Mers et océans en devenir
Introduction :
Le développement des échanges maritimes induits par la mondialisation a accru l’importance géostratégique des mers et océans. L’exploitation de ressources traditionnelles et nouvelles ont maintenu, voire relancé, l’intérêt pour les espaces maritimes.
Mais les défis à relever pour exploiter les mers et océans tout en les préservant sont nombreux. De nouvelles espèces restent à découvrir. La cartographie des fonds sous-marins n’est pas achevée. La lutte contre la pollution et les menaces qui pèsent sur la faune et la flore est indispensable. Quant à l’attribution des espaces maritimes à certains États selon un découpage récent, il laisse en suspens la question de la haute mer.
Dans ce contexte, il est intéressant de s’interroger sur la façon dont les hommes orientent actuellement l’avenir des mers et des océans.
Tout d’abord, nous verrons que les mers et les océans sont de plus en plus « nationalisés », dans le sens où ils appartiennent à des États. Dans la deuxième partie de ce cours, nous nous pencherons sur les questions environnementales, qui conduisent aussi à de nombreuses mesures de valorisation et de préservation.
Une partie des mers et océans appartient désormais aux États
Une partie des mers et océans appartient désormais aux États
Délimiter les mers et océans peut sembler paradoxal tant il est impossible de tracer des limites matérielles, au même titre que les frontières terrestres, dans un milieu liquide. Pourtant, depuis 1982, 36 % des mers et océans sont passés sous le contrôle des États.
De nouvelles frontières ?
De nouvelles frontières ?
La question des frontières maritimes est ancienne. Quelques auteurs tentent des découpages dès les XVIe et XVIIe siècles. Leurs écrits favorisent en général leur pays d’origine. Ainsi le juriste et parlementaire anglais John Selden (1584-1654) trace les limites d’une « mer anglaise » qui englobe une grande partie de la mer du Nord, la Manche, la mer d’Iroise et une portion du golfe de Gascogne. Pour le reste des mers et océans, John Selden est plutôt favorable à une liberté totale de navigation sans contrôle des États. Le portugais Serafim de Freitas (1570-1633) pense de même. Selon lui, le roi du Portugal peut revendiquer le contrôle de l’océan Indien au vu des comptoirs portugais nombreux dans cette partie du monde.
Les comptoirs sont des espaces littoraux de petites dimensions occupés par des puissances européennes en vue de favoriser le commerce.
Ces volontés d’appropriation très subjectives sont restées sans effet. Au XVIIIe siècle, le principe de la liberté des mers s’est imposé. Cependant, en 1782, l’économiste italien Ferdinando Galiani propose de fixer à trois milles marins (5,5 km environ ; un mille marin équivaut à 1,8 km) la mer territoriale, c’est-à-dire la surface maritime relevant de l’État côtier correspondant. Ce critère est largement accepté et perdure jusqu’en 1958. Au-delà des trois milles marins, les mers et océans n’appartiennent à personne.
À la Conférence de Genève en 1958, la mer territoriale est étendue et passe de trois milles marins à six milles. Cette extension vient en réponse aux demandes des États, puissances maritimes d’un côté et États décolonisés de l’autre. Mais c’est la Conférence de Montego Bay qui, en 1982, fixe un découpage qui prévaut encore aujourd’hui.
Montego Bay est située en Jamaïque. La Conférence sur le droit international de la mer, convoquée par l’ONU en 1982, aboutit à la Convention des Nations Unis sur le droit de la mer (CNUDM). Elle entre en vigueur à partir de 1994. En 2014, 157 États ont signé la Convention. Cependant, en 2020, certains États pesant sur la scène internationale comme les États-Unis, Israël et la Turquie n’ont toujours pas signé la Convention.
Cinq espaces maritimes y sont distingués : les eaux intérieures, la mer territoriale, la zone contigüe, la Z.E.E. (zone économique exclusive) et la haute mer.
Les eaux intérieures correspondent aux baies, aux estuaires. À partir de ces eaux intérieures est tracée une ligne de base qui délimite le début des 12 milles marins (22 km environ) correspondant à la mer territoriale. Au-delà des 12 milles marins, la zone contigüe s’étend sur 24 milles marins. La zone économique exclusive (ZEE), la plus connue, lui fait suite. Sa distance par rapport à la ligne de base a été fixée à 200 milles marins (370 km environ). La création des ZEE fit entrer 1/3 des surfaces océaniques sous la souveraineté des États. Au-delà, la haute mer, soit 64 % de la surface totale des mers et océans, est considérée comme un bien commun de l’humanité.
