Les usages sociaux et politiques du patrimoine

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Introduction :

Les enjeux mémoriels et stratégiques des usages du patrimoine s’illustrent de différentes façons : par exemple avec la restitution au Bénin, en 2019, de collections dérobées par la France au début de l’ère coloniale et qui étaient alors conservées au musée du quai Branly, à Paris. Aujourd’hui, le patrimoine est devenu un enjeu géopolitique mais c’est aussi un facteur identitaire permettant une meilleure cohésion interne des sociétés Des œuvres, des monuments ou des fêtes et des traditions communes, ancrés dans le passé, participent de la construction d’une culture nationale. Parfois instrumentalisé, le patrimoine voit également ses usages sociaux se modifier avec la mondialisation et le développement de l’accès à Internet. C’est pourquoi nous pouvons nous poser la question suivante : quels sont les enjeux liés aux usages sociaux et politiques du patrimoine ?

Nous nous intéresserons dans un premier temps aux usages sociaux du patrimoine et à leur évolution, notamment à travers l’exemple des usages du château de l’empire à nos jours, avant de focaliser notre attention sur les conflits liés au patrimoine.

Patrimoine et sociétés

Aujourd’hui, il est possible d’observer de nouveaux usages, plus variés, du patrimoine dans le monde.

Les usages sociaux du patrimoine

Retrouver son identité

S’intéresser aux usages sociaux du patrimoine implique d’analyser l’utilisation régulière et les rapports quotidiens que la société entretient avec le patrimoine. Si ce dernier est protégé, c’est avant tout car il témoigne du passé des sociétés. Cela vaut pour les monuments comme pour les coutumes et les traditions folkloriques. Ainsi, les fêtes locales ou régionales, qui appartiennent au patrimoine immatériel, peuvent faire l’objet d’une attention nouvelle car elles sont utilisées pour retrouver des identités collectives, locales ou nationales, dont la pertinence ou l’importance a pu être perçue comme moindre du fait de la mondialisation. Les exemples de ces fêtes, qui connaissent un succès de plus en plus important, sont légion.

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Exemple

Un des exemples d’évènements folkloriques retrouvés afin de relancer une dynamique identitaire – alors en perte de vitesse – est l’Ommegang de Bruxelles. Ce dernier, du flamand omme « autour » et gang « promenade », « marche », est un cortège folklorique qui fut, à l’origine, créé en l’honneur de l’église Notre-Dame des Victoires du Sablon. Cet évènement se déroulait alors le dimanche précédant la Pentecôte et constituait à tourner autour du symbole sacré qu’est la Vierge du Sablon. Abandonné à la fin du XVIIIe siècle à cause des conflits politiques et religieux, il est repris plus tard et devient en 1930 une reconstitution historique faisant partie du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Évènement incontournable bruxellois, attirant des milliers de personnes, il est aujourd’hui fêté le premier mercredi du mois de juillet et le vendredi qui suit. Au delà de son aspect folklorique et de sa dimension touristique, l’Ommegang bruxellois est la vitrine du patrimoine wallon et belge comme le prouve sa présence dans la liste des chefs-d’œuvre du Patrimoine oral et immatériel de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Alt texte L’Ommegang de Bruxelles, 2017, CC Hispalois, BY-SA

Alt texte L’Ommegang de Bruxelles : la procession de Notre-Dame de Sablon, Denys van Alsloot, 1616, musée du Prado

Le patrimoine matériel est également de plus en plus investi par les populations à travers le monde. En effet, la fréquentation des musées et des monuments patrimoniaux augmente sans cesse. Une enquête du gouvernement français estime toutefois que le nombre de visiteurs européens est en diminution tandis que celui des ressortissants des pays émergents est en augmentation. Ainsi, si le Louvre est pour l’instant le musée le plus visité de la planète, avec dix millions de visiteurs annuels en moyenne, la fréquentation des musées et le nombre de ces derniers augmentent dans les pays émergents.

