Les principaux instruments des politiques climatiques
Introduction :
La croissance économique a des effets néfastes sur l’environnement. Déterminons donc le rôle que peuvent jouer les États pour lutter contre eux.
Nous allons pour cela prendre pour exemple la politique climatique qui cherche à réduire les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique planétaire. Si on parle de « politique », c’est parce que comme le marché n’est pas capable de proposer seul des solutions aux effets négatifs qu’il génère, c’est aux États et aux organisations internationales d’agir.
La politique climatique renvoie à l’ensemble des mesures qui sont prises par les instances publiques pour lutter contre des conséquences négatives de la croissance sur l’environnement. Parler de politique climatique suppose qu’il appartient aux pouvoirs publics d’intervenir pour gérer les relations entre la croissance et le dérèglement du climat.
On considère donc que le marché n’est pas en mesure d’apporter lui-même des solutions aux problèmes qui ont pourtant des effets économiques mesurables.
Ce cours opère un tour d’horizon des instruments tels que la réglementation, la taxation et le marché, avant de s’interroger sur les obstacles qui pèsent actuellement sur l’ensemble des politiques environnementales à l’échelle internationale.
Les instruments des politiques climatiques
Les instruments des politiques climatiques
Les politiques climatiques s’expliquent par la présence d’externalités négatives
Les politiques climatiques s’expliquent par la présence d’externalités négatives
Dans le cadre de l’analyse économique du réchauffement climatique, la pollution correspond à une externalité négative.
- Cette externalité n’est pas prise en compte par les agents au moment de produire : comme ils ne sont pas directement impactés par les coûts liés à la pollution dont ils sont à l’origine, ils ne l’intègrent pas dans les coûts de leur processus de production.
Du point de vue du climat, le marché est donc défaillant. Et cette défaillance a aussi des conséquences économiques.
Externalité :
L’externalité est l’impact positif ou négatif qui est généré de façon involontaire par la décision d’un agent économique sur d’autres agents.
Pour définir le prix de cette défaillance, on va calculer la différence entre le coût privé de la production et son coût social :
- le coût privé est le coût direct d’une production. Il se compose des coûts fixes et des coûts variables ;
- le coût social est son coût indirect, pour la société dans son ensemble. Dans le cas de la pollution, le coût social intègre le coût de la baisse des productions de la pêche, des crises alimentaires, de l’augmentation du niveau des mers ou encore de l’augmentation des maladies respiratoires.
Quand il s’agit d’externalité négative, le coût social est supérieur au coût privé.
Cela signifie que les entrepreneur·se·s n’intègrent pas le prix des conséquences que leur production va engendrer dans le calcul de leurs coûts.
Ce sont des conséquences qui interviennent à tous les niveaux de la production (puisement dans les ressources naturelles, production, consommation, déchets, pollution) et que toute la société devra payer plus ou moins directement.
- En situation de libre-échange absolu, le marché ne parvient donc pas à une situation d’optimum : il est défaillant puisque celui qui paie n’est pas celui qui produit.
Si le marché ne s’autorégule pas, les pouvoirs publics devront intervenir avec un seul objectif : rendre la ressource excluable, autrement dit faire en sorte que tout le monde ne puisse pas l’utiliser sans limite.
Pour que l’intervention des pouvoirs publics soit vraiment efficace, il faut qu’elle dépasse le seul cadre des États : qu’elle soit supranationale.
Nous allons voir que trois types d’outils peuvent être mis en place au niveau international.
La réglementation : un outil juridique et contraignant
La réglementation : un outil juridique et contraignant
La réglementation est le premier des trois instruments : elle correspond à l’instauration de normes.
La réglementation vise à combattre les externalités à leur source, en fixant des règles, des normes, destinées à modifier les comportements des agents économiques.