Ce découpage permet aux États côtiers de disposer des ressources halieutiques et énergétiques présentes dans la limite des 200 milles marins (370 km environ)
À chacun de ces espaces correspondent des caractéristiques un peu différentes.
L’essentiel est de comprendre que l’État côtier dispose de droits et de devoirs dans la zone qui lui appartient.
Il a le devoir de protéger, de préserver les espèces, la biodiversité. Il doit également assurer la libre circulation aux navires à condition que ces derniers ne l’attaquent pas. Il a, en revanche, le droit d’exploiter les ressources des eaux de surface et celles des fonds marins correspondants.
Certains États, dont les États Unis, n’ont pas signé la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. La ratification entraîne l’obligation pour un État d’appliquer ce qu’il a signé. Il se passe parfois plusieurs années entre la signature et la ratification
Lors de la Conférence de Montego Bay, d’autres particularités ont été prévues. Concernant les espaces maritimes appartenant aux archipels, il a par exemple été décidé que ces espaces dénommés « eaux archipélagiques » seraient définis à partir du tracé de lignes droites reliant les caps les plus avancés de ces îles. De vastes surfaces océaniques sont ainsi passées sous la domination d’États archipels comme l’Indonésie, les Philippines ou les Kiribati dans le Pacifique central. Les Kiribati, 33 îles de plus de 116 000 habitants, possèdent depuis la conférence de Montego Bay une superficie maritime énorme de 3,5 millions de km2 (les États-Unis possèdent en comparaison 11,35 millions de km2). Les États enclavés, sans rivage, sont aussi mentionnés. Ils ont le droit de partager le reliquat (les restes) des ressources de la Z.E.E. qui leur est proche avec l’État côtier. Malgré cela, il est évident que la création des zones économiques exclusives favorise les États ayant de vastes façades maritimes. Enfin, la limite du plateau continental a, elle aussi, été fixée à 200 milles marins. Il s’agit d’une limite juridique qui ne correspond pas forcément à la réalité. Il a donc été prévu des extensions pouvant aller jusqu’à 350 milles marins.
Le plateau continental est le prolongement des terres d’un pays ou d’un continent sous la surface des océans. (voir le cours : Des enjeux géostratégiques qui se déplacent vers les mers et les océans, partie II, 2).
Aujourd’hui, il reste 64 % des mers et océans qui n’appartient à personne. Des discussions ont donc lieu à l’ONU pour essayer de définir plus précisément le statut de la haute mer et lutter contre les abus actuels. En effet, certains États, les plus développés, déposent une grande quantité de brevets pour exploiter les minerais présents dans les fonds sous-marins de la haute mer au détriment des pays moins développés.
Cette réglementation détaillée est révélatrice de la volonté des États de s’approprier une partie des mers et océans en vue de leur exploitation mais aussi en vue d’une gestion que l’on espère durable. Cet ensemble de règles confirme donc l’importance des espaces maritimes qui assurent de multiples fonctions : économiques, géopolitiques, scientifiques.
Cependant, malgré les précisions et les précautions mises en œuvre par la Convention internationale du droit de la mer à Montego Bay, les désaccords ne se sont pas fait attendre.
Une guerre des mers est-elle possible ?
Une guerre des mers est-elle possible ?
Ces désaccords sont présents sur toutes les parties du globe, au point qu’il est parfois légitime de se demander s’ils ne pourraient pas aboutir à une guerre, particulièrement dans des zones déjà instables (voir cours : Des enjeux géostratégiques qui se déplacent vers les mers et les océans et le détroit d’Ormuz).
Les désaccords maritimes peuvent être classés en deux catégories distinctes. Certains sont de vrais contentieux liés à l’usage des mers et océans (délimitation de frontières maritimes, volonté de disposer de ressources halieutiques, énergétiques, etc.). D’autres désaccords se jouent en mer mais l’aspect maritime n’est qu’une partie d’un conflit plus vaste. Par exemple, la séparation des deux Corées a entraîné un conflit lié à la délimitation de la frontière maritime entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Dans ce cas, les enjeux maritimes et politiques s’entremêlent.
