Les recompositions territoriales en France
Introduction :
Les recompositions territoriales sont les réagencements d’un espace, dans la durée, sous l’effet d’une combinaison de facteurs : on peut penser notamment à l’évolution des systèmes productifs, des changements dans les modes de vie, des décisions politiques pour ne citer que les principaux. Ces recompositions ne sont pas obligatoirement liées à de nouveaux aménagements du territoire (constructions d’infrastructures, aménagements d’espaces verts, etc.). En revanche, elles sont toujours le résultat de l’intervention d’acteurs : des citoyens, des élus ou encore des entreprises.
Comment le territoire français s’est-il recomposé et qui en ont été les acteurs ?
Pour répondre à cette question, nous analyserons les recompositions territoriales liées aux réformes de l’État. Puis, dans un second temps, nous étudierons les recompositions territoriales associées aux mutations économiques récentes.
À la recherche du territoire « idéal »
À la recherche du territoire « idéal »
Les collectivités territoriales désignent les communes, les départements et les régions. Ce sont des territoires découpés administrativement et gérés par des élus. Ces « découpages » sont très anciens et nécessaires pour gouverner car la proximité est considérée comme un gage d’efficacité. Récemment, plusieurs recompositions territoriales ont été menées par l’État.
Le développement de l’intercommunalité
Le développement de l’intercommunalité
Intercommunalité :
L’intercommunalité est le regroupement de communes proches dans le but de coopérer dans plusieurs domaines.
Les intercommunalités les plus répandues en France découlent d’une loi de 1999, dite la « loi Chevènement », proposée par le ministre du même nom. Trois sortes d’intercommunalités sont rendues possibles par cette loi :
- les communautés de communes (1 001 en 2019) peuvent se former sans seuil minimum de population, c’est-à-dire rassembler des petites communes qui se regroupent autour d’un projet commun de développement économique et d’aménagement de l’espace ;
- les communautés d’agglomération (223 en 2019) doivent obligatoirement compter 50 000 habitants minimum autour d’une ville de plus de 15 000 habitants et mener des projets identiques à ceux des communes ;
- les communes urbaines (13 en 2019) nécessitent plus de 500 000 habitants et regroupent des compétences plus larges que celles de la communauté d’agglomération.
Lorsqu’elles se regroupent, les municipalités peuvent s’investir dans des projets plus cohérents qui concernent un territoire de vie plus logique que celui d’une commune. Une route ne s’arrête pas à la limite de la commune voisine !
Territoire de vie :
Un territoire de vie est, selon l’INSEE, « le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants ».
De plus, les budgets des projets sont plus importants puisqu’ils mettent en commun ceux de plusieurs communes. Enfin, à l’échelle européenne, les 36 700 communes françaises représentent 40 % de l’ensemble des communes de l’Union européenne. La France a donc beaucoup plus de communes que les autres pays de l’UE. Les associer et les faire agir au sein de l’intercommunalité permet de diminuer artificiellement leur nombre et ainsi de le rapprocher de ceux des autres pays européens. C’est donc un moyen d’harmoniser notre territoire à ceux des autres pays de l’UE et de rendre les communes associées aussi fortes et visibles que leurs voisines.
La réforme des régions
La réforme des régions
La réforme des régions date de 2015, sous la présidence de François Hollande. Elle fait partie de la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République). La France est alors passée de 22 à 13 régions en métropole auxquelles il convient d’ajouter 5 régions ultramarines (la Guyane, La Réunion, la Martinique, la Guadeloupe et Mayotte). Les territoires régionaux ont donc été agrandis, notamment par la fusion de certaines régions, par exemple la région Midi-Pyrénées avec le Languedoc-Roussillon. Les raisons justifiant cette recomposition territoriale étaient d’abord nationales. Il était avancé que la diminution du nombre des régions rendrait l’action de l’État plus efficace et que les politiques publiques seraient facilitées.
Les fusions n’ont pas toujours été bien acceptées par les Français. L’ancien découpage datait de 1982
Politiques publiques :
Les politiques publiques (comme les politiques de la ville, de la jeunesse, etc.) désignent des programmes d’action mis en place par l’État.
Grâce à la réforme des régions, l’échelon régional se trouve valorisé car les compétences des régions sont renforcées par le texte de la loi. La région est devenue avec la loi NOTRe un acteur du développement économique en accordant des aides directes aux entreprises.
La loi NOTRe précise : « Le conseil régional a compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région, le soutien à l’accès au logement et à l’amélioration de l’habitat, le soutien à la politique de la ville et à la rénovation urbaine et le soutien aux politiques d’éducation et l’aménagement et l’égalité de ses territoires, ainsi que pour assurer la préservation de son identité et la promotion des langues régionales, dans le respect de l’intégrité, de l’autonomie et des attributions des départements et des communes ».
Ainsi, lors de l’épidémie de COVID-19, beaucoup de régions ont lancé des plans d’urgence en direction des entreprises (aides financières) pour éviter les faillites et l’augmentation du nombre de chômeurs.
