Qu’est-ce qu’un animal ?
Introduction :
Se demander ce qu’est l’homme au regard de l’animal implique de définir l’animal. Or, qu’est-ce qu’un animal ? La réponse la plus courante consiste à dire qu’un animal est un être qui vit sur le mode de l’instinct, c’est-à-dire l’ensemble des tendances mécaniques, non réfléchies en vue de la vie. Étymologiquement, l’instinct est ce qui pique, anime, le for intérieur. Par exemple, l’instinct de conservation du poisson fera que, s’il est sur une berge, de lui-même, sans tergiversation, il essayera de retourner dans l’eau. Ainsi, l’on pourrait considérer que l’animal est l’être qui vit sans avoir besoin de réfléchir.
Est-ce à dire que l’animal n’a ni âme ni conscience ? Pourtant, l’âme, en latin anima, est souvent considérée comme principe vital. Et une forme de conscience, selon les espèces, semble présente chez l’animal.
Du côté de l’homme, celui-ci garde, même dans la société la plus sophistiquée et dans son degré d’évolution le plus avancé, un instinct, donc une forme d’animalité.
Parmi les qualités que nous possédons, y en a-t-il une qui manque à l’animal ? Par exemple, on dit d’un animal dont le regard est expressif : « il ne lui manque que la parole ». L’animal ne serait-il pas, dès lors, l’être auquel il manque un langage évolutif et élaboré dans son degré d’articulation et de codification ?
Le langage est-il le critère qui permet de distinguer l’homme de l’animal ? La parole, comme rapport symbolique et appréhension du monde par l’abstraction générale, est-elle une exception humaine ?
L’animal-machine
L’animal-machine
« Il ne lui manque que la parole » : l’animal aurait des pensées, des sentiments ; ceux-ci pourraient se voir à travers une expression physique mais l’animal serait incapable de les verbaliser, faute de langage adéquat.
- Ce défaut de langage est-il le symptôme d’un défaut d’esprit ou est-ce un défaut en lui-même ?
Pour Descartes, l’animal est comme une machine. D’où le concept cartésien d’« animal machine ».
Animal machine :
Concept cartésien selon lequel l’animal serait comme une machine, un assemblage de pièces et de rouages c’est-à-dire ici d’organes et d’articulations, sans conscience ni faculté de pensée.
- Cette idée relève d’une conception mécaniste du corps, qu’il s’agisse du corps humain ou du corps animal.
La différence, selon Descartes, est qu’au corps humain est joint un esprit, ce qui n’est pas le cas pour l’animal. De plus, dans la mesure où le langage et la parole découlent de l’esprit, n’ayant pas d’esprit, les animaux n’ont pas de parole. Certes, dans la Lettre au marquis de Newcastle du 23 novembre 1646, Descartes reconnaît que « les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous » (voler, nager, percevoir certains sons ou certaines ondes, etc.). Mais, selon lui, ces aptitudes sont la preuve qu’« elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l'heure qu'il est, que notre jugement ne nous l'enseigne ».
- Tout animal agit donc comme une horloge, c’est-à-dire de façon précise et spécialisée, mais non consciente.
L’arrivée des hirondelles au printemps n’est pas l’aboutissement d’un voyage organisé. On encore, que les singes enterrent leurs congénères morts n’est pas la preuve d’une croyance en un au-delà mais dénote un comportement instinctif, de type sanitaire ou encore pour ne pas laisser de traces, tout comme pour les chiens qui ensevelissent parfois leurs excréments. Le geste est purement automatique : il est réalisé de lui-même et le réflexe n’est pas la réflexion.
Dans cette lettre, Descartes aborde également la question de la séparation homme/animal sous l’angle de la parole.