Parmi les désaccords maritimes, on peut rappeler celui qui se déroule en mer de Chine méridionale (voir cours : Les nouveaux enjeux géostratégiques dans les mers et océans). Mais bien d’autres méritent l’attention. Citons par exemple, toujours en mer de Chine, mais plus au Nord, un différend entre le Japon et la Russie à propos des îles Kouriles. Le Japon considère en effet que la Russie occupe illégalement ces îles. En Méditerranée orientale, les conflits sont également nombreux entre le Liban et Israël ou Chypre et la Turquie suite à la découverte de gisements de gaz.
Il existe des tribunaux qui, au niveau mondial, peuvent juger les conflits maritimes pour éviter que ceux-ci ne dégénèrent. Le Tribunal international de la mer a été instauré par la Convention de Montego Bay. Il est en charge de la résolution des différends maritimes entre États. Vingt-neuf conflits sont actuellement traités par ce tribunal. Certains d’entre eux concernent la délimitation de frontières maritimes, notamment entre l’île Maurice et les Maldives dans l’océan Indien, entre le Ghana et la Côte d’Ivoire dans l’océan Atlantique ou encore entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale. D’autres affaires portées devant le Tribunal international de la mer concernent des différends sur l’exploitation de zones de pêche ou encore les activités illicites de certains navires.
D’autres institutions sont compétentes. La Cour permanente d’arbitrage par exemple essaie de concilier les différentes parties qui font appel à elle. La Cour internationale de justice est parfois également saisie dans des affaires maritimes.
Cour permanente d’arbitrage :
La Cour permanente d’arbitrage a été créée en 1899. Elle siège à La Haye (Pays-Bas) et la Cour internationale de justice est un organe de l’ONU créé en 1945.
La précision des règles fixées à Montego Bay, les nombreux conflits et les institutions créées pour les régler laissent supposer une continuité de ce processus de découpage dans les années à venir et la création d’une institution mondiale gérant la haute mer. Le second axe de réflexion majeur concernant les mers et océans porte actuellement sur leur sauvegarde.
Mers et océans : valorisation et protection
Mers et océans : valorisation et protection
La prise de conscience des dangers environnementaux qui menacent les mers et les océans est réelle et s’appuie sur des faits incontestables. Des mesures existent pour agir au mieux et préserver cet environnement fragile.
Des espaces en danger ?
Des espaces en danger ?
Les mers et océans sont des régulateurs thermiques à l’échelle mondiale, c’est-à-dire qu’ils absorbent la majeure partie des émissions de CO2 de l’atmosphère et ralentissent de fait le réchauffement climatique. Cependant, lorsque ces émissions de CO2 augmentent, cela modifie la chimie océanique. L’acidification des océans s’accroît. C’est cette acidification qui est notamment responsable du blanchiment des coraux et de leur disparition.
Le réchauffement climatique entraîne aussi la hausse du niveau des mers et océans qui réceptionnent les eaux de fonte des glaciers. Selon les prévisions du GIEC, le niveau des mers et océans devrait s’élever de plus d’un mètre d’ici 2100.
GIEC :
Le GIEC est le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Il est ouvert à tous les pays membres de l’ONU Créé en 1988, il analyse les publications scientifiques, publie régulièrement des rapports qui présentent les évolutions, et il alerte les États et les populations.
Des rivages se trouvent menacés de disparition et la situation est déjà critique pour certains États comme le Bangladesh. La moitié de la surface du Bangladesh est seulement à cinq mètres au-dessus du niveau de la mer. Avec la montée des eaux, les inondations se multiplient et la salinité des sols est plus importante, rendant ainsi les terres de plus en plus incultivables. Le Bangladesh est un pays peu développé. Cette situation a déjà des conséquences sur la population avec la multiplication des crises alimentaires. De plus, les océans sont remplis de déchets plastiques qui s’accumulent à certains endroits.
Ces déchets sont nocifs pour la faune et la flore. Le plastique absorbe aussi les polluants chimiques jetés en mer. En bout de chaine alimentaire, l’homme consomme les poissons contaminés
Cependant, les réflexions et les actions se multiplient pour agir et préserver les mers et océans.
Valorisation et protection
Valorisation et protection
Les dispositifs sont anciens. Les premiers ont été appliqués à l’échelle nationale, et ceux d’aujourd’hui se discutent à l’échelle mondiale.