  • Le musée national de Chine, à Pékin, se classe en seconde position dans le classement des musées les plus visités au monde. La troisième position revient au Metropolitain Museum of Art, à New York.

La patrimonialisation

Depuis le début des années 2000, la mise en avant du patrimoine constitue un phénomène global, s’effectuant parfois via des partages d’expertise avec d’autres pays. Ainsi, la patrimonialisation cherche à créer, à préserver et à diffuser les formes matériel et immatériel du patrimoine : elle permet à un pays de témoigner de son histoire et de l’inscrire, d’affirmer son identité dans une perspective intergénérationnelle. Or, les enjeux du patrimoine ne sont pas uniquement identitaires : le processus de patrimonialisation a un grand rôle économique. Prenons l’exemple des pays du Golfe, dont l’économie est fragilisée du fait de leur très grande dépendance à la rente pétrolière : désireux de diversifier leurs sources de revenus, ils agissent de plus en plus pour faire augmenter voire créer le tourisme culturel sur leur territoire. En 2018, le prince saoudien Mohammed Ben Salman a passé un accord avec la France, à hauteur de 100 milliards de dollars, pour valoriser et rendre accessible aux touristes du monde entier le site archéologique d’Al ‘Ula, habité par les Nabatéens il y a plus d’un millénaire.

  • Ainsi, en plus de transmettre et de partager le patrimoine culturel saoudien au reste du monde, cette réforme socio-économique a été mise en place par le prince pour sortir son pays de la dépendance liée au pétrole.
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Définition

Les Nabatéens :

Les Nabatéens étaient un peuple arabe de l’Antiquité, vivant entre le sud de la Jordanie et le nord de l’Arabie actuelle. Ils pratiquaient le commerce notamment grâce à la domestication des dromadaire et l’agriculture intensive, permise par les oasis de la région.
Leurs origines sont obscures, on retrouve toutefois des vestiges de leurs maisons datant du VIIe siècle av. J.-C. On peut aussi affirmer qu’ils ont habité la très connue cité de Pétra.

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Réflexion

La question de la préservation du patrimoine dans les pays en guerre

Nous avons vu que les pays moyen-orientaux portent un intérêt de plus en plus important à la patrimonialisation, comprenant l’importance humaine, culturelle et économique de leur patrimoine. Malheureusement, aujourd’hui au Moyen-Orient la préservation du patrimoine fait parfois l’objet d’inquiétudes, notamment dans les pays en guerre. Les différents acteurs de la scène internationales s’unissent ainsi pour tenter de protéger ces éléments de la mémoire collective.

« Miroir de notre humanité, gardien de notre mémoire collective et témoin de l’extraordinaire esprit de création de l’humanité, le patrimoine culturel mondial porte en lui notre avenir commun. Aujourd’hui, les conflits armés et [les extrémistes] portent violemment et parfois délibérément atteinte aux cultures des pays et des peuples qu’ils dévastent, cherchant à détruire le patrimoine culturel, bien commun de l’humanité. […] Le patrimoine, dans sa diversité, est une source de richesse collective et incite au dialogue. Il constitue un facteur de rapprochement, de tolérance, de liberté et de respect. Sa destruction représente une menace pour la paix […] À l’occasion de cette conférence, nous, chefs d’État et de gouvernement et leurs représentants, organisations internationales et institutions privées, unissons nos efforts en faveur du patrimoine en appuyant l’action internationale destinée à sauvegarder le patrimoine culturel menacé par les conflits armés ou le terrorisme. »

Déclaration d’Abou Dhabi sur le patrimoine des pays en guerre, 2016

Alt texte Temple de Baalshamin avant sa destruction par l’État islamique le 23 août 2015 (plus précisément son unité Kata'ib Taswiya chargée de la destruction du patrimoine culturel). Le temple a été édifié à Palmyre, une ville antique de Syrie.