Les cadres européens et internationaux ont aussi été visés en 2015 lors de la délimitation des régions. À l’échelle internationale, depuis 2015, les régions doivent présenter des SRDEII, c’est-à-dire des Schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation. Dans ces documents, la mise en place des aides financières et logistiques qu’une région peut apporter à une entreprise est détaillée. Ces SRDEII sont discutés et approuvés de façon collective et donnent une direction pour un territoire sur une période donnée, 4 à 5 ans en moyenne. Or, ces schémas, comme leur nom l’indique, ont l’obligation d’inclure un volet international, c’est-à-dire des aides pour le développement des entreprises locales en direction de l’étranger.
Extrait du Schéma Régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation de la région des Pays de la Loire :
« Pour cela, la Région doit s’organiser et se positionner en tant que “porte-avion” des entreprises à l’export, en travaillant en étroite collaboration avec les territoires, tout en assumant le choix de concentrer ses efforts sur quelques cibles géographiques : l’export proche (Europe, Maghreb) notamment pour les primo-exportateurs, l’export plus lointain (Asie, Afrique de l’Ouest, Amérique du Nord) pour les entreprises plus aguerries. »
Chaque région a un SRDEII différent en fonction de ces spécificités industrielles, de sa localisation, du potentiel de ses entreprises, etc.
À l’échelle de l’UE, l’agrandissement de la superficie des régions françaises visait à une harmonisation avec, notamment, les Länder allemands. Or, le résultat est assez hétérogène. La moyenne de la superficie des régions françaises est de plus de 41 000 km2 avec des écarts assez importants selon les régions : par exemple, entre la superficie de la région Corse (8 680 km2) et celle de la Nouvelle Aquitaine (41 841 km2), il y a une différence de 33 161 km2. En comparaison, les Länder allemands ont une superficie moyenne de 22 000 km2 environ. Néanmoins, quelle que soit la superficie, les régions françaises bénéficient, au même titre que les autres régions européennes, des aides financières de l’Union européenne dans des conditions définies en amont par la politique de cohésion (voir le cours L’Union européenne : entre inégalités territoriales et concurrence mondiale).
La politique de cohésion de l’Union européenne est une politique visant à valoriser les atouts des régions et à lutter contre les inégalités.
À travers la réforme de l’intercommunalité et celle des régions, l’État, acteur public, est intervenu par la loi pour organiser les territoires dans un souci d’efficacité, de compétitivité aux échelles nationale, européenne et mondiale. Mais les recompositions territoriales sont aussi liées à des mutations économiques qui font intervenir d’autres types d’acteurs.
Des recompositions territoriales sous l’effet des mutations économiques récentes
Des recompositions territoriales sous l’effet des mutations économiques récentes
Les transformations des modes de vie et des systèmes productifs sont à l’origine de nombreuses recompositions territoriales.
Des mutations liées aux transformations des modes de vie
Des mutations liées aux transformations des modes de vie
À partir des années 1950, l’urbanisation s’est accélérée et de plus en plus de Français vivent dans les villes.
L’évolution de l’urbanisation en France - On constate une augmentation forte et continue entre 1946 et 1975 puis une croissance ralentie.
Parallèlement, l’agriculture, notamment avec l’aide de la PAC (Politique agricole commune), est devenue plus productive, la production augmentant ainsi sur des surfaces cultivées de même superficie. Malgré tout, la mécanisation nécessite de gros investissements et seules les grandes exploitations peuvent se le permettre. De fait, les petites exploitations deviennent moins rentables et disparaissent progressivement. La SAU (Surface agricole utile) diminue ainsi que le nombre d’actifs travaillant dans ce secteur.
Ces deux phénomènes conjoints — croissance urbaine et diminution des surfaces agricoles — ont entraîné deux types de recomposition territoriale.
Premièrement, l’arrivée de nouveaux habitants dans les villes a amplifié la périurbanisation.
Les prix élevés des logements dans les centres villes ont entraîné une installation dans des espaces plus éloignés
Des espaces plutôt ruraux parsemés de villages et petites villes ont été investis par des citadins travaillant dans les centres de villes plus grandes.
Ces citadins ont soit acheté des maisons existantes, soit construit leurs propres logements puisque l’un des atouts de ces espaces est de proposer des prix plus attractifs et de permettre l’accès à la propriété sous la forme de maisons individuelles. Ces espaces ont donc été ré-agencés par ces nouvelles arrivées. Cela entraîne également parfois la construction de nouvelles infrastructures, routes le plus souvent, car la demande de déplacement est forte (travail, école, loisirs). Dans le cadre de cette périurbanisation, on estime que le développement urbain a empiété sur environ 3 millions d’hectares depuis 1960 en France.
Deuxièmement, les terrains agricoles sont aussi convoités pour l’installation d’autres activités comme les loisirs et le tourisme en particulier.
En région parisienne, les aéroports Roissy-Charles de Gaulle et le parc Disneyland ont été installés sur d’anciennes terres agricoles, qui étaient particulièrement fertiles. Avec le réchauffement climatique, la question de la pertinence de ces actions peut se poser. La productivité agricole pourrait diminuer à l’avenir et la perte de l’ensemble de ces terres se ferait alors cruellement ressentir.
