On ne badine pas avec l'amour

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On ne badine pas avec l’amour, Alfred de Musset, le danger des sentiments

Introduction :

La génération des écrivains romantiques de la première moitié du dix-neuvième siècle a placé l’exaltation des passions au cœur de ses préoccupations esthétiques. Alfred de Musset est l’un d’entre eux. Il est introduit jeune au sein du « Cénacle », le groupe de jeunes artistes présidé par Victor Hugo depuis 1823. Il n’a que dix-sept ans en 1827, et se fait vite remarquer par sa beauté et ses talents littéraires précoces. Il fait grande impression avec ses Contes d’Espagne et d’Italie qui paraissent en 1829. Sa jeunesse explique peut-être pourquoi la passion amoureuse tient une place aussi importante dans son œuvre au début des années 1830. Il est profondément marqué par quelques déceptions sentimentales qui le conduisent à penser que la souffrance accompagne toujours l’amour. Cette vision se perçoit nettement dans On ne badine pas avec l’amour, une pièce en trois actes de 1834 qui laisse entendre que certains sentiments sont porteurs de dangers mortels.
Son théâtre est ambitieux, puisqu’il présente aux spectateurs la complexité des sentiments humains, par le détour de l’humour et de l’ironie, mais aussi du sérieux et du tragique. Les drames de Musset reposent sur un certain fatalisme et sur de nombreux effets de contraste. Pour comprendre en quoi On ne badine pas avec l’amour est exemplaire de cette esthétique de l’excès et du néant, nous verrons d’abord quels nouveaux codes, fortement ancrés dans le mouvement romantique, la pièce propose pour comprendre le sentiment amoureux. Ensuite, nous expliquerons comment se traduit dans les dialogues, les personnages et les décors, une intrigue qui oscille entre légèreté et gravité.

Les infinies nuances du drame

Le mot « drame » a des significations différentes. Il désigne une situation ou un événement grave, voire tragique. Il désigne aussi un type de pièces qui se décline en de nombreuses sous-catégories (drame élisabéthain, drame bourgeois, drame romantique, etc.). Enfin, le genre dramatique désigne tous les textes qui relèvent du théâtre. À tous ces points de vue, On ne badine pas avec l’amour est un drame. L’amour est vécu comme une maladie, que le drame romantique spectacularise.

L’amour comme une maladie

Musset est pris dans un tumulte amoureux sans précédent quand il écrit On ne badine pas avec l’amour. Il vit avec George Sand, elle aussi autrice, une histoire d’amour houleuse, faite de disputes et de réconciliations qui ne peut qu’influencer en profondeur son écriture. Il ébauche le texte à la fin de l’année 1833, mais ne le reprend et ne le termine qu’au printemps 1834.

George Sand par Auguste Charpentier - SchoolMouv - Français - 1re Portrait de George Sand par Auguste Charpentier, 1838, Musée de la Vie romantique, Paris

Entre ces deux moments, il part en voyage avec Sand à Venise. Le séjour se déroule mal. Il tombe malade. Sand fait venir un médecin, Pietro Pagello, mais devient sa maîtresse. Musset est fou de rage. C’est ensuite Sand qui tombera malade. Ils se séparent, et de retour à Paris Musset se plonge dans On ne badine pas avec l’amour. Mais quand Sand rentre à son tour en France, ils redeviennent amants. Leur histoire connaîtra des hauts et des bas jusqu’à la rupture définitive en mars 1835.

L’un et l’autre cherchent un amour idéal. Mais ils voient que leur orgueil est un obstacle au bonheur, et qu’il n’est pas facile de filer le parfait amour. La pièce de Musset reflète ce constat. Camille et Perdican, les deux personnages principaux, cherchent un amour qui ne s’altère pas avec le temps. La grande difficulté à éprouver un amour réciproque plonge Musset dans une profonde mélancolie qui trouve un écho dans les thèmes du mouvement romantique. À cette époque, Victor Hugo et Alphonse de Lamartine, ou Chateaubriand avant eux, avaient remis au goût du jour le lyrisme poétique, qui consiste à mettre en avant ses émotions en dévoilant la complexité du moi.

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Définition

Mélancolie :
Tristesse profonde qui incite à la rêverie.