La massification de la fréquentation des musées est en partie liée à la création d’événements par des responsables de collections pour susciter l’intérêt, voire l’engouement du public, et attirer ainsi un nombre sans cesse croissant de visiteurs.
En organisant une exposition dédiée aux travaux de Leonard de Vinci, le Louvre a enregistré un record absolu de fréquentation. D’octobre 2019 à février 2020, l'exposition Léonard de Vinci a accueilli 1 071 840 visiteurs qui se sont pressés pour admirer pas moins de 150 œuvres du « maître de la Renaissance ». Pour ce faire, il a fallu rassembler ces dernières via des accords bilatéraux avec les différents acteurs impliqués dans la conservation de ses œuvres (gouvernements étrangers, musées, mécènes publics et privés, etc.).

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Définition

Renaissance :

La Renaissance désigne la période qui s’étend de la fin du XIVe au début du XVIIe siècle. Son nom est synonyme de renouveau car il symbolise la profonde transformation et le grand renouvellement culturel, social, artistique et politique d’Europe occidentale, vécus durant cette période. Apparue dans les cités États de la péninsule Italique, la Renaissance se diffuse ensuite en France, par l’intermédiaire de figures comme Léonard de Vinci (1452-1519), puis au reste de l'Europe.

Patrimoine et usages numériques

Le patrimoine s’ouvre également aux usages numériques. De plus en plus de monuments ou de musées peuvent ainsi être visités virtuellement, via Internet.

La grotte de Lascaux, située sur la commune de Montignac en Dordogne, présente un ensemble impressionnant de peintures datées entre la fin du solutréen et le début du magdalénien (vers 15 000 av. J.-C.). Fermée au public à partir de 1963 pour éviter sa dégradation, la grotte et sa reconstitution en fac similé, Lascaux II, peuvent ainsi se visiter virtuellement, sous des angles que le visiteur ne peut saisir en présentiel. De plus le recours au virtuel permet de reconstituer des monuments – ou parties de monuments – aujourd’hui disparus. Enfin, et c’est sans doute là le point le plus important, la numérisation du patrimoine, notamment de sites et d’œuvres peu connus du public, permet de les faire découvrir à une large audience d’internautes.

  • La numérisation permet donc d’accroître la connaissance que le public a du patrimoine et stimule sa curiosité.

En 2019, la mairie de Plougastel Daoulas a lancé un grand concours en ligne pour traduire une mystérieuse inscription sur un rocher dont la langue de rédaction faisait débat. En deux mois, plus de soixante dossiers sont parvenus à la mairie. Si les trois quarts provenaient de France, la participation fut internationale, puisque des propositions de traduction avaient été proposées des États Unis, de Thaïlande ou encore des Émirats arabes unis. L’inscription, qui aurait été rédigée en breton, a pu être traduite. Il s’agirait d’un hommage à un défunt, disparu au cours d’un naufrage au XVIIIe siècle. Ici, le recours à Internet permet non seulement de toucher un public beaucoup plus large, mais aussi de mettre en lien des acteurs de la conservation patrimoine qui se côtoient peu : fonctionnaires, universitaires internationaux et érudits locaux. Le concours a d’ailleurs été gagné, ex aequo, par un linguiste et un duo de natifs de la région.

La démocratisation d’Internet (en 2019, 57 % de la population mondiale, soit 4,4 milliards d’habitants, utilise Internet) étant plus rapide que le développement du tourisme (on a dénombré 1,5 milliard de touristes dans le monde cette même année) la stratégie de numérisation du patrimoine semble devoir s’accentuer dans les années à venir.

  • Son utilité a été démontrée dernièrement lors du confinement lié à la pandémie de COVID 19 dans le monde en 2020. En effet, durant cette période les visites virtuelles de musées, d’expositions ou de monuments ont nettement augmenté.
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À retenir

À l’heure de la mondialisation, on assiste à une réappropriation par les sociétés de leur patrimoine, notamment du patrimoine culturel.
Cette réappropriation conduit, en conséquence, à une régénération où tout témoigne de l’attachement de ces sociétés aux cultures voire aux identités locales et nationales. On assiste également au développement de nouveaux usages du patrimoine, notamment à travers la hausse de la fréquentation des musées dans le monde entier et la numérisation de sites patrimoniaux et d’œuvres qui contribuent à rendre le patrimoine davantage accessible.

