Nouvelles aspirations démocratiques
Introduction :
Depuis 2008 et la crise économique mondiale, une autre « crise » se renforce dans les sociétés démocratiques : celle du politique. La croissance exponentielle des réseaux sociaux aidant, les citoyens expriment de plus en plus leur défiance face à leur gouvernement et, plus largement, face au système politique en place.
L’arrivée – ou la confirmation – de dirigeants illibéraux (qui restreignent les libertés) dans des pays développés (Donald Trump aux États-Unis, Xi Jinping en Chine, Narendra Modi en Inde, Jair Bolsonaro au Brésil, Matteo Salvini en Italie, Vladimir Poutine en Russie ou encore Viktor Orbán en Hongrie), ainsi que le sentiment d’un déficit démocratique dans les démocraties occidentales (exemples : sentiment des citoyens de ne pas être correctement représentés, encadrement plus strict de certains droits comme le droit de manifester…) posent la question des moyens à mettre en œuvre pour redynamiser la démocratie : comment faire évoluer la démocratie de manière à ce qu’elle soit plus proche des volontés et aspirations du peuple, source du pouvoir ?
Pour répondre à cette problématique, nous allons d’abord revenir sur la nature de la démocratie et sa remise en question. Puis nous analyserons l’idéal que peut représenter la démocratie directe et les moyens à mettre en œuvre pour s’en rapprocher.
La démocratie en question
La démocratie en question
La question des formes de la démocratie
La question des formes de la démocratie
Il existe différentes formes d’exercice de la démocratie et de sa mise en application, qui dépendent notamment de l’histoire politique des pays où la démocratie s’exerce.
Nous avons vu dans un précédent cours que l’on peut dresser une première typologie qui distingue la démocratie représentative (les citoyens se font représenter par des élus), la démocratie directe (les citoyens exercent le pouvoir sans intermédiaire) et la démocratie semi-représentative (système représentatif incluant des outils de démocratie directe).
Les démocraties représentative et semi-représentative sont celles généralement adoptées par les pays développés. Le système démocratique peut être nuancé ou, au contraire, amélioré, selon les pays et les gouvernements.
Dans la forme semi-représentative, on introduit ainsi un petit peu de démocratie directe dans un système représentatif, en faisant appel à des mécanismes relevant de la démocratie délibérative et/ou de la démocratie participative.
Démocratie délibérative :
Théorie politique qui donne une importance particulière aux débats et aux délibérations dans la prise de décisions politiques, débats qui sont ouverts aux citoyens pour légitimer la politique. L’échange permet de prendre en considération tous les points de vue pour aboutir à une prise de décision.
L’intégration des citoyens dans les débats permet de faire émerger une « opinion collective ».
Démocratie participative :
Issue du principe de la démocratie délibérative, la démocratie participative est un système dans lequel les citoyens participent à la prise de décisions politiques (délibération, prise de parole, vote, référendum, conseil de quartier, etc.). Elle permet notamment aux acteurs intermédiaires (associatifs par exemple) d’aider les citoyens à se repérer dans les débats. Cela permet de les encourager à participer aux débats.
Cet exemple de démocratie est régulièrement utilisé pour les débats à l’échelle locale (commune notamment).
Ces deux mécanismes évoquent une application moderne de la démocratie athénienne.
La question de la représentativité
La question de la représentativité
Le système représentatif repose sur le principe d’élire des dirigeants politiques supposés refléter l’opinion majoritaire des citoyens en âge de voter dans un pays.
Toutefois, selon les modes de scrutin, la réalité de la représentativité peut soulever des questions.
Ainsi, en France, le scrutin majoritaire à deux tours, utilisé notamment lors des présidentielles ou des législatives, possède le mérite de donner une orientation politique claire au vainqueur, puisque le perdant est éliminé pour de bon.
En revanche, ce scrutin n’offre pas la représentation la plus fidèle de l’expression de la souveraineté du peuple, puisqu’il élimine de facto le perdant, et donc les idées qu’il représente.
Au contraire, le scrutin proportionnel, comme c’est le cas pour les élections européennes, permet de fournir un nombre d’élus proportionnel au score obtenu.
Une liste A obtient 30 % des voix, alors elle obtient 30 % des sièges disponibles.
L’avantage de cette méthode est de pouvoir fournir une représentation élective à toutes les sensibilités politiques exprimées : toutes les voix sont donc représentées.
L’inconvénient est qu’il y a rarement une majorité politique claire : cela appelle donc des alliances régulières et les gouvernements sont souvent instables.
Historiquement, nous avons l’exemple de l’instabilité qui a caractérisé la IVe République (1946-1958).
En Europe, l’Italie est aussi un exemple ayant recours au scrutin à la proportionnelle. Cependant, il en résulte une grande instabilité gouvernementale et un jeu permanent d’alliances et de contre-alliances entre les différents partis représentés au Parlement.
