Les nouvelles figures de la rhétorique
Introduction :
L’art de la parole d’aujourd’hui s’inscrit dans des pratiques qui existent depuis fort longtemps (la justice, la politique, la philosophie, l’art scénique). Il s’agit dès lors d’examiner si, depuis les Anciens, les techniques de la rhétorique ont évolué.
De nouveaux champs de la connaissance et de l’action humaine se sont ouverts, de l’apparition de la sémiologie (l’étude linguistique des signes) aux formes contemporaines de la communication (publicité, médias de masse, communication politique, communication commerciale, communication numérique).
D’où la problématique de ce cours : quelles formes revêt l’exercice de la rhétorique dans le monde contemporain ?
Nous définirons tout d’abord la sémiologie. Nous nous intéresserons ensuite à la parole publique et médiatique. Enfin, nous verrons que la parole politique offre quelques contre-exemples de la parole en tant qu’« art ».
Sémiotique de la communication : la voix et l’image
Sémiotique de la communication : la voix et l’image
La parole s’étudie aujourd’hui sous l’angle de la sémiologie.
Sémiologie :
Spécialité apparue récemment comme branche de la linguistique, définie comme « science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale » par le père de la linguistique, Ferdinand de Saussure (1857-1913).
La sémiotique est l’analyse de phénomènes à travers les signes qu’ils représentent ou laissent apparaître : un mouvement du bras qui signifie « viens » et s’accompagne de la parole « viens », une rock star tendant le micro vers son public qui reprend alors les paroles du refrain qu’elle vient de chanter, ou même un robot qui clignote en vous disant « stop » de sa voix métallique.
- La sémiologie est donc l’étude des signes qui se voient, mais aussi des signes qui s’entendent, les signes sociaux de la parole. C’est, en quelque sorte, l’examen de la parole rendue visible, de la voix en tant qu’elle est inséparable de l’image.
La particularité de la parole à notre époque, tient à ce qu’elle dispose, en termes de communication, de dispositifs de diffusions (diffusion de la voix et du son, diffusion de l’art).
Avant l’invention du magnétophone, de l’appareil photographique et de la caméra, il fallait se trouver devant la personne – en « direct live », en quelque sorte – ou de l’œuvre d’art pour l’entendre et la voir. Toute archive était sur un seul type de support, papier, papyrus, toile…
- Pour autant, la reproductibilité technique de la parole a-t-elle entraîné un appauvrissement de la parole publique et directe ?
D’un côté, non, car être enregistré ou filmé amène à être attentif à soi-même.
D’un autre côté, oui, car les moyens de captations et de diffusions sont tellement nombreux que n’importe qui peut filmer n’importe qui (y compris soi-même) en train de parler.
Par ailleurs, toute prise de parole ne constitue pas nécessairement un art ni une démarche artistique.
Alors quelle est donc la spécificité de la parole lorsqu’elle acquiert le statut d’art aujourd’hui, à l’heure des formats MP3 et de Youtube ?
Il semble que cet examen d’un nouvel art de la parole ne puisse faire l’impasse d’une analyse philosophique de la parole contemporaine qui en dégage les principes fondamentaux, grâce à la pensée de Roland Barthes. À l’aide de cette référence, nous pourrons tenter de comprendre les caractéristiques des nouvelles figures de la rhétorique.
Roland Barthes, dans Éléments de sémiologie, établit une nouvelle différence par rapport à Aristote entre « Parole » et « Langue » : « La Langue, c’est donc, si l’on veut, le langage moins la Parole. »
La Langue est à la fois institution sociale arbitraire et système de valeurs partagé et imposé : elle est déjà là. L’individu ne la crée pas et en fait un usage uniforme, conformiste, essentiellement pour des raisons d’intégration sociale.
Au sein d’une même nation ou d’un groupe particulier, la langue parlée est stéréotypée et constitue un code de reconnaissance et d’acceptation mutuelle : « saperlipopette », « épistémologiquement » ou « wesh » ne s’emploieront que dans des contextes sociaux bien définis.
La Langue « est essentiellement un contrat collectif, auquel, si l’on veut communiquer, il faut se soumettre en bloc ». Il faut en apprendre à la fois les règles et les règles d’usage.
Le signe de la Langue possède la même fonction qu’une pièce de monnaie : « la langue est un système de valeurs contractuelles ».