Réaménager la mémoire : les usages de Versailles de l’Empire à nos jours

Le patrimoine relève de la mémoire collective dans le sens où il est un élément des représentations qu’un groupe partage de son passé.

  • En entretenant la mémoire d’un groupe, le patrimoine acquiert donc la valeur de marqueur d’identité.

Alt texte Le Parthénon à Athènes, 1978, CC Steve Swayne, BY-SA

Alt texte Le Kremlin et la place Rouge à Moscou, vue de la cathédrale Saint-Basile, 2008, CC Christophe Meneboeuf, BY-SA

Alt texte Façade du château de Versailles, vue des jardins, 2007, CC Jean-Christophe Benoist, BY-SA.

La ville d’Athènes est, par exemple, associée au Parthénon : c’est à dire à son héritage grec antique. Tandis que la place Rouge et le Kremlin, à Moscou, font resurgir la mémoire du communisme mais également le souvenir de la Russie tsariste. En France, le château de Versailles, chef d’œuvre du patrimoine français, a connu de nombreux usages et fut étroitement associé à la mémoire collective des Français.

L’exemple du château de Versailles

IMG04 : Les différents usages de Versailles à travers le temps.

À l’origine, Louis XIV (1643 - 1715) a conçu Versailles comme la vitrine de la puissance et de la modernité de la France aux yeux du monde. Si la mémoire de la monarchie absolue demeure attachée à Versailles, celle de la Révolution ne l’est pas moins. C’est en effet là, en juin 1789, que les députés des états généraux ont prêté le Serment du Jeu de paume ou ont voté l’abolition des privilèges dans la nuit du 4 août 1789. Avec le premier Empire (1804 - 1815), Versailles est relégué au second plan : en effet, Napoléon s’installe à Paris, au Palais des Tuileries. Napoléon III, son neveu, s’installe lui à l’Élysée.

  • Versailles conserve cependant une partie de la mémoire du second Empire (1852 - 1870).
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Astuce

Du 20 au 25 aout 1855, Napoléon III organisa à Versailles la visite d’État de la reine Victoria (1837 - 1901).

Cependant, dans la mémoire collective, le château de Versailles est surtout associé à la proclamation de l’empire allemand. À la suite de la défaite des armées françaises à Sedan face aux armées prussiennes le 2 septembre 1870, le roi de Prusse, Guillaume Ier, se fait proclamer, quatre mois plus tard, empereur d’Allemagne à Versailles, dans la galerie des glaces.

  • La proclamation de l’empire allemand en 1871 est assimilée à un affront dans la mémoire collective française contemporaine.

À partir de 1875, les institutions de la IIIe République s’installent au château. Une salle est d’ailleurs construite au centre de l’aile du Midi pour accueillir la Chambre des députés. Cette installation temporaire de la République à Versailles révèle la volonté d’associer le nouveau régime politique à un lieu de mémoire non seulement de la Révolution, mais aussi de l’histoire de la France. L’identification de la nation au château est ainsi accentuée lors des conflits avec l’Allemagne.

À partir de 1958, la Ve République va conserver l’usage de Versailles pour la tenue du Congrès, mais également pour les visites de chefs d’États étrangers que l’on cherche à honorer. Ce fut notamment le cas de la rencontre entre Emmanuel Macron et le président russe Vladimir Poutine en mai ;2019. Cette rencontre permit aux deux dirigeants de renouer des liens alors que les relations entre les deux pays étaient particulièrement tendues.