« […] si on apprend à une pie à dire bonjour à sa maîtresse lorsqu'elle la voit arriver, ce ne peut être qu'en faisant que la prolation1 de cette parole devienne le mouvement de quelqu'une de ses passions ; à savoir, ce sera un mouvement de l'espérance qu'elle a de manger, si l'on a toujours accoutumé de lui donner quelque friandise lorsqu'elle l'a dit ; et ainsi toutes les choses qu'on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux singes, ne sont que des mouvements de leur crainte, de leur espérance, ou de leur joie, en sorte qu'ils les peuvent faire sans aucune pensée. Or il est, ce me semble, fort remarquable que la parole, étant ainsi définie, ne convient qu'à l'homme seul. Car, bien que Montaigne et Charron2 aient dit qu'il y a plus de différence d'homme à homme, que d'homme à bête, il ne s'est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite, qu'elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d'autres animaux quelque chose qui n'eût point de rapport à ses passions ; et il n'y a point d'homme si imparfait, qu'il n'en use ; en sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées. Ce qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu'elles n'ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent. Et on ne peut dire qu'elles parlent entre elles, mais que nous ne les entendons pas ; car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s'ils en avaient. »
René Descartes, Lettre au marquis de Newcastle, 23 novembre 1646.
1 Le fait de produire une parole.
2 Ami de Montaigne, philosophe et théologien.
Il est possible d’apprendre à parler à un animal : Descartes prend l’exemple de la pie qui dit « bonjour ». L’on pourrait aussi donner le cas du psittacisme (répétition mécanique) du perroquet. Mais même cette parole est mécanique car liée à un instinct, une « espérance », à savoir plaire pour avoir à manger.
Aujourd’hui, nous parlerions de réflexe conditionné de type « Pavlov », du nom du scientifique qui, dans une célèbre expérience, déclenche le réflexe de salivation chez un chien à partir d’une sonnerie, celle-ci ayant été associée mécaniquement à la présentation de nourriture.
Descartes parle, non pas de conditionnement mais de « passion », c’est-à-dire ici de mouvement non pensé et qui est compris par Descartes comme quelque chose de passif (la passion renvoie d’abord à la passivité). Il en va de même pour tout type de dressage ou d’apprentissage animal : les animaux peuvent apprendre, par leur corps, ce que les hommes leur enseignent, mais leur absence d’esprit les empêche d’évoluer par eux-mêmes.
Pour Descartes, l’animal n’utilise pas de signes linguistiques venant de lui-même et manifestant autre chose qu’une passion, c’est-à-dire ici un instinct. Il ne leur manque pas d’appareil phonatoire (qu’ils possèdent puisqu’ils expriment leurs instincts) mais d’esprit, qu’ils exprimeraient s’ils en avaient un.
- Le langage comme expression de la pensée serait donc le propre de l’homme.
Même si, aujourd’hui, nous reconnaissons l’animal comme être sensible et percevant bien ses propres sensations, comme la douleur, reste l’idée qu’être traité comme un animal, être « traité comme un chien », c’est être considéré comme un objet, sans conscience et sans dignité, que l’on peut utiliser sans considération morale, tel un jouet, une chose qui ne ressent rien. D’où la célèbre réplique du personnage de Joseph Merrick, dit « Elephant man », dans le film de David Lynch, au moment où la foule le découvre dans une station de métro : « Je ne suis pas un éléphant, je ne suis pas un animal, je suis un être humain ». Pour un être humain, ne pas avoir d’esprit serait monstrueux.
Photographie de Joseph Merrick, surnommé « Elephant man », 1889
Communication et proximité
Communication et proximité
Il convient cependant de distinguer langage et communication.
Communication :
Ensemble des procédés par lesquelles un être émet un message et le transmet à d’autres, qui reçoivent ce message et le décodent.
Force est de reconnaître que les animaux communiquent, entre congénères et entre espèces. Les travaux contemporains de Karl von Frisch sur le langage comportemental des abeilles ou encore ceux de Konrad Lorenz sur la communication chez les oies, par le corps et le cri, montrent les mécanismes de cette communication.
Cette faculté animale de communiquer produit une proximité entre l’animal et l’homme : nous communiquons nous-même avec les animaux. Quoi ? Des ordres ou de la tendresse, par exemple. Cette proximité rend dès lors possible l’idée que la connaissance de l’homme puisse passer par la connaissance de l’animal. Dans le registre de la communication par le son ou par le geste, il y a autant de modalités chez les animaux qu’il en existe dans l’humanité. C’est du moins ce que La Rochefoucauld affirme dans une analyse comparative entre communications animales et communications humaines.