Ces normes peuvent être de plusieurs ordres :
- il peut s’agir de quotas, autrement dit de limites à ne pas dépasser. Par exemple l’utilisation d’une certaine quantité de gaz, d’eau, de produits chimiques ;
- il peut aussi s’agir de normes techniques qui visent à améliorer la qualité des produits finis, en obligeant à utiliser des matériaux différents ou à produire autrement (des moteurs de voiture moins polluants par exemple) ;
- il peut encore s’agir d’interdictions pures et simples, pour empêcher l’utilisation de produits hautement nocifs (comme certains gaz qui étaient autrefois contenus dans les aérosols).
Ces normes ont des effets immédiats et elles sont relativement faciles à mettre en place, puisqu’elles nécessitent simplement une décision de la part des pouvoirs publics.
Mais la réglementation a aussi des limites : au regard de l’importance des externalités liées au climat, le nombre de normes nécessaires est très grand. Il faut aussi prévoir de mettre en place des outils de contrôle, qui coûtent cher, pour vérifier qu’elles sont bien appliquées et que personne ne triche.
La taxation : instauration d’une taxe pollueur-payeur
La taxation : instauration d’une taxe pollueur-payeur
La taxation repose sur le principe du pollueur-payeur : c’est celui qui pollue qui paie l’addition, et non plus la collectivité.
Taxation :
La taxation désigne l’action effectuée par l’État ou les collectivités locales de prélever une somme monétaire (la taxe). Autrement dit, cela revient à mettre en œuvre une imposition en lien avec un problème donné.
On utilise aussi le terme fiscalité écologique pour évoquer les différentes taxes environnementales mises en place.
L’idée a été développée par un économiste anglais, Arthur Pigou, qui cherchait dans les années 1940 un moyen de réduire la pollution dans la ville de Londres.
On appelle donc la taxe qui vise à intégrer le coût social d’une production dans son coût privé la taxe pigouvienne.
Il existe plusieurs exemples de taxes pigouviennes qui s’appliquent aujourd’hui et qui sont relativement simples à mettre en œuvre : les malus écologiques pour les voitures polluantes, les aides pour le changement de certaines chaudières, ou encore la taxe carbone (qui concerne toutes les productions qui génèrent des gaz à effet de serre), abandonnée en France mais toujours en vigueur dans d’autres pays.
Le principe de base de la taxation est d’agir sur les externalités pour qu’elles soient internalisées aux coûts de production, c’est-à-dire au coût privé.
On décide de taxer tout agent économique qui est à l’origine d’une externalité négative sur le climat.
L’argent récolté permet ensuite de réparer les dommages causés ou d’indemniser les victimes.
- L’objectif est de faire augmenter le prix des externalités négatives pour faire baisser les productions qui en génèrent le plus : le montant de la taxe sera répercuté sur le prix de vente du produit puisque ce sera un coût supplémentaire pour le·la producteur·trice.
Avec la hausse de ce prix, la demande va diminuer, rendant la commercialisation moins rentable : l’entrepreneur·se va alors chercher à se tourner vers des techniques de production moins polluantes pour ne plus avoir de taxes à payer.
Le risque de ces taxes est que si elles sont trop faibles, elles ne seront pas suffisamment incitatives.
Aussi, si elles ne sont pas les mêmes dans tous les pays, elles pourront motiver les délocalisations. D’où l’importance d’un troisième instrument, mis en place à l’échelle mondiale : celui d’un grand marché sur lequel s’échangent des quotas d’émission.
En présence d’externalités positives sur le climat (lorsque l’activité d’un agent bénéficie à d’autres en préservant le climat sans qu’il n’ait pour autant été récompensé pour cela), le principe de la taxe pigouvienne peut tout aussi bien s’appliquer mais en sens inverse.
- On ne parle alors plus de taxation mais de subvention. Il s’agit d’une somme non remboursable versée par une administration publique pour soutenir l’activité d’une entreprise ou d’une association.
Les pouvoirs publics encouragent grâce aux dépenses publiques le développement d’innovations vertes. Le producteur vertueux est alors incité à développer ses recherches en lien direct avec la protection de l’environnement. La contrainte environnementale devient dès lors une opportunité à saisir pour les producteur·trice·s.