En 1982, le château a également été choisi par le président François Mitterrand (1981 - 1995) pour accueillir le sommet du G7. Ce choix n’est pas anodin, lorsque l’on considère que ce sommet est l’un des événements politiques les plus médiatisés de la planète. De la royauté à la République, Versailles est devenu, dans l’imaginaire collectif, le symbole et la vitrine de la puissance et du savoir faire de la France. Cet imaginaire est accentué par les nombreuses fictions et les documentaires qui ont pour cadre Versailles chaque année. Entre 100 et 400 autorisations de tournage sont délivrées chaque année sur le site du château ainsi que dans les jardins. Parmi les films célèbres tournés à Versailles, on peut notamment citer Marie Antoinette (2006) de Sofia Coppola.

  • Le château est le troisième site le plus visité de France avec près de 8 millions de visiteurs annuels.
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À retenir

À travers l’histoire, Versailles a connu des usages variés. Ces usages sont à priori dissonants : celui du château royal, siège de la monarchie absolue, s’opposant dans l’imaginaire collectif à celui, plus récent, du palais de la République.
Cependant, au cours des nombreux réaménagement historiques, ces deux usages fusionnent dans la mémoire collective des Français. Dans cette dernière, Versailles est le symbole de la construction de l’État nation en France et est la vitrine de son histoire et de sa puissance.

Les conflits de patrimoine

Les usages politiques du patrimoine sont très divers et génèrent parfois des conflits à différentes échelles.

Les usages politiques du patrimoine

À l’échelle internationale ou nationale, le patrimoine peut être instrumentalisé à des fins politiques. En mer de Chine Méridionale, la République populaire de Chine assoit ses revendications territoriales via des explorations à visée archéologique. La découverte de vestiges ou d’épaves sur un îlot, prouvant l’ancienneté de la présence chinoise, même ponctuelle, fournit ainsi un prétexte à la Chine pour déployer ses navires de guerre – et autres manifestations de souveraineté – dans les eaux qu'elle revendique.

Un autre exemple emblématique de l’affirmation de revendications territoriales, voire de recherche de légitimité d’État à travers le patrimoine, est celui du conflit israélo palestinien. Dans les territoires revendiqués tant par Israël que par la Palestine (Jérusalem par exemple), la légitimation des revendications territoriales passe par la revendication de l’ancienneté du patrimoine juif ou arabo musulman qui s’y trouve.
Le tombeau de Rachel, dans la ville de Bethléem, constitue un parfait exemple de l’instrumentalisation du patrimoine dans cette région. Considéré comme le troisième lieu saint du judaïsme, ce tombeau est un lieu de pèlerinage pour les juifs. Cependant, sa localisation, en Cisjordanie administrée par l’autorité palestinienne, en fit un enjeu majeur au cœur des revendications territoriales des deux entités. Les Palestiniens ont ainsi revendiqué devant l’UNESCO le tombeau comme appartenant au patrimoine arabo musulman en tant que mosquée Bilal bin Rabah. En 2015, l’UNESCO donne partiellement raison aux Palestiniens : dans une résolution, l’institution internationale déclare que la « tombe de Rachel / Mosquée Bilal bin Rabah [était] une partie intégrante de la Palestine ». Or, les dirigeants politiques de la Palestine et d’Israël instrumentalisent aussi le patrimoine à des fins de politique interne. En septembre 2000, Ariel Sharon, alors leader de l’opposition en Israël, décide de se rendre sur le Mont du Temple, lieu saint du judaïsme, mais aussi de l’islam – puisque l’esplanade des mosquées, lieu saint de l’islam, en occupe la majeure partie. Cette visite, alors vécue pour les Palestiniens comme une provocation, déclenche la seconde Intifada. Elle fut l’occasion, pour l’opposition dont Sharon était la figure de proue, de réaffirmer la souveraineté de l’État d’Israël sur les lieux saints et, plus particulièrement, sur l’ensemble de Jérusalem. Cela, pile au moment où le gouvernement israélien envisageait la scission de Jérusalem en deux capitales, une israélienne et une palestinienne.