L’équilibre est donc parfois difficile entre une volonté d’un pouvoir stable et une volonté d’une représentation réelle qui prenne le plus possible en compte l’ensemble des sensibilités exprimées par les citoyens (représentation fidèle).
Plus généralement, la démocratie est confrontée à une crise de la représentativité : les citoyens s’éloignent des urnes (abstention croissante, vote blanc ou nul), parce qu’ils ne se sentent pas (ou mal) représenté par la classe politique.
De plus, les votes blancs et nuls n’étant pas pris en compte, la question de la réelle représentation des aspirations des votants est posée.
- Le taux d’abstention aux présidentielles de 2017 dépassait les 20 %, celui législatives de la même année dépassait même le seuil des 50 % !
Ainsi, les mécanismes démocratiques prévus (suffrage) se retrouvent boudés, trahissant un malaise, un manque de confiance, et donc une mauvaise santé de la vie démocratique.
La question de la représentativité des idées politiques mène donc aussi à celle de la légitimité des hommes et femmes politiques.
La question de la légitimité
La question de la légitimité
Cette question de la légitimité se pose notamment lorsqu’un ou des dirigeants politiques sont élus sur un programme et qu’ils ne le respectent pas. Elle se pose de manière plus générale lorsque l’expression de la volonté du peuple n’est pas assez bien prise en compte.
Ainsi, en 2005, la proposition de traité pour une Constitution européenne fut rejetée par référendum par le peuple français. Or, de très nombreux éléments de ce traité furent repris tels quels pour établir un nouveau traité, celui de Lisbonne, que le président de l’époque, Nicolas Sarkozy, fit voter par le Parlement réuni en congrès quelques mois après son élection à la présidentielle, en 2007.
De même, lorsque François Mitterrand est élu en 1981 à la présidence de la République, il est le premier président de gauche de la Ve République. Son programme est donc logiquement basé sur une plus juste répartition des richesses. Mais de mauvais résultats économiques vont faire basculer sa politique générale vers une politique de rigueur dès 1983. Les économistes français qualifient d’ailleurs cette brusque transition de « tournant de la rigueur ».
La question de la légitimité est aussi activée par le fait que de nombreuses affaires judiciaires ont entaché la respectabilité des élus : fraude fiscale (exemple de l’affaire Cahuzac), détournement de fonds publics (exemple de l’affaire Guéant), emplois fictifs (exemple de l’affaire Juppé), etc.
- La multiplication de ces affaires et leur médiatisation provoque un légitime sentiment de défiance chez les électeurs envers leurs représentants politiques.
Une mauvaise gestion de la démocratie par les politiques peut amener une crise de confiance envers celle-ci.
La démocratie directe pourrait être un moyen de la redynamiser.
La démocratie directe : un moyen de redynamiser la vie démocratique ?
La démocratie directe : un moyen de redynamiser la vie démocratique ?
Définition et inspirations dans les démocraties modernes
Définition et inspirations dans les démocraties modernes
La démocratie directe est une forme de démocratie régulièrement revendiquée dans les mouvements sociaux français depuis le début de la « crise des gilets jaunes », à l’automne 2018.
La démocratie directe est une forme de démocratie où le peuple exerce le pouvoir sans représentants.
Difficile à mettre en place à l’échelle d’un pays pour des raisons pratiques évidentes, on peut néanmoins retrouver ce type d’exercice de la démocratie à l’échelle locale ou dans les entreprises en autogestion par exemple.
Si la démocratie directe reste un idéal (correspondant à l’application d’une démocratie parfaite) et que son application complète à l’échelle d’un pays semble compliquée, il existe cependant certains outils pour tenter de s’en approcher, tels que définis par la Constitution de 1958.
C’est notamment le cas du référendum. Il s’agit d’appeler les citoyens aux urnes afin de se prononcer pour ou contre une réforme précise.
Utilisé à plusieurs reprises par le général de Gaulle lors de sa présidence, il est peu à peu tombé en désuétude depuis. Le dernier référendum national fut ainsi organisé en France en 2005.
Les outils prévus dans la Constitution pour permettre une meilleure implication des citoyens ne sont pas assez exploités, ce qui conduit à un éloignement des citoyens vis-à-vis du pouvoir qu’ils sont pourtant censés incarner .
En effet, la véritable implication des citoyens ne se résume plus qu’aux instants électoraux et reste peu effective le reste du temps.
C’est pourquoi des outils fonctionnels d’implication citoyenne sont réclamés par le mouvement des gilets jaunes par exemple.
En comparaison, le cas de la Suisse est riche d’enseignements et démontre qu’il est possible, sous certaines conditions, de maintenir un lien plus actif entre les citoyens d’un côté et le pouvoir de l’autre.
Le cas suisse
Le cas suisse
La Suisse, pays d’environ 8,5 millions d’habitants, a une longue tradition du recours au référendum.
