Qu’est-ce que l’État de droit ?
Introduction :
L’État de droit est le fondement d’une société démocratique : dans un État de droit, la loi, connue et acceptée de tous, s’applique pour tout le monde. En effet, l’État de droit suppose la prééminence du droit (c’est-à-dire de la loi) sur le pouvoir politique, ainsi que son respect par tous, gouvernés comme gouvernants, au sein d’un État.
En cela, il s’oppose à l’arbitraire du pouvoir royal qui prédominait avant la Révolution française de 1789 : le roi décidait seul, sans contrainte, selon son bon plaisir. De plus, dans le contexte de monarchie de droit divin, la volonté du roi était considérée comme reflétant la volonté de Dieu et apparaissait donc incontestable. Or, dans un État de droit, le droit positif, c’est-à-dire l’ensemble des règles de droit qui s’appliquent dans un État, sont issues des hommes eux-mêmes et, par conséquent, ne découlent pas d’une divinité.
Ainsi, nous nous demanderons quels sont les piliers de l’État de droit.
À travers l’étude du cas français, nous verrons que l’État de droit est basé sur le principe de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la justice, ainsi que sur le respect de la hiérarchie des normes. Par ailleurs, il garantit l’égalité des citoyens devant la loi et préserve les libertés fondamentales des citoyens.
Droit positif :
Le droit positif est l’ensemble des règles de droit qui sont en vigueur dans un État à un moment donné. Son respect est garanti par l’État de droit.
Le droit positif est un droit issu des hommes, écrit et vivant : il évolue dans le temps.
Il s’oppose donc au droit divin (issu d’une divinité) et au droit naturel (lié à la nature humaine), ce dernier étant considéré comme universel et immuable (qui reste identique).
L’État de droit et la séparation des pouvoirs
L’État de droit et la séparation des pouvoirs
Montesquieu apparaît comme le précurseur de l’État de droit. Dans son ouvrage De l’esprit des lois (1748), le philosophe des Lumières a été l’un des premiers à théoriser les fondements de l’État de droit.
Il défend en effet la nécessité de séparer les trois grands pouvoirs qui régissent la société :
- le pouvoir judiciaire (qui rend la justice) ;
- le pouvoir législatif (qui débat et promulgue les lois) ;
- et le pouvoir exécutif (qui rend les décisions importantes pour le pays et fait appliquer les lois).
Montesquieu entend ainsi assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire et répartir les pouvoirs de l’État entre des mains différentes.
Ce principe de séparation des pouvoirs est constitutif de l’État de droit et s’oppose frontalement au pouvoir absolu des rois de France sous l’Ancien régime.
État de droit :
Système de gouvernement garantissant que même la puissance publique (c’est-à-dire les dirigeants d’un pays) est soumise au droit (à la loi).
Les normes juridiques sont reconnues comme essentielles et primordiales, ce qui fait que chacune et chacun d’entre nous est également traité devant la loi.
L’avantage de la séparation des pouvoirs réside donc dans le fait qu’un seul personnage, si important soit-il, ne peut plus à la fois être l’auteur des lois, celui qui les applique et celui qui punit en cas de manquement. L’État de droit est donc indissociable de la démocratie et s’oppose par essence à l’absolutisme (concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un dirigeant tout-puissant).
En France, le principe de séparation des pouvoirs a une valeur constitutionnelle depuis la proclamation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Son article 16 dispose en effet que :
« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »
La Constitution de la Ve République réaffirme ce principe, notamment dans ses articles 20, 49 et 50.
Le principe d’indépendance de la justice (c’est-à-dire la garantie pour les magistrats de pouvoir prendre des décisions à l’abri de toute instruction ou pression) est réaffirmé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose notamment que :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
Au-delà du principe de séparation des pouvoirs, l’État de droit repose sur un autre pilier : le respect de la hiérarchie des normes.
Le respect de la hiérarchie des normes
Le respect de la hiérarchie des normes
L’une des caractéristiques fondamentales de l’État de droit réside dans le fait que les institutions de l’État et les personnes qui gouvernent sont elles-mêmes soumises à la loi. Cette soumission est définie par la hiérarchie des normes.
Au début du XXe siècle, dans son ouvrage Théorie pure du droit (1934), le juriste autrichien Hans Kelsen a redéfini la notion d’État de droit comme un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées, ce qui permet de limiter la puissance de l’État en question.
La hiérarchie des normes (également appelée « pyramide de Kelsen ») s’appuie sur l’idée de conformité. Concrètement, cette théorie met en place une pyramide ou hiérarchie entre les différentes normes du droit avec, en son sommet, la Constitution. Pour être valide, la norme inférieure ne peut être opposée à la norme qui lui est immédiatement supérieure (elle doit s’y « conformer »). Dans le cas contraire, la norme inférieure invalide devra être corrigée afin de respecter la norme supérieure.