Mais Musset s’inspire aussi du traitement des émotions à l’œuvre dans le théâtre shakespearien. Shakespeare est un auteur lointain, mais ce n’est qu’à la fin du dix-huitième siècle que Voltaire contribue à le faire découvrir en France. Il devient un auteur phare pour les romantiques français du dix-neuvième siècle, notamment grâce à la façon dont il mélange les genres dans ses pièces. À leur tour, Hugo et Musset n’hésitent pas à mêler le grotesque et le sublime dans leur théâtre.

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Définition

Grotesque :
Qui prête à rire en raison de sa bizarrerie, de sa caricature.

William Shakespeare - SchoolMouv - Français - 1re Portrait de William Shakespeare, peut-être par John Taylor, 1610, National Portrait Gallery, Londres

Mais On ne badine pas avec l’amour témoigne aussi d’influences plus récentes. Les accents de douleur de la poésie du Britannique Lord Byron s’y retrouvent, ainsi que l’obsession du retour au pays natal que développe Goethe, notamment dans Les Souffrances du jeune Werther.

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À retenir

Musset s’ancre dans un mouvement romantique qui se développe à l’échelle européenne.

Du proverbe au drame romantique

Le titre de la pièce a de quoi interpeller son lecteur. C’est une phrase complète. Grâce au pronom neutre « on » est au présent de vérité générale, il est facile de reconnaître un proverbe. Prendre un proverbe et en faire une pièce de théâtre est une pratique en vogue dans les salons depuis la fin du dix-huitième siècle. On s’amusait à montrer la pièce aux spectateurs, sans dire le titre, pour leur faire deviner quel pouvait être la maxime qui était illustrée.

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Attention

La différence entre « maxime » et « proverbe » est fine. Si la première est une règle de conduite, le deuxième est une formule toute faite, qui exprime une vérité. Proverbe ou maxime peuvent faire pareillement faire l’objet d’une pièce.

Ce qui intéresse Musset dans ce proverbe, c’est la question du badinage. Le verbe « badiner » désigne le fait d’avoir une conversation légère, plaisante, par laquelle on s’amuse à séduire. Camille et Perdican, au lieu de parler sérieusement de leur futur mariage, et de la sincérité de leurs sentiments, se perdent dans des conversations trompeuses. Musset écrira d’autres proverbes tirés de la sagesse populaire : Il ne faut jurer de rien, Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, On ne saurait penser à tout, etc.
Cette notion de badinage est un clin d’œil explicite au marivaudage, autre forme de conversation galante dont Marivaux s’est fait le spécialiste quelques décennies avant Musset. Lui aussi écrit des drames, dits « drames bourgeois », où se mêlent comédie et tragédie et dans lesquels on parle d’amour. Marivaux cherche un effet de réalisme et met en scène des bourgeois. Musset s’inspire de ce canevas, mais s’inscrit dans un autre genre de drame, le « drame romantique ».

Fausses Confidences - SchoolMouv - Français - 1re Première de couverture de l’édition princeps des Fausses Confidences où le marivaudage se déploie, 1738

C’est un genre créé par le groupe des romantiques dans les années 1820 et 1830. Hernani de Victor Hugo en est l’exemple le plus frappant. Mais on pourrait citer aussi Chatterton d’Alfred de Vigny ou Lorenzaccio de Musset. Ces pièces, et d’autres encore, renoncent aux règles classiques d’unités, de bienséance et de vraisemblance, héritées du dix-septième siècle. Elles mélangent tous les tons et tous les registres, si bien que l’humour se tient aux côtés du désespoir. Elles racontent l’itinéraire, souvent tragique, d’un héros aux prises avec les remous de la grande Histoire. L’exaltation de la nature et des émotions est placée au premier plan. Tous ces critères se rencontrent dans On ne badine pas avec l’amour, qui est un drame romantique.

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Attention

Il ne faut pas enfermer une œuvre dans un genre. Musset ne se reconnaissait pas toujours dans les excès du romantisme.

Un voyage sans retour

Ce qui concoure à rendre vrai le proverbe et qui donne encore plus d’ampleur au drame romantique, c’est la façon dont Musset fait en sorte que son intrigue se situe hors du temps. En effet, il est impossible de savoir à quelle époque se déroulent les trois jours de l’histoire. Le Baron, père de Perdican, règne sur son petit monde, mais est-on pour autant au Moyen-Âge ? Il semble que le régime en place est une monarchie, mais les préoccupations des deux protagonistes sont celles de jeunes gens du dix-neuvième siècle. Il est fort probable que Musset ait voulu donner un exemple d’utopie, de monde suspendu et irréel, proche du conte de fées, qui permette de réfléchir sur le sens du bonheur et de l’amour.