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Définition

Seconde Intifada :

Le terme seconde Intifada désigne le soulèvement des Palestiniens et d’une partie des arabes Israéliens contre l’État d’Israël à partir de 2000. Elle s’acheva en 2005 avec la décision unilatérale israélienne d’un retrait des implantations et colonies israéliennes de la bande de Gaza.

À l’échelle locale, on observe également des conflits liés au patrimoine. Le tourisme de masse menace en effet certains sites patrimoniaux et perturbe la vie des habitants. Ces derniers combattent alors la patrimonialisation de leur ville.

C’est un combat mené notamment par les Vénitiens. Chaque année, Venise accueille 30 millions de touristes, ce qui équivaut chaque jour à 4 touristes pour 1 habitant. Plus inquiétant, la ville, fondée au cœur d’une lagune, est bâtie sur pilotis. Malheureusement, ces touristes sont majoritairement acheminés par des paquebots géants de plus de 100 000 tonnes dont les remous menacent la pérennité des fondations des monuments.
En 2016, l’UNESCO donne six mois à la ville et à l’État italien pour prendre des mesures afin de protéger ce patrimoine, faute de quoi Venise serait inscrite sur la liste du Patrimoine mondial en péril. Or, le problème est particulièrement complexe, puisque le tourisme fait vivre plus de la moitié des 55 000 résidents de la ville. Finalement, en 2018, l’État italien et la ville ont mis en place un plan de développement de la lagune de Venise dont la mesure principale consiste à inciter les paquebots de croisière à venir s’amarrer à un terminal spécialement dédié en périphérie. Cela a permis de limiter leurs impacts négatifs sur les monuments sans pour autant perdre la manne économique que représente le tourisme pour Venise.

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Définition

Liste du Patrimoine mondial en péril :

En 1972 l’UNESCO crée une liste sur laquelle se trouvent tous les sites du patrimoine mondial, est demandé dans le même temps d’inscrire ceux sur lesquels des opérations importantes sont à prévoir. Cette liste est alors appelée Liste du Patrimoine mondial en péril et tend à inciter États, gouvernements et populations à prendre des mesures correctives.
On y retrouve par exemple la vieille ville de Jérusalem, les monuments médiévaux du Kosovo, le port de Liverpool, etc.

Enfin, d’autres habitants de sites patrimoniaux s’inscrivent dans une démarche radicalement opposée en s’élevant contre toute transformation de leur ville ou de leur quartier, et en essayant de préserver intact l’aspect historique. Ces habitants combattent notamment les grands projets urbains – souvent associés à des phénomènes de spéculation immobilière visant à développer le tourisme de masse – ou les activités résidentielles. Un bon exemple de ces résistances à la destruction et à la dénaturation du patrimoine se trouve à Mdina, ancienne capitale de l’île de Malte. Décor de nombreux films et séries télévisées, dont Game of Thrones, la ville médiévale attire l’attention, depuis le début des années 2000, de promoteurs immobiliers qui voudraient détruire des hôtels particuliers pour construire de grands complexes hôteliers dont les codes architecturaux transformeraient l’identité esthétique de la ville.

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À retenir

Les usages politiques du patrimoine entraînent souvent son instrumentalisation. En tant que trace du passé, le patrimoine matériel est en effet souvent associé à des revendications politiques et est instrumentalisé dans des conflits politiques.
Les usages liés au patrimoine, en particulier le tourisme de masse, sont également sources de conflits politiques, comme à Venise, où s’opposent intérêts économiques et volonté des habitants de préserver leur cadre de vie historique.

Le patrimoine, facteur de conflits entre États : l’exemple de la frise du Parthénon depuis le XIXe siècle

La frise du Parthénon ou frise des Panathénées est une frise en marbre de 160 mètres de long sur un mètre de large représentant la procession lors des grandes Panathénéesn (elle représente 360 personnages et 220 animaux). À l’origine, la frise sculptée entre 442 et 438 av. J.-C. entourait la partie intérieure du Parthénon, temple dédié à la déesse Athéna construit sur l’Acropole à Athènes. Or, elle n’y demeura que jusqu’au début du XIXe siècle.