Nous pouvons prendre l’exemple du développement de l’agriculture biologique dans le cadre de l’Union européenne.
Bien que les parcelles biologiques représentent environ 10 % des superficies totales cultivées, le subventionnement de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement permet d’entrevoir une conversion bien plus rapide.
Notons enfin que les subventions vertes peuvent parfois s’appliquer directement aux consommateur·trice·s.
Nous pouvons prendre l’exemple des subventions accordées par l’État et par les collectivités locales pour rouler en voiture ou en vélo électriques.
Le marché : un système d’échange de quotas d’émission
Le marché : un système d’échange de quotas d’émission
Si les marchés ne peuvent pas résoudre seuls les problèmes climatiques, ils peuvent pourtant constituer un instrument d’action, à condition d’être institutionnellement encadrés.
C’est un économiste américain, Ronald Coase, qui a établi l’intérêt de la création d’un marché des droits d’émission. Pour lui, ce système est plus efficace qu’un système de taxation.
Le principe est simple :
- les pouvoirs publics définissent un quota d’émission de gaz à effet de serre
- ces quotas sont distribués à tous les agents économiques : ils peuvent l’être gratuitement, vendus ou mis aux enchères
- en parallèle, un marché est instauré sur lesquels les quotas peuvent s’échanger : les agents qui n’ont pas l’utilité de tous leurs quotas les vendent à ceux qui en manquent. Le prix s’établit naturellement par la confrontation de l’offre et de la demande.
Ces quotas sont des « droits à polluer » : chaque émission polluante a un coût additionnel pour le·la producteur·trice. Là encore, le coût social de la pollution redevient privé. Le dispositif est intéressant puisqu’il incite les entreprises à investir dans de nouvelles technologies pour diminuer le nombre de tonnes de $\text{CO}_2$ à acheter. En réduisant leurs émissions, elles pourront même réussir revendre leurs quotas non-utilisés.
Son efficacité dépend cependant du nombre de quotas défini par les pouvoirs publics et du prix des droits à polluer sur le marché. Si la quantité de départ est trop importante, il n’y aura pas d’impact visible. Et si les montants des droits à polluer sont trop faibles, les producteur·trice·s auront plutôt intérêt à acheter des droits qu’à investir dans de nouvelles technologies…
Un mécanisme de ce type avait été mis en place à l’échelle mondiale, à travers le protocole de Kyoto entré en vigueur en 2005.
Remarque :
Cependant, les premiers systèmes marchands d’échange de quotas d’émission furent mis en place aux États-Unis (marché du souffre par exemple), afin de lutter contre certains épisodes climatiques extrêmes associés aux pollutions générées par l’activité humaine. En 1970, le Clean Air Act permettait de créer aux États-Unis un système d’échange de droits à polluer favorisant la lutte contre les pluies acides.
Au sein de l’Union européenne, en accord avec le protocole de Kyoto, un marché du carbone a vu le jour. Il a pour nom « Système d’échange de quotas d’émission de l’UE » (SEQE-UE).
Les différents pays de l’UE sont tenus d’identifier les types de production qui représentent le plus d’émissions de gaz à effet de serre (par exemple les usines de ciment, de papier, de raffinage, celles qui utilisent beaucoup d’électricité ou le secteur de l’aviation). Ils définissent pour chaque type de production un plafond, un niveau maximum d’émission. Puis ils leurs allouent un quota correspondant à ce plafond. Une partie des quotas est distribuée gratuitement, une autre est mise aux enchères. Tous les ans, on vérifie que les entreprises n’ont pas dépassé ce plafond.
- Parallèlement, ces entreprises ont la possibilité d’échanger les quotas d’émission sur le marché européen du carbone : celles qui émettent plus de gaz à effet de serre que leur quota peuvent acheter des quotas supplémentaires. Inversement, celles qui en émettent moins peuvent les revendre.