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Définition

Utopie :
Monde imaginaire qui reflète un idéal politique ou social.

Mais cette utopie s’effrite et tourne au cauchemar, car Camille et Perdican sont victimes du poids de la société sur eux. Le Baron impose un mariage avant même qu’ils ne se rencontrent. Ils doivent donc respecter des convenances qui n’ont rien à voir avec leurs inclinations. Le couvent d’où sort tout juste Camille l’a coupé du monde et a falsifié son rapport aux autres. Quant à Perdican, il est trop habitué à la légèreté pour prendre au sérieux les questionnements de Camille. Ils doivent se préoccuper de l’autre, mais ne se connaissent pas eux-mêmes.

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Exemple

Preuve de leur incompréhension réciproque, Camille ne se rend pas compte que Perdican la manipule quand il charme Rosette :

« CAMILLE, cachée, à part. – Que veut dire cela ? Il la fait asseoir près de lui ? Me demande-t-il un rendez-vous pour y venir causer avec une autre ? Je suis curieuse de savoir ce qu’il lui dit.
PERDICAN, à haute voix, de manière que Camille l’entende. – Je t’aime, Rosette ; toi seule au monde tu n’as rien oublié de nos beaux jours passés ; toi seule tu te souviens de la vie qui n’est plus ; prends ta part de ma vie nouvelle ; donne-moi ton cœur, chère enfant ; voilà le gage de notre amour. (Il lui pose sa chaîne sur le cou.) »

On ne badine pas avec l’amour, Acte III, Scène 3

L’histoire d’amour entre ces deux héros est aussi l’histoire d’un conflit entre des générations, puisqu’ils sont soumis à la loi d’adultes froids qui ont le pouvoir. Camille et Perdican sont surtout heureux de revenir au château de leur enfance, à l’origine, à la spontanéité du langage et des émotions. Leur rencontre devait leur permettre de connaître un nouveau départ, en passant de l’enfance à l’âge adulte, mais la pièce se transforme en mise en scène d’un échec. Le duo amoureux est en fait un trio amoureux, parce que Perdican se sert de Rosette, une innocente jeune fille qui cherche aussi l’amour, pour rendre jalouse Camille. Quand Rosette meurt à cause des manipulations des deux autres, au moment même où ils parvenaient enfin à se parler sincèrement, toute union devient impossible, et le mariage ne se fait pas.

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Exemple

Les mots de Camille qui concluent la pièce résonnent comme un couperet sur l’amour des deux amants :

« Elle est morte. Adieu Perdican. »

On ne badine pas avec l’amour, Acte III, Scène 8

Le spectacle du dédoublement

Qu’il s’agisse de la représentation de l’amour, des personnages ou des décors, Musset fait en sorte que tout soit placé sous le signe du dédoublement dans On ne badine pas avec l’amour. Le badinage humoristique des deux amants vire au tragique, les figures sympathiques deviennent oppressives, et le cadre bucolique devient un enfer.

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Définition

Bucolique :
Terme qui renvoie à la vie paisible à la campagne.

Deux visions de l’amour ?

Les trajectoires de Camille et de Perdican ne sont pas du tout identiques. Elle sort du couvent et doit maintenant se marier, ce qui est assez courant dans la vie des jeunes femmes bourgeoises ou nobles de cette époque. C’est le moment où une vision idéalisée de l’existence se confronte à la réalité de la vie sociale. Camille n’a pas la possibilité de vivre une passion : elle doit faire ce qu’on lui demande. Elle croit en Dieu et témoigne d’une foi inébranlable. C’est pourquoi elle est méfiante vis-à-vis des beaux discours de Perdican. Ce dernier est diplômé, et s’est éloigné pour mener ses études. Il revient chez lui pour se marier et reprendre pied. Il est nostalgique de son enfance heureuse. Très vif et enthousiaste, il a déjà eu des maîtresses, à l’inverse de Camille. Mais il est tout de même perdu en amour, et ne semble pas satisfait par sa vie de libertin. Il est à la recherche d’un amour idéal qui donnerait aussi un sens à son existence.

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Définition

Libertin :
Le libertin est une personne qui revendique sa liberté de penser et d’agir. Dans un sens restreint, cela désigne un homme qui a de nombreuses conquêtes amoureuses.

Ces deux trajectoires différentes conduisent à deux visions opposées de l’amour. D’une part, Camille croit en un amour divin, sans souffrances, qui conduit à échanger des serments qui ne sont jamais rompus.