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Définition

Panathénées :

Les Panathénées étaient des festivités organisées chaque année par les Athéniens en l’honneur de la déesse protectrice de la cité : Athéna. Tous les quatre ans avaient lieu des célébrations spéciales, les grandes Panathénées, au cours desquelles était organisée une grande procession à travers la ville et son territoire.
Cette procession aboutissait au Parthénon.

En 1801, l’ambassadeur britannique à Constantinople, Thomas Bruce, septième comte d’Elgin, obtient une autorisation écrite du sultan ottoman l’autorisant à prélever sur les monuments d’Athènes toute sculpture qu’il désirait. Sur ordre d’Elgin, 60 % de la frise du Parthénon – ainsi que d’autres vestiges de l’antique Athènes – fut arrachée au Parthénon et transportée en Angleterre, où le gouvernement britannique les racheta en 1816 pour les faire exposer au British Museum à Londres. Les motivations d’Elgin n’étaient pas uniquement vénales : elles s’inscrivent dans un contexte de philhellénisme appuyé en Europe.

La Grèce appartenait à l’empire ottoman depuis la chute de Constantinople en 1453. Cependant, la contestation de l’occupation ottomane ne cessa de prendre de l’ampleur en Grèce. La cause grecque fit l’objet d’un vaste mouvement de soutien en Occident qui prit la forme d’une admiration pour l’art et la culture grecques antiques : le philhellénisme. Ce mouvement atteignit son paroxysme de 1821 à 1829, lors de la guerre d’indépendance grecque. À partir de 1832, Otton Ier devenu roi suite à l’indépendance du pays, mena une politique active pour rendre à la Grèce sa gloire antique. C’est dans ce contexte qu’il essaya, vainement, de racheter au British Museum les marbres de la frise des Panathénées entre 1834 et 1842.

En 1992, l’État grec demanda officiellement au Royaume Uni le retour de la frise du Parthénon. En 2009, la ville d’Athènes a inauguré le nouveau musée de l’Acropole, qui expose une réplique de la frise dans l’attente du retour espéré des fragments détenus au Royaume Uni.
En outre, en 2012, un appel international « pour le retour des marbres à l’occasion des Jeux Olympiques de 2012 » organisés à Londres a été lancé par l’association pour le regroupement des sculptures du Parthénon, qui possède des représentants dans 17 États à travers le monde. Ces demandes de restitution des marbres du Parthénon s’appuient sur leur statut de patrimoine d’intérêt culturel majeur.
En 2008, le Vatican et l’Italie avaient restitué deux petits fragments de la frise à la Grèce. Cependant, la notion de patrimoine d’intérêt culturel majeur demeure très subjective et les autorités grecques ont essuyé un refus catégorique à leurs demandes de restitution de la part du British Museum. Les responsables du musée, soutenus par le gouvernement britannique, estiment en effet que la muséographie déployée par leurs services autour de l’exposition des fragments de la frise, détenus par le musée, sont assimilables à une installation artistique, ce qui justifie leur refus de restitution.
En 2020, une campagne internationale pour le retour de la frise en Grèce a été lancée sur Internet sous le mot d’ordre « bring them back » (« rapportez les »). L’objectif de la campagne est de réunir 1 million de signatures afin de présenter une initiative citoyenne devant la Commission Européenne et de l’amener à résoudre le différend.

IMG02 : Chronologie du conflit entre la Grèce et le Royaume Uni autour de la question de la restitution de la frise des Panathénées.

De nombreux États, notamment des États issus de la décolonisation, réclament le retour d’objets aujourd’hui exposés dans des musées, majoritairement européens. Ces revendications portent en particulier sur des objets déplacés de force au cours de l’histoire, notamment à l’époque coloniale. Il faut cependant remonter à l’Antiquité pour retrouver les racines de la question de la translocation patrimoniale.