À côté de la Langue, « la Parole est essentiellement un acte individuel de sélection et d’actualisation ». Elle est expression personnelle par l’appropriation personnelle de la Langue. Barthes met en lumière une caractéristique fondamentale du sujet parlant qui souligne son pouvoir aux yeux des autres : il a la capacité de combiner singulièrement les mots pour exprimer sa pensée, il a également la maîtrise des opérations psychologiques et physiques lui permettant d’exprimer ces combinaisons. L’art de la parole est l’art de combiner les mots à sa manière. Il ne s’agit pas d’un système, comme pour la Langue, mais d’un « acte individuel ».
Prenons un exemple de contexte social particulier : le milieu du hip-hop et du rap. Dire « j’suis seul, wesh alors » de façon mécanique relèverait de l’usage de la Langue, alors que le rap poétique d’Oxmo Puccino et son morceau « L’enfant seul » expriment une Parole combinatoire personnelle qu’accompagne une voix unique.
Oxmo Puccino, 2009, ©Nicolas Esposito CC-BY 2.0
Oxmo Puccino est un rappeur français né au Mali, au timbre de voix et au phrasé poétique, classé dans le genre jazz rap ou rap poétique. JoeyStarr le surnomme : « le daron du rap français ».
« T’es comme une bougie
Qu’on a oublié d’éteindre dans une chambre vide
Tu brilles entouré de gens sombres voulant te souffler
Celui qui a le moins de jouets
Le moins de chouchous
Celui qu’on fait chier
Le cœur meurtri et meurtrière est ta jalousie
L’enfant seul se méfie de tout le monde, pas par choix,
Mais dépit, pense qu’en guise d’ami
Son ombre suffit
Une solitude qui te suit jusque dans le sexe
Mon texte coupe l’enfant seul en deux espèces
Ceux qui baisent à l’excès mais souhaiteraient se
Fixer à une femme plutôt qu’à mille fesses
Quand l’autre sorte écoute souvent la même
Chanson dans le poste, et porte le deuil d’une
Relation morte et reste l’œil humide
La tête baissée laisse le cœur sur l’estomac
L’estomac sur les genoux, ma tristesse n’a d’égale
Que le coup de gueule muet de l’enfant seul
Que nul ne calcule
T’es l’enfant seul (je sais que c’est toi)
Viens-tu des bas-fonds
Ou des quartiers neufs ?
Bref, au fond tous la même souffrance
Mes mots s’emboîtent les gens s’y voient comme dans une flaque d’eau
Ça leur renvoie un triste reflet, mais est-ce ma faute ?
T’es l’enfant seul c’est pas facile, on se comprend
Peu le savent
Que je le sache ça te surprend
Il mate par la vitre la solitude qui le mine
Fait passer la quinine pour un sucre
Faut être lucide, il faut qu’on se libère, disent-ils
Ils n’en discutent pas, confondent la rime et l’acte
La fuite et le suicide, un pacte, une promo sans tract
Pas trop de mots no body n’a capté le sale souhait
L’envie de se laisser par le cou pendu
Pour punir les parents qui, pour aimer l’enfant
Ont trop attendu, car si l’amour est une course
L’enfant naît c’est le départ en tête, l’embêtement
Comme passe-temps en fait des parents bêtes !
Maîtrise lancinante, sentiments en ciment sinon
Dans six ans on me retrouve ciseaux dans le crâne
Dans le sang gisant
T’es l’enfant seul (je sais que c’est toi)
Viens-tu des bas-fonds
Ou des quartiers neufs ?
Bref, au fond tous la même souffrance
[…] »
Oxmo Puccino, « L’enfant seul », Opéra Puccino, 1998.
L’art de la parole publique et médiatique
L’art de la parole publique et médiatique
Aujourd’hui, l’art de la parole s’inscrit principalement dans la sphère politique, qui offre un grand nombre de discours célèbres, marqués par des formules restées dans les mémoires.
En voici quelques exemples.
- « Ich bin ein Berliner » (Je suis un berlinois), John F. Kennedy, Berlin, 26 juin 1963.
- « I have a dream » (J’ai un rêve), Martin Luther King, Washington, 28 août 1963.
- « Entre ici, Jean Moulin ! », André Malraux, Paris, 19 décembre 1964.
