujourd’hui disparu en raison de la réduction de leur habitat (pression agricole, déforestation, artificialisation des sols), de chamboulements sur les écosystèmes (introduction de bétail, maladies, mises en compétition des espèces) et du réchauffement climatique accéléré par les activités humaines.
- L’augmentation des gaz à effet de serre et de la pollution
La production entraîne une augmentation des pollutions d’une manière générale et contribue au réchauffement climatique (fonte des glaciers, modification du climat).
- Ce graphique met en évidence le lien entre croissance économique et émission des gaz à effet de serre. On remarque d’ailleurs que les périodes de crise économique (1929, 1974, 1979) et les périodes de guerre (Seconde Guerre mondiale, guerre en Irak en 1990) correspondent à des baissent des émissions, tandis que la période de forte croissance des Trente Glorieuses (1945-1973) correspond bien par exemple à une explosion des émissions.
La croissance économique entraîne des externalités négatives. Les ressources naturelles s’épuisent, la forêt perd du terrain, la biodiversité est attaquée, la pollution augmente, ce qui contribue à entraîner des changements climatiques importants.
Au delà de ces conséquences directes sur l’environnement, les effets sont également économiques et impactent le bien-être des populations.
Des conséquences non négligeables pour les populations
Des conséquences non négligeables pour les populations
- La dégradation du capital naturel et l’augmentation du prix des ressources
La dégradation du capital naturel par les êtres humains entraîne une augmentation du prix des ressources.
Capital naturel :
Ensemble des ressources naturelles directement utilisables par les hommes ou exploitées économiquement.
En effet, les ressources étant plus rares pour une demande équivalente, voire plus importante, ce sont les prix qui vont permettre d’établir un équilibre (loi de l’offre et de la demande).
Par exemple, en 1980, le prix du baril de pétrole était affiché au prix d’environ 38 dollars, alors qu’il était de 115 dollars au début des années 2015.
De la même manière, compte tenu des conséquences des modifications du climat (sécheresse, incendies, inondations…) et de l’augmentation de la population mondiale, le marché des matières premières, comme les céréales, est sous tension. L’offre devient plus volatile (la sécheresse entraîne moins de production), alors que la demande explose. Les cours de ces matières premières augmentent donc fortement. L’indice du prix des céréales était de 150 en 2008 ; il est passé à 237 en 2015.
L’eau devient également un souci majeur, si bien que l’« or bleu » fait son entrée en bourse dans certains pays (c’est le cas en Australie), une valeur financière étant ainsi accordée à cette ressource naturelle essentielle à la vie.
- L’accroissement des inégalités et la réduction du bien-être
L’augmentation du prix des denrées alimentaire de base (blé, maïs, riz, etc.) va directement impacter les populations les plus pauvres. Cette situation peut conduire à des conflits violents.
Le développement de la pollution peut avoir des répercutions sur la santé des populations, d’autant plus si ces populations ne disposent pas de moyens de santé efficaces.
Les exemples sont nombreux pour illustrer les conséquences négatives de la croissance élevée sur les populations.
- Dans plusieurs pays, des émeutes de la faim ont eu lieu suite à l’augmentation des prix des denrées alimentaires de base (riz, blés, maïs), causant des blessés et parfois des morts.
La dégradation du capital naturel impacte directement les populations, du fait de l’augmentation du prix des ressources naturelles. Cette dégradation écologique engendre des inégalités et des tensions au niveau mondial.
Ces divers constats nous amènent à nous poser la question de la poursuite de la croissance. Faut-il la stopper ou faut-il tenter de mettre en place une croissance plus soucieuse de l’environnement ?
La croissance soutenable ou le développement durable : une solution
La croissance soutenable ou le développement durable : une solution
La logique d’une croissance plus soucieuse de l’environnement correspond aux concepts de croissance soutenable ou de développement durable.
Croissance soutenable :
Une croissance est soutenable si elle ne met pas en danger le bien être des populations futures et si elle préserve le capital naturel.
Développement durable :
Le développement durable (notion datant de 1987) est un développement qui repose sur trois principes :
- la solidarité (réduire la pauvreté dans le monde) ;
- la précaution (prévoir et anticiper les externalités négatives des activités économiques) ;
- la participation (tous les acteurs sont associés aux prises de décision).
Le développement durable couvre donc trois dimensions : l’économique, le social et l’environnemental.