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Définition

Translocation patrimoniale :

Phénomène d’appropriation d’éléments de patrimoine et d’œuvre d’art aux dépends d’un plus faible.

De 73 à 71 av. J.-C., Caius Licinius Verres, homme politique et préteur romain de Sicile, s’appropria (en toute illégalité) toutes les œuvres d’art siciliennes qu’il était en charge d’administrer et les fit transférer à Rome. En réaction, les Siciliens lui intentèrent un procès, faisant de Cicéron leur avocat. Acculé, Verres s’enfuit de Rome pour se réfugier à Marseille. Les détails de l’affaire, qui nous sont parvenus dans les discours que Cicéron avait prévu de prononcer au procès et qu’il fit publier par la suite sous le titre de Verrines, constituent le premier exemple bien documenté de translocation patrimoniale. Enlevées d’après Cicéron au nom du « droit de la guerre », les œuvres d’art siciliennes avaient été rapportées à Rome.

  • Cela démontre qu’à travers le processus de translocation patrimoniale, le conquérant exprime sa puissance et donne à voir l’étendue de son pouvoir en dépossédant ses adversaires des symboles de leur identité culturelle.

Ainsi, pour les États africains issus de la décolonisation, les conflits diplomatiques liés à des restitutions patrimoniales avec d’anciennes puissances coloniales ont une forte dimension symbolique. Il s’agit pour ces États de renforcer leur identité postcoloniale en récupérant leur patrimoine culturel.

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Exemple

En 2019, par exemple, le premier ministre Édouard Philippe a remis aux autorités sénégalaises l’épée ayant appartenu au fondateur de l’Empire toucouleur au XIXe siècle (1848 1893). Hautement symbolique, puisque El Hadj Oumar Tall s’était opposé, par les armes, à la colonisation française, la remise de l’épée ne constitue cependant qu’une première étape à sa restitution.
Dans un premier temps, l’arme fera l’objet d’un dépôt pour cinq ans au musée des Civilisations noires de la capitale sénégalaise avant une potentielle restitution.

  • Cette remise constitue par conséquent un bon exemple des débats passionnés sur la translocation patrimoniale.

La sortie du film Black Panther, en 2018, a contribué à faire connaître la question, jusque-là débattue dans des cercles activistes restreints, au grand public.

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À retenir

Le déplacement forcé d’œuvres patrimoniales au cours de l’histoire est l’objet de tensions diplomatiques entre États depuis le XIXe siècle. Ces tensions se sont accrues avec la décolonisation.
La complexité de certains cas est telle qu’une notion spécifique, la translocation patrimoniale, a été inventée. Elle désigne les problèmes issus des cas de déplacements forcés d’œuvres patrimoniales et ceux générés par leur éventuelle restitution.

Conclusion :

Le patrimoine, matériel comme immatériel, joue un rôle central dans la construction des identités politiques et sociales. L’apparition de nouveaux usages du patrimoine, notamment à travers la numérisation, contribue également à rendre le patrimoine plus accessible.
Cependant, le patrimoine est également source de tensions. À l’intérieur d’un État, ces tensions peuvent être liées à l’instrumentalisation du patrimoine pour étayer des revendications territoriales ou politiques, comme c’est par exemple le cas au Moyen Orient entre Israéliens et Palestiniens.
Les cas de translocation patrimoniale impliquent également des tensions géopolitiques entre États. Un exemple représentatif de ce phénomène est sans doute celui de la frise des Panathénées : transférée légalement par un dignitaire britannique au XIXe siècle et aujourd’hui exposée en partie au British Museum à Londres, en dépit des nombreuses demandes de restitution formulées par les gouvernements et la population grecque depuis les années 1840.
Cette dimension conflictuelle liée au patrimoine révèle donc des enjeux de mémoires, parfois problématiques, comme dans le cas des œuvres déplacées sous la contrainte au cours des guerres ou de la période coloniale.