Bien que ce marché soit opérationnel et souvent pris comme exemple à suivre à l’échelle mondiale, on y observe de nombreux dysfonctionnements. Tout d’abord, comme tous les marchés, celui du carbone subit les aléas conjoncturels.
En effet, en période de crise économique, les entreprises demandent beaucoup moins de permis d’émission, ce qui entraîne une chute parfois brutale du prix du carbone. Dès lors, au moment de la reprise économique, les industries polluantes bénéficient d’un effet d’aubaine, autrement dit d’une incitation à polluer plus étant donné le faible prix du carbone sur le marché.
En avril 2020, dans un contexte de la crise sanitaire mondiale, le prix du $\text{CO}_2$ sur le marché connaissait une chute brutale et une tonne de $\text{CO}_2$ émise se négociait à 15 € seulement contre plus de 20 € avant la crise.
De plus, la question de fond qui se pose est celle du volume (la quantité) de quotas d’émission que l’autorité compétente du SEQE décide de déployer sur ce marché.
Là encore, le marché du carbone européen est parfois accusé de distribuer bien trop de quotas d’émission, favorisant ainsi un faible prix du carbone.
Cette volonté, parfois assumée au sein de l’UE, s’explique par la peur des États membres de créer une « fuite de carbone », c’est-à-dire des délocalisations de sites industriels aux frontières de l’UE.
En combinant ces trois instruments (réglementation, taxation, quotas d’émission), les pouvoirs publics peuvent ainsi apporter une réponse économique au changement climatique.
Il devient alors possible de rendre la croissance davantage compatible avec la préservation de l’environnement.
Les obstacles pesant sur les politiques climatiques à l’échelle internationale
Les obstacles pesant sur les politiques climatiques à l’échelle internationale
Une difficile reconnaissance du climat en tant que bien commun mondial
Une difficile reconnaissance du climat en tant que bien commun mondial
D’abord, la protection de l’environnement à l’échelle internationale est délicate, car notre environnement dépend de ressources naturelles très prisées par les acteurs économiques : ce sont des biens communs.
Bien commun :
Un bien commun a une double caractéristique. Il est à la fois rival (la quantité de bien disponible est limitée et sa consommation par un individu ou une entreprise diminue la quantité disponible pour les autres) et non exclusif (on ne peut empêcher un·e consommateur·trice de consommer ce bien).
Envisager le climat comme un bien commun mondial pose un problème : celui de l’utilisation que chaque bénéficiaire va en faire.
Les agents économiques qui peuvent utiliser une ressource gratuite vont chercher à maximiser les avantages qu’ils peuvent en tirer. Mais au final, cette stratégie de maximisation de l’utilisation va affecter tous ceux qui n’utilisent pas ce bien au quotidien.
C’est l’exemple de la forêt amazonienne : en raison des superficies disponibles, les industriel·le·s peuvent défricher pour planter du soja ou des palmiers à huile à très bon marché.
Puisque le bien commun est à la fois rival et non exclusif, c’est un type de bien qui risque d’être surexploité, jusqu’à disparition.
Pour reprendre une célèbre expression d’un économiste (Garrett Hardin), il existe une « tragédie des biens communs ».
Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de réel consensus international sur la définition de l’environnement en tant que bien commun mondial. Autrement dit, les ressources permettant la régulation de notre climat (banquises, déserts, forêts, grande barrière de corail…) ne sont pas protégées à l’échelle internationale mais plutôt à l’échelle nationale ou régionale.
Par exemple, la forêt amazonienne, considérée comme l’un des poumons de la planète, s’étend sur 9 pays d’Amérique Latine dont le Brésil principalement (plus de 60 % de sa superficie). Si cette forêt venait à disparaître, c’est tout notre environnement qui serait affecté.
- Les politiques climatiques développent des instruments sans pour autant permettre la préservation des biens communs menacés de surexploitation.
Le problème du réchauffement de la planète est aujourd’hui considéré comme le défi environnemental du XXIe siècle.