- L’analyse de l’homme permet de comprendre l’animal et l’analyse de l’animal permet de comprendre l’homme.
Portrait de François de La Rochefoucauld par Théodore Chassériau, 1836, ©RMN
François de La Rochefoucauld (1613 à 1680) est un écrivain et moraliste français.
« II y a des oiseaux qui ne sont recommandables que par leur ramage et par leurs couleurs. Combien de perroquets qui parlent sans cesse, et qui n'entendent jamais ce qu'ils disent ; combien de pies et de corneilles, qui ne s'apprivoisent que pour dérober ; combien d'oiseaux de proie, qui ne vivent que de rapines ; combien d'espèces d'animaux paisibles et tranquilles, qui ne servent qu'à nourrir d'autres animaux !
Il y a des chats, toujours au guet, malicieux et infidèles, et qui font patte de velours ; il y a des vipères dont la langue est venimeuse, et dont le reste est utile ; il y a des araignées, des mouches, des punaises et des puces, qui sont toujours incommodes et insupportables ; il y a des crapauds, qui font horreur, et qui n'ont que du venin ; il y a des hiboux, qui craignent la lumière. Combien d'animaux qui vivent sous terre pour se conserver ! Combien de chevaux, qu'on emploie à tant d'usages, et qu'on abandonne quand ils ne servent plus ; combien de bœufs, qui travaillent toute leur vie, pour enrichir celui qui leur impose le joug ; de cigales, qui passent leur vie à chanter ; de lièvres, qui ont peur de tout ; de lapins, qui s'épouvantent et se rassurent en un moment ; de pourceaux, qui vivent dans la crapule et dans l'ordure ; de canards privés, qui trahissent leurs semblables, et les attirent dans les filets ; de corbeaux et de vautours, qui ne vivent que de pourriture et de corps morts ! Combien d'oiseaux passagers, qui vont si souvent d'un monde à l'autre, et qui s'exposent à tant de périls, pour chercher à vivre ! Combien d'hirondelles, qui suivent toujours le beau temps ; de hannetons, inconsidérés et sans dessein ; de papillons, qui cherchent le feu qui les brûle ! Combien d'abeilles, qui respectent leur chef, et qui se maintiennent avec tant de règle et d'industrie ! Combien de frelons, vagabonds et fainéants, qui cherchent à s'établir aux dépens des abeilles ! Combien de fourmis, dont la prévoyance et l'économie soulagent tous leurs besoins ! Combien de crocodiles, qui feignent de se plaindre pour dévorer ceux qui sont touchés de leurs plaintes ! Et combien d'animaux qui sont assujettis parce qu'ils ignorent leur force !
Toutes ces qualités se trouvent dans l'homme, et il exerce, à l'égard des autres hommes, tout ce que les animaux dont on vient de parler exercent entre eux. »
François de La Rochefoucauld, Maximes, Réflexion diverses, XI, « Du rapport des hommes avec les animaux », 1665.
Pour La Rochefoucauld, il existe autant de types humains qu’il existe d’espèces animales. Il est possible de dire à la fois : « tout comme le tigre farouche et cruel, l’homme vit du sang d’innocents » et « tout comme l’homme farouche et cruel, le tigre vit du sang d’innocents ». On peut dire tout aussi bien « le singe est malin comme l’homme » et « l’homme est malin comme le singe ». Les manières plaisantes des singes, « qui ont de l’esprit, et qui font toujours du mal » sont aussi celles de l’être humain. Tout comme les paons, certains hommes « n’ont que de la beauté » et « détruisent les lieux qu'ils habitent ».
Et si Machiavel, par exemple, pour désigner ce que doivent être les deux armes du pouvoir, à savoir la force invincible du lion et la ruse trompeuse du renard, utilise la métaphore animale, c’est bien que les animaux ont quelque chose de pertinent à nous communiquer sur ce que nous sommes : en effets, les comportement de communication sont semblables.
Il existerait donc de très nombreuses similitudes, dans les actes, les tempéraments et les moyens de communiquer, entre nous et eux.
