Les valeurs de la République
Introduction :
Même si, pour parler de notre pays, on emploie plus couramment « la France », sa dénomination officielle est « la République française ». De par son appellation même, la nation française est indissociable de son régime politique : la république. Cette république s’est construite dans la durée, autour d’idéaux et de valeurs communs à tous ses habitants.
Dans ce cours, nous étudierons dans un premier temps la construction des valeurs républicaines telles que nous les connaissons aujourd’hui, avant de nous intéresser à l’affaire Dreyfus, qui a mis a mal ces mêmes valeurs.
La construction des valeurs républicaines
La construction des valeurs républicaines
Les principales valeurs républicaines
Les principales valeurs républicaines
La République française est indissociable de la Révolution de 1789. Cette révolution a vu se dresser la bourgeoisie et le peuple contre l’Ancien régime, caractérisé par une monarchie absolue et le système des privilèges, qui donnait le pouvoir à la noblesse.
Les idéaux de 1789 se sont incarnés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et dans les valeurs républicaines. Ces idéaux sont, dans la démocratie :
- le suffrage universel,
- l’État de droit,
- l’intérêt général,
- la souveraineté nationale,
- et l’idée que chacun a sa place dans la République, quel que soit son mérite ou sa naissance : l’éducation.
Ce sont les principales valeurs républicaines qui s’incarnent dans la devise nationale « liberté, égalité, fraternité », officiellement adoptée en 1848.
Sur le plan du système politique, il y a séparation des pouvoirs :
- le Parlement élabore les lois et contrôle le gouvernement, c’est le pouvoir législatif ;
- le gouvernement mène la politique de la nation, c’est le pouvoir exécutif ;
- la justice indépendante veille à l’État de droit, c’est le pouvoir judiciaire.
Dans une république, nul ne peut exercer un pouvoir politique s’il n’est élu directement ou indirectement par le peuple. Le gouvernement est responsable de ses actes et de sa politique devant le Parlement élu au suffrage universel. C’est ce que l’on appelle un régime parlementaire.
La République française a aussi ses symboles :
- le drapeau tricolore, issu de la révolution de 1789 et souvent associé aux lettres « RF », pour « République française » ;
- l’hymne national français, la Marseillaise, composé en 1792 à la faveur de la guerre révolutionnaire contre l’Autriche et adopté comme hymne national en 1795 ;
- et la devise républicaine, « liberté, égalité, fraternité », inscrite sur tous les frontons des mairies de France, où se trouvent également le buste de Marianne, allégorie de la République.
Autre symbole né de la Révolution, le Parlement a quitté Versailles, où se trouvait le pouvoir royal, pour s’installer à Paris au palais Bourbon. C’est encore là que siègent les députés aujourd’hui.
La fondation de la IIIe République
La fondation de la IIIe République
La Ire et la IIe République n’ont pas duré assez longtemps pour imprégner en profondeur la société française. Entre 1789 et 1871, la France n’aura finalement connu qu’un peu plus d’une dizaine d’années de régime républicain :
- la Ire République est proclamée juste après la Révolution et dure jusqu’à l’avènement de Napoléon et de l’Empire, à l’aube du XIXe siècle.
- la république est restaurée pour quatre ans entre 1848 et 1852 ; cette Deuxième République fait suite à 30 ans de monarchie constitutionnelle (c’est-à-dire qu’une constitution limitait les pouvoirs du monarque) et précède l’instauration du Second Empire de Napoléon III, qui a duré un peu moins de 20 ans.
Ainsi, pendant presque un siècle après la Révolution française, la France connaît une succession de régimes politiques différents, allant de la monarchie à la république en passant par l’Empire. Cependant, aucun système ne s’est installé très durablement et l’instabilité règne jusqu’à la chute du Second Empire, le 4 septembre 1870, qui a vu la défaite contre la Prusse à Sedan et la capture de l’empereur Napoléon III.
- Les débuts de la IIIe République sont difficiles. La capitulation face aux Prussiens et la fin du Second Empire ravivent les oppositions entre factions au sein de la population française.
La lutte pour la succession du pouvoir a été rude entre républicains modérés d’une part, et républicains radicaux et royalistes d’autre part. Ces derniers étaient favorables au retour de la monarchie et ne voulaient pas entendre parler de république en France. Les combats acharnés que se sont livrés républicains et antirépublicains se déplacèrent aux urnes lors des élections de 1871, gagnées par les royalistes grâce au soutien des habitants des campagnes, plus conservateurs que leur concitoyens des villes.