- Bien que l’opinion publique mondiale soit aujourd’hui alertée face à l’urgence environnementale, tous les acteurs économiques ne s’engagent pas de la même façon dans la protection des biens communs.
Compte tenu des caractéristiques des ressources communes, les entreprises (acteurs marchands) sont de plus en plus tenues d’intégrer dans l’exploitation de ressources communes un volet visant à préserver l’environnement.
- En effet, les logiques marchandes fondées sur une recherche de rentabilité et de profit sur le court terme entraînent la surexploitation des biens communs.
Depuis les années 1980, les théories économiques s’affrontent sur la place à accorder aux ressources naturelles dans la fonction de production (produire nécessite du travail et du capital fixe).
En effet, les économistes néoclassiques, qui prennent davantage conscience de l’insoutenabilité de nos modes de production, tentent d’intégrer dans la fonction de production traditionnelle les ressources naturelles ainsi que d’autres facteurs permettant de rendre plus efficaces une production.
Pour produire plus et mieux sur un marché, mobiliser le travail et le capital fixe ne suffit plus : il faut intégrer le capital naturel (ressources naturelles) mais aussi le capital humain, technologique ou encore institutionnel.
Capital naturel :
Le capital naturel concerne l’ensemble des ressources naturelles utiles directement aux êtres humains ou qu’ils peuvent exploiter techniquement et économiquement.
La théorie néoclassique n’est pas une école ou une idée précise, mais plutôt un courant de pensée scientifique au sein des sciences économiques qui naît à partir des années 1870. Il est le courant dominant des écrits économiques entre 1870 et la crise de 1929, puis il revient sur le devant de la scène dans les années 1970.
- Il considère que la valeur d’un bien ou d’un service dépend de son utilité, de sa rareté et il s’attache à comprendre en quoi un marché permet d’aboutir à un prix mutuellement avantageux.
Ce courant explique le comportement individuel d’un agent économique rationnel, l’homo oeconomicus, mais jamais ceux de groupes ou de classes.
Pour expliquer la production, ce courant de pensée a très souvent recours aux modèles mathématiques et notamment la célèbre fonction de production $\text{Y}=f(\text{K},\text{L})$. Produire est fonction de la quantité de travail et de capital fixe et du degré de de substitution (remplacement) d’un facteur par rapport à l’autre.
Dans le courant néoclassique, les ressources naturelles sont donc assimilées à un capital naturel. Elles pourraient être à terme remplacées par des innovations (capital technologique), des connaissances (capital humain), des normes de respect de l’environnement (capital institutionnel). Cette vision de la soutenabilité (soutenabilité faible) est malgré tout un « pari » sur l’avenir et tous les économistes ne partagent pas cette idée. Peut-on à terme remplacer la nature par de l’innovation et de la connaissance ?
Cette vision est en tout cas critiquée par les partisans de la croissance zéro, voire de la décroissance, qui considèrent la nature comme un bien commun irremplaçable que l’on doit préserver en lui conférant une reconnaissance juridique et en modifiant en profondeur nos modes de production et de consommation (soutenabilité forte). On considère alors que tout effort de recherche visant à remplacer la nature par un procédé technologique entraîne de fait une empreinte sur l’environnement. On observe en effet que dans de nombreux domaines, les efforts de substitution du capital naturel en capital technologique ont entraîné un maintien voire une accélération de l’exploitation des biens communs.
Par exemple, l’informatisation puis la numérisation dans nos modes de production n’a pas entraîné la diminution de notre empreinte écologique ni même un arrêt de la déforestation, puisqu’elle suppose le développement d’infrastructures gourmandes en ressources naturelles et l’accès à plus de documents pouvant être imprimés.
- On parle d’effet rebond pour décrire ce phénomène.
Effet rebond :
Il y a effet rebond lorsqu’un gain environnemental lié à l’innovation s’annule par l’augmentation des usages liés à la nouvelle technologie.