Miroir et anthropomorphismes : faire parler l’animal
Miroir et anthropomorphismes : faire parler l’animal
Mais, plus que par des similitudes en matière de communication, notre rapport à l’animal se fait par des effets de reflet.
Nous ne pouvons pas nous empêcher de faire parler l’animal pour nous comprendre nous-mêmes. Pourquoi cette tendance ? Pourquoi, d’un côté, le refus de considérer que l’animal possède un langage et, de l’autre, cette tendance à le faire parler tel que nous parlons ?
Nous ne résistons pas à la tentation de l’anthropomorphisme.
Anthropomorphisme :
Tendance consistant à se représenter toute réalité comme semblable à la réalité humaine, par exemple à prêter une parole humaine à un animal.
Pourquoi cette tentation ? Parce l’animal reste notre miroir et que ce miroir transformateur permet de nous mettre à distance de nous-même, d’avoir sur notre humanité – ou notre inhumanité – un regard quelque peu objectif.
Au Moyen Âge et à la Renaissance, le fou, et en particulier le fou du roi, pouvait avoir une parole critique, moqueuse, satirique à l’égard des pouvoirs. Les fous ayant été enfermés à l’époque classique, il a fallu trouver un autre moyen pour nous regarder nous-même, nous et nos ambitions, nos désirs, nos folies ordinaires.
L’anthropomorphisme, la personnification de l’animal capable de parler de nous et à notre place se retrouve dans les Fables de La Fontaine ou encore dans La Ferme des animaux de George Orwell, et est souvent utilisé pour dénoncer nos travers. Mais si les animaux sont des hommes, il se peut aussi que, pour la compréhension de notre rapport aux animaux et de la façon dont nous les traitons, les hommes soient littérairement des animaux.
Un autre renversement de type miroir est effectué dans La Planète des singes, roman de science-fiction de Pierre Boulle, qui a fait l’objet d’adaptations cinématographiques (la plus fidèle à l’idée du roman étant certainement celle de Franklin Schaffner datant de 1968).
Le narrateur, Ulysse Mérou, découvre une planète, Soror. Cette planète ressemble fort étrangement à la Terre mais les êtres dominants, évolués et civilisés sont des singes, et les humains sont des êtres asservis aux singes, domestiqués, parqués et battus ; ils sont farouches, sous évolués et ne poussent que des cris.
- Les rapports et les rôles sont inversés, et l’exploitation de l’animal par l’homme devient exploitation de l’homme (devenu bête) par l’animal (devenu évolué).
Dans l’extrait qui suit, Ulysse Mérou rencontre un singe pour la première fois.
Pierre Boulle (1962 à 1995) est un écrivain français, auteur également du Pont de la rivière Kwai. Il a été agent de la France libre durant la Seconde Guerre mondiale en Asie du Sud-Est.
« Il y avait plusieurs éléments baroques, certains horribles, dans le tableau que j'avais sous les yeux, mais mon attention fut d'abord retenue toute entière par un personnage, immobile à trente pas de moi, qui regardait dans ma direction. Je faillis pousser un cri de surprise. Oui, malgré ma terreur, malgré le tragique de ma propre position – j'étais pris entre les rabatteurs et les tireurs –, la stupéfaction étouffa tout autre sentiment quand je vis cette créature à l'affût, guettant le passage du gibier. Car cet être était un singe, un gorille de belle taille. J'avais beau me répéter que je devenais fou, je ne pouvais nourrir le moindre doute sur son espèce. Mais la rencontre d'un gorille sur la planète Soror ne constituait pas l'extravagance essentielle de l'événement. Celle-ci tenait pour moi à ce que ce singe était correctement habillé, comme un homme de chez nous, et surtout à l'aisance avec laquelle il portait ses vêtements. Ce naturel m'impressionna tout d'abord. À peine eus-je aperçu l'animal qu'il me parut évident qu'il n'était pas du tout déguisé. L'état dans lequel je le voyais était normal, aussi normal pour lui que la nudité pour Nova1 et ses compagnons. Il était habillé comme vous et moi, je veux dire comme nous serions habillés si nous participions à une de ces battues, organisées chez nous pour les ambassadeurs ou autres personnages importants, dans nos grandes chasses officielles. Son veston de couleur brune semblait sortir de chez le meilleur tailleur parisien et laissait voir une chemise à gros carreaux, comme en portent nos sportifs. La culotte, légèrement bouffante au-dessus des mollets, se prolongeait par une paire de guêtres. Là s'arrêtait la ressemblance ; au lieu de souliers, il portait de gros gants noirs. C'était un gorille, vous dis-je ! Du col de la chemise sortait la hideuse tête terminée en pain de sucre, couverte de poils noirs, au nez aplati et aux mâchoires saillantes. Il était là, debout, un peu penché en avant, dans la posture du chasseur à l'affût, serrant un fusil dans ses longues mains. Il se tenait en face de moi, de l'autre côté d'une large trouée pratiquée dans la forêt, perpendiculairement à la direction de la battue. »
Pierre Boulle, La Planète des singes, ch. IX, 1963.