- « Je vous ai compris ! », Charles de Gaulle, Alger, 4 juin 1958.
Plus récemment, en 2013, Christiane Taubira a prononcé un discours devenu célèbre dans le cadre de la présentation du projet de loi relatif au mariage homosexuel et à l’adoption d’enfants par des couples homosexuels.
Ce discours est intéressant par le fait qu’il utilise les éléments d’une rhétorique traditionnelle qui a fait ses preuves et, en même temps, une rhétorique moderne et personnelle.
Ce discours est caractéristique du concept de « Parole » revisité par Barthes, puisque Christiane Taubira s’approprie la tradition rhétorique et parvient à la renouveler pour la mettre au service d’un discours moderne.
Christiane Taubira, ©Claude Truong-Ngoc, CC-BY-SA 3.0
Christiane Taubira (née en 1952 à Cayenne, Guyane) est une femme politique, garde des Sceaux (ministre de la Justice) de mai 2012 au 27 janvier 2016.
« […] Vous protestez au nom d’un prétendu droit à l’enfant, oui un prétendu droit à l’enfant, au nom d’un prétendu droit à l’enfant qui n’existe pas parce que le mariage et l’adoption sont ouverts aux couples de même sexe dans exactement les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels. Autrement dit, ou bien vous nous affirmez que les couples hétérosexuels ont un droit à l’enfant inscrit dans le Code civil ou alors ce droit à l’enfant n’existe pas et de fait il n’existe pas et les couples homosexuels auront le droit d’adopter dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. Et au nom d’un prétendu droit à l’enfant vous refusez des droits à des enfants que vous choisissez de ne pas voir, vous refusez des droits à des enfants que vous choisissez de ne pas voir. Le texte que nous vous présentons n’a rien de contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant. Au contraire, il protège des enfants que vous refusez de voir ! Et les couples homosexuels pourront adopter dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels, c’est-à-dire avec les mêmes procédures, avec l’agrément attribué dans les mêmes conditions par les conseils généraux, avec l’adoption prononcée dans les mêmes conditions par le juge conformément à l’article 353 du Code civil qui stipule que l’adoption est prononcée s’il est conforme aux droits de l’enfant. Par conséquent, vos objections n’ont pas de fondement sauf une réelle difficulté à inclure dans vos représentations la légitimité de ces couples de même sexe. Mais vos enfants et vos petits-enfants les incluent déjà et les incluront de plus en plus. Et vous serez bien mal à l’aise lorsque par curiosité ils viendront voir les comptes-rendus de nos débats.
Nous avons donc décidé d’ouvrir ce mariage et cette adoption aux couples de même sexe, le mariage qui, je le disais tout à l’heure, je le démontrais avec des références historiques et juridiques, a été une institution de propriété puisque, je vous le disais, le mariage a d’abord servi à marier des patrimoines, des héritages et des lignées. Il a été une institution de possession puisque le mari et le père avaient une autorité absolue sur l’épouse et sur les enfants. Il a été une institution d’exclusion, nous l’avons vu, le mariage civil a mis un terme à une double exclusion, des croyants non catholiques et certaines professions, donc toute une série de citoyens. Ce mariage, qui a été une institution d’exclusion, en incluant dorénavant les couples de même sexe va enfin devenir une institution universelle, enfin le mariage devient une institution universelle. Alors vous pouvez continuer à refuser de voir, vous pouvez continuer à refuser de regarder autour de vous, vous pouvez continuer à refuser de tolérer la présence y compris proche de vous, y compris peut-être dans vos familles de couples homosexuels. Vous pouvez toujours conserver le regard obstinément rivé vers le passé et encore, et encore, en regardant bien le passé vous trouverez des traces durables de la reconnaissance officielles y compris par l’Église de couples homosexuels. Vous avez choisi de protester contre la reconnaissance des droits de ces couples, c’est votre affaire, nous, nous sommes fiers de ce que nous faisons, nous sommes fiers de ce que nous faisons. Et nous sommes si fiers de ce que nous faisons que je voudrais le définir par les mots du poète Léon-Gontran Damas : “L’acte que nous allons accomplir est beau comme une rose dont la tour Eiffel assiégée à l’aube voit enfin s’épanouir les pétales. Il est grand comme un besoin de changer d’air, il est fort comme le cri aigu d’un accent dans la nuit longue”. Merci à vous. »
Christiane Taubira, discours du 29 janvier 2013 à l’Assemblée nationale pour la présentation du projet de loi sur le mariage homosexuel et l’adoption d’enfants par des couples homosexuels.