Des problèmes de passager clandestin
Des problèmes de passager clandestin
Enfin, nous observons que des stratégies de passager clandestin (free rider) se développent bien souvent en matière d’action climatique. Cette stratégie consiste, pour un pays, à bénéficier des retombées positives des politiques climatiques sans avoir à en assumer le coût.
- Cette stratégie est opportuniste. Elle consiste à faire supporter sur les autres le coût d’une action.
Stratégie de passager clandestin :
Thèse développée par l’économiste Mancur Olson mettant en avant les contradictions entre la rationalité individuelle et la rationalité collective.
Cette stratégie indique qu’un individu tend à ne pas vouloir assumer seul le risque d’une action collective tout en profitant des gains que permettront cette action dans le futur.
En 2001, l’administration Bush décida de retirer les États-Unis du protocole de Kyoto, alors que le pays est responsable de près d’un cinquième des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.
Plus récemment, c’est l’administration Trump de ce même pays qui décida de se retirer des engagements pris durant la COP 21.
- Cette stratégie est rationnelle (logique) sur le plan individuel. Cependant, si tous les pays raisonnent ainsi et adoptent ce type de comportement, alors plus aucune politique climatique ne se produit réellement et aucun gain collectif n’apparaît (dégradation continue du climat).
La collectivité a tout à gagner à mener une action collective, mais les individus, pris isolément, agissent souvent en passagers clandestins (free riders). La recherche de son intérêt personnel (rationalité individuelle) nuit donc ici à l’intérêt collectif (rationalité collective).
Une des façons de lever ce paradoxe est la mise en œuvre d’incitations sélectives.
Il s’agit, pour le dire autrement, d’inciter les acteurs à agir collectivement en développant des systèmes de gratification (économique ou bien symbolique). On récompense alors l’acteur économique qui choisit de renoncer à cette stratégie en mettant en avant les bienfaits de son action.
Nous pouvons prendre l’exemple d’un concept incitatif récent qui connaît actuellement un important essor : le « coup de pouce » (ou nudge en anglais). Le concept de « coup de pouce » part d’une idée assez simple en apparence : tout changement de comportement ne peut se faire par la contrainte. En « levant son pouce » pour signifier à autrui qu’il agit de la bonne manière en collectivité, on permet une diffusion plus rapide des bonnes pratiques. En revanche, en baissant son pouce, on diffuse une image négative du·de la pollueur·se.
Il y a dans ce type d’incitation une dimension psychologique évidente.
Des politiques climatiques contraintes par les inégalités de développement
Des politiques climatiques contraintes par les inégalités de développement
Enfin, à l’échelle de notre planète, les logiques marchandes reposant sur l’exploitation de la nature sont néfastes puisqu’elles appauvrissent de nombreuses populations tout en diminuant les stocks de ressources pour les générations futures.
En d’autres termes, l’exploitation de la nature tend à approfondir les inégalités internationales et intergénérationnelles.
Nous pouvons prendre deux exemples concrets de problématiques environnementales qui se heurtent aux logiques marchandes du système économique.
- Au Brésil, depuis octobre 2018, le président élu grâce au soutien financier du lobby agricole et minier encourage les intérêts marchands de ces secteurs au détriment des terres indigènes bordant la forêt amazonienne.
En août 2019, la figure internationale du combat pour la protection des droits indigènes, le chef Raoni, appela la communauté internationale à réagir afin que cesse la déforestation en Amazonie. D’autres ONG relayèrent ces informations si bien que de nombreuses chaînes de supermarchés dans le monde décidèrent un boycott des produits agricoles brésiliens.
Cette initiative est cependant insuffisante en matière de protection de la forêt amazonienne. En effet, les États sont engagés dans un processus de libéralisation de leurs échanges en fonction de leurs avantages comparatifs. C’est notamment le cas de l’accord commercial, signé le 28 juin 2019 entre l’Union européenne et le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay), qui permet de faciliter l’échange de biens industriels (provenant principalement de l’UE) et de biens agricoles (provenant principalement du Mercosur) entre ces deux espaces économiques. - La demande mondiale de poissons a largement augmenté depuis les années 1970, si bien qu’au large du Sénégal, environ 20 000 pirogues de pêcheurs font aujourd’hui face à plus de 150 navires industriels de pêche afin de faire main basse sur les réserves halieutiques (issues de la pêche). Le site Internet Reporterre indique à ce propos que, dans cette région du monde, 50 % du stock étudié est surexploité (l’un des taux les plus élevés au monde) et, qu’à ce rythme, les capacités de renouvellement de cette ressource sont compromises.