À l’échelle régionale, les aires marines protégées (AMP) existent depuis les années 1970.
Aires marines protégées :
Les aires marines protégées sont des espaces géographiques clairement définis. Les écosystèmes et la nature doivent y être préservés. Les États disposent de moyens légaux pour les surveiller.
Au sein des AMP, un suivi scientifique est effectué. Une charte de bonne conduite et une réglementation sont établies. Le public est informé pour apprécier les espèces présentes et apprendre les bons réflexes. Normalement, la flore et la faune sont protégées au sein des AMP, mais en réalité les États n’ont pas toujours les moyens de surveiller ces zones et de lutter contre les actes illicites.
Ces AMP sont connues sous des appellations différentes : parcs nationaux, parc naturels marins, réserves naturelles. Ils sont très répandus dans le monde. La première a été créée au Costa Rica : le parc national de l’île Cocos est riche en espèces pélagiques et comprend un récif corallien remarquable. Il a depuis été classé au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco de même que le Parc de Komodo en Indonésie (1986).
À l’échelle mondiale, des actions concertées se mettent en place. L’OMI (Organisation Maritime Internationale) s’occupe de la sécurité et de l’efficacité de la navigation. Elle veille aussi à la prévention de la pollution.
Organisation maritime internationale :
L’Organisation maritime internationale est une organisation spécialisée de l’O.N.U. Son siège est à Londres.
De plus, il existe depuis 1992 et le sommet de Rio une journée mondiale des océans (8 juin). Ce jour-là, des actions sont organisées sur les cinq continents : ateliers pédagogiques, visites guidées dans les parcs marins, publication de la situation des mers et océans à l’échelle mondiale… Plus récemment, l’ONU a défini des objectifs de développement durable (2015) à atteindre d’ici 2030.
Développement durable :
Développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs.
Les objectifs de développement durable sont au nombre de 17. Ils concernent pour l’ONU des thèmes dont il faut absolument s’occuper pour améliorer la situation mondiale : la lutte contre la pauvreté, la généralisation de la vaccination, l’amélioration de l’éducation et de la situation des femmes, etc.
Le 14e objectif concerne la vie aquatique. Il a comme sous-titre : « La gestion prudente de nos mers et océans est vitale pour un avenir durable ».
La Vie aquatique - Objectif de Développement Durable n°14 - Le point sur la réalisation des objectifs est régulièrement mis à jour sur le site de l’O.N.U.- ©UN Photo
« 14.1 D’ici à 2025, prévenir et réduire nettement la pollution marine de tous types, en particulier celle résultant des activités terrestres, y compris les déchets en mer et la pollution par les nutriments.
14.2 D’ici à 2020, gérer et protéger durablement les écosystèmes marins et côtiers, notamment en renforçant leur résilience, afin d’éviter les graves conséquences de leur dégradation et prendre des mesures en faveur de leur restauration pour rétablir la santé et la productivité des océans.
14.3 Réduire au maximum l’acidification des océans et lutter contre ses effets, notamment en renforçant la coopération scientifique à tous les niveaux.
14.4 D’ici à 2020, réglementer efficacement la pêche, mettre un terme à la surpêche, à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée et aux pratiques de pêche destructrices et exécuter des plans de gestion fondés sur des données scientifiques, l’objectif étant de rétablir les stocks de poissons le plus rapidement possible, au moins à des niveaux permettant d’obtenir un rendement constant maximal compte tenu des caractéristiques biologiques.
14.5 D’ici à 2020, préserver au moins 10 % des zones marines et côtières, conformément au droit national et international et compte tenu des meilleures informations scientifiques disponibles. »
L’ensemble de ces dispositifs a pour but de sensibiliser l’opinion et d’obtenir les financements nécessaires pour assurer ses missions de protection.
Conclusion :
En définitive, les deux directions dans lesquelles les hommes s’investissent actuellement dans les mers et océans sont des questions majeures pour l’avenir des espaces maritimes mais aussi pour l’avenir de la planète tout entière. Le règlement de la question des frontières et de la haute mer pourrait en effet permettre un accès à des ressources importantes et vitales sans risque de conflits. La valorisation et la protection des espaces maritimes sont une évidence au regard des signaux d’alerte concernant l’environnement et l’évolution climatique.