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Exemple

Camille explique clairement à Perdican quel type de relation amoureuse elle cherche à entretenir :

« Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir ; je veux aimer d’un amour éternel, et faire des serments qui ne se violent pas. »

On ne badine pas avec l’amour, Acte II, Scène 5

D’autre part, Perdican a confiance en un amour humain, qui passe par les blessures et les nouvelles tentatives. Selon lui, il faut exalter le corps pour comprendre ce qu’est l’amour véritable. Vivre passionnément revient à accorder les soubresauts du cœur aux changements de la nature. La célèbre scène 5 de l’acte 2, fondamentale, résume toute leur opposition.

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Exemple

Voici ce que Perdican répond à Camille quand celle-ci lui explique qu’elle craint de souffrir et qu’elle songe à retourner dans son couvent. Cette tirade, devenue un classique de notre littérature, reflète une pensée qui mêle pessimisme et optimisme :

« Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »

On ne badine pas avec l’amour, Acte II, Scène 5

Pourtant, Camille et Perdican sont en quête de la même chose : de l’amour absolu. Ils veulent tous les deux connaître un amour fort, exclusif, réciproque, qui ne s’étiole pas avec le temps et qui leur fournisse une raison de vivre. Malheureusement, ils sont tous les deux trop prompts à se protéger. Dans les premiers actes, Camille refuse de laisser paraître la moindre émotion. Perdican, lui, continue à séduire comme il sait le faire, sans laisser la sincérité effleurer. Leur orgueil est donc un poison qui les empêche de se parler à cœur ouvert, et qui sera mortel pour Rosette. Quand ils se rendent compte de leur vanité, il est trop tard.

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Définition

Vanité :
Caractère de ce qui est vain, ou frivole.

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Exemple

Perdican se rend compte, mais trop tard, que leur orgueil est un fléau :
« Orgueil, le plus fatal des conseillers humains, qu’es-tu venu faire entre cette fille et moi ? À quoi sert de se quereller, quand le raccommodement est impossible ? Le plaisir des disputes, c'est de faire la paix. »

On ne badine pas avec l’amour, Acte III, Scène 8

Des personnages contrastés

Le triangle amoureux formé par Camille, Perdican et Rosette évolue de la légèreté au sérieux, de l’insouciance à la désespérance. Leur badinage se transforme en crime involontaire. Leur relation est structurée par une dégradation généralisée, impossible à réfréner, qui est typique de la tragédie. Mais autour de ces trois personnages centraux, victimes de l’amour, Musset place des personnages très différents : le chœur et les fantoches.
Le chœur, ensemble de personnages conduit par un coryphée, est un héritage du théâtre antique. Il permet aux spectateurs de savoir où en est l’intrigue, soit parce qu’il résume une situation sur scène, soit parce qu’un personnage vient lui expliquer ce qu’il est en train de se passer hors scène. En quelque sorte, c’est une représentation scénique du public.

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Définition

Coryphée :
Dans l’Antiquité, personne qui tient le premier rang au sein du chœur.

Dans On ne badine pas avec l’amour, il semble que le coryphée parle au nom des paysans. Il prend la défense de Perdican contre le reste de sa famille, mais n’a pas le ton du badinage, il n’a rien de drôle non plus, il se situe donc entre le tragique des deux amants, et le grotesque des fantoches.

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À retenir

Au théâtre, le chœur nous rappelle en permanence que nous sommes au théâtre, mais il n’influence pas le cours de l’action.

Les fantoches, ce sont les personnages qui font qu’On ne badine pas avec l’amour est aussi une pièce comique. Il s’agit du Baron, de Blazius, de Bridaine et de dame Pluche. Ce sont les représentants de l’ordre au sein du château. Ils sont ivres, grossiers, acariâtres, etc. Ils sont surtout complètement dépassés par les hésitations des deux amoureux. Par contraste, ils montrent à quel point Camille et Perdican sont des êtres profonds. L’égoïsme et la stupidité leur sont plus communs que l’amour. Ils ne font que gesticuler, un peu comme d’autres fantoches, ceux de Shakespeare.

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Définition

Acariâtre :
Personne dont le caractère est désagréable, renfrogné.

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Attention

En italien, fantoccio signifie « poupée ». Il est donc possible de considérer les fantoches d’On ne badine pas avec l’amour comme des marionnettes. Ils ne sont pas à prendre au sérieux.