Constitution :
C’est la loi fondamentale d’un État, qui se situe au sommet de la hiérarchie des normes (au-dessus de toutes les autres lois de l’État).
Elle est composée de règles écrites établies de manière formelle par un pouvoir constituant (ex. : une assemblée chargée de rédiger la Constitution).
Pour être valides, les lois adoptées par le Parlement doivent donc subir un contrôle de constitutionnalité. En France, ce contrôle est exercé par le Conseil constitutionnel.
Conseil constitutionnel :
Le Conseil constitutionnel est un organisme qui a pour mission de contrôler la constitutionnalité des lois (c’est-à-dire que les lois sont bien conformes la Constitution), ainsi que la régularité des élections nationales et des référendums (c’est-à-dire que les règles de leur organisation sont bien respectées).
Le Conseil constitutionnel est formé de neuf membres nommés pour neuf ans, ainsi que des anciens présidents de la République qui en sont membres de droit à vie.
En mai 2024, de violentes émeutes éclatent en Nouvelle-Calédonie sur fond de revendications indépendantistes, après l’annonce par le gouvernement d’une réforme électorale qui ne fait pas consensus dans la population et qui met le feu aux poudres. Dans ce contexte explosif, le gouvernement français décide alors de bloquer l’accès des habitants de l’archipel au réseau social TikTok, afin de limiter la circulation de contenus susceptibles d’attiser les violences. Saisi par des associations et des particuliers sur la constitutionnalité de cette décision, le Conseil constitutionnel juge finalement ce blocage conforme à la Constitution et refuse par conséquent de l’invalider. Pour justifier sa décision, le Conseil constitutionnel estime que, dès lors que le blocage est limité dans le temps et à un unique réseau social, alors même que les autres médias et réseaux sociaux restent accessibles au public, la décision du gouvernement de bloquer temporairement TikTok pour endiguer les violences sur l’archipel ne constitue pas une « atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».
On voit à travers cet exemple que l’État de droit repose en effet sur un équilibre ténu entre garantie des droits fondamentaux et sauvegarde de l’ordre public.
L’État de droit, garant des droits fondamentaux
L’État de droit, garant des droits fondamentaux
Les libertés fondamentales (ou droits fondamentaux) sont des libertés individuelles qui sont considérées comme primordiales et qui sont protégées par des textes de loi.
Il s’agit notamment de l’égalité, la liberté de conscience, la liberté d’expression, la liberté de manifestation, le droit à la propriété, le droit de vivre dans un environnement sain…
- Dans un État de droit, l’État doit garantir le respect des droits fondamentaux de chaque citoyen.
L’État de droit assure l’égalité des individus face aux normes juridiques et garantit leurs libertés fondamentales. Les principaux textes juridiques européens réaffirment ces principes. La Convention européenne des droits de l’homme, entrée en vigueur en 1953, ne fait pas exception.
Convention :
Accord de volonté conclu entre deux ou plusieurs États. Il s’apparente à un contrat.
Dans ses articles 1 à 14, la Convention européenne des droits de l’homme garantit les droits de l’homme et fait du respect des libertés individuelles une obligation pour tous les États contractants, dont la France.
Qui plus est, son article 17 interdit les abus de droit. Il dispose en effet que :
« Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention. »
Par conséquent, il arrive que les institutions européennes rappellent aux États membres de l’Union européenne leur obligation de faire observer le respect des droits fondamentaux sur leur territoire. La France n’échappe pas à la règle.
En mars 2023, de nombreuses manifestations ont été organisées en France en opposition au projet de loi portant sur l’allongement de la durée du temps de travail (réforme des retraites). Au cours de certaines de ces manifestations, en particulier à Paris, des violences ont été commises, notamment à l’encontre des forces de l’ordre et de manifestants.
Dunja Mijatović, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a ainsi été dans l’obligation de rappeler à l’État français ses obligations en matière de respect des droits fondamentaux, notamment en ce qui concerne les libertés de réunion et d’expression. La Commissaire a déclaré à ce propos : « Il appartient aux autorités de permettre l’exercice effectif de ces libertés, en protégeant les manifestants pacifiques et les journalistes couvrant ces manifestations contre les violences policières et contre les individus violents agissant dans ou en marge des cortèges. »
De fait, si dans le cadre de l’État de droit des limitations aux libertés individuelles sont permises, elles doivent demeurer l’exception et sont strictement encadrées.
Conclusion :
L’État de droit est un système de gouvernement qui garantit que la puissance publique, comme les citoyens, sont soumis au droit.
L’État de droit, apparu en France après la Révolution, repose sur trois piliers fondamentaux : la séparation des pouvoirs, l’égalité de tous devant la loi (ainsi que la soumission de l’État au droit) et, enfin, le respect de la hiérarchie des normes.
Ce système de gouvernement garantit les libertés fondamentales et constitue un rempart face à l’absolutisme. Par conséquent, il est indissociable de la démocratie et son affaiblissement ou sa remise en question menacent directement cette dernière.