Cet extrait se trouve à la fin du discours.
- On peut se demander en quoi le discours de Christiane Taubira reprend des formes traditionnelles de la rhétorique et, à la fois, fait apparaître de nouvelles formes de l’éloquence, propre à notre époque et propre à l’oratrice.
Reprises d’éléments de la rhétorique traditionnelle
L’oratrice utilise un discours délibératif pour exhorter les détracteurs du projet de loi à revenir sur leur position ou, ce qui revient au même, les dissuader d’y être hostiles.
Elle utilise aussi un discours judiciaire, même si le cadre est ici politique, afin de défendre une cause familiale et sociale.
Le dernier paragraphe est une péroraison, c’est-à-dire une conclusion qui prend la forme d’une synthèse, et qui cherche à emporter l’adhésion par son ton enlevé.
L’ethos est présent dans les deux dernières phrases du premier paragraphe.
Le logos, lui, est présent dans les trois premières phrases du premier paragraphe.
Nouvelles formes de la rhétorique
Plusieurs éléments relèvent de nouvelles formes de la rhétorique :
- c’est une femme qui parle à la tribune ;
- la voix est sonorisée (microphone) ;
- le discours est filmé, enregistré, très largement diffusé, pour le meilleur et pour le pire en matière de jugement ;
- le discours fait l’objet d’une médiatisation (journaux d’actualité et reportage, presse écrite).
Incertitudes
Christiane Taubira parle à la tribune durant trente minutes sans lire ses notes : elle s’adresse à l’auditoire les yeux dans les yeux.
Une partie de celui-ci montre régulièrement son hostilité aux arguments de la ministre. Cette dernière reste imperturbable, sans être indifférente.
On peut alors se poser plusieurs questions.
- Les discours publics étaient-ils perturbés comme ils le sont souvent aujourd’hui dans les assemblées politiques ?
- Les Anciens parlait-il avec des notes ?
- L’iconographie montre les orateurs parler sans papier. Mais ce ne sont que des représentations.
Ainsi, sur l’exemple de ce discours, il est à remarquer que si le fond est nouveau – puisqu’il est lié à la problématique d’une époque – dans la forme, les moyens de la rhétorique n’ont guère changé.
Mais s’il existe un art de la parole, toute parole n’est pas art. De nos jours, dans la communication commerciale et publicitaire, l’« art » de la parole ne serait-il pas une résurgence, accompagnée de l’image, des procédés les plus critiquables de la rhétorique et de la sophistique antiques ?
En voici un exemple avec une publicité télévisée pour une marque de voiture.
Dans sa forme, sa publicité joue sur le logos, l’apparence d’une démonstration logique avec un « donc » déductif implicite. Mais le fond relève quant à lui du pathos, en l’occurrence la pulsion sexuelle. Ce qui l’atteste, c’est surtout la tonalité de la parole, voix virile pour l’homme, voix séductrice pour la femme.
- Platon parlerait de sophisme, et il pourrait affirmer que la parole et l’image n’ont ici qu’une valeur cosmétique plutôt que d’exprimer une vérité.
La publicité s’ouvre sur le plan d’une voiture qui suit une femme élégante.
Voix d’homme : « Il a l’argent [donc] il a le pouvoir [parce qu’]il a une Audi [donc] il aura la femme ».
Mais l’argument manque d’ethos. Alors soudainement un ballon rebondi sur le capot, le conducteur s’arrête et rend le ballon à un enfant : il ne l’a pas écrasé (sa voiture est sûre) et il n’a pas élevé la voix contre lui (il est gentil, non vulgaire, et sera un bon père de famille).
Puis, voix de femme : « Les hommes croient qu’une voiture sert à montrer l’épaisseur de leur portefeuille. Mais elle sert aussi à montrer le beauté de leur âme ».
L’argument oratoire est : la puissance de l’homme est matérielle, mais aussi spirituelle.