1 Jeune femme humaine de la planète Soror, rencontrée précédemment.
Ulysse Mérou se retrouve à la place d’un animal, victime d’une battue comme l’être humain en fait subir aux animaux dans notre civilisation. C’est comme si un animal, par exemple un cerf dans une chasse à courre, nous donnait ses impressions. Mis à part ce renversement des rôles, censé nous faire réfléchir à notre rapport de domination à l’animal, l’intérêt du roman réside aussi dans la question : comment les singes sont-ils devenus plus intelligents et plus forts que les hommes ? Que s’est-il passé ? L’une des explications tient à la référence au darwinisme.
Darwinisme :
Théorie évolutionniste de Charles Darwin selon laquelle les espèces vivantes, dans leur diversité, ont une origine commune, et évoluent et se transforment, principalement sous la pression de la sélection naturelle.
Le singe et l’homme, espèces proches aux plans physique, physiologique et génétique, entretiendraient un lien de parenté. Sur la planète Soror, le singe ayant évolué en se rapprochant de l’homme, deux hypothèses sembleraient plausibles :
- d’une part celle d’une évolution des gorilles en être civilisés tout comme l’Homme ;
- d’autre part le mouvement inverse, la régression de l’Homme, redescendu au stade de la bête, incapable désormais d’avoir une pensée et un langage articulé.
Dans le roman de Boulle, Ulysse Mérou théorise ainsi la situation : « Singes et hommes sont des rameaux différents, qui ont évolué, à partir d'un certain point, dans des directions divergentes, les premiers se haussant peu à peu jusqu'à la conscience, les autres stagnant dans leur animalité. »
Concrètement, les hommes sont devenus intellectuellement oisifs et lire un livre, par exemple, est devenu fatigant ; pendant ce temps, les singes se sont mis à méditer en silence, à l’insu des hommes, et à parler en eux. Puis ils se sont révoltés, prenant aux hommes leur place centrale.
- Le monde est dès lors devenu « primatocentriste ».
Conclusion :
Faire parler l’animal par un langage humain deviendra, au XXe siècle, à côté des démarches non fictionnelles, une démarche scientifique. Deux recherches contemporaines sont fondamentales quant à l’étude de l’animal et de sa comparaison avec l’être humain.
D’une part, faire parler l’animal a été tenté et en partie réalisé par le couple Gardner, deux psychologues de l’Université du Nevada qui ont appris à la guenon chimpanzé Washoe quelques deux cent signes tirés de la langue des signes, ainsi que la possibilité de combiner ces signes afin de faire des phrases liées à la vie courante.
De plus, si la science tente de donner à l’animal le langage et, probablement, l’intelligence qui va avec, il est arrivé que le scientifique, pour connaître l’animal, se soit adapté à lui, à ses comportements et attitudes. C’est ainsi que Dian Fossey, primatologue et éthologue américaine, a pu étudier les gorilles du Rwanda par une approche comportemental mimétique, c’est-à-dire en adoptant les postures et les attitudes des grands singes eux-mêmes.
L’être humain sait alors devenir intelligemment animal.