Les acteurs de ces recompositions territoriales sont, dans ce cas, des acteurs privés, qu’ils soient citoyens (des citadins, des agriculteurs) ou entreprises (comme Disneyland). Les acteurs publics, comme la région Île-de-France, interviennent plutôt dans l’implantation d’aéroports et dans l’aide aux financements comme l’illustre le cas de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle.
Les recompositions territoriales sous l’effet des mutations des systèmes productifs
Les recompositions territoriales sous l’effet des mutations des systèmes productifs
Plusieurs transformations industrielles ont marqué le XXe siècle en France.
Tout d’abord, plusieurs types d’industries ont décliné. Les industries minières du Nord-Est de la France ont fermé progressivement, d’une part suite à l’utilisation de plus en plus rare du charbon, et d’autre part par la nouvelle concurrence intensive venant des pays d’Asie. Ce contexte a mené à la fermeture de la dernière mine en 2004, en Lorraine. Outre le charbon, d’autres industries ont connu une grave crise en France, notamment le textile et la sidérurgie (industrie transformant le fer, la fonte et l’acier).
L’industrie textile a été délocalisée dans des pays où la main-d’œuvre est moins chère. Quant à la sidérurgie, seules les usines les plus modernes ont pu se maintenir. Ces transformations, en dépit d’une forte hausse du chômage, ont entraîné une reconversion et des recompositions territoriales.
Reconversion :
Une reconversion signifie qu’une industrie s’adapte face à de nouveaux besoins. Cela peut consister à changer d’activité ou à s’implanter dans une nouvelle localisation.
Dans le Nord-Est, la reconversion fut synonyme d’une mutation de l’activité en direction des services. C’est cependant un processus très long, car il suppose non seulement un changement d’activités, mais aussi des personnels formés à de nouveaux métiers. Le tourisme a fortement été développé, rendant la région attractive et transformant ainsi les mines en musées ou en espaces de loisirs. De la même manière, les pentes des terrils servent de pistes de ski artificielles, à des terrains de motocross et autres activités de descente.
Terril :
Les terrils sont des collines artificielles composées par l’accumulation des résidus miniers.
Le Louvre-Lens — inauguré en 2012 — est un exemple de ce réaménagement du territoire puisqu’il a été construit sur le terrain d’une ancienne mine. Les friches industrielles, c’est-à-dire les terrains laissés à l’abandon à la suite de l’arrêt de l’activité, ont été reconverties en logements pour la population. Les paysages ont donc été largement transformés à partir du patrimoine industriel existant et c’est dans ce sens que l’on peut parler de recompositions territoriales, d’autant plus que ce sont autant des acteurs privés que des acteurs publics qui se sont associés dans ces projets. Parmi les acteurs publics, on peut citer l’ensemble des municipalités ainsi que la région Nord-Pas-de-Calais qui était également investie dans le projet Louvre-Lens. Les acteurs privés sont les entreprises qui ont réhabilité les friches industrielles et qui continuent aujourd’hui à innover dans ce sens.
La mondialisation est également à l’origine de profondes transformations économiques. La concurrence est telle qu’une entreprise, un pays, une ville se doivent d’être compétitives pour maintenir des emplois, des conditions de vie acceptables. Dans ce but, les clusters se sont multipliés.
Clusters :
Les clusters, dans le domaine économique, correspondent à des réseaux d’entreprises qui travaillent dans le même domaine, sur un territoire géographiquement délimité.
Ces entreprises échangent, communiquent, travaillent ensemble. Certaines vont fabriquer et fournir des produits, ; d’autres vont proposer des services. Elles forment un écosystème, c’est-à-dire un milieu stable, équilibré, constitué d’entités et d’un système de relations. En France, les pôles de compétitivité correspondent à des clusters. Dans le domaine de l’aéronautique, le cluster le plus important en Europe se trouve à Toulouse. De fait, les villes autour de Toulouse rassemblent de nombreuses entreprises sous-traitantes qui travaillent pour l’entreprise dominante, Airbus. C’est l’ensemble du territoire qui est réaménagé par rapport à cette activité et les zones d’activité liées à l’aéronautique sont installées dans le périurbain tout autour de la banlieue. Elles intègrent des sièges sociaux de FTN et des parcs technologiques. La multiplicité des acteurs publics et privés est à la hauteur des enjeux : une multitude d’entreprises de taille très différentes, l’État français, les collectivités territoriales et l’intercommunalité.
Toulouse, une agglomération industrielle
Conclusion :
Les recompositions territoriales sont des phénomènes constants car les évolutions économiques et sociales sont permanentes. Elles affectent durablement les territoires dans lesquels nous vivons. Lorsqu’elles visent des découpages administratifs, elles résultent de lois. Lorsqu’elles sont le résultat de transformations économiques, ce sont généralement des actions conjointes menées par une multitude d’acteurs privés et publics. Un projet de loi portant sur une nouvelle réorganisation territoriale est à l’étude en 2020 pour simplifier et améliorer l’ensemble des dispositifs.