En réponse au retour des royalistes au pouvoir, les partisans d’extrême gauche mènent une insurrection à Paris en mars 1871, qui se traduit par l’instauration d’une Commune autonome, la Commune de Paris. On les appelle les « Communards ». Hostiles au retour de la monarchie, ils protestent également contre la misère installée dans la capitale depuis le siège de la ville par l’armée prussienne. Ils mettent en place un système d’autogestion, inspiré notamment des idées de Karl Marx. Le drapeau rouge est adopté, c’est la première expérimentation d’un régime aux idéaux communistes.
- L’expérimentation est cependant de courte durée et le pouvoir en place écrase l’insurrection par les armes en mai 1871.
Le pouvoir cependant vacille, et les républicains finissent par obtenir une majorité au sein du Parlement. En 1875, les législateurs établissent enfin un compromis et adoptent trois lois constitutionnelles qui fondent véritablement la IIIe République.
Il a fallu presque un siècle après la Révolution française pour que le système républicain s’installe définitivement en France.
Une fois les républicains au pouvoir, ils font voter une série de lois qui encadrent la société française dont les plus symboliques sont :
- la loi sur la liberté de la presse et sur la liberté de réunion en 1881,
- les lois Ferry sur l’école gratuite, obligatoire et laïque votées de 1881 à 1886,
- la loi sur les libertés syndicales en 1884.
Les réformes sociales se poursuivent au début du XXe siècle, avec la loi sur la liberté d’association en 1901 et l’instauration de la laïcité par la séparation des Églises et de l’État en 1905.
La culture républicaine, c’est donc aussi la liberté de débat, notamment politique. Elle est garantie par une presse libre, ainsi que par la liberté de réunion et d’association, qui permettent la naissance d’une véritable opinion publique. Les citoyens s’emparent du débat politique et civique, informés par la presse qui reprend les actualités gouvernementales et les faits de société.
- Au-delà des symboles, il y a donc bien une culture républicaine qui se développe dans la société française.
L’école
L’école
La culture républicaine s’acquiert à l’école, où les instituteurs, les « hussards noirs de la République », appliquent les programmes qui doivent forger les futurs citoyens. La morale civique, les sciences, l’esprit de rationalité et la laïcité sont les bases de l’enseignement républicain. L’histoire et la géographie ne sont pas qu’un moyen de connaissance, ils sont là aussi pour entretenir le patriotisme français, au travers de manuels comme le roman de G. Bruno Le Tour de France par deux enfants. Cette république patriote enseigne aux enfants à la défendre à tout prix et développe notamment un sentiment antiprussien tenace.
Les instituteurs sont formés dans des Écoles normales, nouvellement créées dans chaque département grâce à un budget de l’enseignement qui augmente d’année en année. Un million d’élèves sont scolarisés dans l’enseignement élémentaire entre 1880 et 1900. Dans chaque commune de France, un bâtiment mairie-école est érigé et détrône l’église dans le paysage urbain ou villageois. Le nom de Jules Ferry, le ministre de l’Instruction à l’origine de cette nouvelle politique éducative, est définitivement lié à l’école républicaine.
La lutte est acharnée entre deux figures de la société :
- d’un côté l’instituteur et son école laïque, rationnelle, scientifique ;
- et de l’autre le prêtre et l’école privée catholique basée sur les croyances et la tradition ;
Le clergé avait, jusqu’à cette période, un quasi-monopole dans l’enseignement des masses populaires. Deux mondes, deux clans, deux populations, deux systèmes de valeurs et d’enseignement aux antipodes s’opposent donc. Cette lutte a continué jusqu’à la fin du XXe siècle même si les différences se sont atténuées.
La République naissante a néanmoins été le théâtre de plusieurs scandales qui sont venus remettre en cause ses valeurs. Sur ce point, l’affaire Dreyfus est un exemple parlant.
L’affaire Dreyfus
L’affaire Dreyfus
La condamnation
La condamnation
L’affaire Dreyfus est d’abord une affaire d’espionnage et d’antisémitisme.