Dans la confédération helvétique, on les appelle votations. Celles-ci peuvent être communales, cantonales ou fédérales.
Il existe donc différents échelons de la votation populaire, et chaque fois que le résultat de la votation est positif, il s’applique au strict échelon géographique lui correspondant. Ainsi, si la votation concerne une commune, alors le résultat du scrutin s’appliquera à la commune. De même pour les votations cantonales ou fédérales.
Il existe deux types de votation :
- le référendum permet au pouvoir en place de soumettre un projet de loi au vote des citoyens ;
- l’initiative populaire permet aux citoyens, sous certaines conditions, de demander l’organisation d’une votation.
La Suisse ayant une longue tradition démocratique et décentralisatrice (il s’agit d’une confédération regroupant plusieurs cantons qui bénéficient d’une relative autonomie), le pays n’a aucun mal à recourir régulièrement à cette forme de démocratie directe.
Le cas de la Suisse montre qu’il existe des solutions pour réinventer la démocratie. Il s’agit d’un exemple dont la France pourrait s’inspirer, dans une certaine mesure, pour trouver des idées de redynamisation démocratique.
Quelle démocratie directe pour la France ?
Quelle démocratie directe pour la France ?
La « crise des gilets jaunes » pose la question de la mise en application d’une démocratie directe en France.
Le mouvement des gilets jaunes est parti, initialement, d’un refus d’une nouvelle taxe sur le carburant. Mais cette question de fiscalité laisse progressivement place à plusieurs questions politiques. Outre les blocages de ronds-points, les passages télévisés pour expliquer l’objectif de la démarche ou encore les manifestations, une question s’est vite retrouvée sur le devant de la scène : face à un constat de perte de vitalité démocratique en France, comment donner plus de pouvoir au peuple ?
De nombreuses personnes du mouvement ont demandé le retour au référendum comme outil démocratique de premier plan, et plus particulièrement du référendum d’initiative populaire (ou citoyenne).
Ce référendum remplacerait le référendum d’initiative partagée, présent dans la Constitution mais jamais mis en place car trop complexe à mettre en œuvre.
Référendum d’initiative populaire ou citoyenne (RIP ou RIC) :
Revendication majeure des gilets jaunes depuis le début du mouvement, il s’agit d’un référendum qui pourrait être organisé à partir du moment où un certain nombre de citoyens (fixé à l’avance) auraient apposé leur signature en bas d’un projet.
Manifestation de gilets jaunes réclamant le RIC, Belfort, janvier 2019
Les gilets jaunes souhaitent que ce RIP (ou RIC) puisse être mis en place dans quatre situations précises :
- **proposition de loi ;
- annulation d’une loi ;
- modification de la Constitution ;
- révocation d’un élu.
Un usage plus fréquent et plus facile d’accès au référendum est une piste sérieuse pour battre le rappel auprès des citoyens, les impliquer davantage dans le processus démocratique et faire vivre la démocratie en les replaçant au cœur de celle-ci.
Il existe aussi d’autres façons d’impliquer davantage les citoyens dans la démocratie au quotidien. C’est le cas des politiques publiques.
Politique publique :
Une politique publique est un instrument de la vie publique qui désigne les actions d’une autorité créée spécialement pour débattre d’un sujet précis. Cette autorité bénéficie de la légitimité du gouvernement qui lui délègue alors la puissance publique nécessaire pour mener à bien sa mission.
Ainsi, à l’échelle locale, des concertations citoyennes sont parfois organisées pour prendre certaines décisions. Ce concept pourrait constituer une piste à l’échelle nationale.
Le gouvernement a mis en place un tirage au sort de citoyens afin de débattre et de mettre en œuvre des mesures concrètes pour l’environnement. Ces 150 personnes tirées au sort à l’automne 2019 ont siégé jusque fin janvier 2020 au sein du Conseil économique, social et environnemental à Paris. Après avoir rendu leurs conclusions, ils seront en mesure de formuler une liste de mesures envisageables.
Conclusion :
La crise économique de 2008 a provoqué un séisme dans les démocraties développées, accentuant le sentiment d’une fracture entre le peuple, d’une part, et les élus, d’autre part.
Bien que la démocratie puisse prendre diverses formes, la démocratie représentative reste sa forme la plus courante.
Néanmoins, les crises sociales en France, mais aussi désormais au Chili, en Algérie ou au Liban, font prendre conscience que la démocratie doit se renouveler, se réinventer.
Quoique difficile à mettre en application dans sa forme la plus pure, la démocratie directe peut ainsi être instituée à travers des outils comme le référendum d’initiative populaire.
Bien qu’abstraite, la démocratie est une idée mouvante, en perpétuel questionnement au gré des évolutions sociétales. C’est précisément le processus que nous sommes actuellement en train de vivre, avec un travail réflexif pour permettre une expression démocratique plus en phase avec les idéaux et les valeurs qu’on lui associe.