Un univers qui se ferme sur lui-même

Pour faire évoluer tous ces personnages, Musset nous transporte dans quinze endroits distincts. Il n’y a que les scènes de l’acte III qui ne nécessitent aucun changement de décor. Ainsi, l’espace autour des amoureux a tendance à se réduire, à se figer. Tout se passe dans un univers clos : un château et son environnement, c’est-à-dire son bois, ses jardins, son champ. Le monde extérieur ne semble pas intervenir. Il apparaît que la nature, immense et magnifique, tient une place fondamentale, en opposition avec l’étroitesse du milieu social. Les décors évoquent les tableaux d’Antoine Watteau, qui représentent une nature idyllique et des scènes plaisantes.

La Leçon d’amour, Antoine Watteau - SchoolMouv - Français - 1re La Leçon d’amour, Antoine Watteau, 1716, Muséum national, Stockholm, Suède

Camille et Perdican devraient s’ouvrir à la nature, se laisser aller à leur penchant naturel, mais force est de constater que les fantoches et leur propre orgueil les empêchent de profiter du printemps qui se déploie partout autour d’eux. Plus la pièce avance, plus ils sont enfermés dans des lieux exigus : le salon du Baron, la chambre, l’oratoire, etc.

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Définition

Oratoire :
Très petite chapelle.

Oratoire de Notre-Dame-de-la-Motte à Vesoul - SchoolMouv - Français - 1re Oratoire de Notre-Dame-de-la-Motte à Vesoul

L’espace est donc témoin du basculement de la gaité à la catastrophe. Même les corps de Camille, Perdican et Rosette sont les lieux d’une dégradation. Au fur et à mesure que leur badinage avance, ils perdent leur sourire et leur force physique. Ils se fatiguent, se blessent, et sont punis de leur orgueil directement dans leur chair.
Par cette multiplication de décors, rare au dix-neuvième siècle, Musset lance un vrai défi à qui voudra mettre en scène On ne badine pas avec l’amour. Mais pour lui, cela n’a pas vraiment d’importance, car il ne compte pas la faire jouer. Il publie son texte dans la Revue des deux Mondes afin qu’il soit lu et non pas interprété, à l’intérieur d’un ensemble qu’il appelle « Un Spectacle dans un fauteuil ». Dans cet ensemble, on retrouve aussi La Coupe et les Lèvres, À quoi rêvent les jeunes filles ?, Namouna, mais aussi Les Caprices de Marianne, Lorenzaccio, André del Sarto et Fantasio. C’est après l’échec cuisant de sa première pièce, La Nuit vénitienne ou Les noces de Laurette, représentée au théâtre de l’Odéon en 1830, qu’il prend la décision de faire un théâtre qui ne sert qu’à être lu.

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Attention

Bien qu’il ne cherche pas à être joué, les jeux de dédoublements qu’instaure Musset sur le plan des dialogues, de la caractérisation des personnages et des lieux restent très visuels et adaptables sur scène.

Conclusion :

Pour conclure, on peut dire que Musset porte à un haut degré d’intensité l’art du masque dans On ne badine pas avec l’amour. S’il dénonce l’orgueil des amants qui les empêche d’être sincères et de s’avouer véritablement leur amour, il dénonce aussi les faux-semblants d’une société étriquée qui broie les passions et empêche les jeunes gens de se livrer à leurs passions et de s’ouvrir à la splendeur de la nature. Convaincu que tout ce qui compose l’existence doit être intensément vécu, Musset invente un spectacle qui ne renonce ni à la légèreté et au comique, ni au sérieux et au tragique. Si cette esthétique répond aux aspirations romantiques de son temps, le dramaturge recourt tout de même à l’ironie pour inviter son spectateur, ou son lecteur, à réfléchir ensuite à ses propres sentiments et aux dangers auxquels il s’expose.
En somme, est-ce vraiment avec l’amour qu’il ne faut pas badiner ? Les risques encourus par les jeunes gens, la mort de Rosette : tout cela n’est-il pas entraîné plutôt par le langage lui-même ? Ce sont les discours des uns et des autres qui tissent des voiles qui les séparent. La sincérité passe non seulement par un examen honnête de ses passions, mais aussi par le choix d’un langage clair et franc. En rédigeant cette pièce courte, où il ne se passe pas grand-chose, Musset suggère peut-être que le langage est le seul à pouvoir faire cohabiter le désir de pureté et le goût des plaisirs.