De plus, les instruments des politiques climatiques présentés en première partie (réglementation, taxation, quotas d’émission) peuvent créer des effets pervers lorsqu’ils ne sont pas déployés à l’échelle internationale.
- Une réglementation stricte en matière de normes d’émission ou encore une fiscalité trop lourde peuvent inciter les producteur·trice·s à délocaliser ou à investir directement dans les pays les moins-disants sur le plan environnemental. On parle alors de dumping environnemental.
Dumping environnemental :
Le dumping environnemental (ecological dumping) consiste pour un État à accroître la compétitivité des entreprises présentes sur son territoire en allégeant les dispositions législatives visant à protéger l’environnement.
Cette expression prend pour modèle l’expression dumping social.
Le dumping environnemental est aussi visible en matière de recyclage de nos déchets.
Dans ce domaine, les normes ont évolué dans de nombreux pays du monde, rendant le recyclage obligatoire. Dès lors, une entreprise produisant des composants difficilement recyclables peut être tentée d’exporter ses propres déchets ainsi que ceux de ses consommateur·trice·s vers certaines régions du monde où ces normes de recyclage n’existent que de façon informelle.
C’est malheureusement ce que l’on observe dans le quartier d’Agbogbloshie, dans la capitale ghanéenne, Accra.
Selon un récent rapport de l’ambassade de France au Ghana, plus 170 000 tonnes de déchets électroniques provenant essentiellement d’Europe sont gérées chaque année dans ce quartier dans des conditions inhumaines.
Des travailleurs d’Agbogbloshie récupèrent du cuivre après avoir brûlé les plastiques des câbles, 2010 ©Jcaravanos
Le quartier d’Agbogbloshie au Ghana, où vivent 40 000 personnes, est considéré comme l’un des endroits les plus pollués au monde. Si ces envois de déchets sont bels et biens illégaux dans le droit communautaire de l’UE, les contrôles ne sont actuellement pas suffisants pour permettre d’endiguer ce phénomène.
Conclusion :
Le marché n’est pas en mesure d’apporter seul une réponse à ses défaillances en termes climatiques. Il génère des externalités négatives qui rendent le coût social de la production supérieur à son coût privé. Seule la puissance publique (l’État, les collectivités locales, les organismes internationaux ou régionaux) peut proposer des solutions, à travers trois types d’instruments qui doivent se combiner.
Le premier est la règlementation, avec l’instauration de normes qui interdisent totalement ou partiellement les externalités négatives. Le deuxième est la taxation, avec l’instauration d’une taxe pigouvienne qui repose sur le principe du pollueur-payeur. Le dernier est le système de marché de droits à polluer, avec les quotas d’émission, tel que proposé par Ronald Coase et qui fonctionne déjà dans l’Union européenne.
L’environnement relève du bien commun : sa protection bénéficie à tous. Mais les ressources naturelles communes, par définition accessibles à tous, sont en quantité limitée et ne se renouvèlent pas à un rythme suffisant par rapport à leur exploitation. De plus, les ressources qui permettent la préservation de notre environnement sont inégalement distribuées sur la planète.
Dans un tel contexte, les théories économiques tentent aujourd’hui de redéfinir les contours d’une action globale plus juste. En matière environnementale, le coût de l’inaction dépasse aujourd’hui très largement le coût de l’action. Les politiques environnementales tendent ainsi à incorporer une réflexion toujours plus riche quant à l’évolution de nos modes de production, tout en renouvelant notre vision de la justice sociale dans un cadre mondial.