L’armée découvre en 1894 qu’un espion dans ses rangs donne des renseignements à l’ennemi juré de l’époque : l’Allemagne. Le capitaine Dreyfus, de confession juive, est condamné sur la base de preuves « secrètes ». Il est dégradé publiquement et envoyé, à vie, au bagne de Cayenne. C’est la stupeur. À part la famille et les proches, l’opinion publique est majoritairement antidreyfusarde en 1894, voyant en lui un traître à la République.
L’antisémitisme est très présent en France à cette époque. Les antisémites d’extrême droite se déchaînent, et profitent de l’affaire pour réaffirmer leur « haine du Juif », lequel est présenté comme l’ « ennemi intérieur » de la République.
Dreyfusards contre antidreyfusards
Dreyfusards contre antidreyfusards
En 1898, après quatre années d’enquête minutieuse, l’avocat du capitaine Dreyfus, mais aussi des intellectuels et des politiques, s’investissent dans cette affaire, qui est plus complexe qu’elle n’y paraît. La question est sur toutes les lèvres :
- Dreyfus est-il vraiment coupable ?
Georges Clemenceau, Émile Zola et Jean Jaurès, entre autres, défendent Dreyfus au nom des droits de l’Homme et contre le mensonge d’État. Ils demandent la révision de son procès. En effet, il y a bien un espion au sein de l’armée, mais ce n’est pas Dreyfus. C’est uniquement par antisémitisme que celui-ci a été accusé, et les preuves contre lui fabriquées.
Puissant symbole de la lutte pour l’innocence de Dreyfus, Zola publie dans le journal L’Aurore de G. Clemenceau, sa célèbre lettre ouverte au président Félix Faure, intitulée « J’accuse ».
En face, du côté des antidreyfusards, on retrouve Drumont, Maurras, Barrès, Daudet, et de manière générale l’extrême droite et bon nombre de conservateurs. Les journaux s’enflamment et la France est coupée en deux.
Après deux procès, Dreyfus est innocenté et le véritable coupable identifié comme étant le colonel Esterhazy. La République a été obligée de rendre une justice indépendante de l’armée, de respecter les droits individuels d’un citoyen face à un mensonge couvert par l’État. De cette affaire est née la Ligue des droits de l’homme, mais c’est aussi le début de l’engagement des intellectuels dans la bataille politique et civique.
- Cependant, la réhabilitation de Dreyfus ne fait pas l’unanimité et la Ligue des patriotes français, une organisation nationaliste et xénophobe, va renaître dans le camps des antidreyfusard.
Suite à cette affaire, ce sont les problèmes sociaux qui mettent à mal les valeurs républicaines. La nation va connaître beaucoup de grèves et d’affrontements qui opposeront les ouvriers aux gouvernements successifs. Les socialistes de l’époque, et notamment Jean Jaurès, réclament une république sociale. Pour les socialistes en effet, le suffrage universel ne saurait suffire sans une justice sociale, sans une meilleure répartition des richesses. Pour eux, la République ne remplit pas son rôle.
C’est finalement l’entrée en guerre de 1914 qui va souder une partie des Français autour des valeurs républicaines et surtout nationales.
Conclusion :
En France, la longue histoire de la République est parsemée d’avancées et de reculs : née des idées des philosophes des Lumières dès le XVIIIe siècle, la république a mis du temps à s’imposer.
La Révolution française n’a pas donné lieu à une monarchie parlementaire comme au Royaume-Uni. Suite à sa tentative ratée de fuite vers l’étranger, l’arrestation de Louis XVI ouvre la porte à la proclamation de la Ire République en France. C’est le coup d’État de Bonaparte qui y met fin en 1799, tout comme le coup d’État de son neveu Louis-Napoléon Bonaparte mettra fin à la IIe République en 1851. C’est aussi dans des circonstances troubles et tragiques que la IIIe République se termine en juin 1940, pour laisser place, jusqu’à la fin de la guerre, à « l’État français » du maréchal Pétain, le dernier système antirépublicain que la France ait connu.
Il a fallu une longue progression pour que les républiques successives qu’elle a connue apportent finalement en France l’essentiel des lois sur les libertés, l’éducation, la laïcité, et une conception de son actuel mode de gouvernement : la démocratie. La res publica (en latin la « chose publique ») implique en effet le principe de démocratie avec un gouvernement de tous, par tous et pour tous.