Il se fonde sur la préservation des possibilités de développement pour les générations futures.
Dans le modèle d’une croissance soutenable, il ne s’agit pas d’abandonner l’idée de croissance, mais de la réviser sous le prisme des enjeux de développement durable face à l’urgence absolue de la situation mondiale.
Ainsi, des outils sont mis en place pour évaluer les efforts en matière de développement durable et de croissance soutenable.
L’empreinte écologique, outil mis en place par Mathis Wackernagel et William Rees, est un moyen de mesure du développement durable.
Cette empreinte calcule pour chaque individu la surface bioproductive nécessaire pour produire les ressources consommées et absorber les déchets engendrés. En moyenne, on estime qu’un Européen a besoin de 5 hectares environ pour vivre, alors qu’un Américain a besoin du double.
Surface bioproductive :
Il s’agit des surfaces de la Terre considérées comme productives.
La surface productive correspond à la notion de biocapacité, à savoir le potentiel de production de ressources et d’absorption des déchets engendrés par les êtres humains. Ainsi, si l’empreinte écologique, c’est-à-dire la demande (besoins des populations) est plus forte que la biocapacité de la zone en question, c’est-à-dire l’offre (capacité de production de cette zone), alors on parle de déficit écologique. Afin de tendre vers un modèle de développement durable, il est donc nécessaire de créer une situation d’excédent écologique.
Afin de répondre à cette problématique écologique, les débats économiques se sont tournés vers deux scénarios.
- Un premier scénario est celui d’une croissance à soutenabilité faible.
Il s’agit de garantir aux générations futures des capitaux humains, naturels, sociaux et institutionnels globalement équivalents à ceux de la génération actuelle.
Cette conception part du principe que les capitaux sont substituables et que, de ce fait, si l’un des capitaux diminue et qu’il est compensé par l’augmentation d’un autre, la croissance peut se poursuivre.
Par exemple, si le capital naturel diminue, la hausse de son prix va inciter les agents économiques à lui substituer d’autres formes de capital (augmentation du capital physique par exemple). Dans cette optique, la croissance est considérée comme soutenable. Par exemple, si le pétrole utilisé dans les voitures venait à disparaître totalement, il serait remplacé par l’utilisation de voitures électriques (résultats du progrès technique). - Un autre scénario envisagé est celui d’une croissance à soutenabilité forte.
Les capitaux ne sont pas substituables mais complémentaires. Le capital naturel ne peut donc pas être remplacé par un autre capital. Il est même une contrainte pour la croissance. Par exemple, dans cette optique, il est entendu que l’exploitation des ressources naturelles ne doit pas dépasser sa capacité de renouvellement.
Cette approche privilégie donc le principe de précaution et préconise une croissance zéro (c’est-à-dire un état d’équilibre) ou de nouveaux modes de développement.
Il existe également une approche qui dérive de celle de la croissance à soutenabilité forte, mais qui est plus radicale : il s’agit de la théorie de la décroissance. S’appuyant sur le constat que l’accroissement des richesses ne contribue plus à réduire les inégalités, voire qu’il les creuse dans certains cas, les partisans de cette théorie relativement récente dans les débats requestionnent radicalement le modèle économique capitaliste actuel pour se tourner vers d’autres modes de production et de consommation.
Les dégâts engendrés par la croissance ont conduit les chercheurs et les économistes à envisager des solutions en menant une réflexion autour de la croissance et de sa soutenabilité.
Certains sont plutôt partisans d’une soutenabilité faible, d’autres voudraient appliquer le principe de précaution et prônent une croissance zéro (soutenabilité forte), d’autres encore encouragent une économie de la décroissance, qui signifie une sortie du système économique actuel.
Conclusion :
Nous avons donc montré que la croissance économique se heurte à de nombreuses limites, que ce soit en matière de développement humain ou en matière d’environnement.
Si l’accroissement des richesses et le développement humain entretiennent un lien, force est de constater que la croissance n’est parfois plus synonyme de développement humain et d’amélioration du bien-être, les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres se creusant toujours plus à l’échelle de la planète.
Par ailleurs, l’urgence écologique amène à questionner la croissance économique : cette dernière étant responsable d’externalités négatives sur l’environnement (pollution industrielle, déforestation, émission de GES, etc.), est-elle toujours viable et si oui, dans quelle mesure ? Les débats sur le sujet se multiplient.