Retour à la voix d’homme qui effectue une péroraison en forme de récapitulation : « Il a l’argent, il a le pouvoir, il a une Audi, il a une âme ».
« Âme » rime et fait écho à « femme » ici.
La femme monte dans la voiture, c’est la fin de la publicité.
Désastre de la parole politique : le contre-exemple d’un art
Désastre de la parole politique : le contre-exemple d’un art
Certains discours politiques sont désastreux dans leurs effets.
- Peut-on, dès lors, considérer que ces discours relèvent d’un « art de la parole » ?
Prenons un exemple concret, celui de la rhétorique d’Hitler. Tout le monde s’accorde pour dire que le Führer était un « bon » orateur et savait user efficacement de certains procédés, notamment le pathos, afin de jouer avec les ressentiments d’une foule – à la suite de la défaite de 1918 et de ses conséquences par exemple – et des craintes soigneusement entretenues – antisémitisme, anticommunisme, peur de la perte de l’autonomie de la Nation…
Dans l’ordre de l’inventio le discours nazi repose sur nombre d’arguments et de concepts utilisés de façon fallacieuse comme celui de Lebensraum (espace vital). Ces arguments et ces concepts sont utilisés pour « justifier » la doctrine nazie.
Hitler, 1930 ©Bundesarchiv, Bild 102-10460, Hoffmann, Heinrich, CC-BY-SA 3.0
Dans le discours d’Hitler (à partir de 1 min 45 sec.) arrivé au pouvoir en tant que chancelier de l’Allemagne, en 1933, voyons comme la manifestation du pathos s’accompagne d’une voix revancharde, parfois criarde et effrayante, ainsi que d’une rhétorique du corps renforçant les sentiments exprimés.
« Avec nos propres mains, avec nos propres mains seules, nous sauverons le destin du peuple allemand [Hitler se frappe le cœur]. Si nous relevons le peuple allemand grâce à son propre travail, grâce à sa propre industrie [Hitler serre les poings, fait comme s’il saisissait quelque chose puis monte le volume de la voix et frappe dans le vide], grâce à sa propre détermination, son audace et sa persévérance. Alors seulement à ces conditions, nous nous élèverons à nouveau [il fait comme s’il saisissait quelque chose avec ses deux mains]. Autrefois, nos pères n’ont pas non plus reçu l’Allemagne en cadeau [il crie presque, pointant quelque chose du doigt, bras tendu], mais l’ont créée eux-mêmes [il frappe l’air du plat de la main, adoucit le ton et fixe l’auditoire, la tête un peu relevée et assurée]. »
Adolf Hitler, discours devant le Reichstag, 1933.
Comparons maintenant la rhétorique d’Hitler avec sa parodie, faite par Charlie Chaplin dans Le Dictateur en 1940.
Charlie Chaplin dans Le Dictateur, 1940
Chaplin reprend le pathos du dictateur dans une simulation de la langue allemande et de ses accents (un ensemble de phonèmes qui évoquent la langue allemande mais ne veulent rien dire).
L’intérêt de cette parodie réside dans la pure exhibition des sentiments, des effets gestuels et des intonations d’une parole qui n’est persuasive que par la seule forme de son discours.
Aucun contenu signifiant n’est exprimé. Il est même possible de dire que la parodie de Chaplin est une parodie grotesque de l’« art » de l’éloquence dans ce qu’elle peut avoir de théâtrale et de caricaturale.
Conclusion :
Pourquoi associe-t-on la parole en tant qu’art avec l’Antiquité ?
Pourquoi l’art de la parole serait-il d’abord un art antique ?
Mis à part la raison chronologique, un élément est évident : si nous disposons, par transcription écrite, des plus beaux textes tirés des plus belles paroles (celles des orateurs, des poètes et de philosophes), nous n’avons pour ainsi dire pas de trace écrite de la parole vulgaire et grossière qui, pourtant devait également exister à l’époque. Même les comédies antiques les plus grotesque ne semblent pas nous donner la mesure de ce que pouvait être la pire des paroles populaires. Notre époque présente ce défaut : elle met en lumière la plus belle des paroles comme la plus laide et la plus ridicule, mais aussi et surtout la parole dont il faut apprendre à se méfier. À nous de savoir faire un tri, de différencier l’art de la parole et la parole de l’art, probablement la meilleure des paroles, probablement la première des paroles.